DÉMOCRATIE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Général (cr) Henri PARIS

Président de DÉMOCRATIES

Octobre 2009

En regard des découvertes scientifiques les plus récentes, effectuées au début du troisième millénaire, l’Afrique se révèle être le berceau de l’humanité. Cela ne l’empêche pas d’être la grande oubliée des temps et du progrès. C’est ainsi qu’elle est le siège d’une accumulation sans pareille de pandémies, de pauvreté, d’inégalités, d’injustices, de rivalités internes et entre grandes puissances, ainsi que de conflits multiples entrecroisés, ethniques, économiques et frontaliers.

L’Afrique est un continent, certes. Cependant, il y a lieu de distinguer une Afrique du Nord, située au nord du tropique du Cancer et, dans sa partie est, au nord de l’équateur, profondément marquée par l’Islam qui lui donne une unité, peut-être la seule. Au sud de ce même tropique du Cancer et au sud de l’équa-teur, l’Afrique subsaharienne possède une autre unité, celle d’un peuplement noir, tout autant de façade qui l’a amené à être appelée l’Afrique noire. Communément, l’Afrique du Nord reçoit l’appellation de Maghreb à l’ouest et de Machrek à l’est ou encore d’Afrique islamique pour la discriminer du Proche et du Moyen-Orient.

L’Afrique subsaharienne, en plus d’être le sous-continent noir, possède une autre identité commune : elle a été colonisée dans son ensemble par les puis­sances européennes jusqu’au milieu de la décennie 1960, encore que l’Angola et le Mozambique ont obtenu leur indépendance respectivement en 1975 et en 1978. Le colonisateur européen, à son départ, laissa aux pays noirs des frontières issues de la colonisation et la démocratie comme modèle affirmé de régime politique. Tous les Etats africains subsahariens se réclament de la démocratie, mais qu’en est-il réellement ?

La démocratie, et il faut ajouter la démocratie parlementaire, serait la clé du dé­veloppement culturel, économique et scientifique en permettant l’épanouissement de l’individu sous tous ses aspects. Le cadre, au plan économique, est fixé par une économie de marché marquée du sceau de la libre concurrence.

Or, si tous les Etats subsahariens se caractérisent par des ressources naturelles abondantes, leur revenu individuel, comptabilisé selon la norme internationale en produit national brut par habitant exprimé en parité de pouvoir d’achat, le PNB/h. PPA, se situe parmi les plus bas de la planète.

L’Afrique subsaharienne bat tous les records du sida, de la mort par la faim et de l’analphabétisme.

Qu’en est-il alors de la démocratie africaine subsaharienne ?

La démocratie héritée

Pour reprendre un aphorisme, certes éculé mais indiscuté, la démocratie est le gouvernement du peuple par et avec le peuple, ainsi que pour le peuple. Faut-il encore que le peuple sache ce qu’il veut tant en politique intérieure qu’extérieure. Il y a ainsi présupposition d’un niveau populaire culturel suffisant.

Ce n’est donc absolument pas par hasard que la démocratie antique est née en Grèce et que son évolution a abouti à la démocratie parlementaire, telle qu’elle existe.

Deux remarques s’imposent d’emblée.

En premier lieu, la démocratie grecque s’adresse à un petit nombre de citoyens que pouvait accueillir leur rassemblement sur Y agora, la grande et unique place des villes de la Grèce antique, villes toutes érigées en principautés souveraines. Les ci­toyens rassemblés discutaient et délibéraient des affaires de la cité. Ils élisaient leurs responsables et dirigeants. Les autres habitants de la ville, esclaves et ilotes à Sparte, les plus nombreux, ne possédaient pas la qualité de citoyen, n’avaient aucun droit et surtout pas celui de délibérer. Estimés uniquement en fonction de leur force de travail, ils étaient traités comme du bétail. Une histoire, peut-être légendaire, mais significative, rapporte que les Spartiates enivraient leurs ilotes pour dégoûter leurs enfants de l’ivrognerie. La démocratie antique, grecque et romaine au premier chef, était donc sélective et intéressait un nombre restreint d’hommes et de femmes, citoyens et citoyennes. Et encore, si la citoyenne possédait un droit de propriété, elle était dessaisie de tout droit civique, notamment d’élire et d’être élue. Il faudra attendre le XXème siècle pour qu’elle obtienne le droit de vote. C’est pourtant à partir de cette démocratie antique que l’évolution des temps, à travers bien des aléas et des troubles, conduira à l’établissement de la démocratie, générant un Etat de droit. C’est cette même évolution historique et démographique qui a amené la démocratie antique à passer du stade direct à un régime représentatif, mais toujours basé sur l’élection.

En deuxième lieu, il est nécessaire de souligner qu’au début du troisième mil­lénaire, sur la planète, le nombre des régimes réellement démocratiques parmi les 192 Etats que compte l’ONU est nettement minoritaire, à peine une quarantaine.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la démocratie en Afrique subsaharienne soit un produit d’importation. En effet, avant l’arrivée des premiers colonisateurs au XVème siècle, des Portugais, les Africains ignoraient la roue et toute forme de communication écrite. Or, n’importe quelle conception démocratique, même à l’état de trace originelle, ne peut s’affranchir d’un minimum de culture, notam­ment écrite. Comment consigner un acte autrement ? De plus, les colonisateurs jusqu’au XIXème siècle, mus par le commerce, n’installaient que des comptoirs sur les côtes, jamais à l’intérieur des terres, à l’exception, à la fin du XVIIème siècle, de l’Afrique du Sud qui devint le premier territoire africain de colonisation. Ce n’est qu’au XIXème siècle que la colonisation, exclusivement européenne d’ailleurs, donc une pénétration en profondeur, devint de règle en Afrique subsaharienne, au point d’aboutir au partage complet du sous-continent.

Les colonisateurs n’éprouvèrent pas de grandes difficultés dans leurs conquêtes parce qu’ils ne se heurtèrent pas à des nations, organisées ou non en Etats, tels que le concept est entendu en Occident, très simplement parce qu’il n’y en avait pas. A leur conquête, ne s’opposèrent que des ethnies ou des tribus, regroupées en des ensembles disparates : c’est ce qui caractérisait le peuplement de l’Afrique subsaha­rienne.

Les colonisateurs, qu’ils soient hollandais, anglais, français ou allemands placè­rent les territoires conquis sous une administration exportée de la métropole. A des nuances près, dues aux particularités nationales, l’administration coloniale reposait sur un gouverneur, nommé par le pouvoir métropolitain et épaulé par des fonc­tionnaires également désignés par ce même pouvoir métropolitain. Pour simplifier l’exercice de l’administration de la colonie, le colonisateur se garda bien de toucher au système des chefferies locales ou des roitelets en place, à moins qu’il n’y trouve de l’hostilité. Il n’y eut qu’un faible souci d’éducation publique, de toute manière jamais massive et longtemps abandonnée aux missionnaires. La représentation des populations colonisées, quand elle existait, était sommaire et se composait, de fait, de dirigeants coutumiers existants ou désignés.

Quelques rares élites arrivèrent à émerger – tels Nelson Mandela en Afrique du Sud et Léopold Sédar Senghor ainsi que Mamadou Dia au Sénégal, Houphouet-Boigny en Côte d’Ivoire qui sera même ministre dans plusieurs gouvernements de la IVème République française – mais en quantité trop restreinte pour former des dirigeants vraiment éclairés en nombre suffisant. Quant aux classes moyennes, tra­ditionnellement le berceau de conceptions démocratiques, elles étaient absentes de la société noire. La seule exception se révéla parmi les militaires et encore parce que le colonisateur avait besoin d’intermédiaires, sous-officiers ou officiers subalternes, pour encadrer les troupes coloniales. C’est ce qui explique en partie la profusion de régimes militaires africains au lendemain des indépendances.

Le système esclavagiste disparut avec l’abolition de la traite, puis de l’esclavage, au XIXème siècle. Mais il avait eu le temps de provoquer des ravages. Au XVIème siècle, l’esclavage et la traite des noirs couramment pratiqués tant à l’intérieur du continent qu’à destination du monde arabe, prit des dimensions considérables au bénéfice des Européens, puis des Américains cherchant une main d’œuvre valable et peu coûteuse pour l’exploitation de leurs possession aux Antilles et en Amérique du Nord comme du Sud. Négriers arabes et européens ne procédaient pas eux-mêmes aux rafles d’es­claves, mais utilisaient les services d’intermédiaires noirs, des chefs locaux. Au total, en trois siècles, quelque 70 millions d’esclaves noirs furent ainsi transplantés.

L’esclavage n’est pas la cause première de l’arriération du continent noir, mais il y contribua fortement. Sa disparition coïncide avec la colonisation massive, sans qu’il y ait relation de cause à effet. L’esclavage est aboli aux Etats-Unis, sa forteresse la plus solide, en 1863, deux ans après celle du servage en Russie et un siècle avant son abo­lition institutionnelle en Arabie Saoudite. L’abolition de l’esclavage vient essentiel­lement de l’évolution des temps. A titre d’exemple, non sans hésitation, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage outre-mer en 1802, après qu’il eut été supprimé par la Convention, mais interdit la traite des noirs en 1815 avant la suppression définitive de l’esclavage dans toutes les colonies françaises en 1848. A bien noter que pour une large part, l’interdiction de la traite des noirs en 1815 a pour principal raison le développement de la betterave à sucre, rendant inutile l’exploitation intensive de la canne à sucre par une main d’œuvre servile. L’abolition de l’esclavage se succédera de pays en pays à la même époque et sera l’une des raisons, mais pas la seule, de la guerre civile américaine.

A la longueur des temps, l’esclavage avait amputé l’Afrique subsaharienne de millions de jeunes hommes et femmes en pleine possession de leurs forces physiques, intellectuelles et morales. En sus de cette privation, l’esclavage fut très longtemps la principale et détestable relation liant les Africains et les Européens. Les idées des Lumières et la marche vers la démocratie avaient ainsi peu de chance d’être exportées et implantées d’Europe en Afrique. Le colonialisme aurait pu y remédier et d’aucuns y avaient pensé. Pour Jules Ferry, l’éducation publique des enfants et des noirs ar­riérés relève de la même logique humaniste, visant l’acquisition des libertés indivi­duelles. Cette idéologie fut bien propagée dans les colonies françaises, mais sans mise en pratique massive. Et il en fut de même dans les autres colonies, car il était plus fa­cile de gérer et d’exploiter les colonies par une administration métropolitaine, quitte à utiliser des petits cadres intermédiaires en les prélevant parmi les chefs locaux. Aux Indes, les Britanniques n’hésitèrent pas à s’attacher les souverains de la multitude de principautés, royaumes et sultanats, tout en gardant la haute main sur l’ensemble du sous-continent grâce à un gouverneur général. Il en fut de même en Afrique.

D’une manière générale, la préparation à l’indépendance fut hâtive et mal conçue, en s’adressant principalement à l’encadrement intermédiaire indigène et aux dirigeants indépendantistes qui, bien souvent, furent extraits des prisons coloniales pour les besoins de la cause. Le cas de Nelson Mandela en Afrique du Sud en est l’illustration la plus frappante.

La disparition de l’administration coloniale laissa ainsi le pouvoir aux potentats locaux ou aux dirigeants révolutionnaires sans qu’ils puissent utiliser un personnel administratif et politique compétent et formé par un système scolaire et universitaire professant le droit et la démocratie, au bénéfice de plusieurs générations. Quant à la population, elle stagnait à son niveau d’arriération et n’avait donc aucune chance d’en sortir. Lors des indépendances, les potentats locaux, en prenant le pouvoir, n’eurent à ce sujet pas plus de soucis que les anciens colonisateurs. A des exceptions près, tels Léopold Senghor et Nelson Mandela déjà cités, mais sans réelle possibilité d’action, car manquant de moyens humains. Ils restaient des isolés.

L’administration des nouveaux Etats indépendants fut copiée sur celle du co­lonisateur : directe en Afrique francophone, indirecte dans les anciennes colonies britanniques.

Le cas-type est celui des médecins noirs qui s’expatrient dans les anciennes mé­tropoles pour y être formés. Leur formation terminée, ils préfèrent rester dans le pays qui les a formés, plutôt que de retourner en Afrique, faute de débouchés.

Les différents Etats africains furent tous proclamés des républiques, dotées d’une Constitution généralement à l’image de celle de l’ancien colonisateur. Le système, sorti alors du néant, n’avait de démocratique que le nom. C’en était même une caricature qui la rendait peu attrayante.

Ethnies et Etats africains

Les 46 Etats subsahariens regroupent quelque 650 millions d’habitants à la fin de la première décennie du troisième millénaire. Il y existe 1500 langues véhi-culaires par autant d’ethnies formant trois grandes familles : soudanaise, bantoue et nilotique. Quant au khoisan et au san, langues parlées respectivement par les Bochimans et les Hottentots, soit quelque dizaines de milliers de personnes, elles sont en voie de disparition.

La langue étant ainsi à l’inverse d’un facteur d’unification, beaucoup d’Etats nouvellement indépendants ont adopté comme langue officielle celle de l’ancien colonisateur, l’anglais ou le français, qui supplante le plus souvent, lorsqu’elle existe, une autre langue officielle, celle d’une ethnie majoritaire.

Inutile de relancer une polémique sur le concept et la définition de ce qu’est un Etat. Ernest Renan l’avait déjà fait, au XIXème siècle. En synthèse presque trop hâtive, on s’accorde à définir comme Etat un groupement humain appartenant à une même nation, parlant une même langue, expression d’une culture admise, im­planté sur un territoire donné, régi par une même autorité et formant une personne morale reconnue au niveau international.

Sans vouloir mettre en cause dans quelle mesure s’affirme l’existence, en 2009, des 53 Etats africains, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) créée en 1963, de­venue Union africaine (UA) en 2001, avait confirmé en son temps, dans sa charte, le principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation. Or, il n’y a rien de plus arbitraires et de plus artificielles que ces frontières étatiques provenant d’un accord entre colonisateurs européens lors du Congrès de Berlin, en 1885, après un an de négociations longues et ardues. Le tracé des frontières africaines répond au souci des colonisateurs de concrétiser leurs zones de possession et d’influence en mettant fin à leur concurrence, voire leur lutte. Les frontières non définies lors du congrès de Berlin avaient laissé la place à la poursuite de litiges, réglés au cas par cas. Le face-à-face franco-britannique à Fachoda en 1898, tournait à l’affrontement armé avant qu’un accord soit trouvé, ce qui corrobora définitivement le traité de Berlin de 1885. C’est ce qui explique le tracé des frontières au cordeau, à l’aide d’une équerre.

Ces frontières ainsi définies, ignorent l’histoire de l’Afrique, en faisant débuter son existence politique avec la colonisation au XIXème siècle. Elles font fi des mœurs et coutumes des populations, de leurs économies, même rudimentaires, de leurs langues et plus grave, des tribus et ethnies. Tous les composants d’un Etat en gesta­tion éventuelle, avaient été dédaignés au seul profit du colonisateur.

Ce n’est pas que l’Etat, au sens occidental du terme, pas plus que la nation, ait existé en Afrique avant la colonisation, même au plan historique. Il y avait ce­pendant quelques regroupements par ethnies, avec des bribes d’administration. En simplifiant à outrance, des historiens dénomment ces regroupements des royaumes ou des empires. C’est ainsi qu’exista un royaume du Dan Homé, fondé selon la tra­dition en 1625 et annexé par la France en 1894. Son dernier souverain, Behanzin, mourut en exil. Avec d’autres territoires, il devint le Dahomey, colonie incluse dans l’Afrique occidentale française, qui accéda à l’indépendance en 1960 et reçut l’ap­pellation de République du Bénin, jouissant en 2009 de la réputation d’être un mo­dèle africain de démocratie. L’existence de multiples ethnies béninoises – Yourouba, Fons, Minas, Adjas, Baribas, Haoussas – parlant chacune une langue vernaculaire, ont contraint le gouvernement à adopter le français comme langue officielle.

S’il n’existait pas ou plus d’Etat avant la colonisation, il ne pouvait y en avoir pas plus après, en un temps historique aussi court. Il en résulte que les frontières étatiques des Etats subsahariens sont totalement artificielles et délimitent des Etats au mépris de toute définition.

Il est donc tout à fait logique que les Africains susceptibles de posséder le sens de l’Etat, et partant du bien public, soient rares. L’Etat, en tant que tel, n’ayant qu’une existence formelle, il ne peut y avoir de serviteurs d’un Etat inexistant.

En revanche, les ethnies existent bien, mais elles ne forment pas un Etat et sont dispersées au point de ne pas correspondre aux frontières étatiques ou d’être délimi­tées par ces frontières, qui les ignorent avec superbe.

Les rouages humains étatiques n’existant pas, toutes les infrastructures s’avèrent inopérantes ou en dysfonctionnement. L’éducation nationale, tout comme la justice ou la défense nationale sont en panne… tous les attributs d’un Etat sont déficients.

On en revient à des conceptions et à des réalités ethniques , voire tribales, qui sous-tendent ce que l’on veut bien appeler un Etat. La justice n’est plus rendue par un tribunal, au nom d’un peuple ou d’une nation, semblable au système occiden­tal, mais plus volontiers par une assemblée clanique. Les forces armées ne sont pas vouées à la défense d’une nation ou d’un Etat sans consistance mais au maintien d’un pouvoir en place.

La question d’un Etat de droit ne se pose même pas, puisqu’il n’y a pas d’Etat. Sans Etat, il ne peut y avoir de démocratie. La démocratie prônée par le colonisa­teur est un concept vide de sens réel. Seule l’ethnie avec sa langue commune, ses coutumes et ses traditions orales a une réalité tangible.

Une interrogation surgit alors avec force. La colonisation ayant disparu, pour­quoi donc un Etat n’est-il pas né, passant outre les ethnies ?

la démocratie de la machette

L’ethnie a une singulière force en Afrique subsaharienne.

La guerre du Biafra, de 1967 à 1970, bien avant le génocide Rwandais de 1994, est symptomatique. Le Nigeria est peuplé de 250 ethnies dont quatre ethnies princi­pales, les Youroubas, les Ibos, les Haoussans et les Fulanis qui se retrouvent dans bien d’autres Etats. En mai 1967, les Ibos, animistes et chrétiens, peuplant le sud-est du Nigeria, le Biafra, proclamèrent leur indépendance, faisant donc sécession. Le Biafra possédait les plus fortes richesses minières et pétrolières de la Fédération nigeriane. La proclamation de l’indépendance biafraise correspondait à de novelles découvertes de gisements pétroliers. La coïncidence n’est donc pas le fait du hasard. La tension est, par ailleurs, exacerbée en sus des oppositions ethniques par la haine que vouent les Ibos, chrétiens et animistes à l’encontre des ethnies musulmanes du nord.

Il s’ensuivit une guerre civile atroce de trois ans qui se termina par une défaite des Biafrais.

La guerre du Biafra prit place dans l’affrontement de la guerre froide et de mul­tiples interventions étrangères à peine occultes. Américains, Britanniques, Français, Soviétiques et Chinois s’en mêlèrent activement.

A la guerre terminée par l’extinction de la sécession ibo, aux prix d’un million de victimes, succéda un banditisme chronique, plus ou moins teinté d’indépendan­tisme, dont le Nigeria, en 2009, n’est toujours pas sorti.

Le pétrole offshore excite les appétits : les prises d’otages sont monnaie courante et les compagnies pétrolières les règlent par des rançons.

L’armée est essentiellement formée d’une ethnie dont la préoccupation première est de se garantir du prochain coup d’Etat ou d’en organiser un.

Le génocide rwandais n’est qu’un épisode de la lutte multiséculaire que se li­vrent les ethnies hutus et tutsis. Il débute en 1994 et cause autant de victimes que la guerre du biafra.

En Angola, on retrouve les mêmes oppositions, luttes et massacres. Il en est de même en République démocratique du Congo en 1997, ainsi qu’au Zimbabwe de Robert Mugabe, en poste de 1980 à 1987 comme Premier ministre puis comme président de la République. En se maintenant au pouvoir au Gabon, plus de quatre décennies, Omar Bongo demeure l’exemple-type d’une réussite due pour une bonne part à son soutien français, instauré dans le cadre de la Françafrique. Sa mort, en 2009, risque d’être le signal d’une tuerie, à moins que sa succession assurée par son fils ne perdure : ainsi se créent des dynasties africaines républicaines. Ce n’est pas pour autant qu’existe un Etat gabonais, peuplé des ethnies Fangs, Bakotans, Bakwélés, Mpongwés et Batékés. Pour calmer les luttes interethnique, teintées de religiosité, Bongo se convertit en 1973 à l’Islam dont la pénétration est massive. C’est ainsi qu’Albert-Bernard Bongo devint Omar Bongo. Cela ne l’empêchera pas, bien au contraire, d’être un thuriféraire de la Françafrique.

Les armées subsahariennes – cela a déjà été évoqué – n’ont en réalité qu’une capacité médiocre. Ce sont des armées de coup d’Etat. Mal instruites et peu com-battives, elles se montrent incapables de maintenir un ordre interne à défaut de défendre une nation, concept inconnu en Afrique subsaharienne. Même en tant que force d’interposition au service de l’Union africaine au Darfour en 2008, elle font montre d’une valeur plus que discutable.

C’est pourquoi les dirigeants des fractions en lutte n’hésitent pas à enrôler, de gré ou de force, des enfants-soldats. Ceux-ci sont malléables, crédules et s’ils se révèlent en réalité de piètres combattants, leurs adversaires adultes ne sont cer­tainement pas des soldats d’une valeur affirmée. En revanche, ces enfants-soldats volent, pillent et massacrent sans retenue, et bien souvent du fait de leur manque de maturité, sans comprendre ce qu’ils font.

L’Afrique subsaharienne, de ce fait, est le paradis des mercenaires regroupés et employés par des sociétés militaires privées. Seul inconvénient, ils coûtent cher. Mais les ressources africaines permettent le règlement des prestations.

Où peut-on trouver de quoi répandre des concepts démocratiques dans un tel contexte ?

La corruption en Afrique noire et la dilapidation des ressources

Toutes les conditions et les causes d’une corruption généralisée des élites afri­caines étaient et restent réunies. Et ce sont ces mêmes conditions et causes qui conduisent à une dilapidation des ressources, par le biais de la corruption.

Le sous-continent noir est assis sur des richesses naturelles incommensurables : du pétrole et du gaz naturel notamment offshore dans le golfe de Guinée au point que les Etats-Unis prévoient d’en porter, à partir de 2015, à 25 % du total des hy­drocarbures qu’ils importent, de l’uranium, des diamants, du coltan, du charbon, de l’alumine, de la bauxite, du minerai de fer. L’ensemble de ces richesses n’a été découvert, en grande partie, qu’après la décolonisation. En 2010, l’inventaire com­plet est loin d’être achevé. Les richesses agricoles et végétales sont également consi­dérables : cacao, café, bois, sans parler des futurs possibilités en agro-carburant.

Le malheur est dans la gigantesque lacune que manifestent les Africains dans l’exploitation, la transformation, la gestion et l’administration de ces richesses na­turelles. Elles restent en des mains étrangères. En ce qui concerne, par exemple, les hydrocarbures, les gouvernements africains se contentent de toucher des redevances par le canal de société pétrolières nationales qui n’interviennent pas dans le proces­sus de l’exploitation du pétrole.

Le cas du Nigeria est toujours aussi symptomatique. La production du pétrole a atteint 2,6 millions de barils en 2005 avec une prévision de 4 millions en 2010. Le gaz a également une production record. Paradoxe, le Nigeria est le premier produc­teur de pétrole en Afrique et le huitième exportateur au monde, tandis que 70 % de sa population (quelque 125 millions de personnes) vit au-dessous du seuil de pau­vreté avec un PNB/h PPA de 830 dollars internationaux ! La production pétrolière repose sur un système de joint venture, sociétés en participation, ou de production sharing contract, contrat de partage de la production, sous l’égide de la Nigerian National Petroleum Company, NNPC, Société nigeriane nationale pétrolière. Les capacités nationales de raffinage du brut sont inférieures aux besoins déjà faibles du pays qui doit donc importer du carburant raffiné. La NNPC a annoncé, en 2005, qu’elle subissait de la part des sociétés pétrolières multinationales des pressions ac­crues afin qu’elle quitte l’OPEP. Shell, Exxon Mobil, Chevron Texaco et TotalEflFina estiment que le régime des quotas appliqué au Nigeria est le principal obstacle à une exploitation correcte en offshore profond.

Le tableau qu’offre le Nigeria n’est pas isolé, il est généralisé à l’ensemble de l’Afrique.

Deux causes principales militent dans l’organisation du pillage des ressources naturelles africaines. La corruption des élites et l’incapacité des Africains à exploiter eux-mêmes leurs richesses.

La corruption est permanente parmi la quasi-totalité des dirigeants africains, grands et petits. D’une manière abrupte, on peut asséner que ces dirigeants n’ont aucun sens de l’Etat et du bien public parce qu’il n’y a pas d’Etat. Alors, le dirigeant suprême d’un pays d’Afrique n’est pas un homme d’Etat. Il est à son service propre et à celle de son ethnie. Il choisit son entourage gouvernemental dans les rangs de sa parentèle tribale et ethnique. Le phénomène est courant. L’Afrique noire n’est pas la seule à être corrompue : le mal existe bien dans les Etats démocratiques occiden­taux, sans être basé sur une ethnie, mais il est caché, poursuivi et nul ne s’en vante. En Afrique noire, l’abus de position dirigeante est monnaie courante.

On peut, certes, incriminer le colonisateur qui n’a jamais formé une élite digne et responsable. Cependant, il faut prendre en compte qu’une cinquantaine d’années après l’indépendance, les Africains n’ont pas fait de grands efforts pour se doter de cette élite responsable et compétente.

Le même phénomène agit lorsqu’il s’agit de procéder à la gestion d’une société d’exploitation. Il est très difficile de trouver localement des cadres dirigeants com­pétents, très simplement parce qu’ils n’existent pas. Alors, ce sont des étrangers qui dirigent ces sociétés d’exploitation, qui emploient de la main d’œuvre locale mais dans des postes peu ou pas qualifiés, postes mal rétribués de surcroît, mais pactoles en Afrique noire.

Il faut bien considérer que, par exemple, il est facile au dirigeant de la NNPC au Nigeria de percevoir une commission importante pour faire accorder une conces­sion pétrolière à une société étrangère et de s’en tenir là, en rétrocédant des pré­bendes à son entourage immédiat.

Les fonds de la corruption proviennent des commissions versées par les sociétés d’exploitation étrangères et aussi de la coopération. L’aide financière, au titre de la coopération, est versée à un gouvernement africain et, à partir de là, se perd dans des méandres de telle manière qu’une très faible part arrive aux destinataires prévus. Aucun contrôle n’est effectué, tant par le coopérateur qui doit respecter la souve­raineté des anciennes colonies devenues Etats indépendants, que par l’Etat receveur dont les organismes de contrôle font partie des récipiendaires de la corruption.

Les exemples se présentent à foison. Le président du Gabon, Omar Bongo est mort en 2009, sous le coup d’une procédure judiciaire intentée par la justice fran­çaise pour enrichissement frauduleux. Dans une médiocre polémique, un ancien président de la République française accusait un de ses successeurs d’avoir profité des largesses du président Bongo, largesses destinées, entre autres, à des partis po­litiques français ainsi qu’à des particuliers et issues des fonds attribués au titre de la coopération. Ce système avait été mis au point par le « Monsieur Afrique » de l’Elysée, au moment des indépendances des anciennes colonies françaises et baptisé « Françafrique ». En sus de ces reversements, les Etats nouvellement formés ali­gnaient leur politique internationale sur celle de la France. On s’en est bien aperçu lorsqu’il y avait menace de vote au Conseil de sécurité de l’ONU, visant à bénir ou non l’attaque américaine sur l’Irak en 2003. Le Premier ministre français avait fait la tournée des popotes de la « Françafrique ». Les Américains se sont inclinés et ont retiré leur résolution. Il n’y avait plus à encourir un vote négatif, plus désastreux qu’un veto.

La « Françafrique » a produit des personnages extravagants. Houphouet Boigny avait, entre autres, fait ériger à très grands frais « personnels » à Yamassoukro, son lieu natal, une réplique de la basilique de Saint-Pierre de Rome, réplique sur laquelle le Vatican a préféré ne pas s’étendre. Jean-Bedel Bokassa, ancien officier subalterne dans l’armée française, devenu président du Centrafrique, grand admirateur de Napoléon, s’était autoproclamé empereur lors d’une cérémonie invraisemblable foi­sonnant d’uniformes d’un autre siècle !

Aussi, lors des funérailles d’Omar Bongo, à Libreville, le 16 juin 2009, c’était un peu la « Françafrique » que l’on enterrait. En effet, le président français, Nicolas Sarkozy, accompagné de l’ancien président Jacques Chirac, fut hué, lors de ces fu­nérailles, par de jeunes Gabonais venus en nombre. Ces huées ne sont cependant pas de nature à empêcher l’adoubement d’Ali ben Bongo, le fils aîné du défunt président, et de lui faciliter la transmission de l’héritage de son père. Pour cela, il commence par se hisser à la tête de l’incontournable Parti démocratique gabonais et s’allie à sa sœur, Pascaline, énarque il est vrai, mais surtout gardienne du trésor des Bongo. Par ailleurs, Ali ben Bongo, « Monsieur fils », est très lié aux pétroliers français, américains et arabes. La « Françafrique », a donc la vie dure et il est certai­nement prématuré de la croire décédée ou passée de mode.

Le maintien au pouvoir est une donnée essentielle pour un président africain. C’est ainsi que le président du Niger, Mamadou Tandja, a confirmé le 29 mai 2009, l’organisation d’un referendum portant sur une réforme de la Constitution, lui permettant de se maintenir au pouvoir au-delà de son quinquennat. Les modalités des scrutins n’ont pas été précisées, scrutins acquis d’avance. L’opposition s’échine à protester, Cour constitutionnelle en tête. Mais elle a été muselée par dissolution.

Il y a bien des exceptions.

La République d’Afrique du Sud sort, pour une part faible certes, mais bien réelle, de cette norme africaine. L’explication réside dans la préparation de la fin de l’apartheid non seulement au plan politique avec une transmission des pouvoirs, mais aussi au plan économique, réalisée par deux dirigeants d’exception : Nelson Mandela, président de l’Ajrican National Congress, l’ANC et premier président noir de la République d’Afrique du Sud, élu en 1994, avec comme partenaire son prédé­cesseur, le président Frederik de Klerk. La fin de Y apartheid, formellement acquise en 1996, donne le signal d’un véritable progrès. Cependant, l’âge venant, Nelson Mandela céda la présidence à Thabo Mbeki, en 1999 qui fut réélu en 2004 et rem­placé en 2009 par Jacob Zurma. Avec Thabo Mbéfi, ce fut la fin de l’embellie : un chômage massif fit son apparition accompagné d’une augmentation fantastique de la criminalité et de la propagation du sida. Le tout sur fond de troubles sociaux et ethniques endémiques. Les présidents Mbeki et Zurma ont été accusés de corrup­tion, sans insister sur la première femme de Mandela, Winnie, ce pourquoi Nelson Mandela s’en sépara, à ses dires. Préalablement, un vice de procédure opportun a permis au procureur général d’abandonner les poursuites engagées contre Jacob Zurma.

Parmi les cercles dirigeants africains sévit encore un autre genre d’abus de pou­voir qui touche à la criminalité en étant réalisé aux dépens d’une population en état de malnutrition, voire de famine endémique. Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, s’alarme de l’extension des cessions de terres arables pratiquées par les pays africains au profit d’Etats riches et de fonds d’investissements.

En 2009, une vingtaine de millions d’hectares de terres arables, surface équi­valente à celle française de même nature, ont été acquises par la Chine, la Corée du Sud, les Emirats arables unis, l’Egypte et des fonds d’investissements améri­cains ou multinationaux. Au nombre des pays vendeurs ou bailleurs, on trouve la République démocratique du Congo, le Soudant, la Tanzanie…

Les Etats acquéreurs manquent de terres arables, mais les Africains aussi ! Alors se reproduit le même phénomène que celui qui préside à l’exploitation des richesses minérales et pétrolières. Les Africains, incapables de gérer une production agricole intensive, cèdent la place à des sociétés étrangères qui emploient une main d’œuvre locale mal qualifiée. La production est dirigée vers les Etats acquéreurs ou le marché international.

Le système est rendu possible par l’absence ou la faiblesse du droit de propriété des sols. Ces sols sont réputés appartenir collectivement à des villages quand ce n’est pas à des tribus ou à des ethnies. La propriété individuelle était surtout le fait des colons blancs, notamment en Afrique du Sud ou en Rhodésie devenue le Zimbabwe et n’a pas perduré après le départ des colons. Il existe bien quelques propriétaires terriens individuels dans l’ensemble de l’Afrique, mais peu. Lorsqu’il est fait mention d’une propriété collective, les titres se transmettent par voir orale. En d’autres termes, l’Etat, c’est-à-dire le gouvernement en place est tout-puissant. C’est ainsi qu’il en est des ressources agricoles comme des autres.

L’ONU, en la personne de son représentant spécial, peut toujours recomman­der l’application des principes de développement durable, d’une exploitation équi­table, d’une approche écologique et des projets en forte intensité de main d’œuvre : autant de recommandations qui se perdent dans les sables d’un système qui favorise un très petit nombre au détriment de masses humaines qui ne sont pas de culture occidentale, alors que leur est appliqué un système occidental, déjà discutable, mais en l’occurrence totalement dévoyé.

Lors du 16ème sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique, tenu à La Baule en juin 1990, le président français Mitterrand, avait prononcé un discours nova­teur. Il s’agissait ni plus ni moins que de conditionner l’aide au développement à l’adoption de la démocratie. Une vingtaine d’années après, force est de constater que le désenchantement est à la hauteur des espoirs suscités alors.

Finalement, atroce à constater, en Afrique, l’esclavage subsiste à peu près entiè­rement, sous d’autres formes, à peine cachées. Ce sont toujours des intermédiaires noirs, en très petit nombre, comme du temps de la traite, qui profitent d’un système solidement établi avec des exploitants multinationaux en très petit nombre eux aussi, comme à l’époque des négriers.

Le pétrole tue l’Afrique, de même que l’ensemble de ses richesses. L’instauration d’une réelle démocratie africaine est un vœu pieux.

L’exploitation des richesses africaines est un frein puissant à la construction d’une démocratie en Afrique, démocratie qui, dans la mesure où on la veut, n’existe que de nom.

Et il en sera ainsi jusqu’à ce que les ressources naturelles africaines s’épuisent, ce qui pour les hydrocarbures ne demande qu’une quarantaine d’années. Alors, l’Afrique s’enfoncera un peu plus dans le sous-développement et dans l’oubli, sans que la démocratie fasse une quelconque apparition. Le malheur de l’Afrique est autant causé par des exploiteurs africains que par des étrangers.

A moins que n’intervienne une véritable levée de boucliers et non pas des explo­sions sporadiques.

Autre solution mais à long terme, dépasser le cadre de l’Etat et de la Nation, creuset de la démocratie occidentale, en forgeant un fédéralisme africain basé sur les ethnies qu’il enjambe assez souvent, mais sans les nier. En effet, il existe bien un fédéralisme africain en voie de gestation. L’Union africaine en est un exemple. Il y a là la possibilité de la génération d’un système supra-étatique frappé du sceau du droit et de la démocratie.

 

 

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