Etats-Unis – Iran : La longue quête de valeurs et d’intérêts communs

Professeur Steven EKOVICH

Décembre 2005

Pour mieux comprendre la nature des relations entre les Etats-Unis et l’Iran, il est important de souligner la conception générale qui a empreint les relations de l’Amérique avec le reste du monde durant les deux derniers siècles. La nature du système politique d’une nation façonne son approche aux autres. Les Etats-Unis ont durant presque toute leur histoi­re eut un système politique libéral, « libéral » dans l’acception classique du terme en usage en Europe et ailleurs qu’en Amérique. La lutte pour le pou­voir en Amérique s’est presque toujours déroulée sur le terrain libéral, avec des valeurs libérales exprimées par des organisations libérales. Il convient de noter que le terme « libéral » n’a pas la même signification aux Etats-Unis et en Europe et d’autres régions du monde. En termes très brefs et simplifiés, le « libéralisme », tel que développé en Europe depuis le dix-septième siècle, décrit une orientation politique qui englobe la primauté de l’individu sur la communauté, les droits des citoyens envers l’Etat, d’un gouvernement limité, la priorité de la liberté sur l’autorité, la défense de la propriété privée et du libre marché, la tolérance religieuse et la sécularisation de la politique (sépa­ration de l’Eglise et de l’Etat). Le libéralisme a souvent été perçu comme une idéologie de la bourgeoisie européenne ou de la classe moyenne. Il se distin­guait des idéologies de gauche qui incluent le socialisme et le communisme, et de celles, à l’extrême droite, qui incluent le fascisme et d’autres idéologies autoritaires. « La sociale démocratie » est venue en Europe inclure des élé­ments de libéralisme et de socialisme, et a donné plus de poids au rôle de l’Etat, particulièrement pour réaliser la redistribution économique.

L’utilisation courante, négligente et péjorative du terme « libéral » dans les pays européens pour désigner un capitalisme primitif déréglé et indiffé­rent, est loin de sa signification historique et « classique ». On peut dire que les principaux partis politiques américains sont « libéraux » dans la significa­tion originale et historique du terme. Dans ce sens, le libéralisme couvre pra­tiquement tout le spectre politique américain de la gauche à la droite.

Les Etats-Unis ont été fondamentalement libéraux durant presque la totalité de leur histoire. La permanence du libéralisme dans la politique amé­ricaine est connue comme l’« american exceptionalism ». A la différence de l’Europe, l’Amérique n’a connu aucune tradition monarchique ou aristocratie héréditaire. Ni n’a eu de mouvement socialiste durable ou un parti commu­niste significatif. Les Etats-Unis n’ont également pas eu un parti « fasciste » significatif à leur extrême droite. Quand les Américains emploient le mot « libéral », ils entendent une autre signification. Les Américains se divisent en libéraux à gauche, conservateurs à droite et modérés au centre. En utilisant la définition classique européenne du libéralisme nous pourrions dire que les libéraux sont désignés comme « conservateurs » en Amérique, alors que ceux plus proches de la sociale démocratie à gauche sont appelés « libéraux » par les Américains. Ainsi, alors qu’un « libéral » en Europe se situe à droite, un « libéral » aux Etats-Unis est à gauche – et se situerait dans la gauche ou le centre gauche en Europe.

Le système politique américain n’a dû affronter de menaces non-libé­rales sérieuses que venant de l’étranger. Ces menaces provenaient de régimes autoritaires pré-libéraux et traditionnels (féodal, monarchique, théocratique, etc.) ainsi que de régimes totalitaires post-libéraux. Il faut souligner que la modernité politique a engendré autant d’institutions politiques libérales que totalitaires anti-libérales (parfois mélangées à des éléments anachroniques pré-modernes). Pour dire qu’un système est devenu politiquement « moder­ne », il doit nécessairement être inscrit dans une perspective libérale qui consacre au moins la liberté humaine. La finalité à long terme de la politique étrangère et de sécurité américaines a été la défense du libéralisme. Ceci n’a, cependant, pas empêché les Etats-Unis de s’engager dans la realpolitik en s’alliant ou même en soutenant activement des régimes autoritaires ou mêmes totalitaires (par exemple son alliance avec un régime totalitaire, l’Union soviétique, afin de battre un autre, le régime Nazi en Allemagne).

Ainsi, les relations à long terme entre les Etats-Unis et l’Iran ont été impré­gnées de valeurs libérales conformément aux intérêts poursuivis, mais le réalis­me politique les a amenés à s’allier avec des régimes iraniens qui n’étaient pas particulièrement libéraux. Néanmoins, la politique américaine a régulièrement tenté de promouvoir le développement de politiques et d’économies libérales en Iran. Parfois, un idéalisme libéral et un réalisme politique ont été simultané­ment appliqués de façon contradictoire. Ceci est partiellement dû au complexe processus décisionnel de politique étrangère des gouvernements américains qui voient parfois divers départements du gouvernement et différentes agences se mettre en concurrence. Cette politique de concurrence est, à des degrés divers, fréquente dans tous les systèmes démocratiques. Ainsi, par exemple, quand le Congrès américain vote un budget pour engager une activité secrète contre un autre gouvernement ou pour appliquer des sanctions contre lui (par exemple les sanctions votées contre l’Iran et la Libye), cela ne signifie pas nécessairement que la branche exécutive du gouvernement, la Maison Blanche, est satisfaite de l’action législative et peut manœuvrer de son mieux pour éviter d’agir en consé­quence. L’exemple le plus notoire dans les relations des Etats-Unis avec l’Iran, devenu depuis le scandale Iran-Contra, avait sérieusement sabordé le deuxième mandat de Ronald Reagan. Dans une tentative d’en finir avec la crise libanaise des otages américains dans les années 80, les fonctionnaires américains, qui ont cru que des membres du Hezbollah soutenus par des agents iraniens étaient responsables de ces enlèvements, ont conçu un plan secret. A l’époque, l’Iran, qui était en guerre contre l’Irak, manquait désespérément d’approvisionne­ments militaires, et le congrès avait interdit la vente d’armes américaines aux pays accusés d’appuyer le terrorisme dont l’Iran. Le Président Ronald Reagan aurait été informé qu’un marché secret pourrait être conclu : des livraisons d’armes clandestines vers l’Iran en échange de la libération des otages améri­cains. La Maison Blanche a illégalement enfreint la législation et a violé sa propre politique du refus de négocier avec les terroristes. Les fonds des ventes d’armes à l’Iran étaient, secrètement et illégalement, destinés aux Contras nica­raguayens qui tentaient de renverser le régime Sandiniste. Cet épisode est alors devenu célèbre sous le nom de « l’affaire Iran-Contra ». Quand ces opérations secrètes ont été divulguées par des médias américains vigilants, la présidence de Reagan a plongé dans une profonde crise.

Les premiers contacts entre les Etats-Unis et l’Iran (ou plutôt la « Perse ») étaient des relations commerciales dans la première moitié du dix-neuvième

siècle. Ceux-ci s’étaient développés à un tel degré dans les années 1850 que les Etats-Unis et les monarques du Qadjar ont conclu un traité commercial, que les Anglais avaient essayé d’empêcher. Il est à rappeler que jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Américains ont joué un rôle mineur dans l’histoire iranienne, de loin moins significatif que les Anglais et les Russes qui s’étaient pratiquement partagé virtuellement le pays entre eux. En fait, les régimes persans de l’époque ont espéré voir s’accroître le rôle américain pour faire contrepoids aux Anglais et aux Russes. Washington a établi une mission diplomatique permanente à Téhéran en 1883.

La révolution constitutionnelle de 1906 a crée un courant de sympathie parmi les libéraux américains et britanniques, mais les Anglais et les Russes ont activement manipulé les diverses factions iraniennes afin de protéger leurs intérêts. Comme par exemple, le rôle du gouvernement britannique dans le coup d’Etat de Reza Khan en 1923 qui demeure encore sombre. Les Constitutionnalistes qui tenaient le pouvoir étaient confrontés à l’institution d’un gouvernement central et au traitement du lourd endettement de l’Iran, engendré par le train de vie ostensible des monarques du Qadjar et alourdi par des concessions commerciales défavorables accompagnées d’inefficacité, de perte et de corruption. Les Constitutionalistes ont reconnu avoir eu besoin de l’aide extérieure pour redresser l’état lamentable des affaires du pays héri­té des Qadjars et avoir fait appel à l’expertise étrangère.

Pour les aider à mettre de l’ordre dans les finances, ils ont trouvé en l’Américain William Morgan Shuster leur conseiller économique. Shuster a provoqué l’ire des Anglais et des Russes, qui ont rendu sa tâche aussi difficile qu’ils le puissent en le contrariant malgré ses plaintes officielles. Dans une annotation intéressante sur le statut des femmes à l’époque, illustré en 1921 dans son ouvrage « L’étranglement de la Perse », Shuster écrivait : « les femmes persanes ont presque atteint depuis 1907 le degré le plus progressis­te, pour ne pas dire radical, dans le monde. Que ce rapport remet en cause les idées séculaires ne fait aucune différence… Ayant elles-mêmes souffert d’une double forme d’oppression, politique et sociale… elles ont brisé certains tabous des plus sacrées qui pendant des siècles ont lié leur sexe à la terre d’Iran. » Le livre de Shuster est également une critique acerbe du système impérial européen.

Dans les années 1920, un autre Américain, Arthur G. Millspaugh, a été invité par Réza Shah pour conduire une mission technique afin de mettre encore une fois de l’ordre dans les finances iraniennes. La motivation géopo­litique des shahs était identique à celle des Constitutionalistes : attirer Washington pour contrebalancer l’influence des Russes et des Britanniques. Téhéran avait même offert de nouvelles concessions de pétrole aux princi­pales sociétés pétrolières américaines que les manœuvres britanniques et russes avaient étouffées dans l’œuf. Les Américains apprendraient plus tard, dans leurs relations d’affaires avec un autre shah, après la deuxième guerre mondiale, que l’assistance technique, particulièrement celle concernant les budgets, l’investissement étranger et les impôts, devenait rapidement poli­tique. En 1927, Réza Shah congédia Millspaugh en le grondant : « il ne peut y avoir deux shahs dans ce pays et je veux être le Shah ». Néanmoins, il n’a pas voulu sacrifier les bonnes relations avec Washington.

Le premier contact à grandes échelles entre Iraniens et Américains eut lieu lors de la seconde guerre mondiale lorsque ces derniers acheminaient leur aide aux Soviétiques à travers le territoire iranien. A la fin de la guerre, 26 % de l’aide accordée à l’URSS a transité par l’Iran. Depuis, les officiels iraniens, satisfaits de la présence accrue des Américains, portent une méfiance histo­rique aux Russes et aux Britanniques. Cependant, les Américains n’allaient certainement pas offenser leurs alliés britanniques et russes pour atténuer les profondes craintes iraniennes. Quoique après la guerre, la vision à long terme de Roosevelt inclue la réduction, voire l’extinction, des ambitions impériales britanniques et russes partout dans le monde et pas seulement en Iran. La première crise d’après-guerre dans la région est née quand les Etats-Unis ont contraint l’Union Soviétique de retirer ses forces d’Iran, affaiblissant par la même le Tudeh (parti communiste iranien). Ce fut l’un des premiers épisodes de la guerre froide.

Pendant longtemps la compagnie pétrolière anglo-persane (APOC), qui avait le contrôle du pétrole iranien, exploitait sans scrupule les ressources et la main d’œuvre locales aussi bien qu’elle extorquait le gouvernement iranien par des pratiques mystérieuses et opaques en matière de comptabilité. Les ressources pétrolières américaines dans la région provenaient en grande par­tie d’Arabie Saoudite. Par le biais de l’Aramco (conglomérat américano-saou­dien de pétrole) dont les bénéfices étaient partagés à égalité entre américains

et saoudiens dès 1950. Les compagnies pétrolières britanniques en Iran étaient beaucoup plus avides ; elles n’avaient proposé le partage des béné­fices avec les Iraniens qu’après le vote du programme de nationalisation total de Mossadegh par le Majles. Un compromis proposé tardivement pour être accepté.

Les relations entre les Etats-Unis et l’Iran doivent également être analy­sées à travers les cinquante dernières années. Cette période est caractérisée par l’intérêt économique vital porté à l’approvisionnement en énergie et à la sécurité, la politique globale d’endiguement du communisme, mais égale­ment par une intangible, mais néanmoins réelle confrontation de la conscien­ce collective de deux peuples. Il est juste d’indiquer que pour la moitié du siècle dernier Américains et Iraniens ont été obsédé l’un par l’autre. Chaque peuple scrute en toute évidence l’autre sur son écran radar. Chacun tient contre l’autre une rancune historique profonde. Mais chacun a également eu des espoirs élevés pour l’autre.

Le renversement du gouvernement Mossadegh avec la participation acti­ve du CIA constitue peut-être la rancune historique la plus profonde tenue par les Iraniens. Bien que la responsabilité de Mossadegh dans sa propre chute soit souvent négligée ou sous-estimée, et que le gouvernement américain ait été divisé sur la justesse de cette action, et quoique les intérêts anglais en soient sortis avantagés, au moins à court terme, la responsabilité des Américains était indéniable et ils devaient en supporter les conséquences historiques.

Les Américains, qui avaient réinstallé et protégé le Shah dans son trône, avaient scellé leurs intérêts à sa survie politique. Et les ambitions libérales américaines se remettaient à nouveau en place. Ainsi, depuis 1953 le gouver­nement américain a fourni l’assistance technique principale à l’administration publique du gouvernement iranien. Cela incluait de grands projets pour les ministères iraniens, y compris la police nationale iranienne (dont les conseils menèrent à la création de la très redoutable police secrète iranienne, la SAVAK). Ce type d’aide étrangère n’illustrait pas uniquement un engagement ingénieux en faveur de la bonne gouvernance et la démocratie, mais été éga­lement utilisé comme un instrument de la guerre froide. L’anticommunisme constituait souvent dans les années 1950-1960, une justification pour des projets d’aide étrangère. Ainsi, l’aide à l’Iran, censée sécuriser le trône du shah, couvrait l’ambition libérale d’élargir sa base populaire à travers la réfor­me et l’amélioration du service publique. Pour la politique américaine de l’époque, un Iran stable et non communiste dépendait de l’appui au shah et de sa propension à réformer. Cependant, les possibilités pour persuader le régime se sont avérées limitées et la force de manœuvre américaine s’est avé­rée trop faible pour réaliser ses objectifs de réforme. Comme ailleurs dans le monde alors, l’engagement de réformes a cédé la place à l’anticommunisme et à l’endiguement du communisme. En outre, pour le gouvernement améri­cain, les agences gouvernementales d’aide et d’assistance technique étaient supposées être apolitiques et leurs personnels chargés de rester en dehors de la politique.

Toutefois, il est vrai que les Etats-Unis ne pouvaient pas contrôler de près comment la police serait employée dans un pays dans lequel ils ont apporté une aide à la sûreté publique. Il ne fallait pas beaucoup de connais­sances sur l’Iran pour savoir que dans tout son histoire la police a été utilisée par les dirigeants pour anéantir toute contestation. En outre, peu importe la manière dont le contrôle policier pouvait être « efficace » et « profession­nel», la police ne pouvait pas assurer la stabilité d’un gouvernement qui avait perdu le contact avec ses propres citoyens.

Dans les années 1950 et 1960 les décideurs américains en matière d’ai­de étrangère ont cru que toutes les actions positives convergent, que le déve­loppement économique, les réformes sociales, la stabilité politique, et la démocratie sont, dans toutes les circonstances, aisément et toujours liées. Ces rapports s’avèrent plus complexes, en dépit des meilleures intentions libérales et démocratiques.

Quand le Shah amorça « la révolution blanche » en 1963 (réforme agraire, nationalisation des forêts et des pâturages, distribution des bénéfices aux ouvriers, privatisation des usines d’Etat, plus de lois électorales participa­tives et un programme d’alphabétisation), la position des Américains est demeurée ambivalente. Dans le gouvernement on observa que ces réformes étaient médiocrement structurées et exécutées de façon incompétente. Cependant, la presse américaine les a exaltées et a vu en elles la matérialisa­tion des rêves de l’administration Kennedy pour un Iran plus démocratique et plus libéral. Les agences américaines d’aide y étaient également enthousiastes au moins au début. L’ironie de la situation est que les Iraniens ont perçu der­rière cette « révolution blanche » le bras puissant des Etats-Unis et son influence diabolique. En fin de compte, la révolution blanche eut un bilan mitigé entre réussite et échec. Il est intéressant de noter que les mollahs étaient opposés aux réformes liées à la terre parce qu’elles ont réduit la riches­se de leurs établissements religieux et affaiblis les propriétaires terriens qui les soutenaient. Ayatollah Khomeyni, qui s’est mobilisé contre la révolution blanche, qualifiait ces réformes de menace sérieuse contre l’Islam, position qui l’a fait connaître à l’échelle nationale.

Après les chocs pétroliers des années 1970, l’Iran connut, grâce aux considérables revenus pétroliers, un développement économique et une modernisation (bien qu’inégaux). Le Shah dépensa des sommes importantes dans l’achat d’armes aux Etats-Unis. Cela a permis le recyclage des pétrodol­lars au bénéfice de l’économie américaine, mais accrut les questions soule­vées par les experts militaires qui se focalisaient surtout sur la sécurité réelle que fourniront de telles armes. Les immenses richesses pétrolières, insuffisam­ment distribuées, n’avaient pas traduit un appui populaire au Shah et ont contribué à sa chute en 1979 – à la surprise des Américains qui pris au dépourvu n’avaient pas perçu l’imminence de la crise.

Dès lors, le premier conseiller à la sécurité nationale du Président Carter, Zbigniew Brzezinski, a informé le Shah que les Etats-Unis optaient pour une solution politique pacifique de la crise, mais que Washington est prêt à le sou­tenir dans tous les cas de figure. Le Shah hésita et sembla vouloir que la Maison Blanche décide pour lui, peut-être avec l’intention d’attribuer la condamnation de l’échec de la répression et du compromis aux Américains. De toute façon, le Shah avait déjà montré son indépendance vis-à-vis de Washington depuis des années, une indépendance due dans une large mesu­re aux considérables richesses pétrolières de l’Iran. Quand le Shah perdit son pouvoir après la révolution, les Etats-Unis, et en dépit des objections du gou­vernement révolutionnaire iranien, autorisèrent le Shah à entrer sur leur terri­toire pour y subir un traitement contre le cancer. En conséquence à cette déci­sion, la dramatique occupation de l’ambassade américaine à Téhéran le 4 novembre 1979 par des étudiants iraniens militants avec le soutien de l’Ayatollah Khomeiny. Cinquante deux Américains étaient détenus en otage. Après l’échec d’une mission secrète de secours, les négociations ont abouti à leur libération après 444 jours de captivité. Les Américains tiennent depuis une rancune historique envers l’Iran.

Quand Saddam Hussein envahit l’Iran en 1980 et ouvre l’une des guerres les plus sanglantes de l’histoire contemporaine, les Etats-Unis lui apportèrent leur soutien quand les rapports de forces militaires se sont ren­versés sur le champ de bataille et qu’il s’est avéré que le régime fondamenta­liste de l’Ayatollah Khomeiny écraserait l’Irak, et peut-être d’autres pays dans la région. En fait, les Etats-Unis (et d’autres pays) préféraient qu’aucune des deux parties n’émerge victorieuse et auraient par conséquent, tout au long de la guerre, soutenu les deux belligérants, parfois même militairement.

Néanmoins, les Iraniens nourrissaient des ressentiments à l’égard des Américains pour l’aide fournie à l’Irak à l’époque. Un des points les plus mar­quant dans les relations américano-iraniennes s’est produit à la fin de la guer­re des huit ans entre l’Iran et l’Irak. Ce fut le tir accidentel qui avait abattu le 3 juillet 1988, un avion de passager d’un vol iranien au-dessus du Golfe par le croiseur de la marine américaine USS Vincennes, tuant les 290 passagers se trouvant à bord de l’avion. Ce jour là une véritable bataille navale se dérou­lait entre les navires américains et iraniens, en réponse aux attaques ira­niennes contre des pétroliers dans le Golfe. Au milieu des hostilités, le vol 655 d’Iran Air a décollé de la base aérienne de Bandar Abbas, aéroport civil et base militaire en même temps. L’itinéraire du vol de l’avion le dirige directe­ment au-dessus des bâtiments américains combattant les Iraniens. Le croiseur Vincennes, confondant le vol commercial avec un F-14 de la défense aérien­ne iranienne, l’abat. Les Iraniens ont rejeté cette thèse de l’accident. Le gou­vernement américain a dédommagé les familles de ceux qui avaient perdu leur vie dans cette catastrophique.

Mais c’est sous la présidence de Clinton que les Etats-Unis ont frôlé la guerre avec l’Iran et son régime intransigeant. L’attentat contre les tours de Khobar, en Arabie Saoudite en 1996, a failli provoquer une attaque à grande échelle contre l’Iran. Un camion piégé a explosé devant les tours de Khobar, à proximité d’une résidence militaire de 5000 membres des forces améri­caines basées en Arabie Saoudite. Dix-neuf soldats sont tués et plus de 500 autres sont blessés dont 240 Américains. Les services de renseignement amé­ricains et saoudiens découvrirent rapidement l’implication de la main iranien­ne par l’intermédiaire du Hezbollah (la certitude a été rendue publique en 1999 et en juin 2001 un grand jury fédéral a accusé pour cet attentat à la bombe 13 Saoudiens et un Libanais qui avaient reconnu avoir reçu l’appui de l’Iran). Mais, la réticence saoudienne contre une escalade des hostilités mili­taires a refroidi l’administration de Clinton. Néanmoins, les Etats-Unis ont relevé les sanctions contre l’Iran quand le Congrès a voté les sanctions contre l’Iran et la Libye, qui pénalisaient les compagnies qui investissent plus de 40 millions de dollars annuellement dans des projets de pétrole et de gaz en Iran ou en Libye. En vertu du droit international, l’Union européenne a remis en cause sa validité.

Avec l’élection de Khatami à la présidence de l’Iran en 1997, l’adminis­tration de Clinton a perçu une lueur d’espoir pour l’amélioration des relations. Mais Clinton a réitéré la position de la politique américaine pour un rétablis­sement des relations entre les deux pays : abandon du terrorisme par l’Iran, cesser l’opposition aux efforts américains de paix au Moyen-Orient et arrêt de la poursuite des efforts en vue de se doter d’armes nucléaires.

En mars 2000, le Secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, a reconnu offi­ciellement, presque en s’excusant, que les Etats-Unis ont joué un rôle dans le renversement de Mossadegh en 1953.

 

La réponse du régime de Téhéran était condescendante et virulente et n’a pas amélioré le climat diplomatique entre les deux gouvernements. L’atmosphère diplomatique s’alourdit de la méfiance qui accroît les soupçons et les défis mutuels quand le président George W. Bush, a pointé, dans son premier discours sur l’état de la nation, l’Iran, aussi bien que l’Irak et la Corée du Nord en tant qu’éléments de l’« axe de mal. » L’Iran y a également été condamné pour la poursuite acharnée d’armes de destruction massive, l’ex­portation de la terreur, « alors qu’une minorité non élue réprime l’espoir des Iraniens pour la liberté. »

 

Durant les interventions militaires américaine et de la coalition en Afghanistan et en Irak, Washington et Téhéran ont prudemment adopté des positions diplomatiques basées sur leurs intérêts nationaux en évitant tout conflit ou interférence. Ils sont même parvenus à quelques accords limités mais bénéfiques aux deux parties (Téhéran et Washington ont pu par exemple partager des renseignements, l’Iran a autorisé l’utilisation de son espace aérien pour des missions américaines de secours et l’acheminement de l’aide humanitaire). Cette coopération était mue par l’intérêt partagé pour l’élimi­nation du régime taliban et le renversement de Saddam Hussein, l’ennemi numéro un. Mais parce que Washington n’a aucune confiance dans les fon­damentalistes du régime actuel et semble avoir de sérieuses réserves sur la capacité du régime à se réformer, elle a pour le moment limité ses options. De grands obstacles continuent d’empêcher l’amélioration des relations amé­ricano-iraniennes : les efforts iraniens d’acquérir des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive ; son soutien et son implication dans le terrorisme international ; son opposition virulente au processus de paix au Moyen-Orient ; et son triste record en matière des droits de l’homme. Washington reste sceptique quant aux résultats des actions diplomatiques et est resté distant vis-à-vis des efforts européens menés dans ce sens. Tandis que les Européens négocient avec le régime des mollahs, George Bush s’adresse directement, par-dessus leurs têtes, aux Iraniens qui sont, selon des sondages, favorablement disposés à l’égard des Etats-Unis.

 

On croit à Washington, et ailleurs, que la puissance de la liberté amène­ra le changement démocratique en Iran. Demeurent seulement les questions de savoir quand et comment aura lieu ce changement ? Il existe un large espoir que dès que la prochaine occasion se présentera, les Iraniens ne man­queront pas une fois encore leur rendez-vous avec la démocratie libérale.

 

* Steven EKOVICH est professeur de Sciences Politiques à l’Université américaine de Paris.

Note

 

Ansari, Ali M., Modern Iran Since 1921, Longman, 2003.

Bill, James A., The Eagle and the Lion: The Tragedy of American-Iranian Relations, Yale University Press, 1988.

Ekovich, Steven, « Iran and New Threats in the Persian Gulf and Middle East » Orbis Winter 2004. Also as a chapter in Hall Gardner, ed., NATO and the European Union: New World, New Europe, New Threats Ashgate, 2003.

 

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Keddie, NIkki, Modern Iran, Yale University Press, 2003.

Mann, James, Rise of the Vulcans: The History of Bush’s War Cabinet, Viking,

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Pollack, Kenneth M., The Persian Puzzle : The conflict Between Iran and America, Random House, 2004.

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