L’eau comme déterminant du tracé des frontières coloniales : le cas de la Palestine mandataire.

        Pierre Berthelot

Directeur de la revue Orients Stratégiques, professeur de relations internationales, géopolitique et négociation  à FACO Paris, chercheur associé à l’IPSE, membre de l’Académie de l’eau.

Français

La frontière nord de la Palestine historique, qui correspond aujourd’hui à la séparation entre Israël et le Liban-Sud, a été l’objet de négociations entre les franco-britanniques au lendemain de la première guerre mondiale et aussi de convoitises dès la fin du XIXème siècle. Les premiers sionistes comprennent qu’il est vital, s’ils veulent à terme construire un Etat viable économiquement, qu’il soit généreusement pourvu en eau afin de pouvoir « faire fleurir le désert ». Ils n’obtiennent cependant que partiellement satisfaction lors de la création des mandats, d’où une obsession tenace dans les décennies suivantes pour obtenir une rectification susceptible d’enrichir le potentiel hydrique de l’espace territorial israélien.

Anglais

The northern border of historic Palestine, which today is the separation between Israel and southern Lebanon, was the subject of negotiations between the French and the British after the First World War and also of greed from the late nineteenth century. Early Zionists understand that it is vital, if they eventually want to build an economically viable state, that it is generously supplied with water in order to « make the desert bloom. » They do however get only partial satisfaction in the creation of mandates, from where a tenacious obsession in the following decades for rectification likely to enrich the water potential of the Israeli territorial space.

La question de l’eau a longtemps été étroitement associée aux frontières rêvées ou espérées par les pères fondateurs de l’Etat d’Israël, et même bien avant sa naissance, aux premiers temps du sionisme qui estimait capital de pouvoir «  fixer » les nouveaux arrivants, les «  olims » en particulier grâce à l’agriculture et concomitamment par une stratégie de territorialisation longuement murie et conceptualisée[1]. Une partie non négligeable des futurs conflits israélo-arabes en général et de l’enjeu hydraulique dans le bassin du Jourdain est lié à la localisation de ses sources et à la délimitation des frontières opérée par les puissances mandataires, d’où l’intérêt d’en rappeler ici les principales étapes.

Mais avant d’aller plus loin, rappelons quelques éléments concernant la frontière, qui est à l’origine l’adjectif féminin du mot front, de telle façon que la connotation militaire y est fortement associée[2]. Le géographe Michel Foucher s’interroge aussi sur la fonction de la frontière ou son utilité et il précise que « les frontières sont des structures spatiales élémentaires, de forme linéaire, à fonction de discontinuité géopolitique et de marquage, de repère, sur les trois registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire »[3].

En ce qui concerne le Proche-Orient, cette définition générale semble convenir admirablement, puisque que le poids du symbolique y est intense, et qu’en ce qui concerne les délimitations, le religieux est souvent omniprésent avec les références à la « Palestine biblique ». L’imaginaire n’est jamais loin tant les limites territoriales envisagées sont souvent sans réel fondement historique, mais tiennent plutôt du mythe ou du rêve (Herzl lui même avait évoqué des frontières qui devraient s’étendre du golfe de Suez aux monts Taurus, en Turquie actuelle[4]). La dimension idéologique de la frontière est donc essentielle[5].

A ce stade de l’analyse, deux remarques s’imposent. En premier lieu, il existe une ambiguïté redoutable selon le sens que l’on attribue à la frontière : la conception américaine qui évoque un poste avancé, reprise par les sionistes, ou celle plus classique de limite clairement définie d’un territoire. Rappelons qu’aucun chef de gouvernement israélien n’a jamais précisé quelles étaient les frontières du pays[6], et que pendant des décennies, de la naissance du mouvement sioniste au milieu des années 1930, aucune réflexion sérieuse n’est menée sur ce point par les dirigeants du Yichouv[7]. En second lieu, les frontières ont souvent été tracées en dépit du bon sens, parfois sans rapport étroit avec l’environnement géo-hydrographique, si bien qu’elles ne correspondent pas toujours aux caractéristiques topographiques, en particulier pour Israël[8]. Afin de pouvoir mieux apprécier cette réalité dont les conséquences se font sentir jusqu’à nos jours, seront successivement abordées les positions des deux puissances mandataires régionales, la France et la Grande-Bretagne ( « les accords Sykes-Picot » incarnant à la fois leur rivalité et leur collusion ) puis celles des deus principaux protagonistes locaux, les sionistes et les Arabes.

I/ La positions des puissances mandataires

A-    « Les accords Sykes-Picot »

Alors que la guerre est encore loin d’être terminée, et reste incertaine, aussi bien en Europe qu’en Orient, Français et Britanniques décident dès 1916 d’un plan de partage du Proche et du Moyen-Orient concernant les territoires jusque là administrés par l’Empire ottoman : ce sont les célèbres accords « Sykes-Picot »[9], qui auront vocation à s’appliquer dans l’hypothèse d’une victoire des «  alliés ». Contrairement à une idée souvent répandue jusqu’à nos jours, les accords, restés longtemps secrets[10] ne délimitèrent pas les frontières actuelles des principaux Etats, mais définirent plutôt des zones d’influences potentielles[11], les puissances alliées ayant soit des objectifs précis[12] , soit des projets aux contours plus flous.

Au départ, les Britanniques sont plutôt modestes dans leurs revendications, et ceci pour plusieurs raisons liées à des considérations d’ordre politiques, stratégiques et militaires. D’abord, comme le rappelle Frederic Hof[13], la France paie à l’époque l’un des prix les plus lourd dans la lutte contre les empires centraux, et son territoire est en partie envahi : Londres ne peut que prendre en considération cette réalité du terrain. De plus, Paris ne va pas manquer de faire savoir que comme il est le pays qui a le plus d’intérêts au sein de l’Empire ottoman, il va donc être fortement lésé, et doit à ce titre obtenir des compensations substantielles[14]. Ensuite, la Russie est encore en guerre à ses côtés et il s’agit de lui réserver une place au Proche-Orient où elle espère jouer un rôle de protecteur des chrétiens orthodoxes arabes, comme la France souhaite le faire pour les catholiques (Maronites et Melkites[15]). Enfin, la Grande-Bretagne ne dispose pas encore de la prééminence dans le combat contre les Turcs et ainsi d’une plus grande légitimité vis-à-vis de Paris[16].

Au demeurant, le tracé de la frontière nord de la Palestine, qui jouxte les futurs mandats sur le Liban et la Syrie, n’est pas clairement défini au début du XXème siècle. Il va subir de nombreuses modifications sur le papier au gré des rapports de force franco-britanniques et de l’évolution de la situation internationale et locale, jusqu’à ce que les deux grandes puissances européennes de l’époque s’accordent sur une position définitive.

  • Les propositions françaises

Des évènements précédents découlent deux conséquences majeures puisque d’une part les Britanniques acceptent une présence française bien au delà de leur zone d’influence traditionnelle dans la montagne libanaise à dominante chrétienne[17], puisqu’elle s’étend au Sud au delà de Tyr et s’approche des ports stratégiques d’Acre et de Haïfa, mais aussi à l’Est vers le lac de Tibériade et d’autre part, cela place les colonies juives existantes sous une double juridiction, avant que le tracé ne reste stable pendant deux ans.

A partir de 1918, le rapport de force évolue en Orient : les anglo-hachémites, bientôt présents à Beyrouth et à Damas jouent un rôle déterminant dans l’affaiblissement de la Porte, et l’apport des Etats-Unis (proches à la fois de Londres et des sionistes) est décisif dans la désormais très proche victoire de novembre, sans oublier la chute de l’Empire russe en pleine guerre civile. Tout ceci contribue à renforcer la position des anglo-saxons et à minimiser celui de la France, qui est choquée par cette attitude réaliste postulant que le « le poids d’un Etat est fonction de la force qu’il possède au moment des négociations plus que des mérites qu’il s’est acquis durant les hostilités »[18].

En situation très favorable, les Britanniques imposent alors un certain nombre de mesures unilatérales : ils suppriment toute référence à une zone internationale en Palestine qui passe sous leur contrôle exclusif, mais surtout ils déplacent la frontière plus au Nord pour y incorporer les implantations juives de Safed, au delà du lac de Tibériade[19] : la limite sud de la zone d’influence française ne s’étend désormais que jusqu’au nord du lac Houlé. Puis, les Français, en décembre 1918, acceptent cette modification[20], mais la conséquence majeure en fut que Paris, mis devant le fait accompli et vexé se montrera par la suite très rigoureux dans les futures négociations[21].

A l’issue de ce bref  rappel du contexte qui prévaut vers la fin de la première guerre mondiale au Proche et au Moyen-Orient, deux remarques importantes s’imposent. En premier lieu, les Britanniques n’ont pas vraiment une idée très précise de ce que devra être la frontière septentrionale et pour plusieurs raisons, qui expliquent leur relatif désintérêt pour cette zone : le poids économique de la Palestine était sous-estimé[22] ( pour le général Allenby, elle n’avait aucune valeur ), ils ont obtenu ce qui était le plus important à leur yeux, à savoir empêcher la présence française en Terre sainte, écartant ainsi toute proximité avec le canal de Suez[23], enfin il existait des considérations liées à l’évolution politique interne[24]. En second lieu, l’idée d’une zone internationale sur l’essentiel de la Palestine est abandonnée et les Français, avec Clemenceau, reconnaissent que l’influence britannique y sera quasi-exclusive.

Cette Palestine, comme le souhaite le Premier Ministre Lloyd George[25] irait du « Dan jusqu’à Bersheeba », reprenant une terminologie religieuse et biblique. Paradoxalement, les sionistes sont plutôt irrités de cette référence qui devrait leur aller droit au cœur : elle est d’un point de vue hydraulique très pauvre, excluant de précieuses sources. La Bible elle même varie, car lorsqu’elle évoque les frontières de la Terre promise, plusieurs versions sont mentionnées qui ne se recoupent pas toujours, puisque dans le livre d’Ezéchiel, Israël s’étend sur tout le Levant, de l’Anatolie à la péninsule du Sinaï, alors que dans le livre de Josué et le Pentateuque, c’est un territoire plus modeste, mais qui comprend tout de même de façon approximative, l’Etat israélien actuel, avec la Cisjordanie, une partie du Liban méridional, le centre de la Syrie et le Nord de la Jordanie[26].

Après différentes étapes préliminaires, les prémices de discussions sérieuses établies dans le cadre des accords Sykes-Picot, la stabilisation de la situation pendant les combats et les initiatives unilatérales britanniques de la fin de l’année 1918, débutent les véritables négociations marquées par des propositions et contre-propositions alliées.

  • Propositions et contre-propositions des alliés (1919-1920)

Les « vraies  négociations » commencèrent ainsi début 1919, au mois de février, dans le cadre de la Conférence de la paix qui se tient à Paris et qui doit régler les différents de l’après-guerre : frontières, réparations, traités. Toutes les grandes décisions y seront prises pour remodeler la région et des Etats qui n’avaient jamais existé vont ainsi être créés à partir du démembrement autoritaire et arbitraire de l’Empire ottoman[27]. Soucieux de pousser son avantage, Londres continue de souhaiter que la frontière soit décalée encore plus au Nord, au delà du Litani : c’est la ligne dite « Meinertzhagen »[28], proche de celle proposée par les sionistes[29].

Les positions plus réalistes ou neutres qui avaient été privilégiées auparavant sont un moment abandonnées, comme celles émises par Ormsby-Gore (proche de Sykes et haut responsable britannique) en août 1918 : “  Aujourd’hui, la Palestine ne possède pas d’expression géographique et ses frontières n’ont pas été définies par la Conférence de paix. Quand elles le seront, les Juifs chercheront à y être considérés comme citoyens palestiniens avec des droits et des obligations nationales. (…) Je pense que la Palestine devra inclure toutes les zones dans lesquelles la conscience nationale juive se manifeste par les colonies juives existantes et devra exclure des zones tels le Liban, le Jebel druze ou le plateau de Transjordanie, où domine la conscience syrienne et arabe ”[30]. Les Français refusent dans un premier temps de bouger, mais un compromis est finalement trouvé entre les deux grandes puissances alliées européennes en septembre 1919 : c’est « la ligne  Deauville » ( l’accord ayant été négocié dans la célèbre station balnéaire normande), proposée à l’initiative de Whitehall[31]. La frontière serait désormais le Litani et pousserait à l’Est juste au nord du village de Banias, considéré, à tort, comme l’ancien village de Dan. Une fois de plus, une connaissance approximative de l’hydrographie du bassin du Jourdain aura de redoutables conséquences à plus long terme.

Parallèlement, les sionistes appuient ces positions et font valoir leur point de vue auprès des Français par l’intermédiaire de Weizmann. Le chef de l’Organisation sioniste mondiale rencontre à Paris, et toujours en septembre 1919, Robert de Caix (Secrétaire Général du Haut-Commissariat français au Levant et homme clé du mandat) : « ce dernier se montre intransigeant sur les frontières de la Syrie, rejetant toutes les revendications sionistes sur les eaux du Litani, du Jourdain et sur le mont Hermon »[32]. Weizmann, soit qu’il ait mal interprété l’information, soit qu’il tente de la modifier à son profit, affirme l’inverse aux Britanniques, et « il informe Philippe Kerr, le secrétaire de Lloyd George que son impression est que le gouvernement français acceptera la frontière sur le Litani sans difficulté et qu’avec l’appui des Américains cet accord sur ce point vital sera acquis facilement »[33].

Peu après, toujours en 1919, au mois de novembre, Meinertzhagen, abordant la question des frontières, précise que “… la ligne Sykes-Picot, comme la ligne Deauville sont insatisfaisantes car elles n’assurent pas à la Palestine un accès suffisant aux ressources en eau. Il propose une nouvelle ligne, qui prendra dans l’Histoire le nom de la ligne Meinertzhagen, englobant mieux que la précédente les réserves en eau du Litani et du Jourdain ”[34]. De leur côté, les Français, par le biais de Philippe Berthelot, Secrétaire Général du ministère des affaires étrangères[35], suggèrent en décembre 1919 qu’ils sont prêt à ne concéder qu’un tiers de la force des eaux s’écoulant du Mont Hermon vers la Palestine (de l’accord Sykes-Picot) aux sionistes à travers un arrangement économique avec la France, mais qu’ils ne pourront aller plus loin[36].

Arrive l’année 1920, et au cours du mois de février, le chef du gouvernement britannique David Lloyd George insiste à nouveau sur la nécessaire dimension hydraulique de la frontière[37]. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il a du faire face, à nouveau fin décembre, à Weizmann, qui, inlassablement, tente de le convaincre d’être plus exigeant face à la France[38]. Enfin, la conjoncture locale commence à se retourner au détriment des Britanniques dans la mesure où la rupture avec le chef des Hachémites, Faysal, qui n’a pas accès à toutes ses revendications, s’accélère[39]. Les Français, qui se doivent de réagir à cette nouvelle offensive, « … essayent de scinder la question de la souveraineté et celle des ressources en eau, et proposent de laisser un tiers des eaux du Mont Hermon aux sionistes dans le cadre d’un arrangement avec la France. En revanche, ils tiennent bon sur le maintien de la ligne Sykes-Picot »[40].

En mars, Philippe Berthelot informe les Britanniques que « la seule base positive et solide de la frontière est fixée par le traité Sykes-Picot qui porte la signature des deux gouvernements. Si le gouvernement français tenant compte des revendications des sionistes, des engagements de M Lloyd George et des données historiques et géographiques, consentait à faire une concession, elle ne pourrait porter que sur les frontières historiques de la Palestine, c’est-à-dire la moitié du lac de Tibériade et le casa de Safed, peuplé de juifs. Mais en aucun cas le cours du Litani, qui est séparé (…) du bassin du Jourdain ne pourra être concédé pas plus que les neiges de l’Hermon ou la moindre partie de la Bekaa »[41].

Puis il ajoute : « Le gouvernement français est sympathique à l’idée de faciliter la vie des colonies sionistes de Palestine et est prêt à leur donner une partie de la force des eaux ; mais il n’a jamais consenti de traiter de puissance à puissance avec les sionistes … »[42]. Il apparaît que si la détermination française est réelle[43], elle concède cependant une partie de la haute Galilée à la future Palestine en raison d’une présence juive[44], au demeurant fort mal protégée[45], une zone qui sera désormais appelée le « doigt ou gant de Galilée ». Quant aux deux autres personnalités françaises du Levant (avec Philippe Berthelot), Robert de Caix[46] et le Général Gouraud, elles sont très favorables à cette position, le premier des deux ayant en fait été à l’origine du tracé.

En juin 1920, le chef de l’Etat français, Millerand, durcit la position adoptée « … en désavouant le tracé de Berthelot et en le décalant plus au sud à partir de Ras Nakoura. C’est sur cette base que Gouraud avait défini les frontières du Grand Liban » »[47]. Tout au long de l’année 1920, les autorités françaises restent d’autant plus fermes que les Américains, alliés des sionistes et des Britanniques sont désormais en retrait et tendent vers l’isolationnisme. Les Français sont à l’origine de cette formule restée célèbre : « Vous barboterez si vous le voulez, mais vous ne barboterez pas à nos frais ! »[48]. Il ne faut pas oublier qu’entre-temps, la droite a remporté les élections, ce qui renforce le camp du parti catholique et donc des positions pro-maronites en faveur de la création d’un « Grand-Liban », qui se doit d’être doté de ressources hydrauliques substantielles, pour pouvoir assurer son développement économique[49].

Mais le bras de fer continue et les Britanniques ne souhaitant rien lâcher, leur intransigeance ne fait que s’accroître à partir de novembre : « Le gouvernement britannique n’est pas disposé à conclure avec la France un arrangement qui ne contient pas des dispositions appropriées pour l’utilisation future de la Palestine des eaux du Yarmouk et du Litani, utilisation qui est sans doute d’une nécessité vitale au développement économique du pays et à la création d’un home national pour le peuple juif. Il estime que le point de vue du gouvernement français à ce sujet n’est pas tout à fait raisonnable »[50].

Arrive enfin en décembre 1920, la Conférence franco-britannique de Paris qui consacre les positions hexagonales ainsi que celles de ses responsables les moins conciliants (Millerand et Berthelot[51]), même si elle peut tout autant apparaître comme un compromis qui sauve la face de la Grande-Bretagne. Lloyd George convient que « … la référence ne peut être que celle de la Bible -la Palestine de Dan à Birsheba- et qu’il renonce à soutenir les revendications sionistes d’une expansion territoriale à l’extérieur de la Palestine historique », et en contrepartie «  … Berthelot accepte que l’excédent des eaux du Jourdain supérieur et du Yarmouk, mais non du Litani, soit accordé à la Palestine »[52].

Le général Gouraud qui commande les forces françaises dans la région, dans un télégramme adressé en juin 1921 à l’un de ses adjoints, le colonel Paulet, résume la position de son gouvernement : « la frontière suivrait la rive gauche du Jourdain jusqu’au lac de Tibériade en laissant à la Palestine le droit d’établir des usines hydrauliques sur la rive gauche. Ensuite, la ligne du rivage serait suivie jusqu’à dix mètres environ à l’intérieur des terres depuis l’embouchure du Jourdain jusqu’au wadi Semakh. De cette façon, le lac de Tibériade appartiendrait à la Palestine (d’autant que ces terres sont la propriété de Palestiniens vivant à Haïfa )… Mais la Syrie aurait des droits de pêche et une concession de terres largement suffisante, à l’est du camp militaire de Semakh, serait donnée pour les voies de garage et un embarcadère sur le lac ainsi que les autres droits qui pourraient être réclamés comme celui d’avoir des bateaux sur le lac »[53].

Une commission commune est crée afin de délimiter les frontières et régler la question relative à l’utilisation des eaux, et à partir de cet accord, la situation n’évoluera plus de façon fondamentale, différents arrangements venant consolider ce quasi modus vivendi[54]. Cependant, ce tracé est loin de satisfaire les positions sionistes qui ne vont cesser de se durcir au fil des mois.

II/ Les revendications sionistes et arabes

  • Les positions sionistes et la naissance de « l’hydro-irrédentisme »

Il n’est guère étonnant que les sionistes ne se satisfassent point des projets franco-britanniques, comme le souligne un dirigeant américain du mouvement, De Haas : « une telle frontière (celle de l’accord Sykes-Picot ) violerait les frontières historiques de la Terre Sainte en incorporant la Haute Galilée à la Syrie ; mais plus important que la tradition historique est l’argument économique. La Palestine ne peut être restaurée que grâce à des plans d’irrigation extensive »[55].

Si au final, l’accord sur les frontières se fait entre Paris et Londres et que les sionistes n’obtiennent pas le tracé qu’ils souhaitent (c’est-à-dire qui inclurait dans le futur mandat britannique sur la Palestine d’importantes ressources en eaux), il n’en reste pas moins important de rappeler ici leurs revendications et ceci pour au moins trois raisons. D’abord, cet intérêt porté à la question hydraulique souligne une continuité qui remonte au plus profond du judaïsme et aux positions des premiers sionistes. Ensuite cette préoccupation n’est pas sans influence sur la position britannique, son objectif principal étant d’établir une zone tampon entre la sphère d’influence française et ses précieux champs pétrolifères d’Arabie et le stratégique canal de Suez (la Grande-Bretagne finit par reprendre à son compte les arguments sionistes, d’autant plus qu’elle prend conscience du coût que va représenter le mandat). Enfin le mécontentement sioniste, pour ne pas dire la frustration, provoquée par le peu de cas qui est fait à leurs demandes réitérées sera lourd de conséquences pour l’avenir, favorisant un véritable hydro-irrédentisme[56].

Les sionistes proposent de substituer à des limites historiques issues de l’Empire ottoman des limites rationnelles qui doivent être basées sur l’hydrographie, la disponibilité foncière de nouvelles terres irrigables et la viabilité économique[57]. Aaron Aaronsohn joue un rôle majeur à cet égard, car il est probablement le premier à délimiter les frontières spécifiquement à partir des futurs besoins en eau[58]. C’est un point essentiel, notamment par rapport à la perception qu’aura le futur Etat israélien de ces deux questions intimement liées. En outre, cette association entre dimension hydraulique et sécuritaire est aussi liée à la personnalité d’Aaronshon dans la mesure où il est à la fois agronome et spécialiste des questions de défense (il a mis en place un réseau d’espionnage juif en Palestine pendant la première guerre mondiale au profit des Britanniques, contre les Turcs).

S’il considère que la clé de voûte des ambitions hydrauliques du Yichouv est le contrôle du Mont Hermon, le « père des eaux », il rappelle logiquement l’importance du Litani, comme le font tous les hauts responsables sionistes[59]. C’est d’ailleurs en grande partie à partir des considérations d’Aaronsohn, qu’un mois plus tard, en février 1919, Chaim Weizmann se rend à Paris, à la Conférence de la paix, et y exprime dans un texte resté célèbre, paraphrasant en partie Aaronsohn, les revendications territoriales du mouvement sioniste : « Tout l’avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité; et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du mont Hermon, des sources du Jourdain et du fleuve Litani (…). Nous considérons qu’il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles en amont du coude, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon ».[60]

Toujours en 1919, un autre agronome, Haim Kalvarisky[61] va plus loin et pense qu’il faut même y ajouter la vallée de Sidon (Saïda aujourd’hui), située bien plus au Nord du Litani : «   Les frontières nord de la Palestine ont été depuis longtemps explorées et clairement définies. Le fleuve (nahr) El Awali, au nord de Sidon, et les pentes du Mont-Liban, telles sont les frontières nord de la Palestine : ces frontières existent depuis longtemps et elles ont été sanctionnées par la formation du Liban autonome (…) ». «   Le Juifs de Sidon y sont depuis aussi longtemps qu’à Jérusalem, Safed et Tibériade. Ils ne célèbrent qu’un jour de fête (et non deux comme en Diaspora), ce qui prouve que Sidon est considérée comme faisant partie de la Terre Sainte »[62]. Kalvarisky précise cependant que les lois ottomanes qui interdisent l’achat de terres en Palestine par les Juifs sont valables dans cette région.

Puis, les sionistes renonceront à cette zone, mais pour mieux revendiquer le Litani. Stratégie habile, qui s’explique aussi par les fortes réticences exprimées par la France : « On peut difficilement imaginer qu’un arbitre loyal et indépendant de tout accord secret puisse exclure de la Palestine les sources du Jourdain et le bassin du Yarmouk, ou le priver de son accès au Litani »[63]. Cependant, cette revendication sur le Liban-Sud semble aussi peu justifiée historiquement que d’autres concernant toujours la côte méditerranéenne (Jaffa, Haïfa)[64] ou des territoires plus éloignés. Certains considèrent ainsi que « les hébreux ne mirent pied, à aucun moment, dans cette région. Aucune source, aucun document historique ne donnent à croire que les Juifs aient jamais vécu au Sud-Liban ou aient acquis quelque droit que ce soit sur sa terre ou ses sources d’eau »[65].

Les sionistes n’ont cependant pas tort de s’obstiner à propos du Liban, dans la mesure où ils n’ignorent probablement pas au début des années vingt, les nombreuses divergences d’opinion existant d’une part au niveau des autorités mandataires, et entre ces dernières et une partie des Libanais. Ainsi le patriarche maronite, qui avait obtenu une victoire considérable en étant en grande partie à l’origine de la création d’un Liban indépendant et distinct de la Syrie était indécis à propos des frontières du pays du Cèdre. Soutenu par Robert de Caix, il était plutôt opposé à Gouraud, partisan d’une extension maximale, qui avait pour conséquence d’augmenter la proportion de musulmans, réputés plus réservés, voire hostiles à une entité majoritairement chrétienne. « Si c’est pour avoir un libre accès à la mer que les Syriens veulent rattacher le Liban à la Syrie, il serait facile de leur donner satisfaction en rectifiant la frontière sud et sud-est à leur profit : le Liban pouvant s’arrêter au Litani, entre Saïda et Sour, et renoncer à Djebel Amel habité par les Metwalis »[66]. Ce projet n’aboutira jamais, mais on devine les conséquences considérables qu’il aurait pu avoir pour la région et le Liban en particulier, qui, non frontalier d’Israël, serait peut être passé du statut de ligne de confrontation directe à celui plus enviable de front secondaire.

L’habileté des sionistes c’est de ne pas privilégier uniquement les interlocuteurs officiels des puissances mandataires, mais aussi de s’adresser à d’autres cercles d’influences dans le cadre d’une véritable diplomatie hydraulique. Ainsi, David Ben Gourion, au nom de l’Union des travailleurs sionistes écrit-il à plusieurs reprises au parti travailliste britannique en 1920 afin de le sensibiliser sur cet enjeu[67].

Un autre leader politique de premier plan, Sokolow, futur président de l’Organisation sioniste mondiale, réaffirme au cours de l’année 1920, auprès du président Millerand l’importance de l’eau aux yeux de ses partisans dans la délimitation des frontières et à ce titre conteste les arrangements en cours[68]. Il lui précise qu’à ses yeux, « il va sans dire qu’en aucune circonstance la ligne Sykes-Picot ne pourrait être acceptée par les sionistes, même comme base de négociation. Non seulement elle diviserait la Palestine historique et supprimerait dans la région les eaux fournies par le Litani et le Jourdain, mais elle irait encore plus loin : Elle priverait le foyer national juif de quelques-uns de ses plus favorables champs de colonisation dans le Jaulan[69] et le Hauran, desquels dépend le succès de tout le projet. Elle lui enlèverait un nombre de colonies prospères déjà établies. Elle retirerait leurs plus grandes valeurs aux assurances données par les puissances alliées quant à l’établissement d’un foyer national juif »[70].

Chaim Weizmann insiste à nouveau en octobre 1920 sur l’importance du Litani, considérant que le compromis de juin proposé par la France sur le « doigt de la Galilée » n’est pas suffisant. Il s’adresse par courrier à Lord Curzon[71], mais cela n’aboutit à aucun résultat positif, ce dernier semblant d’ailleurs dubitatif, et même sarcastique à propos des autres projets sionistes évoquant la création d’un Commonwealth juif sous tutelle britannique[72]. Un autre activiste sioniste très important, Brandeis, juge à la Cour suprême des Etats-Unis et proche du Président Wilson[73] souligne à la même période l’importance d’une frontière de Palestine incluant des ressources hydriques significatives[74], et plus particulièrement celle du Litani, en s’adressant directement au premier ministre britannique. D’une façon générale, les sionistes américains semblent moins adeptes du double langage cher à Weizmann et leurs intentions sont plus claires, comme lorsque Brandeis affirme que « Premièrement, il faudra non pas un foyer national juif en Palestine, mais que la Palestine soit le Foyer national juif (…). Deuxièmement, il faudra qu’il y ait une marge économique suffisante pour la Palestine juive, c’est-à-dire des frontières adéquates et non pas un jardinet juif à l’intérieur de la Palestine (…). Troisièmement, la future Palestine juive doit avoir le contrôle du territoire et de ses ressources naturelles »[75]

On se doit aussi de citer Lord Balfour, qui a peut-être fait plus pour le sionisme que la plupart de ses dirigeants, à travers sa célèbre Déclaration de 1917, et qui estime qu’il est « (…) hautement souhaitable que le pays possède les leviers de commande de l’énergie hydraulique que la nature lui fournit, soit en étendant sa frontière vers le nord, soit par un traité avec la puissance mandataire de la Syrie pour laquelle les eaux qui se déversent depuis le versant sud du Hamon ne peuvent avoir une grande importance ».[76]

B -Permanence des revendications sionistes : l’affirmation de l’hydro-irrédentisme

Cette permanence des revendications sionistes, jusqu’à la création de l’Etat d’Israël, vers un plus grand accès à de nouveaux territoires au fort potentiel hydraulique est liée à au moins trois raisons principales. D’abord, le sentiment d’injustice dont ils estiment avoir été victimes, les puissances mandataires et en particulier la France, auraient ainsi réservé à ses nouveaux territoires la plus grande partie des sources du Jourdain, alors que le Liban est déjà doté du Litani (dont Paris aurait pu attribuer tout ou partie aux sionistes sans préjudice pour le pays du Cèdre) et la Syrie traversée par l’Euphrate et l’Oronte (sans oublier un découpage hydrographique arbitraire et incohérent, toujours d’après le mouvement sioniste). En outre, la frustration est d’autant plus grande qu’en 1920, Londres décide d’attribuer la rive est du Jourdain au prince hachémite Abdallah qui devient alors le premier souverain de ce qui sera pour trois décennies la Transjordanie avant de se transformer en royaume de Jordanie. Ce territoire était revendiqué par les sionistes qui devront ainsi, s’ils obtiennent le contrôle de la rive ouest du Jourdain (dans le cadre d’un futur Etat), partager ce dernier, ce qui sous-entend encore moins de ressources hydriques. La seconde raison a trait aux grandes difficultés rencontrées par les sionistes à construire le Yishouv, économiquement et démographiquement, et l’importance de la question hydraulique dans ce contexte. Enfin, le dernier point, souvent moins mis en avant, et que de nombreux sionistes ne peuvent ignorer concerne les mandats, qui ne sont qu’une étape transitoire et qui ont probablement vocation à disparaître à plus ou moins brève échéance amenant ainsi les pays sous tutelle à devenir indépendants. Dès lors, on ne peut exclure de nouvelles modifications, cette fois-ci ultimes et à la marge sur les frontières, à condition que la détermination sioniste soit totale et comprise, qu’elle puisse se manifester de façon concrète et au delà des slogans par une présence physique sur ces zones convoitées à travers l’établissement de colonies agricoles.

Par conséquent, le pari qui est associé à l’existence d’une présence sioniste à proximité des sources hydriques est qu’à court terme elle puisse contribuer au développement du Yishouv, et qu’à plus long terme, au moment de la phase finale des négociations frontalières espérées entre les Etats nouvellement indépendants, elle soit prise en compte par les puissances décisionnaires. La présence de colonies juives à Safed et à Metulla a été à l’évidence déterminante dans l’incorporation du « doigt de la Galilée » dans la Palestine mandataire alors que leur absence dans le Golan et au Sud du Liban a exclu de fait le rattachement éventuel (parmi d’autres facteurs) de ces territoires au mandat britannique. Cette stratégie de territorialisation de l’espace annonce déjà celle qui sera suivie quelques décennies plus tard en Cisjordanie à partir de 1967. De surcroît, il existe un objectif tout aussi important relatif aux revendications internes concernant la Palestine mandataire stricto-sensu[77]et c’est dans ce contexte que se précise le tracé quasi définitif des frontières des territoires mandataires.

C/ Les revendications arabes

Après avoir étudié les points de vue français, britanniques et sionistes, l’analyse ne serait pas complète si elle ne rappelait pas les positions arabes. Or, ce qui apparaît clairement , c’est que autant celles des Français et surtout celle des sionistes ( et dans une moindre mesure celle des Britanniques ) sont établies avec un objectif précis, autant celles des Arabes ne sont pas clairement identifiées pour la simple et bonne raison qu’à l’époque les Hachémites et plus généralement les nationalistes arabes envisageaient d’abord la création d’un vaste ensemble au sein du croissant fertile, une « Grande-Syrie » en quelque sorte, dont la Palestine ne serait qu’un des éléments, quitte à ce qu’elle n’y soit que partiellement incorporée.

Cet ensemble arabe disposant dans certaines zones de vastes potentialités hydrauliques (avec l’Euphrate, le Tigre et une partie des sources du Jourdain), il semble alors moins prioritaire pour les dirigeants arabes d’inclure dans l’espace de la future Palestine mandataire les sources revendiquées en revanche avec obstination par les sionistes. L’espace national est à l’époque moins « construit » et conceptualisé chez les Arabes que chez les sionistes, sans que l’on puisse pour autant souscrire aux thèses qui prétendent que pour les Palestiniens, leur territoire se résume à une « Syrie du Sud ». Celle-ci n’ayant pour ceux qui l’évoque qu’une dimension territoriale et non identitaire, utilisée chaque fois qu’ils se sentiront trop faibles pour se défendre seuls, comme un prolongement naturel d’un pays dont ils réclament en priorité l’indépendance[78], avant d’envisager éventuellement son existence dans un cadre élargi.

D’une manière générale, l’indifférence que l’on attribue aux Arabes ou aux Palestiniens par rapport à la notion de territoire semble en grande partie exagérée et relever du stéréotype, lié à « un héritage de l’errance bédouine, de l’indivision panislamique ou des interchangeabilités de l’arabisme »[79]. On ne peut cependant nier l’importance de la tribu, s’étendant sur plusieurs régions ou Etats, et limitant l’importance du fait territorial[80]. Miriam Lowi remarque aussi que la terre a une valeur différente selon les différentes composantes de la nation arabe, puisque la population qui constitue la Transjordanie (jusqu’en 1946) est nomade ou semi-nomade. La terre n’est pas en soi une valeur essentielle, puisqu’elle est accessible à tous, mais en revanche l’eau est décisive pour leur mode de vie, ne serait-ce qu’à travers les mouvements des troupeaux qui sont en grande partie déterminés par la localisation des puits et des sources[81].

La terre n’est pas systématiquement associée à l’eau comme dans la pensée sioniste au substrat idéologique plus affirmé. Joseph Maïla explique que la notion d’Etat, intimement liée à celle du territoire n’a surgit que tardivement dans la conscience palestinienne, une différence majeure avec le sionisme, qui explique en partie les succès de ce dernier, obsédé par la construction d’un espace national[82].

Conclusion : la fixation des frontières  et ses conséquences

« Les traceurs de frontières de l’époque, inspirés par le principe d’équilibre des puissances et peu formés à l’hydrologie, prirent le fleuve Jourdain pour frontière entre Palestine et Jordanie, son affluent principal Yarmouk pour limite entre Jordanie et Syrie et répartirent les trois sources mère du Jourdain et leur bassin versant entre Syrie, Palestine et Liban »[83]. Au niveau de la frontière situées aux confins des territoires syriens et libanais[84](et où Israël joue aujourd’hui un rôle important suite à son annexion du Golan syrien), la carte utilisée pour délimiter les deux pays datait de 1862, et fut établi par le « Corps expéditionnaire de Syrie » qui intervint au Mont-Liban en 1860 pour arrêter les massacres perpétrés sur les chrétiens maronites. Cependant, il s’agissait plus d’une simple carte de reconnaissance du terrain et non d’un véritable outil conçu de manière professionnelle, avec l’utilisation de la triangulation. La description est donc générale et approximative et les noms des villages sont souvent mal traduits ou incorrectement épelés[85]. Certes, à partir de 1921, les Français désormais seuls maîtres à Beyrouth et à Damas ont conscience de ces lacunes et utilisent une carte ottomane de 1911, établie avec l’aide des Allemands, mais elle reste imparfaite[86].

Il convient de préciser que le processus de détermination d’une frontière comprend trois étapes : l’allocation, c’est-à-dire le fait d’attribuer la partie d’un territoire à un Etat, la délimitation, où la description d’une frontière dans un document écrit, et enfin la démarcation qui consiste dans le bornage au niveau du sol[87]. En ce qui concerne la zone contestée, évoquée plus haut, et d’une manière générale pour une vaste partie de la frontière syro-libanaise, à la base de nombreuses tensions actuelles, seule la première étape a été véritablement réalisée. Ainsi, Camille Chamoun, futur chef de l’Etat, exprime-t-il sa plus vive préoccupation dans les années trente en tant que jeune ministre des finances libanais, et considère que même de façon approximative, il est difficile d’établir une frontière entre le Liban et la Syrie[88]. Ces remarques peuvent aussi s’appliquer à la “ Palestine mandataire ” antérieure à 1920, et qui comprend les deux territoires situés des deux côtés des deux rives du Jourdain et sous total contrôle britannique, au moins jusqu’en 1948, soit la Palestine proprement dite et la Transjordanie[89].

En outre, une considération très importante vient s’ajouter à ces lacunes et approximations frontalières qui concerne la confusion entre hydrologie et politique. La tendance est à la délimitation de la frontière en fonction de la ligne de partage des eaux, « de façon naturelle », d’une certaine manière. Or, cette notion n’est pas forcément la plus appropriée pour déterminer une frontière, car il faut tenir compte d’un certain nombre de paramètres comme la localisation de populations homogènes[90]. Ces imprécisions ne satisferont au final aucun des principaux protagonistes, arabes et sionistes, ces derniers cherchant inlassablement dans les années suivant la fixation quasi définitive des mandats (1923-1924) à modifier, sans grand succès, cette nouvelle réalité qui alimentera une frustration qui ne sera qu’en partie assouvie avec les succès et conquêtes territoriales de Tsahal postérieures à la création de l’Etat hébreu, avec en particulier la guerre des Six jours qui permettra à Israël de promouvoir de façon durable un véritable hydro-hégémonisme régional.

[1] On ne peut que penser aux travaux d’Aaron Aaaronhson, agronome de formation, sioniste et un des premiers à proposer un tracé du futur Etat juif à partir de considérations hydriques. Ses travaux sont repris et présentés par Chaïm Weizmann en 1919 lors de la Conférence de la paix à Paris qui joue un rôle décisif dans la détermination des frontières du Proche-Orient.

[2] Michel FOUCHER, Fronts et frontières (un tour du monde géopolitique), Paris, Fayard, 1991, p. 38.

[3] Ibid.

[4] Hesi CARMEL et Jacques DEROGY, Le siècle d’Israël (les secrets d’une épopée, 1895-1995), Paris, Fayard, 1994, p. 99.

[5] Gabriel WACKERMAN, Les frontières dans un monde en mouvement, 2ème édition, Paris, Ellipses, 2002, p. 30.

[6] Nijim BASHEER, “ Water Resources in the History of the Palestine-Israel Conflict ”, Geojournal, August 1990, p. 319.

[7] Le Yichouv désigne le territoire où habite les juifs en Palestine avant la création de l’Etat d’Israël et dont il constitue d’une  certaine façon l’ossature. Voir Ran HALEVI, « Israël et l’idée de la frontière », Commentaire, n°112, hiver 2005-2006, p. 864.

[8] Ewan W. ANDERSON, International Boundaries (A Geopolitical Atlas), London, The Stationery Office, 2003, p. 410.

[9] D’après les noms des négociateurs britanniques et français, Mark Sykes et François-Georges Picot. Ces accords sont restés dans l’imaginaire collectif , et particulièrement pour un certain nombre de proche et moyen-orientaux (panarabistes laïcs et socialisants du Baath, syrianistes autoritaires s’inspirant des idées d’Antun Saadé, panislamistes ) comme l’une des causes majeure, avec la Déclaration Balfour, des tensions permanentes qu’a connu cette région depuis près d’un siècle. Bref, “ un péché originel ” qui aurait empêché le mouvement naturel d’unification des peuples arabes, les affaiblissant face aux convoitises néo-colonialistes et impérialistes.

[10] Il s’agissait notamment de ne pas trop froisser les alliés Hachémites, qui étaient en partie à l’origine de la révolte arabe lancée en 1916 contre les Turcs avec l’aide du légendaire colonel Lawrence, et à qui avait été promis un royaume arabe assez vaste en récompense.

[11] Voir carte : “  Sykes-Picot Agreement, 1916 ” (Les accords Sykes-Picot, 1916)

[12] La France souhaitait par exemple absolument disposer d’une prépondérance au Mont-Liban et autour, car elle y était bien implantée grâce à ses très bonnes relations avec les chrétiens orientaux, et plus particulièrement les Maronites, dont elle avait assuré la protection après les massacres de la montagne en 1860. Quand aux Britanniques, ils souhaitaient avant tout bloquer l’accès au canal de Suez aux autres grandes puissances, et excluaient qu’elles puissent être présentes au niveau de la future Palestine, quitte à favoriser la création d’une zone internationale. La Grande-Bretagne souhaitait aussi un contrôle direct sur des ports de la côte palestinienne ( Haïfa, Acre ).

[13] Frederic HOF, Galilee Divided, the Israeli-Lebanon frontier, 1916-1984 , Boulder, Colorado, Westview Press, 1985. Le livre est préfacé par Philippe Habib, diplomate américain d’origine libanaise, qui fut l’un des principaux représentant de l’administration Reagan au Proche-Orient au début des années quatre-vingts.

[14] Stéphane YERASIMOS, « Comment furent tracées les frontières actuelles au Proche-Orient », in Questions d’Orient : Frontières et minorités des Balkans au Caucase, Paris, Editions la Découverte, 1993, p. 107.

[15] Ce sont les catholiques arabes de rite orthodoxe, appelés aussi Grecs-catholiques, car ralliés à Rome au XVIIIème siècle, excédés de se voir imposer un haut-clergé non autochtone, et travaillés par les missionnaires envoyés par le Vatican.

[16] L’une des plus importantes opérations militaires du premier conflit mondial est le fiasco du détroit des Dardanelles face aux Ottomans, auxquel de nombreuses puissances autres que britanniques participent.

[17] C’est à dire la Province du Liban, à laquelle s’ajoute le Sandjak de Beyrouth, et le nord du Sandjak d’Acre, tels qu’ils étaient dénommés à l’époque ottomane.

[18] Raymond ARON, Paix et guerre entre les nations, 8ème édition, Paris, Calmann-Levy, 1984, p. 145.

[19] “ Whatever the administrative sub-divisions, we must recover for Palestine, be it Hebrew or Arab, the boundaries up to the Litani on the coast, and across the Banias, the old Dan, or Huleh in the interior”, Lord Curzon, cité par Aaron T. WOLF, Hydropolitics along the Jordan river (Scarce water and its impact on the Arab-Israeli conflict), Tokyo, United Nations University Press, 1995, p. 19.

[20] « Ignorant délibérément la limite Sykes-Picot, le général Allenby avait dès octobre 1918, déplacé la frontière vers le nord, en rattachant le caza de Safed à la zone palestinienne. Jugeant cette acquisition encore insuffisante, les Britanniques prétendaient englober dans la Palestine le cours presque entier du Jourdain, celui du Yarmouk et le cours inférieur du Litani (…) », Jean PICHON, Le partage du ProcheOrient, Paris, J.Peyronet & Cie, 1938, p. 188, cité par Frederic HOF, Galilee Divided, op.cit, p. 15.

[21] “ … acknowledged with some bitterness by the French, who subsequently stubbornly resisted further boundary concessions “, in Frederic HOF, Galilee Divided, op.cit, p. 7

[22] “ The economy of Palestine was obviously not considered to be an issue of great importance to the British empire “, in Frederic HOF, Galilee Divided, op.cit, p. 23.

[23] “ To the British, the Palestine’s chief importance was that of a territorial buffer for its Suez canal possession , thwarting ( in particular ), direct French access to that strategic waterway”, in Alwyn ROUYER, Turning water into politics. The water issue in the Palestinian-Israeli conflict, New-York, St Martin’s Press, 2000, p. 92.

[24] Il existait en effet peu de soutien aux mandats. Ils étaient considérés comme un fardeau, peu rentables, au détriment des « vraies colonies », en particulier l’Empire des Indes.

[25] Ce dernier est assez proche des sionistes puisqu’il a été conseiller juridique de Herzl plusieurs années auparavant ; voir Charles ZORGBIBE, Theodor Herzl, Paris, Taillandier, 2000, p. 383.

[26] Michel GURFINKIEL, Israël : Géopolitique d’une paix, Paris, Editions Michalon, 1996, p. 57.

[27] Jean-Paul CHAGNOLLAUD et Sid-Ahmed SOUIAH, Les frontières au Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 9.

[28] D’après le nom de son initiateur, le colonel Meinertzhagen, chef des services politiques de l’armée britannique en Palestine, par ailleurs sympathisant notoire de la cause sioniste, bien que non juif. Il écrit ainsi à Curzon le 31 mars 1920 : « Je voudrais souligner que pendant ma longue tournée récente en Palestine, j’ai acquis la conviction qu’il y avait un motif, un seul, derrière les sentiments antisionistes. C’est la peur courante et fort répandue de l’intelligence supérieure et de l’argent juifs. La peur des pauvres du riche, des non éduqués de l’instruit. ( …) Les éléments constitutifs du Foyer national, les méthodes que le gouvernement de Sa Majesté sera obligé d’autoriser pour édifier avec succès le Foyer national, ne pourront déboucher que sur une prédominance et une possession juives de la Palestine si ce n’est de tout le Proche-Orient », cité par Elias SANBAR, Figures du Palestinien (Identité des origines, identité de devenir), Paris, Gallimard, 2004, p. 112.

[29] Il faut noter à ce moment l’évolution dans la position britannique, qui tend à se rapprocher de plus en plus de celle des sionistes, et pour plusieurs raisons que l’on développera plus en détail par la suite ( la nécessité de s’appuyer de plus en plus sur les sionistes comme alliés à court terme, la position des Arabes étant de plus en plus défavorable au options de Londres ; le poids économique du mandat les convainc que celui-ci doit avoir un minimum de viabilité économique et donc des ressources hydrauliques ; enfin la sympathie de nombreux haut responsables politiques et coloniaux pour la cause sioniste, bien qu’ils ne soient pas toujours de confession israélite comme Winston Churchill ou Meinertzhagen )

[30] Elias SANBAR, Figures du Palestinien, op.cit., p. 108.

[31] C’est le nom qui désigne le siège de la diplomatie britannique et des grandes administrations.

[32] Henry LAURENS, La question de Palestine (Tome premier, 1799-1922, L’invention de la Terre Sainte), Paris, Fayard, 1999, p. 488.

[33] Ibid. Voir aussi page 490 « (…) il lui semble que les Français sont prêts à céder aux sionistes les réserves d’eau du Litani et du Jourdain ( là il semble que Weizmann prenne ses désirs pour des réalités ) ».

[34] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 495. L’auteur précise aussi que Meinertzhagen et Weizmann, en contact permanent coordonnent leur action et en informe régulièrement Herbert Samuel.

[35] C’est à dire le plus haut fonctionnaire du quai d’Orsay, et véritable second du ministre, avec une influence considérable pendant l’entre deux-guerre, à la fois de par sa proximité avec Aristide Briand, sa personnalité brillante et aussi par ce que dans le contexte de la troisième république, régime parlementaire caractérisé par sa grande instabilité ministérielle, le Secrétaire Général incarne la continuité et donc une incontestable force. Une position qu’on ne retrouvera plus par la suite, et surtout sous la cinquième république, où l’une des prérogatives éminente du chef de l’Etat est la maîtrise de la politique étrangère.

[36] Aaron T. WOLF, Hydropolitics along the Jordan river (Scarce water and its impact on the Arab-Israeli conflict), Tokyo, United Nations University Press, 1995, p. 24 (il cite Uri RA’ANAN, The Frontiers of a Nation : A Re-examination of the Forces which Created the Palestine Mandate and Determined its Territorial Shape, Westport, Connecticut, Hyperion Press, 1955, p. 125).

[37] “  all Jews were unanimously agreed that the sources of Hermon and the headwaters of Jordan were vital to the existence… of Palestine”, in Aaron. T. Wolf, Hydropolitics along the Jordan river, op.cit., p. 24 (toujours d’après Uri RA‘ANAN, The Frontiers of a Nation, op.cit., p. 128). Pour Lloyd George, sans ces sources hydriques, le mandat de Palestine sera un lourd fardeau pour la Grande-Bretagne. Si la France ne peut faire un effort sur ce point, il sera demandé au Président Wilson d’arbitrer. On remarquera le poids toujours prépondérant à l’époque des Etats-Unis.

[38] « … la ligne Sykes-Picot prive les sionistes des ressources en eau du Litani et du Jourdain ainsi que la possibilité de coloniser les riches terres du Golan et du Hauran. Il (Weizmann) prétend que les royaumes bibliques se sont étendus jusqu’à ces régions et que, de toute façon , la viabilité économique du projet sioniste impose l’intégration de ces régions à la Palestine », in Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 497.

[39] « Depuis la fin de 1914, la Grande-Bretagne n’a plus de cartes arabes à jouer, et, durant les conférences de Londres et de San Remo, elle a du recourir au seul argument –répété inlassablement par Weizmann- de la nécessité d’assurer des ressources hydrauliques suffisantes au développement du foyer national juif », in Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 558.

[40] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 496.

[41] Archives nationales, citées par Gérard KHOURY, La France et l’Orient arabe (Naissance du Liban moderne, 1914-1920), Paris, Armand Colin, 1993, p. 349.

[42] Ibid.

[43] « …ils étaient restés fermes sur leur proposition de définir la frontière libanaise en fonction de l’étendue du bassin hydrographique du Litani », in Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 539.

[44] « En fait, Berthelot à accepté le principe de la Palestine de Dan à Bersheba avec l’intégration des colonies juives existantes : cela exclut le bassin du Litani, puisque l’on suivra la ligne de partage des eaux entre le bassin du Litani et celui du Jourdain, mais implique un prolongement de la Palestine au nord de la ligne Sykes-Picot en raison des colonies crées par Edmond de Rothschild et l’ ICA et de l’importante population juive de Safed » in Henry Laurens, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 504.

[45] En mars 1920, la colonie juive de Tel Hai, située au nord de la vallée du Houleh, zone revendiquée par les Français comme par les Britanniques, mais non défendue, est attaquée par des forces arabes irrégulières. Cet élément contribue à infléchir la position française sur ce fait précis et à permettre à ceux qui sont les plus proches des sionistes, les Britanniques, de leur assurer une protection. Il faut noter que cet affrontement de Tel Hai revêt une importance considérable dans l’imaginaire collectif sioniste en grande partie à cause d’une personnalité charismatique et légendaire, Joseph Trumpeldor, qui fut un héros de la guerre de 1905 contre le Japon, en tant qu’officier de l’armée du tsar de Russie, fait rarissime pour un juif à l’époque. Tel Hai est devenu un lieu de mémoire, et le Bétar, mouvement des jeunes nationalistes juifs est inspiré de son nom (c’est la contraction de “ B’rit Trumpeldor ” ou « l’Alliance de Trumpeldor »). Il aurait affirmé avant de mourir, dans une formule que presque chaque Israélien connaît : « Qu’il est bon de mourir pour son pays », symbole du sacrifice que chacun se doit d’accomplir pour la défense d’Israël (voir Marius SCHATTNER, Histoire de la droite israélienne, Bruxelles, Editions Complexe, 1991, p. 55). La récupération, notamment par les nationalistes de ce fait d’arme est quelque peu ironique, puisque que le chef de file de ce courant à l’époque, Jabotinsky, fut plutôt partisan de l’abandonner à son sort, contrairement à la gauche, proche des kibboutzims qui étaient présents à Tel Hai.

[46] Robert de Caix semble avoir eu des positions très réservées, sinon hostiles aux sionistes, puisqu’il aurait écrit dans un courrier en date du 18 octobre 1920 aux autorités françaises, que la tendance instinctive des Juifs, désormais imprégnés des idées révolutionnaires bolcheviques, serait de fragmenter les sociétés dont la cohésion peut constituer un obstacle pour leur expansion et qu’ils essaieront de briser les structures traditionnelles des différentes confessions religieuses ( au Liban et en Syrie ), déjà menacées pour d’autres raisons ; voir David PRYCE JONES, “ Jews, Arabs and French Diplomacy : A Special Report ”, Commentary, Volume 119, May 2005, n°5, p. 33.

[47] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 539.

[48] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 540, et l’auteur précise que « les Français sont totalement insensibles aux sirènes du sionisme, ils ont accepté un foyer national mais non un Etat juif et ne veulent rien entendre sur ce sujet ».

[49] Gérard Khoury, La France et l’Orient arabe, op.cit., p. 269.

[50] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 540, citant une note verbale adressée par Van Sittart (le négociateur britannique à la Conférence de la paix) à ses supérieurs

[51] Celui-ci n’hésite pas ainsi à affirmer : «  L’idée (…) que le Foyer juif devrait inclure la rivière Litani, les chutes d’eau du Hermon, le plateau du Golan (…), est trop extravagante pour être prise un seul instant au sérieux (…). Les sionistes sont en train de s’arroger la position d’une grande puissance, et cette prétention les rend tout simplement ridicules », in Daniel AMSON, Israël et Palestine (Territoires sans frontières), Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 82.

[52] Henry LAURENS, La question de Palestine, Tome premier, op.cit., p. 541 ; voir aussi Aaron.T. WOLF, Hydropolitcs along the Jordan river, op.cit, p. 26 : “The French delegation did promise that the jewish settlements would have free use of the waters of the upper Jordan and the Yarmouk, although they would remain in the French hands”

[53] d’après Patricia TOYE, Palestine Boudaries, 1833-1947, Archive Edition, University of Durnham (cité par Jean-Paul CHAGNOLLAUD et Sid-Ahmed SOUIAH, Les frontières au Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 86). Rappelons que la négociation syro-israélienne sur une possible restitution du Golan contre un traité de paix de 2000, entre Ehoud Barak et el Farouk El Sharaa aurait échoué à cause de cette dizaine de mètres, Damas ayant demandé un accès direct au Lac de Tibériade.

[54] Comme cela est démontré par Arnon Medzini, l’eau ne joue cependant qu’un rôle secondaire dans le tracé des frontières ( The Jordan River : The Struggle for Frontiers and Water ( 1920-1976 ), London, School of African and Oriental Studies University Press, 2000 )

[55] Cité par Martine COHEN, Quelles frontières pour l’Etat d’Israël ? (étude historique de la politique sioniste, 1880-1949), Thèse de Doctorat de 3ème cycle, Sorbonne nouvelle-Paris III, 1980, p. 132.

[56] L’irrédentisme pouvant être défini comme « une forme de nationalisme annexionniste revendiquant des arguments historiques, ethniques, linguistiques, culturels contestables ».

[57] Franck DEBIE et Sylvie FOUET, La paix en miettes, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 58.

[58]“ In Palestine, like in any other country of arid and semi-arid character, animal and plant life and, therefore, the whole economic life directly depends on the available water supply. It is, therefore, of vital importance not only to secure all water ressources already feeding the country, but also to insure the possession of whatever can conserve and increase these water-and eventually power-ressources. The main ressources of Palestine come from the North, from the two mighty mountain masses-the Lebanon range, and the Hermon… The boundary of Palestine in the North and the North East is thus dictated by the extension of the Hermon range and its water basins. The only scientific and economic correct lines of delineation are the watersheds”, in Aaron T.WOLF, Hydropolitics along the Jordan river, op.cit, pp. 20-21 (l’auteur cite un extrait du livre d’Aaronsohn, “ Les frontières de la Palestine”, en date du mois de janvier 1919, extrait des archives sionistes et jamais publié).

[59] “…It is of importance to nothern Palestine both as a supply of water and of a power. Unfortunately, its spings lie in the Lebanon. Some kinf of international agreement is essentiel in order that the Litani may be fully  utilised for the development of North Palestine and the Lebanon”, in Aaron T.WOLF, Hydropolitics along the Jordan river, op.cit, p. 21.

[60] Lettre de Chaïm WEIZMANN à David LLOYD GEORGE, publiée dans le Jewish Observer and Middle East Review, Londres, 16 novembre 1973, p. 22, cité par Jeffrey DILLMAN, « Le pillage de l’eau dans les territoires occupés », Revue d’études palestiniennes, n° 35, printemps 1990, p. 39.

[61] Né en Pologne en 1868, mort à Jérusalem en 1947. Partisan du rapprochement judéo-arabe et important dirigeant sioniste de Palestine. Le fait qu’il soit agronome et s’exprime sur la question des frontières, comme Aaronsohn, montre bien le lien important entre géographie et politique d’une manière générale, et entre l’hydrographie et la politique en Israël et chez les sionistes en particulier. De cette réalité découle le caractère éminemment géopolitique de « l’espace palestinien » (compris au sens historique du terme), et les représentations symboliques qui y sont associées.

[62] Mémorandum du 26 juillet 1919, Archives Centrales Sionistes, Jérusalem, cité par Martine COHEN, Quelles frontières pour l’Etat d’Israël ?, op.cit., p. 124.

[63] Mémorandum non signé, fin décembre 1920, Archives Centrales Sionistes, pp. 1 et 3, cité par Martine COHEN, op.cit., p. 135.

[64] Rappelons que l’un des paradoxes essentiel du conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens est que le cœur historique des royaumes juifs antiques est la Cisjordanie actuelle qui n’a pas été proposée aux sionistes au moment du partage de la Palestine, et inversement.

[65] La rude épreuve du Liban-Sud, Ligue arabe, commission permanente pour l’information, Beyrouth, 1981.

[66] Archives du ministère des affaires étrangères, mai 1921, citées par Soheila GHADERI-MAMELI, Quelles frontières pour le Moyen-Orient ? Les frontières des Etats nés du démembrement de la partie asiatique de l’Empire ottoman (1913-1939), Thèse de doctorat en relations internationales, Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, 1997, p. 612. Le terme « metwalis » désignant de façon plutôt péjorative les Chiites.

[67] Samer MUKHIAM et Khâlid HAJAZI, Azma almîyyah fil mintaqa al‘arabîyya (La crise de l’eau dans le monde arabe), Koweït, Conseil national de la culture, des arts et de la littérature, 1996, p. 120.

[68] Henry LAURENS, Le retour des exilés (La lutte pour la Palestine de 1869 à 1997), Paris, Robert Laffont, 1998, p. 278.

[69] Le Golan actuel

[70] D’après les archives du ministère des affaires étrangères (MAE, Levant, Palestine, 1918, 1919, Volume XIV, 79) cité par Denis HERMANN, « Les tentatives d’extension de la colonisation sioniste en Syrie de 1930 à mai 1934 », Revue d’études palestiniennes, n°91, Printemps 2004, p. 50.

[71] “ … national nothern and eastern boundaries are indispensable to a self-sustaining community and economic development of the country. North Palestine must include the Litani River watersheds, and the Hermon on the east…Less than this would produce mutilation of the promised home”, in Aaron T.WOLF, Hydropolitics along the Jordan river, op.cit., p. 54. Voir aussi Daniel AMSON : “  La solution (…qui ) n’exclurait pas seulement la Palestine de tout accès au Litani, mais le priverait des sources du Jourdain, de la rive est du Lac de Galilée et de toute la vallée du Yarmouk (…) serait (…) un désastre (…) pour le futur développement du pays ”, in Israël et Palestine, op.cit., p. 82. En outre, Curzon n’avait pas de sympathie particulière pour la cause sioniste.

[72] Elias SANBAR, Figures du Palestinien, op.cit., p. 109.

[73] D’ailleurs l’effacement de Wilson amènera celui de son ami Brandeis et privera les sionistes d’un appui considérable. Une importante université américaine porte son nom.

[74] “ Your Lordship, I am sure, realises the enormous importance of the Litany to Palestine. Even if the whole of the Jordan and the Yarmuk are included in Palestine, it has insufficient water for its needs. The summer in Palestine is extremely dry, and evaporation rapid and intense. The irrigation of upper Galilee and the power necessary for even a limited industrial life must come from the Litany. Expert agree that the Litany is one of the little use to the well watered Lebanon and we have always agreed that the requirements of the territory not included in the Palestine should be adequatly met…”, in Frederic HOF , Galilee Divided, op.cit., p. 13 ( télégramme adressé à Lloyd George, le 21 février 1920 ).

[75] Cité par Elias SANBAR, in Figures du Palestinien, op.cit., p. 110.

[76] Daniel AMSON, Israël et Palestine, op.cit, p. 81. Comme le note l’auteur, le ministère britannique des affaires étrangères (à moins que cela ne soit directement Balfour), semble n’avoir qu’une connaissance imprécise de la géographie et des éléments hydrographiques de la Palestine, puisqu’il parle du Hamon à la place du mont Hermon. Une imprécision qui n’est pas sans rappeler celle que l’on a évoqué précédemment à propos de la confusion entre le village de Banias et celui de Dan.

[77] Il s’agit, dans la perspective possible, sinon probable, d’un futur plan de partage de la Palestine mandataire entre un Etat arabe et un Etat juif, de tout faire pour que ce dernier se voir attribuer la zone la plus proche des sources du Jourdain, et du très stratégique lac de Tibériade, c’est à dire la Galilée est. Il semble d’ailleurs que dès les premiers plans de partage proposés (voir le plan Peel en 1937), ces souhaits aient été en grande partie satisfaits, précisément à cause de la permanence des revendications sionistes et de la présence importante de leurs colonies agricoles de peuplement dans cette zone.

[78] Elias SANBAR, Figures du Palestinien, op.cit., p. 109.

[79] Louis-Jean DUCLOS, « Territorialités palestiniennes », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 48-49 ( le monde musulman à l’épreuve de la frontière ), Aix-en-Provence, Editions Edisud ( en collaboration avec l’Iremam ), 1989, p. 250.

[80] M.H. MENDELSON, “ The Applications of International Legal Concept of Sovereignty in the Arabian Context ”, Geopolitics, Vol 3, N°2, Autumn 1998, p. 134.

[81] Miriam LOWI, Water and Power : The politics of a scarce resource in the Jordan River Basin, Cambridge University Press, Cambridge Middle East Library, 1993, p.53.

[82] Joseph MAÏLA, « Conflit régional, relations internationales et Etat palestinien », in Palestine-Israël (Approches historiques et politiques), Presses Universitaires de Bordeaux, 2003, pp. 132-133.

[83] Robert AMBROGGI, « L’avenir de la paix au Proche-Orient dépendra de l’eau », in Et si le processus de paix au Moyen-Orient devait échouer ?, (2ème session, Amman, 1996), Rabat, Publications de l’Académie Royale du Maroc, 1997, p. 73.

[84] Aujourd’hui controversée, notamment au niveau de la zone dite des « fermes de chebaa » (ou shebaa), à la dimension hydrostratégique importante.

[85] Asher KAUFMAN, “ Who Owns the Shebaa Farms ? ”, The Middle East Journal, Volume 56, Number 4, Autumn 2002, p. 580 ( d’après Archives Diplomatiques de Nantes, 16 juillet 1936, carton 448 ) .

[86] Ibid. Voir aussi Arnon MEDZINI & Aaron T. WOLF, “ Toward a Middle East at Peace : Hidden Issues in Arab-Israeli Hydropolitics “, Water Resources Development, Vol. 20, n°2, 2004, p. 196. En outre, la mainmise française sur un territoire morcelé en plusieurs entités administratives ou Etats ( Grand-Liban, Etat des Alaouites, Etat d’Alep, Etat des Druzes …) n’incitait guère Paris à établir une frontière précise, sans oublier que les priorités étaient souvent ailleurs.

[87] Michel FOUCHER, Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1988, p. 446.

[88] Asher KAUFMAN, “ Who Owns the Shebaa Farms ? ”, op.cit., p. 581 (d’après les Archives Diplomatiques de Nantes, carton 449, 8 novembre 1938).

[89] Les erreurs de frontières concernent aussi celles qui séparent les mandats français et britanniques. Ainsi, le village syrien de Ghadjar est considéré comme libanais par les anglais sur les cartes établies en 1943, in Arnon MEDZINI & Aaron T. WOLF, “ Toward a Middle East at Peace …”, op.cit., p. 196.

[90] Sur ce point voir l’article de Asher KAUFMAN, “ Between Palestine and Lebanon : Seven Sh’i Villages as a Case Study of Boundaries, Identities and Conflict ”, Middle East Journal, Volume 60, N°4, Autumn 2006. Il y expose le cas de plusieurs villages chiites frontaliers d’abord rattachés à la Palestine mandataire, alors que les duodécimains y sont quasi absents, et qu’il eu été plus logiques de les rattacher à leurs coreligionnaires du Sud-Liban, où ils sont massivement présents.

 

Article précédentRobotisation des frontières et surveillance
Article suivantGéopolitique des frontières maroco-algériennes

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.