Conclusions sur la nouvelle émergence de la Russie

Colonel Alain CORVEZ

Il serait trop long de résumer toutes les interventions de ce colloque, tant elles ont été de grande qualité et richement documentées.

L’idée essentielle qui s’en dégage me semble être qu’il est grand temps de sortir de positions idéologiques quand on regarde la Russie, et de revenir au pragmatisme géopolitique qui doit marquer les relations internationales. Les Etats dignes de ce nom défendent les intérêts de leurs citoyens et n’envisagent les mesures et les accords à signer avec l’étranger qu’à travers cette vérité implacable. Or toute analyse objective de nos relations avec la Russie affirme qu’elle est notre grande voisine européenne et que, plutôt que de l’ostraciser en la rejetant vers l’Asie, nous devons construire avec elle des coopérations profitables aux deux parties. Elle est une interlocutrice impérative des pays européens dans tous les domaines, et devrait l’être de l’Union Européenne.

Dans son introduction, le Ministre Conseiller de l’ambassade de Russie Artem Studennikov nous a lu et commenté le message de l’Ambassadeur Mechkov destiné à nos travaux : il est temps de cesser de considérer la Russie comme une ennemie de l’Europe, résultat d’une propagande éhontée des milieux réactionnaires des Etats-Unis et de l’Union Européenne.

Dans ses mots d’ouverture, le Président de l’Académie de géopolitique de Paris, Ali Rastbeen retrace judicieusement l’histoire récente pour montrer que la situation actuelle s’explique par la reddition sans guerre de l’Union Soviétique à partir de 1990 puis par l’attaque contre la Yougoslavie qui fut le déclencheur de la balkanisation, synonyme de désintégration des pays, sous l’impulsion des Etats-Unis, et  rappelle que la Russie comme membre du Conseil de Sécurité de l’ONU est acteur des crises internationales, de la Crimée à la Syrie, à la Turquie et Israël, en passant par la Libye et l’Afghanistan. Les relations nouvelles de la Russie avec la Turquie font de cette dernière un pont entre l’Europe et l’Asie, Centrale puis l’Extrême-Orient.

Emmanuel Leroy montrera que la décadence morale de l’Occident renforce le rôle de phare de la civilisation que la Russie représente, défendant les valeurs fondamentales de l’humanité comme la famille, base de toute société, et les identités nationales que les migrations non contrôlées mettent en péril.  Il rappelle le discours de Vladimir Poutine à Munich en 2007 qui reste un moment d’anthologie pour expliquer l’émergence d’un monde multipolaire ou apolaire, la domination d’un seul sur les autres étant nuisible et d’ailleurs devenue impossible de ce fait. Gérard Conio à son tour insistera sur l’accrochage des Russes aux valeurs fondamentales de l’humanité, s’appuyant sur une civilisation chrétienne que l’UE veut nier. Citant Tchaadaïev, il dira que l’amour de la patrie n’est pas différent de l’amour de la vérité.

Je ne peux citer toutes les idées brillantes qui ont été présentées par des experts géopolitiques ou de la finance internationale, qui ont stigmatisé son rôle néfaste sur les valeurs fondamentales, dirigée par la City et Wall Street : la monnaie a perdu sa valeur neutre et impartiale, dira Valérie Bugault, et il n’existe de pouvoir politique réel que monétairement souverain.

Jean-Michel Vernochet a expliqué pourquoi les « menaces russes sur l’Europe » étaient une fiction inventée par les Etats-Unis pour maintenir l’UE dans la soumission.

Plusieurs ambassadeurs, professeurs, journalistes et experts internationaux de grandes qualités, s’appuyant souvent sur l’Histoire, ont illustré la nécessité de revenir aux réalités géopolitiques, de mettre un terme aux propagandes mensongères éhontées des médias, de comprendre que la Russie est désormais le pôle directeur d’une lutte réelle contre le terrorisme islamique, reconnue comme telle par l’ensemble des pays arabes dégagés de l’idéologie wahhabite. Son retour en Afrique a été présenté comme le résultat des erreurs des anciennes puissances coloniales, notamment de la France, à la demande d’états africains abandonnés à leur sort, et que la diplomatie russe, empreinte de finesse et de pragmatisme, séduit autant la Chine que la Turquie ou Israël.

La présence à ce colloque du Député honoraire Jacques Myard, était significative de la volonté d’une partie du monde politique de sortir des idées reçues sur la Russie, dénonçant les mensonges sur la réalité de la démocratie russe dont il a été observateur lors des dernières élections présidentielles en Crimée. Il considère que la Russie est un partenaire nécessaire à l’équilibre des relations de la France et de l’Union Européenne et d’ailleurs qu’il ne s’agit pas vraiment d’une réémergence car elle n’a jamais disparue de la scène internationale.

Celle également de la Députée européenne Patricia Lalonde qui a, elle aussi, appelé à revenir au pragmatisme en ce qui concerne la Russie, regrettant l’absence de l’UE sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient et en Libye, rappelant les conséquences néfastes des sanctions pour les économies européennes, indiquant que les députés européens sont divisés sur ce sujet, notamment au sein de son groupe ADLE, et invitant le Parlement et la Commission à repenser les relations de l’UE avec la Russie, alors qu’elle signe des accords avec la Chine, en commençant par la libéralisation des visas pour les personnes et les sociétés. Elle souhaite le retour de la Russie dans le G 7 qui devrait redevenir le G8 mais remarque que c’est désormais dans le cadre du G20 que la Russie échange avec les autres puissances.

Pour achever ces conclusions je veux rappeler ce que le plus grand écrivain français, mais aussi le Ministre et diplomate François-René de Chateaubriand écrit dans ses « Mémoires d’outre-tombe » :

 » Il y a sympathie entre la Russie et la France ; la dernière a presque civilisé la première dans les classes élevées de la société ; elle lui a donné sa langue et ses mœurs. Placées aux deux extrémités de l’Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières, elles n’ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n’ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemis naturels de la France. »

Il voit tout de suite que la France et la Russie peuvent contrôler l’Europe, comme Napoléon l’avait compris à Tilsitt en 1807, lorsqu’il rêvait d’un « partage du monde » franco-russe :

« En temps de paix, que le cabinet des Tuileries reste l’allié du cabinet de Saint-Pétersbourg, et rien ne peut bouger en Europe.   En temps de guerre, l’union des deux cabinets dictera ses lois au monde. »

Et enfin ce que le visionnaire de Gaulle dit à l’Assemblée Consultative le 21 décembre 1944, à son retour de Russie et de la signature du Pacte d’alliance avec la Russie soviétique de Staline, alors que les Allemands ne sont pas encore chassés complètement de notre territoire :« Pour la France et la Russie, être unies, c’est être fortes ; se trouver séparées, c’est se trouver en danger.

En vérité, il y a là comme un impératif catégorique de la géographie, de l’expérience et du bon sens. » (Discours et Messages)Le 30 juin 1966 à Moscou : « l’entente, la détente, la coopération qui annoncent une nouvelle ère des relations internationales. »

AC 15/10/2018

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