APPROFONDIR LES SCHISMES POLITIQUES ENTRE LES ETATS-UNIS ET L’UNION EUROPÉENNES – ET LA RUSSIE

Hall GARDNER

Juillet 2008

N’EST-IL PAS PARTICULIÈREMENT IRONIQUE que les deux pères fondateurs de la stratégie américaine d’« endiguement » (containment), George Kennan et Paul Nitze se soient tous les deux opposés à l’élargissement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) vers l’Europe centrale et orientale après l’effondre­ment du bloc soviétique en 1991 ? Mais les raisons de leur opposition apparaissent aujourd’hui, à l’heure où l’Otan commence à envisager un élargissement vers les pays dits du « Big MAC » : la Macédoine, l’Albanie et la Croatie -jeu de mot faisant référence au hamburger de MacDonald- mais aussi vers les pays plus déterminants stratégiquement que sont l’Ukraine et la Georgie.

La décision de l’administration Bush d’envisager une nouvelle vague d’élargis­sement de l’Otan pose un véritable dilemme. En effet, elle intervient au moment même où l’Otan apparaît de plus en plus embourbée, voire présente depuis trop longtemps, en Afghanistan, pendant que les Américains continuent de piétiner avec l’Union Européenne quant à savoir quoi faire de la Serbie et du Kosovo.

En outre, comme George Kennan et Paul Nitze l’avaient prévu, la Russie a commencé à s’imposer à nouveau, en profitant de la montée des prix de l’énergie, après plus d’une décennie à faire face à des problèmes internes, principalement la Tchétchénie.

Alors que l’administration de George Bush Senior avait semblé promettre au leader soviétique Mikhail Gorbachev de ne pas élargir l’Otan au-delà de l’Allema­gne réunifiée, le débat sur une « grande » Organisation du Traité de l’Atlantique Nord traumatisa l’administration Clinton lorsque la Russie était une démocratie naissante. Comme par magie, cependant, les questions soulevées par le débat sur l’élargissement semblèrent ensuite avoir disparu lors de l’élargissement vers l’Eu­rope centrale en 1999 -exactement cinquante ans après la création de l’Otan. La première vague d’élargissement de l’Otan à la fin du mandat de Clinton fut cepen­dant marquée en même temps par la guerre « sur » le Kosovo. La seconde vague, poussant davantage vers l’Europe de l’Est (et incluant les Etats baltes) pendant le premier mandat de George W. Bush en 2004, s’est faite dans le contexte de l’inter­vention militaire menée par les Etats-Unis en Afghanistan depuis la fin de l’année 2001, intervention qui était soutenue à la fois par l’Onu et par l’Alliance ; et du fiasco de l’intervention en Irak de 2003 qui n’avait obtenu l’aval ni des Nations Unies, ni de l’Otan.

Le fait que les partisans d’un élargissement maximal recommencent à faire pres­sion pour que l’Ukraine et la Géorgie deviennent membres de l’Alliance a suscité la défiance de la Russie par rapport aux intentions de l’Otan, tout en risquant un élar­gissement excessif de l’Otan. Afin d’amener l’Ukraine dans l’Otan (et de défendre le pays efficacement), l’Otan aurait besoin de conquérir l’ensemble de la population ukrainienne, qui apparaît divisée grosso modo en son milieu entre les sentiments pro-Occidentaux et pro-Russes. En janvier 2008, le pro-Russe « Parti des Régions » a par exemple essayé de bloquer les efforts du gouvernement ukrainien qui voulait proposer l’adhésion du pays à l’Otan au Sommet de Bucarest d’avril 20081.

L’adhésion de la Georgie pourrait quant à elle entraîner une sécession du pays car il ne faut pas oublier les mouvements séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. La Géorgie doit aussi faire face a des désaccords au sein du gouvernement pro­Occidental (mais dont on peut discuter l’aspect démocratique) du président géor­gien Mikhail Saakashvili. La Russie et la Georgie ont toutes les deux menacé d’uti­liser la force pour régler les problèmes abkhaze et ossète et des armées des deux pays ont commencé à se mobiliser vers la frontières russo-géorgienne en mai 2008.

La politique russe semble tenter de soumettre le président Saakashvili à une cer­taine pression avant les élections parlementaires qui devait se tenir en mai, tout en reconnaissant l’Abkhazie et l’Ossétie, comme un prêté pour un rendu par rapport au soutien au Kosovo de l’Otan et de l’Union européenne. Pour sa part, la Géorgie a menacé de bloquer l’entrée de la Russie à l’OMC. Malgré un possible report de l’adhésion de la Georgie, l’Otan a mis en garde la Russie fin avril début mai pour qu’elle arrête d’affaiblir l’intégrité territoriale de la Géorgie après l’annonce faite par la Russie qu’elle allait envoyer encore plus de « gardiens de la paix » vers les deux régions sécessionnistes géorgiennes.

Etant donné les divisions politiques entre pro-Occidentaux et pro-Russes à l’in­térieur de l’Ukraine et de la Géorgie, on peut se demander également dans quelle mesure la Russie pourrait chercher à tirer avantage d’autres divisions politiques et militaires portant sur les Etats-Unis, l’Otan, l’Europe -si la Russie n’est pas finale­ment invitée à rejoindre davantage le club ou bien qu’elle rejette totalement toute forme de coopération plus poussée avec l’Otan et l’Union européenne. Le problème soulevé ici est que les Etats-Unis et l’Otan ne se sont pas encore sérieusement inté­ressés aux craintes réelles de la Russie qui, de manière correcte ou non, semble voir un « complot » entre l’élargissement de l’Otan, le futur potentiel du bouclier anti­missile pour contrer les systèmes de dissuasion russes (sans la participation russe dans le processus de décision d’un tel système) et la Force Conventionnelle adaptée dans le traité avec l’Europe.

Ici, pour montrer que ses capacités de grande puissance se développent osten­siblement, la Russie s’est vantée à propos de ses nouvelles armes non nucléaires de détenir « le père de toutes les bombes », en opposition à « la mère de toutes les bom­bes » américaine2. Pour tester les capacités de défense alliées, Moscou s’est encore plus engagée dans une expérimentation au style très « guerre froide » des défenses de l’Otan avec des avions de combats et des bombardiers s’aventurant dans l’espace aérien de l’Otan ou encore des sous-marins patrouillant près des côtes du Royaume-Uni. Moscou a également repris des tests de tirs de missiles avancés, tels que le Topol-M (ou RS-24), qui doit remplacer les SS-19 et SS-18 de l’ère soviétique et contrer les systèmes de défense anti-missiles balistiques. En plus d’avoir pris décidé significativement de suspendre la Force Conventionnelle adaptée du Traité Europe, la Russie a également menacé de quitter l’accord INF qui interdisait à la Russie et aux Etats-Unis de développer ou déployer des missiles de croisières et des missi­les balistiques lancés depuis le sol et ayant une portée de 500 à 5.500 kilomètres. Moscou a encore une fois menacé (comme elle l’avait fait dans les années quatre-vingt-dix) de déployer un tel arsenal à Kaliningrad, en Biélorussie, ou ailleurs -pour influencer les décideurs politiques européens et américains (mais causant générale­ment un retour de bâton au sein des opinions européennes et américaines).

L’ironie de la situation est qu’il n’est pas du tout sûr que l’Europe de l’est soit le meilleur endroit pour un système de défense anti-missiles balistiques. L’Allemagne et le Canada ont jusqu’à maintenant refusé d’accueillir le projet sur leur territoire, par contre le Royaume-Uni pourrait reconsidérer la question. Les missiles iraniens seraient mieux contrés depuis la Turquie, qui, en revanche, a jusqu’à maintenant soutenu qu’elle ne sera pas impliquée dans le projet. Ankara est de plus en plus irri­tée par les politiques américaines en Irak qu’elle considère responsables des deman­des kurdes pour davantage d’autonomie dans le nord de l’Irak, quand il ne s’agit pas d’indépendance. En effet, une relative autonomie des Kurdes du nord de l’Irak affecte directement le PKK et les Kurdes de l’est de l’Anatolie, parmi d’autres pro­blèmes. L’autonomie kurde dans le nord de l’Irak influence également les Kurdes d’Iran, incitant ainsi à la fois la Turquie et l’Iran à se méfier de l’autonomie kurde et des mouvements d’indépendance.

En plus des propositions américaines d’éventuellement placer des bases du bouclier anti-missiles en Géorgie (ce à quoi la Russie s’oppose catégoriquement), l’Azerbaïdjan, (qui a le soutien de la Russie) s’est montré intéressé pour accueillir le projet. Une autre option pourrait être le Kazakhstan. Dans le même temps, la Russie elle-même a manifesté un certain intérêt pour recevoir le système de radar sur son territoire ou pour permettre aux Etats-Unis d’utiliser les systèmes basés en mer dans le cadre d’un contrôle commun.

La politique américaine du « diviser pour mieux régner »

Il subsiste une question supplémentaire qui concerne la nature de la relation stratégique entre l’Otan et l’Union européenne et son manque de coordination. Que se passerait-il si un conflit majeur éclatait entre la Russie (ou n’importe quel autre Etat qui ne soit membre ni de l’Otan ni de l’UE) et un membre de l’Union européenne tel que la Suède, la Finlande ou l’Autriche, qui ne sont pas membres de l’Otan ou qui ne font pas partie des système de sécurité américain ? L’Union européenne serait-elle capable de défendre les problèmes sécuritaires de ces Etats ? L’Union européenne aurait-elle besoin du soutien nucléaire des Etats-Unis/Otan ? Est-ce que les Etats-Unis (et pas l’Otan) défendraient ces Etats ? Les Etats-Unis dé­fendraient-ils contre des menaces correspondant à n’importe quelle forme de mis­sile (à courte, moyenne ou longue portée) et pour tous les membres de l’Otan, sans même parler des membres de l’Union Européenne ?

En plus d’avoir remis en cause son rapport coût-efficacité, les Européens se sont également interrogés sur le lien entre le système de bouclier anti-missiles, qui est censé détecter et abattre des missiles balistiques de longue portée en haute altitude, et les efforts de l’Otan pour développer son propre arsenal de défense avec des missiles tactiques, de portée intermédiaire. Des questions se posent : qui aura le contrôle sur un tel système de défense ? Un tel système couvrira-t-il tous les Etats européens ou seulement certains ? Ainsi, en déployant les systèmes de défense en Pologne et en République Tchèque, les politiques américaines semblent diviser les membres de l’Union européenne et écarter mes membres de l’Union qui ne sont pas également membres de l’Otan (tout en ouvrant la possibilité pour la Russie de jouer sur ces différences politiques).

Beaucoup de ces questions, dont celle sur le système de défense anti-missiles ba­listiques (le « bouclier anti-missiles »), furent posées au Sommet de l’Otan à Bucarest en avril 2008. Ce qui est significatif à propos de ce sommet est le fait qu’il abordait également la sécurité européenne dans un contexte plus large – dans la mesure où les 23 pays faisant partie du Partenariat pour la Paix y participaient à côté des 26 membres de l’Alliance. Les pays du « Big MAC », la Macédoine, l’Albanie et la Croatie, espéraient obtenir l’adhésion, mais la Macédoine se la vit refuser, en grande partie à cause de l’opposition grecque. La Géorgie et l’Ukraine aussi cherchaient à l’obtenir. Mais, alors que les Etats-Unis et la plupart des pays d’Europe orientale (sauf la Hongrie) soutenaient un Plan d’Action pour l’Adhésion pour l’Ukraine et la Géorgie en affirmant que l’adhésion à l’Otan est une décision souveraine qui ne devrait pas prendre en compte l’opposition russe, la France et l’Allemagne, ainsi que l’Italie, la Hongrie et les pays du Benelux, s’opposèrent à l’adhésion des deux pays. On raconte que le Royaume-Uni ne fit pas de déclaration publique par peur de contrarier les Américains, mais supportait en fait discrètement les Français et les Allemands. Ici, ni l’Ukraine ni la Georgie n’ont été capables de surmonter leurs conflits et divisions politiques. Il y a également la menace implicite que la Russie pourrait se mettre à agir comme un « saboteur » si ces pays rejoignaient l’Otan, et qu’elle ne soutiendrait plus la politique des Etats-Unis et de l’Union européenne envers l’Iran.

Ce problème a sérieusement divisé les membres de l’Otan, avec notamment des critiques qualifiant la décision de ne pas étendre le Plan d’Action pour l’Adhésion de « mini-appaisement ». Dans le même temps, l’Otan déclara qu’elle continuerait à assister ces pays dans le processus vers le Plan d’Action pour l’Adhésion. La décision de ne pas faire entrer la Géorgie et l’Ukraine coïncide avec la promesse du président Sarkozy de renforcer la position de la France au sein de l’Alliance.

La question du Kosovo

Accepter l’adhésion de l’Albanie et de la Croatie était également controversé parce que cela tendait à être vu comme un « encerclement » par les nationalis­tes serbes, qui regardent de plus en plus vers une Russie toujours plus sûre d’elle pour obtenir du soutien – et ce à moins que la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro, ainsi que la Russie, ne puissent se rapprocher de l’Otan et de l’Union européenne d’une manière ou d’une autre. Pour cette raison, le Sommet de Bucarest offrit, de manière inattendue, à la Serbie un possible Plan d’Action pour l’Adhésion Individuel et l’encouragea à s’engager dans la phase de dialogue approfondi.

La victoire du pro-Européen Boris Tadic lors des élections présidentielles ser­bes en février 2008, contre le nationaliste radical et pro-Russe Tomislav Nikolic, a amené l’Otan et l’Union européenne à engager un rapprochement avec la Serbie dans l’espoir que l’Otan et l’Union puissent « européaniser » la Serbie avant que les ultranationalistes Serbes ne gagnent davantage de soutien. La Serbie et l’Union européenne ont donc signé un Accord d’Association et de Stabilisation, mais celui-ci a entraîné des réactions très divisées chez les nationalistes entre les réformistes et les partisans d’une ligne dure. Beaucoup de choses dépendront de l’évolution du Kosovo, étant donné les revendication « d’indépendance » (et pas de confédération) des Kosovars albanais et l’intransigeance serbe, sans oublier la minorité serbe de Mitrovica qui est en faveur d’une sécession – si ce n’est en faveur d’une réintégra­tion au sein de la Serbie. Dans le même temps, la KFOR de l’Otan va rester au Kosovo pour tenter d’assurer un environnement sûr et sécurisé pour faire face aux conflits potentiels entre Kosovars serbes et albanais.

La question de l’Afghanistan

Pourtant, ne serait-ce que parler d’un élargissement de l’Otan aux Balkans (ou en Ukraine et en Géorgie) est fortement problématique puisque l’Otan est em­bourbé en Afghanistan. L’Otan a réclamé des forces supplémentaires pour « l’im­position de la paix » dans les provinces du sud, en particuliers aux alliés de l’Otan. Cette dernière intervention en date dévoile les réelles perspectives de l’élargisse­ment excessif de l’Otan et cet échec semble menacer l’existence même de l’Otan depuis qu’elle a accepté de prendre le commandement de a Force Internationale d’Assistance et de Sécurité en Afghanistan en avril 2003 -au moment même où le Pentagone commençait à se concentrer sur l’Irak, laissant l’Otan récolter les cada­vres en Afghanistan.

Il a été dit que si les Etats-Unis et l’Otan semblaient perdre en Afghanistan, cela aiderait les Taliban et Al-Qaïda à se remettre sur pied -particulièrement si cela s’accompagnait d’une déstabilisation encore plus forte du Pakistan, qui pos­sède l’arme nucléaire. En janvier 2008, le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, s’est ouvertement interrogé sur le futur de l’Otan, si celle-ci devait échouer en Afghanistan. « Si une alliance des plus grande démocraties mondiales ne peut pas rassembler la volonté pour faire le travail dans une mission que nous jugeons tous juste et vitale pour notre sécurité, alors nos citoyens commenceront sans doute à s’interroger sur la valeur de la mission et sur l’utilité même d’un projet de sécurité transatlantique vieux de soixante ans. »

Mais en fait, et n’en déplaise au secrétaire Gates, le problème de fond est que l’Otan n’est pas seulement menacée par un échec potentiel en Afghanistan mais est également sévèrement affaiblie de l’intérieur par la nature essentiellement uni­latérale des interventions américaines. Il y a d’abord eu l’échec du Sommet de Rambouillet, suivi de la « war by committee » pendant la guerre « sur » le Kosovo, qui n’ont pas aidé à consolider les relations Etat-Unis-Otan-Union européenne-Russie. Et bien que l’Otan (et les Nations Unies) aient soutenu les Etats-Unis en Afghanistan (il est assez ironique de constater qu’il s’agit de la première mission de l’Otan correspondant à son chapitre V en dehors de l’Europe), les Etats-Unis n’ont pas totalement inclu l’Otan dans cette guerre -en grande partie à cause de la prédilection américaine pour la stratégie de guerre centrée sur les réseaux, qui rend la coopération multilatérale plus difficile lors des combats. A la place, les Etats-Unis ont alors rajouté, après-coup, l’Otan dans son entier pour une mission de maintien de la paix. Le Pentagone a beaucoup reproché depuis aux alliés de ne pas remplir leur part du contrat, alors qu’ils sont maintenant engagés dans des missions d’im­position de la paix.

Mais, à côté du besoin de construire et structurer les forces militaires et de police afghanes (tâche plus facile à énoncer qu’à réaliser), il est peu probable que la crise afghane puisse être résolue grâce à un plus grand soutien du Pakistan, dont la politique semble diverger de plus en plus de celle des Etats-Unis. Paradoxalement, les nouveaux partis démocrates du gouvernement pakistanais, Asif Ali Zardari du Parti du Peuple Pakistanais, et Nawaz Sharif de la Ligue Musulmane du
Pakistan-N, ont cherché à se distancer à la fois du Général Mousharaf et des Etats-Unis en né­gociant directement avec les seigneurs de guerre et en rompant avec la tactique de Musharraf qui se concentre sur l’usage de la force militaire. Tout en avertissant que la force sera utilisée contre ceux qui usent de violence, l’idée est de séparer les seigneurs de guerre d’Al-Qaïda, et d’autres extrémistes (comme le Pentagone a lui-même essayé de le faire dans les régions sunnites d’Irak). Le Département d’Etat a cependant affirmé que le cessez-le-feu négocié par le Pakistan en 2007 avait en fait permis aux leaders d’Al-Qaïda d’acquérir « une plus grande mobilité et une meilleure capacité à mener des entraînements et des planifications opérationnelles, visant surtout l’Europe de l’ouest et les Etats-Unis »3.

Pourtant, non seulement le Pakistan espère séparer les Taliban d’ Al-Qaïda et d’autres extrémistes militants par des négociations secrètes, mais le Canada égale­ment, qui a combattu dans la province de Kandahar, bastion des Taliban au sud de l’Afghanistan, serait en train de réfléchir à ce type d’approche -bien que le gouver­nement canadien ait jusqu’à maintenant nié cette version.

Simultanément, les Etats-Unis ont affirmé que l’Iran a aussi soutenu certaines factions des Taliban en leur fournissant des armes. Ces accusations coïncident avec la décision américaine d’envoyer un deuxième porte-avion dans le Golfe. Pourtant, pour empêcher un conflit avec une grande partie du monde musulman, sunnite comme chiite, les Etats-Unis auront besoin à terme de s’engager dans des relations diplomatiques directes avec Téhéran, au côté de ses alliés européens et de la Russie, sans préconditions et à un haut niveau. Un effort déterminé et engagé est nécessaire pour convaincre les Iraniens de ne pas s’engager dans une course à l’armement et pour trouver un moyen pour les Etats-Unis et l’Iran de coopérer en Irak, en Afghanistan, et en faveur d’un accord général sur le Moyen-Orient.

 

Jouer Kiev contre Moscou

Ici, l’affaiblissement de l’intérieur de l’Otan par la nature essentiellement uni­latérale de la politique américaine se trouve au cœur du problème. Avant tout, le fait que les Etats-Unis aient essayé de déployer un système de défense anti-missiles balistiques de manière unilatérale en Pologne et en République Tchèque en dehors du cadre de l’Otan a soulevé l’incompréhension quant à savoir si les Etats-Unis voulaient ou non s’engager dans un partage de puissance et de technologie avec ses propres alliés européens. La quête américaine pour la sécurité nationale absolue pourrait amener à une nouvelle forme d’unilatéralisme high tech, mis en place uni­quement avec des partenaires sélectionnés.

De ce point de vue, ce ne sont pas les pertes potentielles dans les steppes afgha­nes qui affaibliront l’Otan. Il est en fait davantage significatif que les Etats-Unis aient généralement été réticent à s’engager de manière coopérative avec des alliés dans des forums multilatéraux ou dans des groupes de contact, surtout en ce qui concerne l’Iran. En outre, maintenant qu’ils ont rendu les infrastructures de l’Otan plus proches géographiquement de Saint-Pétersbourg et de Moscou -au risque d’une nouvelle partition de l’Europe le long de la frontière biélorusse- les Etats-Unis n’ont pas encore trouvé le moyen de coopérer de manière plus exhaustive avec la Russie. Si celle-ci ne peut être rapprochée de l’Alliance très bientôt, les Etats-Unis et le monde se retrouveront avec une crise encore plus grave sur les bras -dans des conditions géopolitiques et socio-économiques qui sont beaucoup plus instables que celles qui prévalaient lors de la Guerre Froide.

Si les Etats-Unis, l’Otan et les Européens continuent de jouer Kiev contre Moscou, et font finalement rentrer l’Ukraine dans l’Otan sans considération pour les intérêts russes, ou bien font rentrer la Russie également, Moscou tentera de contrer l’influence des Etats-Unis et de l’Otan en s’immisçant dans une Europe politiquement divisée par le biais d’une conjonction de pressions et d’incitations au niveau de l’énergie. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la Russie commencent déjà à jouer les « cartes » abkhaze et ossète (sans oublier la Transnistrie) contre le soutien américaine et européen à l’indépendance du Kosovo albanais. Une telle pos­sibilité comporte un risque d’aggravation des tensions politico-militaires, exacerbés par les perspectives d’une alliance sino-russe -ce à quoi poussent les déploiements du système de défense américain en Europe et en Asie.

Dans ces circonstances, si les Etats-Unis, l’Union européenne et la Russie ne peuvent concevoir une stratégie plus concertée -comme suggéré par une Europe qui pourrait contrebalancer la politique américaine au sein de l’Otan- il faudra s’atten­dre à une augmentation du nombre des conflits régionaux et des guerres, ainsi qu’à leur aggravation, opposant peut-être même des grandes puissances. Il s’agit préci­sément de l’inverse d’une relation d’alliance entre ces puissances majeures -associé soit à l’expansion crainte, soit à la rupture de ces mêmes alliances- ce qui pourrait déclencher une guerre mondiale tel un accident, peut-être, mais plus sûrement ac­cidentellement par dessein.

*Professeur de Relations Internationales et Directeur des Etudes Internationales à l’Université américaine de Paris. Auteur de plusieurs ouvrages et publications sur la politique internationale américaine, notamment American Global Strategy and «War on Terrorism», Burlington, Ashgate, 2005., et son dernier ouvrage Averting Global War: Regional Challenges, Overextension, and Options for American Strategy New York: Palgrave, 2007.

 

Notes

  1. Ukrainian Opposition Blocks Parliament over NATO Membership, » RFE/RL Newsline Vol. 12, No. 14, Part II, 22 Janvier 2008.
  2. Il est possible que Moscou exagère les capacités de son arsenal non-nucléaire. Vr. David Axe and Daria Solovieva, « Did Russia Stage the Father of All Bombs Hoax? » Wired http://www. com/politics/security/news/2007/10/russian_bomb.
  3. Paul Eckert « Al Qaeda, cohorts remain worst terrorism threat-US »(Reuters 30 Avril 2008).
Article précédentL’EUROPE, SOFT POWER OU MINI-OTAN ?
Article suivantQUELLE SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE POUR L’UE ? LE CAS DU PÉTROLE ET DU GAZ

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.