APRES LES REVOLUTIONS ARABES EN AFRIQUE DU NORD : LE DECLIN INELUCTABLE DE LA FRANCOPHONIE ? ENJEUX POLITIQUES ET STRATEGIQUES

Pierre BERTHELOT

Docteur en Science politique de l’Université de Bordeaux III. Chercheur associé à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et Enseignant-chercheur au CERMAM (Centre d’étude et de recherche sur le monde arabe et musulman), à l’Université Paris II Panthéon Assas. Il est également Expert associé auprès de la FMES (Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques).

2eme trimestre 2012

Les récentes « révoltes arabes » qui ont touché l’Afrique du Nord ont été analysées le plus souvent d’un point de vue politique, stratégique, économique et religieux, alors qu’elles sont aussi suscep­tibles de se manifester sur le plan culturel, avec comme enjeu le maintien de la prééminence du français comme première langue étrangère ou son éventuelle régression. Il s’agira donc dans les développements suivants, et après avoir brièvement rappelé l’état de la francophonie en Afrique du Nord, d’évaluer l’impact de l’arrivée au pouvoir de formations réputées plus conservatrices et davantage favorables à une politique d’arabisation accentuée.

After the Arab révolutions in North Africa: the inévitable décline of the French language? Political and strategic stakes

The récent «Arab revolts» that affected North Africa have been analyzed most often in political, stra­tegic, économie and religious terms and perspectives, although they may also impact the cultural level, with the challenge of maintaining the rule of the French language as the first foreign language or its possible decline. Therefore, in the following development, after a brief survey of the situation of theF-rench language in North Africa, we will assess the impact of the rise to power of movements deemed more conservativethat wouldfavor an intensivepolicy of « arabization ».

Les récentes évolutions et révolutions qui ont profondément marqué l’Afrique du Nord ont été analysées le plus souvent d’un point de vue politique, stratégique, économique et religieux. Or, les conséquences de ce « printemps arabe » risquent aussi de se manifester d’un point de vue culturel (qui possède aussi sa propre dynamique politique et stratégique) à travers le maintien de la prééminence du français comme première langue étrangère ou son éventuelle régression. Il s’agira donc dans les développements suivants, et après avoir brièvement rappelé l’état de la francophonie en Afrique du Nord, d’évaluer l’impact de l’arrivée au pouvoir de formations réputées plus conservatrices, notamment sur le plan religieux, et favo­rables à une arabisation accentuée susceptible de menacer l’influence, réputée décli­nante, du français. Cependant, ces velléités ne seront pas forcément couronnées de succès, car elles risquent de se heurter à certaines résistances, rendant ainsi plus difficile l’importation d’un « modèle wahhabite » en pleine expansion et l’éviction de l’influence française et francophone.

I -L’État de la francophonie en Afrique du Nord

La situation de la francophonie y est duale puisqu’elle apparait à la fois comme très favorable, sinon hégémonique, en tant que langue étrangère privilégiée, mais aussi contestée voire menacée essentiellement par les rivaux anglo-saxons.

Une place a priori privilégiée

De prime abord, l’Afrique du Nord (et plus particulièrement les États formant le grand Maghreb arabe, exception faite de la Libye), semble être l’un des bastions avancés de la francophonie, avec une population de près de 75 millions d’habitants, jouissant d’un niveau de vie et d’un degré d’éducation largement supérieur à la moyenne africaine. De nombreux exemples rappellent cette réalité, puisque l’un des premiers étrangers a avoir obtenu le prestigieux prix Goucourt (et aussi le pre­mier arabe, avant le Libanais Amine Maalouf) n’est autre que le Marocain Tahar Ben Jelloun, de même que l’une des très rares femmes à avoir intégré l’Académie française est l’écrivain d’origine algérienne Assia Djebar.

Par ailleurs l’existence d’importantes minorités berbères, qui considèrent que leur identité culturelle est plurielle et ne se limite pas à l’islamité ou à l’arabité, contribue à la diffusion du français à côté de leur propre idiome ou de la langue dominante de la rive Sud de la Méditerranée. Certains rappellent par ailleurs que l’UMA (Union du Maghreb arabe), qui a manifesté une certaine volonté de rebon­dir suite aux récents évènements politiques qu’a connue l’Afrique du Nord (on soulignera un début de rapprochement algéro-marocain) met d’abord en avant une identité supposée indépassable, alors qu’elle devrait intégrer les autres influences et peut-être même repenser son nom.

Lorsque l’on établit un rapide tour d’horizon par pays, les frères ennemis maro­cains et algériens apparaissent indéniablement comme les deux poids lourds de la francophonie en Afrique du Nord. Le royaume chérifien fait figure de bon élève avec de très cordiales relations politiques entretenues avec Paris et un enseignement dès le primaire du français, si bien qu’une importante partie de la population, forte de plus de trente millions d’habitants comprend ou maitrise plus ou bien cette langue qui rayonne aussi à travers la présence de plusieurs lycées français réputés et de médias nombreux et de qualité. Le seul bémol étant que l’analphabétisme, qui reste encore important, limite une diffusion qui pourrait être plus conséquente.

L’Algérie nourrit des relations complexes avec le français et fait figure de grande absente de l’OIF puisqu’elle peu être considérée comme le second pays francophone du monde, car si sa population est égale à celle du Maroc, ou inférieure à celle de la République démocratique du Congo, le nombre estimé de locuteurs apparait comme relativement important, un taux d’alphabétisation plus développé que dans les deux États précités, une longue présence française (l’écrivain Kateb Yacine consi­dérait le français comme son « butin du guerre ») et une importante communauté d’origine algérienne dans l’hexagone expliquant cette réalité que tente cependant de minimiser le gouvernement ou plusieurs partis politiques. Ils considèrent que l’OIF n’est que le bras armé du néo-colonialisme français et refusent d’y adhérer, malgré les demandes répétées de la France et le fait que l’on ait pas observé jusqu’ici de tentation hégémonique de Paris pour imposer ses vues sur cette structure.

La Tunisie a peut être le plus fort taux de diffusion de français par habitant, mais sa population prés de trois fois inferieure à celle de l’Algérie ou du Maroc ne lui permet pas d’être un pays majeure de la francophonie. Cette remarque s’applique encore davantage à la Mauritanie, qui ne compte que quelques millions d’habi­tants et où le niveau d’éducation est par ailleurs très en retard par rapport aux Etas du « petit Maghreb ». Restent le cas de la Lybie et de l’Egypte, à part, puisque la pratique du français y est beaucoup plus limitée que dans les autres pays évoqués précédemment. Tripoli n’a jamais fait d’efforts particuliers en ce sens, malgré le rapprochement politique qui avait été observé au début du mandat du président Sarkozy, et la première langue étrangère a toujours été l’anglais depuis le départ de l’ancien colonisateur italien. En revanche, le plus peuplé des pays arabes fait figure de bastion perdu puisque le français y bénéficiait d’une place privilégiée à l’époque de la colonisation anglaise, même si c’était surtout auprès des élites, qui manifestait ainsi leur hostilité à la puissance occupante. Il en reste quelques vestiges, à travers une version française et hebdomadaire du prestigieux journal Al Ahram, la présence à Alexandrie de l’Université Senghor, la seule de l’OIF[1] à ce jour, et une adhésion à cette dernière organisation[2], alors que le nombre de locuteurs reste marginal par rapport à ceux qui utilisent l’anglais.

Une position de plus en plus contestée

Cependant, cette position relativement privilégiée de la francophonie est de plus en plus contestée, au fils des années, pour des raisons tant politiques qu’écono­miques. Par exemple, les États-Unis sont un allié ancien du royaume chérifien, qui a été l’un des touts premiers États à les reconnaitre. Dans le cadre d’une véritable stratégie d’influence, inspirée par le principe du « soft power »[3], Washington a par exemple largement financé une université dotée d’importants moyens et basée dans le Moyen-Atlas, AlAkhawayne, qui a pour vocation de former les futures élites du pays.

Par ailleurs, lorsque des universitaires ou des chercheurs souhaitent aboutir à une reconnaissance internationale, souvent source de subventions pour mener à bien des projets ou des sujets d’études, il est probable que l’usage de l’anglais dans des revues classées ou des conférences réputées leur offrira davantage d’opportu­nités que la pratique plus traditionnelle du français. Les bourses et les visas sont aussi généreusement accordés, avec des moyens financiers et logistiques souvent sans commune mesure. Parallèlement, et afin de renforcer ses chances de succès lorsqu’il existe un projet d’immigration, la connaissance de l’anglais, ou d’autres langues occidentales est un atout certain pour des personnes originaires d’Afrique du Nord.

Les États-Unis ont en outre choisi le bon interlocuteur pour signifier qu’ils sont le pays où le succès est possible pour les élites maghrébines, en la personne d’Elias Zerhouni, envoyé spécial de Washington pour la science et la technologie auprès du monde musulman, puisque ce dernier était auparavant à la tête du National Institute of Health, poste prestigieux du secteur de la santé. On soulignera aussi, que dans la foulée de la désastreuse invasion d’Irak, et dans double souci visant à restaurer une image dégradée et aussi à contrer l’influence de la très influente Al Jazeera, a été lancée la chaine Al Hourra (improprement appelée « celle qui est libre ») avec des moyens importants. Le choix a aussi été fait de désigner une délé­guée chargé e de la diplomatie publique, en la personne de Margaret D. Tutwiler qui avait été ambassadeur au Maroc

Il-Incertitudes liées aux révoltes arabes

Arabisation forcée ?

L’arrivée au pouvoir ou la montée en puissance des islamistes dans tous les États d’Afrique du Nord devrait logiquement aboutir à un renforcement de l’arabisation, voire à sa généralisation, afin de rappeler le référent culturel essentiel que consti­tue la langue du Coran et aussi pour donner des gages aux plus extrémistes. En effet, il va rapidement apparaitre que puisque la plupart des formations islamistes ont choisi de participer à la vie publique, de devenir acteurs et non plus unique­ment spectateurs ou détenteurs du quasi monopole de la fonction tribunicienne, des compromis interviendront, suscitant autant de déceptions. C’est donc à nou­veau la question de la légitimité qui sera posée, et l’un des meilleurs moyens de compenser les inévitables échecs politiques et économiques ou les frustrations est la maximalisation des symboles identitaires, afin de couper l’herbe sous le pied des radicaux et autres salafistes, mais aussi pour satisfaire une base électorale qui risque de se retrouver désorientée. C’est déjà ce qui avait conduit l’Algérie à rendre encore plus drastique l’arabisation en 1991, période qui marque l’apogée électorale des islamistes algériens et dont il s’agissait alors de contrer l’emprise sur la société.

Pourtant lorqu’elle a été mise en place, fusse de façon modérée, elle s’est souvent traduite par un échec et n’a pas eu les résultats escomptés come au Maroc ou en Algérie, notamment car elle ne s’est pas inscrite dans la durée et a désorganisé un système éducatif déjà en difficulté. Mieux, et paradoxalement, l’arabisation apparait comme hostile aux classes les plus modestes, qui sont en principe une des clientèles de prédilections des islamistes, puisque les bons élèves ou ceux dont le potentiel est le plus prometteur fuient en général vers des établissements privés, lorsqu’ils restent sur place, contribuant à l’abaissement du niveau général des zones les populaires, qui continuent à croire que la maitrise d’une ou de plusieurs langues étrangères reste un sésame indispensable pour s’élever dans la hiérarchie sociale ou se préparer à une vie meilleure à l’étranger. Se pose en effet la question des débouchés, car si l’Arabie saoudite peut plus ou moins se permettre de former des légions d’étudiants en sciences religieuses, qui pour la plupart ne trouveront pas d’emplois mais qui seront généreusement aidés, les pays d’Afrique du Nord ne peuvent se permettre un tel luxe. On peut aussi de demander dans quelle mesure une arabisation accentuée n’est pas, à l’heure d’internet et des chaines satellitaires, une illusion dans la mesure où on peut en partie contourner les éventuelles interdictions grâce a ces nouveaux moyens de communications.

Fuite des élites et reflux du tourisme

Mais cette politique d’arabisation accentuée, pourrait se retourner contre ses promoteurs pour d’autres raisons, si elle venait à être mise en place en Afrique du Nord. En effet, aucun de ses différents États, à l’exception relative de la Libye, ne bénéficie d’un niveau de vie économique suffisant pour se permettre le luxe de voir fuir une partie de ses élites et se priver des importantes recettes issues du tourisme (surtout au Maroc, en Tunisie et en Égypte). Les élites sont indispensables au mo­ment où la situation politique et économique apparait comme des plus précaires et aussi parce que la mondialisation rend incontournable le maintien dans leur pays d’origine d’une partie de la population pour pouvoir lutter face à la concurrence de plus en plus rude des pays émergents. Mais ce phénomène est valable dans les deux sens, puisqu’il faut aussi veiller à accueillir des élites qui ont été se former, profes­sionnellement ou intellectuellement en Occident et qui sont parfois hostiles à toute forme d’islamisation ou d’arabisation exacerbée, tout comme elles avaient parfois été en pointe pour contester l’autoritarisme des régimes déchus. C’est « la loi des diasporas », qui a été notamment développée par Gérard-François Dumont et reste trop ignorée des analystes ou des décideurs politiques.

Quand au tourisme, pour les États d’Afrique du Nord non pétroliers, il est vital, occupant une place considérable voire disproportionnée dans l’économie de plusieurs d’entre eux, assurant devises et contribuant à limiter les effets souvent pervers de l’exode rural. Au moment où les visiteurs étrangers se font plus rares, sur fond de tensions politiques comme en Egypte ou en Tunisie, il est risqué d’envoyer en Occident des messages qui peuvent être mal compris et qui sont susceptibles de se retourner contre leurs promoteurs. Ces derniers devront alors faire face à un mécontentement de leur base électorale qui aspire avant tout à une meilleure situa­tion économique, les valeurs et référents identitaires occupant souvent une place secondaire pour beaucoup d’entre eux.

Plus généralement, il existe un risque d’image qui peut se répercuter sur l’éco­nomie, comme pourrait l’illustrer le cas des centre d’appels en pleine croissance au Maroc ou en Tunisie. Est-ce que les prestataires issus de ces pays continueront à être sélectionnés, s’ils ont associés à une image négative ou réputée hostile à la franco­phonie alors que les prestations proposées son essentiellement à destination de la France, voire de la Belgique ou de la Suisse ?

IlI-Perspectives futures et nouvelles alliances

Eviction de la francophonie politique

et mise en place du « modèle wahhabite » ?

Le modèle wahhabite, dans sa forme la plus rigoriste, comme en Arabie Saoudite, ou dans une version édulcorée comme au Qatar (et dont le salafisme n’est qu’un des avatars), prône la diffusion de valeurs islamiques pures et non corrompues, avec par exemple la promotion de l’arabe et des sciences religieuses d’une part, et la lutte contre toute forme d’hégémonie occidentale dans l’espace arabo-musulman d’autre part, a fortiori lorsqu’elle contribue ou aide au maintien d’injustices, en particulier en Palestine. En réalité, et au-delà de cette posture, il existe un pacte tacite que rien ne semble pouvoir ébranler, entre plusieurs régimes religieux conservateurs et/ou monarchiques et les anglo-saxons[4]. Chacun s’appuie sur l’autre pour la promotion de ses intérêts[5], bien que cela se traduise par certaines contradictions, comme cela a pu être observé au moment du 11 septembre[6] sans aboutir à de déchirantes remises en cause pour autant. Dès lors, on ne sera guère surpris si, une fois l’arabe renforcé, c’est l’anglais qui s’impose comme première langue étrangère, les deux camps alliés trouvant ainsi un intérêt mutuel dans l’éviction du français de sa place forte nord-africaine, bien que l’on se doive de souligner la position particulière du Qatar qui cultive une certaine francophilie, en particulier au sein de la famille régnante, bien qu’elle ne se soit pas traduite jusqu’ici par un développement réel du français. L’un des inconvénients du recours au wahhabisme, sur le plan financier notamment, c’est qu’il exige des contreparties, ce qui se traduit parfois par l’implantations de courants radicaux parfois peu compatibles avec la doctrine malékite par exemple, également conservatrice mais plus modérée, en vigueur dans plusieurs États du Maghreb. Cela a été vérifié au Maroc[7], mais dans ce dernier cas, la mise à l’écart des prêcheurs extrémistes ne peut se faire qu’avec diplomatie dans la mesure où le royaume chérifien est un allié de longue date de Ryad[8], avec lequel les liens ont été renforcés ces deniers mois, puisque le Maroc pourrait rejoindre le Conseil de coopération du Golfe. On a pu observer récemment cette volonté de pétromonar-chies d’imposer leurs vues sur différents pays d’Afrique du Nord, en Libye ou en Mauritanie, suscitant des réactions parfois hostiles tant des populations que des gouvernements. Dans le premier cas, Doha a pesé de tout son poids pour placer à la tête de la région militaire de Tripoli Abdelkrim Belhadj, et dans la second cas, l’Emir du Qatar était encore à la manœuvre lorsqu’il a quasiment ordonné aux autorités de Nouakchott de réserver un meilleur accueil à ses opposants islamistes. Il n’est pas certain que des régimes islamistes, à la tête de pays constituant parfois de véritables États-Nations et attachés à leur souveraineté acceptent de se voir plus ou moins dicter leur politique par des puissances étrangères, fussent-elles proches sur le plan idéologique.

A l’inverse, la francophonie ne cherche pas à promouvoir de valeurs religieuses ou même politiques (le libéralisme par exemple), si l’on excepte le fait qu’elle prône la diversité culturelle et le dialogue entre civilisations et au sein de celles-ci. L’OIF s’est certes dotée d’un mécanisme de surveillance des élections, afin de sanctionner certains pays ne respectant pas le verdict des urnes ou manipulant les résultats, mais sans que cela se traduise par une ingérence trop prononcée.

Réalisme politique et maintien a minima de l’influence de Paris ?

Les nouveaux pouvoirs en place vont donc probablement, passée l’ivresse des victoires électorales y réfléchir à deux fois, ou du moins édulcorer l’application de leurs programmes culturels et linguistiques, s’ils devaient se traduire par un retour en arrière, une régression politique et économique. En effet, entre la lettre et l’esprit, il exulte toujours une marge de manœuvre appréciable, comme on a commencé à le voir en Tunisie ou le parti islamo-conservateur Ennahda a finalement renoncé à introduire la charia dans la constitution. L’expérience montre qu’au contact des autres formations non islamistes (avec lesquelles peuvent d’établir par ailleurs cer­taines convergences politiques) et sous le poids des réalités locales (Hezbollah liba­nais, salafistes yéménites …), les islamistes (sauf lorsque c’est l’État lui même qui prône au plus haut niveau la radicalité), cherchent plutôt le compromis imparfait que la pureté idéologique, inapplicable la plupart du temps.

En outre, il est bon de ne pas oublier que les formations islamistes portées récemment au pouvoir en Afrique du Nord ou en passe de l’être ne sont que rare­ment hégémoniques, si l’on excepte l’Egypte où elles ont reportés les trois quart des sièges. Ainsi au Maroc, le PJD a remporté moins d’un tiers des sièges (avec un taux de participation très bas) et il convient de rappeler que d’importants contre-pouvoirs peuvent à tout moment modérer ses ardeurs (le roi, les Berbères.). En Algérie, l’armée restera un important garde-fou si les islamistes gagnaient du ter­rain, et il convient de rappeler qu’une partie d’entre eux a déjà été associée au pou­voir ces dernières décennies, leur permettant de diffuser leur vision conservatrice de la société. En Tunisie, c’est une majorité relative des sièges qu’a remporté Ennahda, même si on soulignera que les salafistes n’ont pas participé aux récentes élections. Ces mouvements devront donc composer avec tous ceux qui restent hostiles à une politique d’arabisation accentuée et anti-francophone : les Berbères, les laïcs et sécu-laristes, les libéraux. Enfin, il faut y ajouter les surprises que peuvent révéler l’étude des mouvements islamistes : au Maroc, la fille d’un des principaux dirigeants isla­miste, Abdessalam Yassine, est une parfaite francophone qui a fréquenté les écoles françaises du royaume chérifien !

Dans ce contexte instable politiquement et économiquement et face aux risques de passage sous tutelle d’États musulmans ultra-conservateurs soucieux d’étendre leur influence, les pays d’Afrique du Nord associés jusqu’ici à la francophonie pourraient finalement maintenir les liens culturels et politiques privilégiés tissés au cours des décennies, en particulier avec Paris, qui pourrait en effet se révéler être un partenaire utile pour contribuer à limiter les effets de la radicalisation visible dans l’espace sahélo-saharien et qui sont susceptibles de d’étendre plus au Nord.

 

Conclusion

Le déclin potentiel de la francophonie en Afrique du Nord n’est pas inéluctable, malgré ce que laisse augurer l’arrivée au pouvoir de formations islamistes censées promouvoir une arabisation accélérée. En effet, de nombreux obstacles se dresseront sur leur chemin, avec des élites qui risquent de se montrer hostiles et des touristes qui se feront alors plus discrets. Le réalisme politique commande de ne procéder qu’avec prudence pour les nouveaux régimes qui doivent davantage chercher à faire du français une arme pour assurer leur développement, prétexte et ne plus le voir comme un fardeau ou un outil de domination néo-coloniale.

[1]Organisation internationale de la francophonie, dont le siège est à Paris et qui regroupe une cinquantaine d’États.

[2]Le premier président de l’OIF fut l’égyptien Boutros-Ghali

[3]Le pouvoir de la persuasion, théorisé par Joseph S. Nye

[4]Depuis la mise en place des monarchies hachémites après la première guerre mondiale et le « pacte du Quincy » en février 1945.

[5]Protection militaire d’un côté, approvisionnement énergétique sécurisé de l’autre et aussi critiques limitées de la domination occidentale de l’autre

[6]Cet évènement apparait comme l’exutoire archétypal des extrémistes islamistes frustrés de l’impéritie, voire de la collusion de leurs gouvernements.

[7]Lorsqu’un cheikh marocain, mais issu de la mouvance wahhabite, eut déclaré licite il y a quelques années le mariage avec des jeunes filles de moins de douze ans.

[8]Ces deux États sont donc à la fois alliés et rivaux, et l’on peut parler de « coopétition », c’est-à-dire que l’on est dans la coopération mais aussi dans la compétition, une situation que l’on retrouve aussi au sein de nombreuses alliances économiques ou militaires occidentales.

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