Evolution géopolitique et stratégique du Pacifique insulaire et de l’Australasie à l’orée du XXIe siècle

Par le Recteur J.P Doumenge

Avril 2001

A l’échelle du Pacifique, il est fréquent de traiter de l’identité culturelle, de l’organisation sociale et de l’art de vivre des populations d’ancrage multiséculaire indépendamment des stratégies politiques des Etats contemporains, des activités économiques et des aménagements de leurs ressortissants. Pourtant, un traitement synchronique et une mise en perspective historique des réalités culturelles, économiques, politiques et sociales qui trouvent place en Océanie s’impose au moment où s’expriment des choix apparemment divergents. Les relations des pays de la « zone » avec ceux de « l’extérieur » tendent naturellement à se diversifier, mais l’idéologie longtemps fédératrice du Pacific way (à la fois allégeance aux coutumes multiséculaires océaniennes et fidélité à l’héritage chrétien importé dans le courant du XIXe siècle) ne semble plus être réellement opératoire, alors même que son contenu, exprimé en termes de spiritualité, de qualité de vie et de protection des ressources et de l’environnement, semble de plus en plus être une aspiration d’actualité, à l’échelle du monde.

Une aire en prise sur la modernité, dont la population compense son extrême dispersion par une grande mobilité et une forte urbanisation

La ville, vecteur irrésistible de la modernité, facteur majeur de hiérarchisation socio-spatiale

Par suite de l’accélération et de la massification des moyens de transport et de communication, le handicap de la distance s’est considérablement réduit au cours des trente dernières années: l’Océanie n’est plus perçue « au bout du monde ». Des sites de services informatiques et bancaires transcontinentaux sont apparus au cours des trente dernières années dans le paysage économique du Pacifique insulaire, sans toutefois avoir une influence comparable à celle relevant des bases militaires (îles d’Oahu et de Guam), du conditionnement des thonidés (Pago Pago), de l’extraction et de la transformation du nickel (Nouvelle-Calédonie), du cuivre, de l’or et du pétrole (Papouasie-Nouvelle Guinée) ou encore de l’industrie du tourisme et des loisirs (îles Hawaii, Tahiti-Mooréa, Guam, Saïpan, Viti Levu). A l’échelle de cette immense région, n’existe qu’une seule agglomération d’envergure métropolitaine, Honolulu (800.000 hab.) qui a bâti sa puissance, depuis les années 1960, sur le tourisme de masse grâce à l’implantation en bordure de la plge de Waikiki de plus de la moitié du parc hôtelier hawaïen (78.000 chambres). A l’échelle de l’archipel, dont le produit intérieur brut s’élève à 33 milliards de dollars (US$), le tourisme procure annuellement une valeur ajoutée (V.A) de $ 12 milliards, le secteur industriel y contribuant pour $ 6Md, l’agriculture de plantation pour $ 1Md et l’activité de la base navale (de première importance pour la puissance américaine) pour $ 3Md. Grâce à un port et à un aéroport de gabarit international, Honolulu entretient des relations commerciales importantes avec la Californie, le Japon, la Corée, la Chine et Hong Kong, Taïwan, Singapour, les Philippines, l’Australie et la Nouvelle Zélande, ce qui en fait un centre économique performant à l’échelle internationale (V.A de $11Md pour le commerce, les transports et les services autres que touristiques). L’ensemble de la Micronésie et l’essentiel de la Polynésie lui sont directement liés, situés pratiquement dans sa « grande banlieue » (en comptant évidemment en heures de jet et non de train).

En marge d’Honolulu, cinq agglomérations de taille moyenne se sont développées dans l’espace insulaire océanien. Elles font toutes figure de pôles « sous-régionaux »: Suva (210.000 hab.) rayonne sur les archipels du Pacifique central; Port Moresby (270.000 hab.) sur la vaste Papouasie-Nouvelle-Guinée et sa dizaine de centres urbanisés (dont Lae qui compte tout de même à présent 120.000 hab.), très accessoirement sur les îles Salomon; Nouméa (125.000 hab.) sur l’archipel néo-calédonien, le Vanuatu et les îles Wallis et Futuna; Papeete (120.000 hab.) sur les archipels formant la Polynésie française et les Iles Cook; quant à l’agglomération d’environ 120.000 hab. regroupant les districts d’Agana, Tamuning, Barrigada, Mangilao et Dededo, dans l’île de Guam (tiers central), elle rayonne uniquement sur la Micronésie. L’île-ville de Guam n’est en fait qu’un simple relais d’Honolulu en matière de ravitaillement des îles (au Nord de l’Equateur), d’urbanisation des insulaires, de base militaire américaine et d’équipements touristiques pour Japonais.

Les quatre autres agglomérations, situées dans le Pacifique Sud, ne sont pas sous le commandement de cette métropole: Papeete est en contact régulier avec Paris, Tokyo, Los Angeles et Auckland, autant qu’avec Honolulu; Suva travaille principalement avec Sydney, Melbourne et Auckland; Nouméa est en prise directe sur Paris, Tokyo, Sydney et Brisbane; Port Moresby, malgré les multiples difficultés que connait la Papouasie-Nouvelle Guinée, a des relations d’affaires avec Séoul, Tokyo, Singapour, Brisbane et Sydney, sans toutefois avoir le rayonnement des centres précédents. Quoiqu’il en soit, à l’instar d’Honolulu, ces cinq villes font affaire avec des métropoles situées sur les bordures continentales du bassin du Pacifique et parfois même bien au delà; elles servent de relais aux grands réseaux qui structurent le commerce international, leurs ports et aéroports étant obligatoirement utilisés comme lieux de transbordement des hommes et des marchandises venant des îles ou y allant.

Du fait de l’important exode rural induit par la crise de l’agriculture de plantation intervenue après la Seconde Guerre mondiale, chaque entité politique a vu se développer, depuis trente à quarante ans, à son chef-lieu, un centre urbain compris entre 5.000 hab. (Fongafale, sur l’atoll de Funafuti, dans l’archipel de Tuvalu) et 35.000 hab. (Honiara, aux îles Salomon, avant l’expulsion des Malaïtans). Comportant services publics et privés, équipements de sports et de loisirs, commerces en tous genres, ateliers artisanaux voire industriels, port et aéroport, ces petites villes-capitales ont une importance directement liée au volume démographique de l’ensemble insulaire placé sous leur commandement. On perçoit ainsi, à travers le Pacifique insulaire, une hiérarchie urbaine comportant une métropole, cinq agglomérations d’importance intermédiaire, et une vingtaine de villes mineures. Tous ces centres urbains constituent des foyers d’animation et surtout des sources de richesses matérielles et intellectuelles pour les insulaires: par les emplois qu’ils proposent dans les activités industrielles et de services, par les produits de grande diffusion qu’ils mettent à disposition dans les grandes surfaces de vente, ils font figure de cadre privilégié d’insertion des Océaniens dans la modernité, même si, ici plus ailleurs, la culture mondiale (dite « occidentale », puisque largement élaborée et localement importée par les Européens et les Américains) est critiquée, car jugée trop matérialiste ou pas assez spiritualiste.

Dans les petits pays de Micronésie et de Polynésie, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie, il n’est pas rare que l’essentiel de la population vive maintenant dans un cadre urbanisé, hors des terroirs agricoles traditionnels. Une bonne partie de cette population reste malheureusement sous-employée et donc bénéficiaire de très faibles ressources financières. Ayant tendance à se généraliser, le sous-emploi devient vecteur de contestation et de violence: le fait est particulièrement préoccupant à Port Moresby, Lae, Honiara et Port Vila, dans une moindre mesure à Papeete, à Suva et dans les agglomérations s’étirant sur les atolls de Majuro (Darrit-Uliga-Delap) et de Tarawa (Betio-Bairiki-Bonriki). Dès lors la frange de population qui se sent « piégée » dans les capitales des petits pays insulaires se veut critique, voire agressive, à l’égard de la modernité et de son cadre d’statement privilégié, la ville (inconnue en Océanie, avant la période coloniale). Il y a donc situation de porte-à-faux entre une partie importante de la population vivant convenablement dans le « socio-système » urbain et une autre le rejetant, car n’en profitant pas ou mal. L’effort des pouvoirs publics est donc partout d’essayer de canalyser les mécontentements par des politiques d’aide sociale et d’amélioration de l’habitat. Il n’est d’ailleurs que de constater la progression générale des zones d’habitat spontané ( les squatts) pour comprendre la fascination que la ville continue à exercer sur les populations insulaires, malgré la marginalité dans laquelle certains individus se trouvent confinés.

La quête des insulaires océaniens pour un mieux être matériel en Australie orientale, en Nouvelle Zélande, à Oahu, voire en Californie

L’attrait sans cesse plus fort des attributs matériels et médiatiques de la modernité joint à l’insuffisance des emplois d’ouvriers ou d’employés disponibles dans les villes petites ou moyennes du Pacifique incitent de nombreux Océaniens, postulant à un travail non-agricole, à se projeter hors de leur univers insulaire, vers la côte orientale de l’Australie, la Nouvelle Zélande ou la côte occidentale des Etats-Unis. Malheureusement, par manque de qualification, ils risquent de ne pas y être recrutés ou seulement d’y accomplir des tâches mal payées. Seuls les migrants dotés d’une solide formation peuvent penser réussir dans les métropoles anglophones du pourtour du Pacifique, lorsqu’ils ne trouvent pas à s’employer dans la capitale de leur pays.

En fonction d’anciennes affiliations coloniales et d’affinités ethno-linguistiques, des réseaux migratoires se sont peu à peu organisés à travers le Pacifique, pour converger, en milieu anglophone, soit vers Sydney et Auckland, au Sud-Ouest du Grand Océan, soit vers Honolulu et Los Angeles, au Nord-Est. Depuis les années 1960, on peut juger de l’impact des migrations des Pacific Islanders en se reportant tout à la fois aux recensements de population des pays de départ et à ceux des pays d’arrivée. De la sorte, on constate, en 2000, que certains petits pays insulaires océaniens ont plus de ressortissants hors de leur territoire qu’en dedans: Nauru dont la mine de phosphate est en voie d’épuisement; Wallis et Futuna, Niue et Tokelau, sans ressources locales significatives. D’autres voient leur diaspora grandir: Samoa, Tonga, Etats fédérés de Micronésie, Iles Cook, car leurs productions agricoles, voire leurs activités industrielles ou touristiques ne rémunèrent pas suffisamment leurs besoins en équipement et en services. Enfin, la conjoncture politique a fait fuir de Fiji 50.000 ressortissants d’origine indienne, vers Vancouver, sur la côte ouest du Canada (13.000), mais aussi vers les grands centres urbains de la Californie (10.000), de la Nouvelle Zélande (11.000) et de l’Australie (16.000), après les deux coups d’Etat de 1987 et celui de 2000: 2.735 sont des cadres supérieurs (747 architectes et ingénieurs, 540 juristes, 988 enseignants, 462 méecins et vétérinaires); on compte aussi, de plus en plus, de modestes agriculteurs, producteurs de canne à sucre, dont les baux fonciers n’ont pas été renouvelé par les propriétaires mélanésiens.

A l’orée du XXIe siècle, les ressortissants de Nauru ont investi dans l’immobilier leurs royalties minières et se sont installés en nombre à Honolulu, Sydney et Melbourne. Sydney accueille aussi des ressortissants de Salomon, du Vanuatu et des îles dépendant de la Papouasie-Nouvelle Guinée; depuis peu, on y rencontre des Indo-fidjiens et des Tongiens. Honolulu, qui est la porte obligatoire pour entrer aux Etats-Unis (et obtenir la très recherchée green card permettant d’y séjourner en toute légalité), accueille pour sa part des contingents importants de Micronésiens (14.000) et de Samoans (13.000). Certains poursuivent ensuite vers Los Angeles (au moins 6.000 dans le premier cas, près de 15.000 dans le second).

Par son industrie touristique utilisatrice de main d’œuvre peu qualifiée, Guam sert de relais aux Micronésiens dans leur progression vers Honolulu, puis le continent américain (10.000 s’y relaient depuis trente ans); Pago Pago, chef-lieu du Samoa oriental américain, grâce à ses énormes conserveries de thon, joue le même rôle pour les Polynésiens, « aspirant » en particulier les ressortissants du Samoa occidental indépendant qui ont souvent une partie de leur famille étendue dans la partie américaine de l’archipel, pour ensuite les « refouler » sur l’île d’Oahu et la région de Los Angeles. Ainsi, compte-t’on 12.000 Samoans provenant du Samoa américain et 16.000 du Samoa anciennement néo-zélandais entre les Hawaii et la Californie. Au total, les territoires de souveraineté américaine accueillent, dans leur diversité statutaire, 150.000 personnes qui se reconnaissent d’ascendance océanienne (polynésienne ou micronésienne).

Auckland, qui constitue une alternative à Honolulu, pour les Polynésiens du Samoa occidental, candidats à l’expatriation, reste la destination majeure des originaires de Tonga, voire le lieu exclusif d’expatriation des ressortissants de Niue et de Tokelau et des Iles Cook, anciennes possessions néo-zélandaises. L’agglomération d’Auckland est de plus en plus utilisée par des Polynésiens (y compris par des Tahitiens francophones) comme lieu de transit vers Sydney. Globalement, on évalue à 70.000 le nombre des Pacific Islanders établis en Nouvelle Zélande: 18.000 viennent des Iles Cook, 35.000 de Samoa, 7.000 de Tonga (6.000 Tongiens vivent concurremment aux Etats-Unis et 3.000 enfin en Australie). Ces migrants insulaires qui ont une personnalité socio-culturelle proche de celle des 200.000 autochtones maoris sont en compétition avec ces derniers sur le marché du travail. Mais, l’apport migratoire le plus récent et le plus significatif qu’enregistre la Nouvelle Zélande consiste en l’arrivée de contingents d’Asiatiques qui, de par leurs activités professionnelles (avocats et comptables indiens, médecins pakistanais, commerçants et restaurateurs sino-vietnamiens), renforcent le caractère cosmopolite de la société urbaine sécrétée par le peuplement d’origine européenne et ce au détriment de l’influence numériquement modeste de la communauté maori.

Dans les territoires de souveraineté française, le phénomène migratoire tend, depuis le début des années 1990, à se limiter à la venue des Wallisiens et des Futuniens à Nouméa et de Tahitiens en France métropolitaine. La Nouvelle-Calédonie ne joue plus le rôle d’exutoire du trop plein démographique enregistré en Polynésie française. L’agglomération de Nouméa comporte tout de même un contingent tahitien de près de 6.000 personnes et une communauté wallisienne et futunienne de près de 20.000 membres; un effectif de 3.000 Ni-Vanuatu vient compléter ce panarama de la mobilité océanienne en faveur de la Nouvelle-Calédonie. En fait, l’élément migratoire le plus original qui se développe depuis quelques années est la venue, à temps partiel (correspondant à l’hiver boréal), à Nouméa comme à Papeete, de Français de métropole désirant profiter au mieux de leur retraite (et des exonérations fiscales, lorsque leur séjour y est dominant). A l’image de ce qui se développe sur la côte du Queensland australien, en Floride ou sur la Côte d’Azur, la presqu’île de Nouméa, le sud et la côte sous-le-vent de Tahiti amorcent un développement en riviera.

Si dans les deux villes francophones de moyenne importance, la pression de l’immigration semble baisser de manière significative par rapport à ce qu’elle a été durant les quatre décennies précédentes, dans les métropoles anglophones de la bordure du Pacifique, au contraire l’immigration s’amplifie et se diversifie. Ainsi un fort courant migratoire en provenance de l’Asie du Sud-Est, tout particulièrement du Vietnam et des Philippines, est en place. Les nouveaux migrants s’installent en priorité à Sydney, à Melbourne, à Auckland (Vietnamiens), à Honolulu et à Los Angeles (Philippins et Vietnamiens). L’espace océanien en ce qu’il a de plus dynamique voit donc se renforcer son caractère multiculturel, mais cela ne signifie pas pour autant remise en cause de la position dominante de la culture élaborée par le peuplement d’origine européenne.

Au même titre que ce que l’on constate dans les grandes villes des anciennes puissances coloniales, il peut se faire jour, dans certains secteurs de ces villes-métropoles, des réactions d’hostilité à l’encontre des migrants récents. Mais, les sociétés urbaines du Pacifique présentent suffisamment de plasticité pour qu’à terme l’insertion des nouveaux venus se réalise dans de bonnes conditions. Quoiqu’il en soit, pour limiter les risques d’échec et avoir en ce cas une alternative, les familles de migrants océaniens ou asiatiques les mieux organisées ont tendance à s’installer concurremment en Australie et en Californie, à Honolulu et à Auckland, aux deux « extrémités » du Pacifique.

En Australie, la modernité « postindustrielle » qui fascine tant les insulaires océaniens a favorisé le renforcement de la prééminence des trois grands pôles en prise de longue date sur le Pacifique, à savoir les trois agglomérations multimillionnaires de Melbourne (3,2 M hab.), Sydney (3,8 M hab.) et Brisbane. Avec l’apport des rivieras de la Gold Coast et de la Sunshine Coast, Brisbane (2,5 M hab.) présente sur le littoral oriental de l’Australie une extension et un dynamisme exceptionnels, confirmant l’impulsion que la tenue de l’exposition universelle a mis en évidence en 1988. En 2000, la tenue des Jeux olympiques a conforté Sydney comme pôle majeur de l’espace océanien. Par son rayonnement particulier, cette manifestation a placé l’Australie et, accessoirement, ses voisins du Pacifique, pour un temps, au « centre du monde » et de la vie médiatique, alors que, traditionnellement, on les confine en « périphérie », ce que confirme la plupart des projections cartographiques de la Terre.

Ce constat est significatif de l’intérêt somme toute limité que nos contemporains portent à l’Océanie. De fait, peu de routes maritimes ou aériennes traversent la partie habitée du Grand Océan (principalement située au sud de l’équateur), surtout depuis la généralisation des porte-conteneurs et des jumbo jets. La façade occidentale du continent américain ne regarde réellement sur le Pacifique que depuis Vancouver, San Francisco et Los Angeles et surtout en direction des Hawaii, de l’Asie Orientale, de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Panama est avant tout un relais entre les deux façades maritimes des Etats-Unis. A l’autre extrémité du Pacifique, Singapour s’affaire essentiellement avec les pays asiatiques inscrits dans sa proximité. La « route » USA-Asie du Nord-Est (Japon, Corée, Chine) n’influence en rien le développement des pays océaniens: le Pacifique « peuplé » est loin, pour l’essentiel cantonné dans l’hémisphère sud.

Pourtant, l’agitation présente de façon récurrente en Indonésie ou aux Philippines, les difficultés de Taïwan vis à vis de la République Populaire de Chine (RPC) ne laissent jamais insensible lorsqu’on vit à Honolulu, Guam, Auckland ou Sydney, voire à Port Moresby, Suva, Papeete ou Nouméa et qu’on y fait de la politique ou des affaires. Avec l’APEC, pays de l’ASEAN et du Forum du Pacifique font cause commune. Le qualificatif d' »australasienne » accolé à la partie « continentale » de l’Océanie (Australie et Nouvelle-Guinée, auxquelles on adjoint souvent, par commodité, la Nouvelle-Zélande) prend ainsi tout son sens. En France, par contre, seules les personnes ayant de la famille ou des intérêts moraux et matériels à Nouméa ou Papeete suivent les affaires du Pacifique. Pour le plus grand nombre, cette aire reste trop perçue comme un « lac austrolo-américain » pour qu’une motivation particulière se fasse jour. Le faible taux de participation au referendum sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie l’a fort bien démontré en son temps (1988).

Un conservatoire de traditions millénaires, sujet d’orgueil pour les Océaniens

Unité et diversité de la tradition immémoriale, toujours opératoire

La perception du Pacifique réalisée à partir de l’observation des sociétés traditionnelles est évidemment différente de celle produite par le référentiel cosmopolite de la modernité (migration, urbanisation, activités industrielles et services marchands, usage intensif de la télématique, référence à l’Etat démocratique et à des principes égalitaristes, laïques et scientifiques). Selon le niveau d’observation qu’on a des réalités culturelles océaniennes, on peut tout à la fois conclure à une profonde unité ou à une diversité extrême de l’ensemble, à des engagements irréductibles dans le traditionalisme ou à la propension au métissage des valeurs sociétales.

Les éléments d’unité sont à rechercher dans la relation intime et sacrée que tout homme et, par extension, tout groupe humain basé sur la parenté entretient avec sa « terre d’élection » qui, par ses qualités agro-pédologiques, lui a longtemps procuré les éléments indispensables à son alimentation et qui confère une identité à sa descendance. Si la notion de « garde-manger » rattachée à tout terroir a perdu beaucoup de son efficience en 2000, du moins dans les îles à haut niveau de vie, la notion de « carte d’identité » reste par contre effective pour tout Océanien, qu’il soit ou non métissé d’Européen ou d’Asiatique.

Les éléments de diversité sont certainement les plus visibles, car contingents de la grande variété des environnements naturels (grandes terres, îles hautes, îles basses, atolls), cadres écologiques qui sont souvent fragilisés par le passage de cyclones, la venue de grandes sécheresses ou l’activité volcanique. Or jusqu’à la réalisation de sites industriels et d’aménagements urbains, intervenue durant la période coloniale et fortifiée depuis, toute société océanienne devait consacrer toute son énergie à la fructification et à la protection des terroirs agricoles et piscicoles (rivières, lagons et récifs faisaient l’objet d’une appropriation au même titre que les terres émergées). La production de vivres constituait l’activité essentielle des groupes humains, les chefs et les prêtres devant eux-mêmes participer, au plan symbolique, à l’effort de mise en valeur considéré indispensable à la pérennité de toute collectivité.

Dans les sociétés traditionnelles de Polynésie et de Micronésie et dans celles de Mélanésie orientale, les populations se stratifiaient en un ordre aristocratique et religieux devant protéger les terroirs, par les armes et la magie, et un ordre des tenanciers devant les faire fructifier. A l’échelle de toute communauté locale ou régionale, existait un savant équilibre entre représentants des « vieux occupants », possesseurs inaliénables des terroirs agricoles (propriétaires fonciers), et représentants des « nouveaux venus » (au regard de l’histoire migratoire) à qui étaient conférées des fonctions prééminentes en matière de contrôle et d’animation des populations (chefs politiques et religieux).
Cette dualité structurelle est toujours opératoire dans un grand nombre d’îles. En marge de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie, où l’impact des aménagements coloniaux a été particulièrement important, elle peut toujours être observée dans les îles Loyauté. Par contre, sur les atolls de Micronésie où les disponibilités en terre arable ont toujours été extrêmement limitées, les même titulaires ont fini par cumuler l’ascendant sur les hommes et la possession des terroirs, entrainant de fait la production d’un système quasi-féodal. Actuellement la position des féodaux est évidemment remise en cause: parce que la terre et le lagon ne nourrissent plus que marginalement les populations, les membres du peuple préconisent de plus en plus un égalitarisme de droit.

L’exutoire de la migration vers Guam, Oahu, puis la Californie évite pour l’instant des manifestations explosives, liées à des insatisfactions statutaires. Par suite d’une forte pression démographique, de nombreuses îles de Micronésie, de Polynésie, voire les îles les plus petites de Mélanésie voient partir régulièrement l’essentiel de leurs jeunes adultes vers les grands centres urbains de la région Pacifique. L’accès inégalitaire à la terre tout autant que la dépréciation des activités agricoles expliquent cette « fuite » qui permet en retour, par les revenus tirés du travail en ville, d’améliorer les conditions matérielles de la vie quotidienne de ceux qui sont restés dans leurs villages d’origine, évitant une remise en cause des règles foncières immémoriales. Mais, revers de la médaille, lorsqu’un insulaire ayant fait fortune « chez les Blancs » revient chez lui avec l’idée d’y construire une structure industrielle et commerciale, il doit immanquablement tenir compte des règles coutumières, faute de quoi il se trouvera un jour exclu de la communauté. Dès lors, certains jeunes critiques les législations traditionnelles, les jugeant impropres au développement de la « modernité », en particulier en matière de statut des individus, de développement d’activités marchandes et de fonctionnement d’institutions démocratiques. Les turbulences institutionnelles que connaissent depuis quelques années les Etats mélanésiens, ceux pour qui la kastum a valeur de règle majeure, peuvent s’expliquer par les contradictions inhérentes au discours traditionnaliste en matière de gestion des faits de modernité.

Coutume et modernité, une dialectique complexe

Dans tous les cas, la règle de vie des Océaniens tire son originalité de valeurs d’usage immémoriales: perdre « la coutume » serait perdre son âme et tout ce qui donne sens à la vie en groupe. Hors des quartiers qui abritent les expatriés et les descendants de colons, dans les villes insulaires, la vie collective océanienne (urbaine ou rurale) s’organise donc toujours autours de groupes politiques élémentaires ou « clans ». Dans les sociétés à pouvoir hérité, une interprétation généalogique permet de hiérarchiser leur « lignages » en « aînés » et « cadets », les uns produisant les « chefs », symboles du commandement, les autres les « serviteurs », sans lesquels des ordres n’ont aucune efficience. Cette relation binaire « aîné-cadet » est profondément ancrée dans les mentalités, expliquant que certains porte-paroles sur la scène de la politique moderne restent soumis dans leurs avis à la volonté exprimée discrètement par les chefs coutumiers. De même, la solidarité entre « gens de la même pirogue », de la même vallée de grande terre ou de la même petite île, reste forte, y compris dans la migration vers un centre urbain d’importance. Que ce soit in situ ou en diaspora, les solidarités ancestrales sont relayées par les églises chrétiennes, en particulier celles de confession protestante. L’armature administrative post-coloniale elle-même tient souvent compte de l’organisation de l’espace pre-européen. Ainsi, à Tahiti, les actuelles communes se coulent-elles dans les anciens territoires de chefferies locales, les maires reprenant pour une part les tâches de médiation inscrites dans la tradition, à l’égard de ses administrés, lorsqu’ils sont Maohi ou Afa-maohi.

La volonté d’enracinement de toute action dans un corps de coutumes immémoriales a fortement influencé les constitutions des pays océaniens dotés des attributs de la souveraineté. A Fiji, par exemple, le Parlement comporte une « chambre haute » réservée aux plus prestigieux des chefs coutumiers mélanésiens (dont le président actuel n’est autre que Rabuka, l’initiateurs des coups d’Etat de 1987), alors que la « chambre basse », élue au suffrage universel, selon un mode complexe de pondération entre communautés ethnoculturelles, accueille conjointement des Mélanésiens, des Indo-fijiens, un Polynésien représentant l’île de Rotuma et des descendants d’Européens ou d’Asiatiques plus ou moins métissés. L’adhésion idéologique aux coutumes ancestrales explique aussi la revendication du peuple kanak, en Nouvelle-Calédonie, pour que les citoyens français d’origine mélanésienne puissent continuer à bénéficier d’un droit particulier, voire le retrouver si, d’aventure, un de leurs ascendants l’avait abandonné; elle est aussi à l’origine de la mise en place d’un « sénat coutumier », obligatoirement consulté par l’assemblée territoriale, à présent dénommée Congrès, pour toute matière impliquant le substrat terrestre de l’archipel néo-calédonien et son peuplement autochtone, en particulier dans le cadre de l’élaboration de « lois de pays ».

D’une façon générale, les sociétés océaniennes comme leurs homologues d’Asie orientale puisent leur légitimité contemporaine dans une tradition millénaire, tout particulièrement en matière de contrôle et d’aménagement de l’espace géographique. Et si, d’aventure, leurs membres n’ont pas une grande maitrise des technologies modernes, ces collectivités n’en sont absolument pas complexées. Malgré les déboires rapportés ces dernières années par la presse internationale, le prestige culturel de la Chine et la réussite économique du Japon et des « Dragons » d’Asie orientale confortent le sentiment de méfiance exprimé de longue date envers les représentants du monde occidental, leurs techniques et leurs valeurs. Il faut, sur ce point, reconnaitre que les intervenants locaux représentant l’Europe ou l’Amérique du Nord n’ont que très rarement montrés, par leur comportement, que les « Occidentaux » possédaient des règles de vie respectueuses des gens, de leurs coutumes et de leur environnement. La concurrence exacerbée voulue par les Américains à l’échelle du monde, pour mieux asseoir leur propension à l’hégémonisme, est parfaitement décodée et stigmatisée.

Au regard de l’importance des ensembles horticoles fonctionnant durant les siècles qui précédèrent l’implantation des Européens, il est indubitable qu’existait en Océanie insulaire une organisation socio-spatiale parfaitement construite, incluant des procédures de régulation simples mais strictes. A l’heure actuelle, même si bon nombre de ces procédures sont baffouées, subsistent une multitude d’organisations sociales traditionnelles efficientes, parfois même des « chefferies » fortes de plusieurs milliers de personnes, même si l’activité horticole n’a plus partout l’importance économique et rituelle du « temps des vieux ». De même, la dichotomie perçue sur les grandes terres, par les premiers Européens, entre « gens de mer », vivant sur les plaines littorales, et « gens de terre », habitant les montagnes et les vallées intérieures, persiste toujours localement, lorsque l’impact colonial a été limité; des échanges conventionnés entre gens du bord de mer et de l’intérieur des terres peuvent même perdurer. La pratique de tels échanges, de dons et contre-dons, est une constante des sociétés océaniennes, engageant les générations des siècles durant.

Aussi a-t-on souvent (et rétrospectivement) l’impression d’un monde immobile. En fait, la mythification, donc la manipulation subtile, de l’histoire ne permet pas, de prime abord, de prendre conscience des mouvements de population (par suite de guerres ou de calamités naturelles) et de la remise en question périodique des idées et, ce faisant, des changements dans la répartition des pouvoirs entre groupes se reconnaissant de la même culture. L’oubli de mention des changements d’alliance gouvernementale et parfois des coups d’Etats, par la presse internationale, ne permet pas de sentir les foyers de crise et d’en analyser la genèse et la porté. On en reste donc à des considérations souvent en grand décalage par rapport aux réalités.

Ainsi, est-il infiniment plus facile de rappeler que, pour se prémunir contre le pouvoir dévastateur des hommes ou de la nature, se sont élaborés, au fil du temps, de vastes réseaux d’alliance inter-insulaires dont l’effectivité se matérialisait par l’identité de toponymes dans des archipels éloignés les uns des autres de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres. Ces réseaux qui n’ont maintenant plus d’utilité en matière de ravitaillement en denrées agricoles ou de participation à une expédition guerrière, gardent néanmoins une pertinence dans les jeux d’influence politiques ou religieux. Les églises chrétiennes profitèrent tout particulièrement de l’existence de ces réseaux pour propager, d’île en île, durant deux siècles, »la parole du Christ », l’adhésion aux églises apparaissant alors aux mandataires des chefferies traditionnelles comme un excellent moyen de se fortifier en élargissant leur « rayon d’action ». Précédemment, cette stratégie s’était matérialisée avec succès dans la propagation de la consommation ritualisée d’une décoction de Piper Methysticum, dénommé kava en langue polynésienne. Ce breuvage local reste un signe capital de sociabilité et de civilité; son partage scelle traditionnellement tout acte d’importance, donc toute alliance politique, y compris dans le champ de la modernité.

Dans les îles mélanésiennes où le pouvoir politique n’était pas hiérarchisé selon le principe généalogique, mais sur la base d’une compétition de « grands hommes » (big men) pour l’obtention de titres honorifiques prisés, la légitimité était fonction de la possibilité de capitaliser, puis de redistribuer de manière festive de grandes quantités de vivres (tubercules, rhizomes et cochons) et des parures symboliques (coquillages marins et dents de cochons). Chaque fois, la réalisation de l’épreuve donnant lieu à l’obtention du grade souhaité impliquait la participation de vastes réseaux de parents et de leurs d’alliés matrimoniaux.

L’utilisation des termes de parenté pour formaliser les différents statuts sociaux (aînés -cadets; oncle – neveu; fils – père – grand père) et pour nommer les personnages politiques qui y sont attachés dans les sociétés à forte structure hiérarchique, et qui constituent les « balises » fixes des collectivités traditionnelles, explique le formalisme précautionneux prévalant depuis des siècles entre individus ayant un rôle important à assumer dans la vie publique: on est toujours à infléchir son comportement personnel dans le sens de la réciprocité « héritée de ses pères ». Aussi, dans le cas de la Nouvelle Calédonie qui connait la juxtaposition d’une société agraire traditionnelle et d’une société urbaine mise en place par la colonisation, les autochtones (tout particulièrement ceux vivant dans un cadre rural) ne peuvent-ils avoir qu’une perception « décalée » des acteurs issus du peuplement colonial. Le comportement de ces derniers, souvent personnaliste, est à la fois envié, car une grande marge de liberté leur est laissée, et dénigré, car jugé contraire au principe de solidarité qui impose aux individus de se fondre dans leur groupe de référence: la « personne » est traditionnellement le groupe familial dont chacun constituant physique ne se conçoit que comme un simple « membre »; dès lors la personnalité ne peut être individuelle au sens où les ressortissants de la culture euro-américaine l’emploient.

Cette tradition est ressentie comme « l’assurance sociale » que tout individu s’est vue conférer à sa naissance par sa famille. Chacun sait que s’il la perd, c’est le cadre d’statement de sa personnalité qui disparaît. Donc, même si l’exercice de la tradition au quotidien apparaît contraignant, chaque individu veille à ne pas casser les éléments de solidarité qui fondent son identité. A vrai dire, toutes les civilisations mettent en avant la valeur structurante de la solidarité familiale, mais en Océanie celle-ci est magnifiée à un tel point que l’idéologie des collectivités d’enracinement multiséculaire en est toujours fortement imprégnée.

Le Pacifique, un concept moderne dont le contenu reste à préciser

Attendus et sous-entendus d’une terminologie

L’émergence du terme Asie-Pacifique au cours des années 1990 donne le sentiment que le Grand Océan et ses îles ne forment plus un « tout » comme le prétendent les Océaniens. L’autonomie de la « région » Pacifique n’apparaît plus évidente. Pourtant, à la différence des siècles précédents, où par faits de défrichement agricole, d’exploitation minière ou de conquête guerrière, les grandes régions du monde étaient périodiquement remodelées, à l’orée du XXIe siècle le monde semble enfin accompli (même s’il connait une multitude de conflits), inventorié et largement équipé (certes, avec des inégalités parfois criantes). La dialectique de la conservation se substitue peu à peu à celle de la conquête (pionnière ou coloniale). La médiation des tensions ne se fait plus par déplacement géographique des antagonismes, mais par résorption in situ des sources de contrainte ou de conflit. Dès lors, le discours du consensus produit par les insulaires océaniens prend toute sa valeur dans une modernité qui tient de moins en moins compte des idéologies mondialistes évoquant un progrès indéfini (libéralisme et socialisme), s’attachant beaucoup plus aux principes de protection et de valorisation des patrimoines des différentes sociétés humaines.

A travers l’évocation de traits significatifs de modernité et de tradition, des relations centre-périphérie à diverses échelles, l’aire du Pacifique apparait en fait comme un espace complexe à structure « gigogne », comme l’ont fort bien exprimé B.Anthaume et J. Bonnemaison, en 1988, dans leur Atlas du Pacifique: au plus large, le Bassin du Pacifique qui couvre 25 millions de km2; puis L’Asie-Pacifique incluant l’Océanie; enfin au cœur du dispositif lesîles du Pacifique. Evidemment, cette nomenclature demande parfois à être précisée. Ainsi, la Nouvelle Zélande est-elle la somme de deux grandes îles, mais reste « extérieure » au Pacifique insulaire, tout en accueillant une communauté polynésienne importante; La Papouasie-Nouvelle Guinée émarge, comme l’Australie, à la partie continentale de l’Océanie, mais peut-être incluse dans le Pacifique insulaire puisqu’elle participe, malgré sa masse, à la problématique des îles, au delà par le fait que ses ressortissants émargent aux traditions mélanésiennes.

La perception du Pacifique est donc extrêmement fluide, mais jamais imprécise, fonction tout compte fait du thème en débat et des acteurs qui y participent. L’Australie et la Nouvelle Zélande peuvent être membres du Forum des Iles du Pacifique, initialement Forum du Pacifique Sud, aux cotés de la Papouasie-Nouvelle Guinée, des Etats Fédérés de Micronesie, des îles Marshall, Kiribati, Tuvalu, Nauru, Salomon, Vanuatu, Fiji, Samoa, Tokelau, Niue et Cook, sans pour autant représenter « le Pacifique ». Ce sont les petits Etats souverains qui le font, parfois en association avec les territoires autonomes ou dépendants, comme au sein de la Communauté du Pacifique (initialement Commission du Pacifique Sud) et de l’Organisation des Jeux du Pacifique. La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, tout autant que l’Australie et la Nouvelle Zélande sont membres de la Communauté du Pacifique, au titre du maintien de leur souveraineté sur certaines îles océaniennes, mais restent évidement perçues comme « puissances extérieures ». Quant à la Nouvelle Zélande, elle ne peut toujours pas être identifiée par les insulaires océaniens au Pacifique insulaire, par suite de la place dominante de son peuplement d’origine européenne. Comme, par ailleurs, Tokelau lui reste affilié, Niue et les Iles Cook associées, elle apparaît toujours, à tord ou à raison, comme une « puissance coloniale ». A coup sur, elle est « une métropole » dont on recherche l’attrait, mais qui ne constitue pas un « chez soi » pour un insulaire du Pacifique.

Quoiqu’il en soit, dans le présent comme dans le proche avenir, les discours identitaires ne doivent pas nous faire perdre de vue la structure ternaire du vaste ensemble dénommé Pacifique et sa diversité d’intérêt:

– un axe structurant Los Angeles (Californie) – Honolulu (Hawaii) – Sydney (Australie) -Auckland (Nouvelle Zélande), participant activement à la modernité cosmopolite qui s’est développée à l’échelle du monde (Global modernity), qui structure et ravitaille le monde insulaire tout en observant attentivement l’évolution de l’Asie orientale, perçue à la fois comme un partenaire économique privilégié et une aire politico-culturelle potentiellement dangereuse, en cas d’affirmation de la puissance chinoise ou en cas de formalisation d’une communauté inter-étatique cohérente; sur la base du regroupement des pays de l’Association of South-East Asia Nations (ASEAN), une zone de libre échange est déjà en place;

– autour de l’axe australo-américain, de petits pays insulaires au potentiel naturel faible (Micronésie, Polynésie hors Hawaii, îles petites et moyennes de Mélanésie), incomplètement valorisé ou soumis aux fluctuations des marchés internationaux (Fiji, Nouvelle Calédonie, Papouasie-Nouvelle Guinée), qui ont toujours une balance commerciale déficitaire; lorsque leur territoire est trop exigu, ils ont une propension à voir s’expatrier leurs hommes arrivés dans la force de l’âge, la dépression démographique qui en résulte provoquant alors un sentiment profond de marginalité; lorsqu’ils ne perdent pas leurs hommes, ces petits pays présentent une fâcheuse tendance à voir le pouvoir gouvernemental se dissoudre, les localismes culturels s’exacerber et par voie de conséquence les efforts de promotion économique et sociale se dégrader;

– une bordure continentale (de Singapour au Kamtchatka), intégrant trois pays archipélagiques situés en mitoyenneté (Japon, Indonésie et Philippines), observant de près la Chine et l’Amérique, commerçant intensément avec le monde entier, mais ne regardant vraiment en direction de l’Océanie que depuis la crise économique de 1997. Seul le Japon, déjà partenaire commercial privilégié de l’Australie, tente véritablement une opération de séduction à travers l’action du Centre des Iles du Pacifique, inauguré à Tokyo en 1996. L’intérêt des milieux d’affaires japonais se cantonne toujours, pour l’essentiel, aux îles de Guam, de Saïpan et des Hawaii, toutes situées dans la sphère américaine, où ils ont acquis des parts prépondérantes dans le domaine du tourisme, de l’hôtellerie et des loisirs: il faut compter au total, pour les trois destinations, 10 millions de touristes en moyenne par an, dont 7 millions de Japonais, depuis la fin des années 1990. Quant aux « communautés chinoises d’outre-mer », elles se tournent vers la façade maritime de la Chine et ses mégalopoles et vers Taïwan, gardienne de la tradition millénaire et surtout pôle économique particulièrement dynamique au regard de la modestie de sa superficie, de l’effectif de sa population et de ses ressources naturelles.

La position particulière de l’Australie et de la Nouvelle Zélande

« Géant » à l’échelle océanienne, puissance tout juste « moyenne » à l’échelle asiatique, l’Australie, peuplée de 20 millions d’habitants, en grande majorité de migrants venus d’Europe et de leur descendance, reste toujours perçue comme « pointe extrême de l’Occident ». Or, dans les contextes de l’Océanie et de l’Asie-Pacifique, on magnifie « l’autochtonie »: passer pour « allochtone » donc « d’origine étrangère », constitue un handicap, d’autant plus difficile à se résorber que l’Australie de 2000 n’a toujours pas sorti son peuplement aborigène de la marginalité où les colons-éleveurs l’ont confiné depuis plus de deux siècles.

Pour éviter la réprobation internationale et l’isolement politique concomitant, les milieux intellectuels et à leur suite les milieux politiques d’obédience travailliste ont tenté, au début des années 1980, de promouvoir l’idée d’une continuité entre l’Asie et l’Australie: le concept d' »Australasie », étymologiquement « du Sud de l’Asie », est ainsi né pour qualifier l’ensemble Australie – Nouvelle Zélande auquel s’ajoute la Papouasie-Nouvelle Guinée lorsqu’on ne l’intègre pas au Pacifique insulaire. Les Australiens étaient alors obnubilés par le dynamisme

démographique et la rapidité du développement des pays d’économie libérale du Sud-Est asiatique. Ils voulaient se prémunir contre toute « invasion ». Aujourd’hui, au vu de l’importance croissante des Asiatiques dans ce pays, la connotation « sud-asiatique » affichée par certains milieux australiens présente plus de pertinence que lorsqu’elle fut énoncée, mais l’image d’une Australie « terre de Blancs » reste effective et la crainte de « l’invasion des Jaunes » moins présente.

D’ailleurs, le revirement de l’Australie intervenu en 1999, à propos de l’Indonésie, à la suite de la décision des Nations Unies d’intervenir au Timor oriental, a démasqué l’axe stratégique de l’Etat-continent de l’hémisphère austral: être le partenaire privilégié des Etats-Unis pays chez qui les Australiens « blancs » retrouvent les éléments constitutifs de leur identité collective, y compris depuis peu une « compassion » pour le « peuple autochtone » aborigène, l’équivalent des Indian Nations d’Amérique du Nord. Les Australiens d’un âge avancé n’oublient pas non plus qu’ils durent à l’entrée en guerre des Etats-Unis de ne pas avoir vu leur pays envahi par les Japonais en 1941. En retour, les Australiens ont participé à la reconquête du Pacifique entre 1942 et 1945, puis ont soutenu les actions militaires menées par les troupes américaines en Asie continentale (Corée et Vietnam).

En marge de cette relation privilégiée, la Nouvelle Zélande tient à l’égard de l’Australie le rôle dévolu au Canada par les Etats-Unis: celui d’être un partenaire de proximité, solidaire en terme de choix fondamentaux puisqu’ayant en commun une culture anglophone dominante. Mais, comme la communauté francophone du Québec procure au Canada une personnalité « récessive » stimulante, la communauté maori procure à la Nouvelle Zélande une « valeur ajoutée » originale: par sa participation à la civilisation polynésienne, elle crée une « ouverture » en direction du Pacifique. Sa personnalité s’est avérée suffisamment forte pour mettre en échec la politique d’assimilation initialement menée par les autorités néo-zélandaises. Elle les a même amenés à réviser leur vision du monde, fortement indexée sur la Grande Bretagne. En 2000, le pilier culturel polynésien équilibre donc en principe le pilier britannique: l’initiation à la langue maorie est obligatoire pour tout jeune scolarisé dans l’enseignement primaire; les marae, les maisons de réunion traditionnelles font partie du paysage urbain; les terres coutumières sont reconnues sacrées. Et même si une compétition existe entre Polynésiens de « l’intérieur » (les Maori) et de « l’extérieur » (les Pacific Islanders), les insulaires océaniens se sentent en général plus à l’aise en Nouvelle Zélande qu’en Australie. Pourtant, le caractère cosmopolite et pluriethnique marqué des agglomérations millionnaires aussi plait aux expatriés. Car, si l’autochtonie est vécue comme la valeur cardinale dans les contextes de l’Océanie insulaire et de l’Asie, en Australie et en Nouvelle Zélande, le multiculturalisme y est perçu comme « le » facteur d’équité par les minorités ethnoculturelles d’origine océanienne ou asiatique: l’adhésion au pluralisme semble en l’occurrence liée au fait qu’on vit « hors de son espace de référence naturel ».

On constate en parallèle, qu’un début de reconnaissance du fait aborigène a été réalisé par la société australienne dérivant du peuplement européen, dans la foulée des Jeux olympiques et de la victoire de la jeune athlète Cathy Freeman. Comme souvent dans les pays « jeunes », le développement du sport est en Australie et en Nouvelle Zélande un phénomène majeur de société et de culture, dont la résonnance politique peut, de l’extérieur, sembler disproportionnée. En fait, c’est le ciment qui unit les Australiens et les Néo-Zélandais, au delà de leur diversité d’origines et de mœurs. La valeur reconnue des Australiens et/ou des Néo-Zélandais en rugby, tennis, natation, voile ou athlétisme conforte par ailleurs leur rayonnement aux échelles océanienne et mondiale. Fait symptomatique, les meilleurs rugbymen samoans ou tongiens jouent à présent dans les sélections provinciales d’Australie et de Nouvelle Zélande, engagées dans le tournoi international annuel dénommé Super Twelve.

Le décalage de ces deux pays par rapport aux nations asiatiques semble aussi se gommer puisque plusieurs d’entre elles se sont ralliées au choix de Sydney, au détriment de Pékin, lors du vote d’attribution des Jeux Olympiques de 2000, intervenu à Monaco en septembre 1993 (ce que ne mentionne aucune source écrite parue depuis sur ce sujet). A cette occasion, précédant de quelques années la « rétrocession » de Hong Kong, le comportement des officiels chinois participant au comité de candidature de Pekin, déjà stigmatisés pour leur responsabilité dans les évènements dramatiques de 1989 survenus sur la place Tian An-men, avait été jugé trop arrogant. Il n’est pas dit aussi que les Chinois d’outre-mer n’aient pas voulus, en sous main, donner une leçon de « savoir-vivre » aux Chinois du continent et à se « dédouaner » vis à vis des ressortissants autochtones de leurs pays d’accueil. En cela, peut être, et de façon conjoncturelle, l’Australie a pu constituer un enjeu pour les Asiatiques.

D’apparence plus significative est l’invitation permanente dont bénéficie la Papouasie-Nouvelle Guinée aux réunions de l’ASEAN, organisation intergouvernementale qui regroupe l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, Singapour, Bruneï, le Myanmar (ou Birmanie), le Vietnam, Le Cambodge et le Laos. Quant à l’Association économique des pays du Pacifique (APEC), elle pourrait avoir dans l’avenir une importance mobilisatrice, dans la mesure où les pays asiatiques qui ont connu un grave coup d’arrêt dans leur croissance économique (en 1997), ont pour idée de bâtir un front commun avec les petits Etats insulaires, afin de contrecarrer durablement les directives du FMI et, par delà, le leadership des Etats-Unis dans la région, même si leurs diplomates affirment voir dans la présence américaine un « facteur d’équilibre et de prospérité »; ils sous-entendent pour l’occasion vouloir éviter à tout pris un face à face hasardeux avec la République Populaire de Chine qui a été, des siècles durant, « la » puissance à qui on devait payer tribu.

Avec la mise en place, en 1999, de l’East Asia Free Trade Area commence à se mettre en place un « marché commun » d’une Asie à dominante libérale qui, si elle réussit, attirera inévitablement à elle les pays de l’Océanie. Les dix années à venir vont être sur ce point décisives. Mais, d’ici là, les pays du Pacifique auront à préciser le contenu de leur personnalité et le rôle qu’ils veulent collectivement assumer sur la scène internationale.

Quelle problématique probable pour les pays du Pacifique au XXIe siècle ?

Les limites de la rente « géostratégique » et des effets de la MIRAB Economy vulgarisée dans les petits pays insulaires au cours des trente dernières années

Au moment de changer de siècle, le Pacifique insulaire fait figure encore trop souvent de « parent pauvre » de la modernité. Parce que démographiquement déprimé, la politique de coopération qui peut y être menée a une portée limitée. Pourtant, dans un passé récent, les Etats et territoires de cette région du monde ont été courtisés par les grandes puissances. En effet, à la suite de la définition, par les Nations Unies, de « zones économiques exclusives » (ZEE) de 200 milles marins (convention de Montego Bay, 1982), ces pays insulaires ont vu leur intérêt géopolitique revalorisé, en particulier en matière de développement de la grande pêche océanique. Certains pays comportent par ailleurs des potentialités intéressantes dans les domaines de l’aquaculture et de la perliculture lagonaires, du moins pour des productions en faible quantité, mais de grande qualité.

Mais, avec l’effondrement de la puissance soviétique et le replis stratégique des Etats-Unis de l’Asie du Sud-Est (fin des années 1980 – début des années 1990), le financement des Etats micronésiens ou polynésiens, par le biais de conventions de pêche, n’apparait plus aussi profitable, d’autant plus qu’en 2000 on a constaté la saturation complète du marché mondial du thon. Un rapport émanant de la Chambre des Représentants du Congrès des Etats-Unis a pour l’occasion vivement critiqué l’usage fait de l’aide américaine investie dans cette filière et les industries connexes ($1,6 milliard): « usines et entrepôts désaffectés, tombant en ruine ».

Par ailleurs, les mines sont entre les mains de quelques consortiums internationaux, sur lesquels les gouvernements locaux ont peu de prises, ce qui les empêche de tirer le meilleur profit de la ressource extraite. Seules les bases militaires, en particulier celle de Kwajalein (Marshall), spécialisée dans la réception des missiles lancés par les Etats-Unis depuis la Californie, restent rémunératrices. Les revenus compensatoires aux expérimentations nucléaires américaines (de Bikini et Enewetok) et françaises (de Mururoa et Fangatofa) apportent aussi, pour un temps, une stabilité budgétaire importante à l’Etat « en libre association » des îles Marshall et au gouvernement autonome de Polynésie française. Mais, rapidement, la rente stratégique des petits pays insulaires risque de décliner: depuis la signature par la France et les Etats-Unis du traité de dénucléarisation du Pacifique Sud, rédigé à Rarotonga (Iles Cook) en 1985, la « sanctuarisation » du Pacifique « peuplé », tant espérée des Océaniens, semble acquise. Les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki, au Japon, en 1945, ont terriblement impressionné les gens du Pacifique, d’où un « pacifisme » rigoureux, érigé en doctrine politique dans l’ensemble de l’Océanie, en particulier par les églises protestantes qui depuis deux siècles cherchent à réaliser dans cette région du monde « le royaume de Dieu », où la paix devient un principe absolu, hors de l’espace et du temps.

Si les Etat-Unis ou l’Australie ont à se protéger sur leurs marges et inévitablement à asseoir leur sécurité sur une politique rémunératrice pour leurs voisins, on ne voit pas tout de même qui pourrait remettre en cause leurs intérêts vitaux, d’autant plus qu’un pacte USA – Australie -Nouvelle Zélande court toujours (ANZUS). Dès lors, il ne faut pas s’attendre à ce que ces trois puissances fassent beaucoup d’efforts en matière de « sponsoring » des petits Etats océaniens. Ceux-ci s’en plaignent déjà.

Quant à la France, ses intérêts ne sont plus véritablement militaires ou économiques (le rôle stratégique de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie est à relativiser), mais plutôt culturels (liés en partie à la solidarité francophone), donc relevant de ressources moins conséquentes que précédemment. Ses territoires d’outre-mer ont à présent des infrastructures dignes de pays développés, souvent surdimensionnées, tant les populations desservies sont faibles hors des capitales. En conséquence et compte tenu des coûts élevés d’investissement, la marge de progression des économies de ces territoires va certainement se limiter à l’élargissement des rivieras qui se sont construites à Tahiti et autour de Nouméa. Il peut y avoir aussi création d’une ou deux nouvelles unités de traitement du nickel (par procédé pyrométallurgique à Koné dans le Nord, par procédé chimique à Goro dans le Sud), de 50.000t de capacité globale, soit l’équivalent de l’unité actuellement en production à Doniambo, aux portes de Nouméa.

En doublant sa production de métal, la Nouvelle Calédonie aurait indubitablement la possibilité de valoriser son capital minier à 100% , sur la base de la meilleure production annuelle extraite; cela se ferait essentiellement au détriment des fondeurs japonais, destinataires actuels de près de la moitié du minerais et qui pourraient très bien se tourner vers la Papouasie-Nouvelle Guinée qui va prochainement ouvrir une mine de nickel dans la province de Madang. Encore faut-il que la conjoncture mondiale le permette. Les opérations projetées en Nouvelle Calédonie ne seraient financièrement rentables que dans une conjoncture de maintien sur une longue durée de hauts cours sur le marché mondial (permettant localement de dégager de 1,5 à 2 milliards F. de valeur ajoutée) et encore si le grand projet industriel de Voisy Bay, au Canada, ne voit pas le jour. Pour le nickel comme pour toute autre matière première, le marché mondial n’est en effet pas extensible à l’infini.

Les marges de manœuvres économiques apparaissent toujours réduites dans le Pacifique insulaire, ce qui fait que, par compensation, les Océaniens cherchent légitimité et notoriété sur le terrain institutionnel. Dans la mesure où toutes les sociétés insulaires ont maintenant obtenues de pouvoir se gouverner par elles mêmes, les concepts de « pleine souveraineté » et, à défaut, de « lutte pour l’indépendance » ont perdu beaucoup de leur pouvoir mobilisateur, même si cette partie du monde a vécu une décolonisation tardive et, pour certains, inachevée.

Avec un recul trentenaire, on se rend compte aussi que la MIRAB economy (MI pour « migrations », R pour « remittance  » c’est à dire « rapatriement des fonds amassés par les migrants », A pour « aide » et B pour « bureaucratie »), promue par les petits Etats, n’est pas la panacée en matière de « développement durable ». Sa mise en œuvre fut réalisée sous l’égide des institutions dépendant des Nations-Unies (CNUCED, ESCAP), de la Communauté du Pacifique, du Forum et de son organe économique le South Pacific Bureau for Economic Cooperation. Mais, chacun oublia que la notion même de « développement durable » ne pouvait être pertinente que si elle s’appuyait sur des ressources naturelles, humaines et financières stables. Or, l’aide publique au développement (APD) prodiguée par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon, la France, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada, le Royaume-Uni, la Corée, la RPC ou Taïwan reste conjoncturelle. Elle est régulièrement négociée et « soumise à conditions résolutoires », ce qui signifie implicitement qu’elle peut être réduite. Elle peut aussi être bloquée, comme ce fut le cas pour Fiji, après les coups d’Etats de 1987 et celui de 2000. Sans « tirage » fixe de revenus extérieurs, la conjoncture insulaire reste donc aléatoire.

A l’aléa de la négociation fait pendent l’aléa des opinions publiques: que la confiance flanche, qu’un conflit d’envergure, tel un coup d’Etat ou une confrontation extérieure du type « guerre du Golfe », se déclenche et une destination touristique peut être fortement minorée. En 1991, Hawaii a perdu 3 milliards de dollars de revenus et Guam plus d’un quart de milliard. En 1987-89, puis en 2000, c’est au tour de Fiji de voir disparaître une bonne partie de son revenu touristique. Les fluctuations du tourisme international comme les cours des matières premières, ne permettent pas une programmation rigoureuse du long terme.

Faute de marchés intérieurs suffisants, les petits pays insulaires sont extrêmement vulnérables. C’est ce qui explique qu’en Nouvelle Calédonie, au sein même du parti d’indépendance kanak, certains pensent au maintient d’une « co-souverainété » avec l’Etat français telle qu’elle ressort de l’application de la loi de large autonomie de mars 1999, plutôt que d’assumer l’exercice de la pleine souveraineté qui constituerait une prise de risque politique énorme, compte tenu du fractionnisme chronique du mouvement indépendantiste, mais aussi de la perte automatique de 4 milliards F. sur les 5 Md F. provenant actuellement des transferts de fonds publics métropolitains (voulus par l’accord de Matignon en 1988, confirmé par l’accord de Nouméa en 1998). Un accord de coopération peut éventuellement compenser la perte des frais de souveraineté (1 Md F. en 2000), mais ils ne peuvent évidemment pas inclure les coûts de protection sociale et ceux émanant de la rémunération des fonctionnaires de l’Etat français qui travaillent en 2000 dans les administrations décentralisées implantées à Nouméa, en « brousse » et dans les îles (en particulier dans l’éducation nationale et la santé publique) et qui disparaîtront au jour de l’indépendance, les services du Ministère des Finances se chargeant évidemment de leur trouver une nouvelle destination au sein de l’espace de souveraineté français.

La recherche de formes de soutien non aliénantes, compensatoires aux métropoles « coloniales »

En 2000, les petits Etats insulaires du Pacifique trouvent la coopération avec les « puissances extérieures » proches (Australie, Nouvelle Zélande) moins gratifiantes que lorsqu’ils mirent sur pied, par une commune volonté, leur Forum. Certes, il existe un accord entre les deux puissances « régionales » et leurs voisins océaniens: le South Pacific Regional Trade and Economic Cooperation Agreement (SPARTECA) permet par exemple d’harmoniser les marchés, depuis 1981. Mais l’Australie et la Nouvelle Zélande n’ont pas besoin du Pacifique insulaire pour assurer leur développement: 60% des productions agropastorales et des matières premières minérales qu’elles fournissent vont au Japon; le Pacifique insulaire ne les intéressent qu’à la marge, pour l’écoulement de produits finis non absorbés par leur marché intérieur. Ces deux pays ont d’ailleurs constitué de longue date un « marché commun » pour faire masse par rapport aux grands acteurs de l’économie internationale que sont l’ALENA, la CEE/UE, le Japon et, peut être demain, les pays de l’ASEAN, au travers de l’EAFTA.

Premier partenaire de l’Australie, le Japon tente actuellement de conforter son « marketing » vis à vis des pays insulaires océaniens par une action culturelle habile. La fondation Sasakawa distribue ainsi annuellement 80 millions de dollars aux petits Etats du Pacifique. Il est vrai que des similitudes de comportements peuvent être notées chez les ressortissants de l’espace insulaire et péninsulaire d’Asie orientale et chez les Micronésiens et les Polynésiens. Après tout, les Micronésiens et les Polynésiens ont le même fonds culturel que les Malais, les Indonésiens et les Philippins, voire certaines caractéristiques notées chez les Japonais. Le développement des connivences entre Asiatiques et Océaniens peut donc progresser vers une véritable « solidarité de zone », si, d’aventure, les attitudes des Américains et à leur suite des Australiens devenaient trop contraignantes, au delà du fait qu’elles sont déjà trop condescendantes. Or, dans le Pacifique, comme en Asie, on supporte difficilement de « perdre la face » ou d’être « humiliés ».

Pour les petits pays insulaires, deux axes de recherche de soutien non-aliénants sont actuellement perceptibles, dans une conjoncture qui reste pleine d’aléas:
– Les organisations non-gouvernementales d’obédience internationale, ayant une influence sur les Nations-Unies, en particulier dans les grands forums où se débattent les grands problèmes du monde de demain, en particulier en matière de protection des environnements fragiles, auxquels émargent les îles basses et les atolls (la remontée du niveau moyen des mer dans l’hypothèse d’un fort réchauffement de l’atmosphère pourait faire disparaitre l’essentiel de la Micronésie et une grande partie de la Polynésie); l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), Green Peace, Amnesty International, diverses fondations ancrées sur la côte Ouest des Etats-Unis et du Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande ou au Japon ont beaucoup investi en matière de surveillance du climat mondial et du niveau de la mer, de protection des zones comportant des sites d’extraction minière, de promotion de la condition féminine et de respect des peuples autochtones; la participation des partis militant pour l’écologie politique dans les pays insulaires du Pacifique au premier congrès mondial des « Verts » prévu en Australie, en avril 2001, illustre bien cet axe de coopération;
– Les regroupements régionaux d’Etats pouvant assurer des sponsorisations dans le cadre d’actions multilatérales: l’Union européenne et l’ASEAN constituent sur ce plan là des
partenaires pour les insulaires du Pacifique; pour l’ensemble Australie – Nouvelle Zélande, la perception du partenariat avec l’Union européenne (UE) et l’ASEAN s’inscrit dans un contexte différent, d’écoulement de produits nationaux (lait et produits dérivés, céréales, viandes… ) et d’orientations géostratégiques macro-régionales, c’est à dire à l’échelle de ce qu’on appelle communément « l’Asie-Pacifique ». Le fait que les pays du Forum aient conclus avec l’Europe des accords de pêche en 1990 montre un début de réalisation sur ce deuxième axe de coopération. Il en va de même de la participation de l’UE, à hauteur d’un million d’Euros, au financement du Festival des arts du Pacifique, tenu fin 2000 à Nouméa. Au demeurant, l’implantation du siège de la délégation de l’Union européenne pour le Pacifique à Suva, à proximité du siège du Forum, souligne la volonté affichée de coopération euro-océanienne qui, faut-il le rappeler, s’inscrit de longue date dans le cadre conventionné UE-ACP (Accords de Lomé et de Cotonou) et qui se traduit depuis quelques années par l’organisation chaque année d’une réunion post-forum incluant, aux cotés des pays océaniens, les « puissances extérieures » toujours impliquées dans la marche du Pacifique.

Si, d’une façon générale, la voie du « multilatéralisme » semble être la moins aliénante pour les petits pays, les Etats insulaires du Pacifique mènent tout de même une coopération bilatérale active. L’Australie, la Nouvelle Zélande et la France font preuve d’une disponibilité fluctuante. Dans le cadre des institutions prévalant en Nouvelle-Calédonie depuis 1999, un pouvoir de négociation et de coopération a été conféré par l’Etat français au gouvernement du pays et aux exécutifs des trois provinces. Des affinités naturelles entre Mélanésiens ont conduit les leaders kanak ayant en charge le Nord de la Grande Terre et les Iles Loyauté à faire profiter le Vanuatu ou les Salomon de leurs ressources financières, en matière de développement social ou culturel. En août 2000, la Nouvelle Calédonie et PNG viennent de signer un accord de pêche ouvrant aux navires calédoniens la ZEE papoue. En parallèle, des intérêts financiers et technologiques australiens viennent de permettre le démarrage de la production de perles noires à Kiribati et aux Salomon.

Mais, c’est avec la RPC ou Taïwan que la coopération bilatérale semble être la plus « mouvementée », puisqu’elle s’inscrit dans la rivalité maintenant cinquantenaire opposant les représentants de la Chine nationaliste et de la Chine communiste. L’aide publique de Taïwan offerte à Nauru, à Tuvalu, aux Marshall ou aux Salomon est à présent déterminante pour la vie de ces petits Etats; récemment, le gouvernement d’Honiara a obtenu $ 2 millions de subvention pour son fonctionnement en urgence, au lendemain de la crise opposant ressortissants des îles de Guadalcanal et de Malaïta. En PNG, un récent changement de gouvernement a infléchi les relations entre Papous et Chinois au profit de la RPC. Au registre de l’action des pays de l’Asie du Sud-Est dans le Pacifique, il est aussi à noter les importants investissements malais dans l’exploitation forestière à Fiji, aux Salomon et en PNG.

En général, les pays insulaires océaniens font appel à des multinationales domiciliées principalement dans les pays pourvoyeurs d’aide au développement pour exploiter leurs ressources agricoles, minières ou forestières. Les intérêts des Etats ne correspondent que très rarement à ceux des populations, d’où d’incessantes contestations formulées par ces dernières en matière de protection de l’environnement ou d’exercice de droits fonciers. Quoiqu’il en soit, si les royalties dues par les grandes firmes exploitantes peuvent être conséquentes (pour pouvoir exploiter la mine d’Ok Tedi dans le centre de PNG, la firme BHP a du octroyer $357 millions à aux « propriétaires fonciers »), en revanche le montant de l’APD par habitant reste très inférieur à ce que confère une puissance souveraine à ses territoires, dans le cadre de son action de décentralisation administrative: en 1994, les territoires dépendants ont obtenu $ 1300 par habitant ( et même $ 3200/hab. pour les seuls TOM français), contre $ 135/hab. pour les Etats insulaires indépendants. Restant subordonnée à des transactions commerciales entre pays donnateurs et receveurs, l’APD s’oriente rarement vers ceux qui en ont le plus besoin.

En divers domaines, l’APD est pourtant indispensable: pour l’éducation et la santé, la protection des environnements terrestres et marins, la valorisation d’énergies renouvelables (photovoltaïque ou éolienne), la production d’eau potable à partir d’une eau saumâtre ou de l’eau de mer, l’amélioration génétique ou la lutte contre les parasites en agriculture, l’équipement des ateliers d’artisanat, l’organisation des armements de pêche côtière ou lagunaire. Mais plus que de faire l’objet de « transferts » de puissance développée à petit pays en développement, ces domaines sont abordés de manière privilégiée dans le cadre des programmes menés par la Communauté du Pacifique, dont le très important South Pacific Regional Environment Program réalisé avec la participation du PNUE/UNEP. Au total, au cours de la période quinquennale 1990-1994, les ressources financières allouées aux pays océaniens par les « puissances extérieures », au titre de l’APD, se sont élevées à $ 4120 millions en provenance de la France, à $ 2851 M de l’Australie, à $ 1040 M du Royaume-Uni, à $ 859 M du Japon, à $ 664 M des Etats-Unis et à $ 254 M de la Nouvelle Zélande.

Entre assistance et turbulence, un monde en quête de stabilité

A l’orée du XXIe siècle, le Pacifique ne peut toujours pas être considéré uniformément comme un havre de paix, malgré les efforts déployés en ce sens par les membres du Forum.. On peut même dire que les troubles ont tendance à s’intensifier dans sa partie occidentale, tant sur sa « face » interne que sur son « versant » externe. Les pays de l’aire mélanésienne et les archipels insulindiens connaissent des difficultés de tous ordres, en particulier une grande instabilité institutionnelle. Les puissances du pourtour du Bassin, au premier rang desquelles sont à placer les Etats-Unis, le Japon et Australie, fort légitimement s’en inquiètent, comme les petits Etats insulaires situés dans le Grand Océan. Or, rien dans le court terme ne laisse à penser que les difficultés diagnostiquées vont pouvoir disparaître.

Le développement de plus en plus marquée d’une ligne de fracture intra-océanienne

Les accords de défense inhérents au pacte d’association des Etats Fédérés de Micronésie (EFM), de Palau (ou Belau) et des Marshall aux Etats-Unis d’Amérique, les statuts de Commonwealth des Mariannes du Nord et de Territoire de l’Union de Guam ont permis aux îles du Pacifique situées au Nord de l’Equateur d’apparaître comme une zone de stabilité qui n’a pas à craindre de remise en cause majeure: le « prix à payer » par les acteurs privés ou publics américains a été longuement négocié, puis réactualisé (de l’ordre de $ 4 milliards pour les années 1990). Quant à la surcharge démographique enregistrée de façon chronique dans ces milieux insulaires, elle se diffuse régulièrement dans l’espace continental de la puissance contractante.

De même, les statuts de très large autonomie (en fait de « co-souveraineté ») négociées par la Polynésie française, puis la Nouvelle-Calédonie, avec la France devraient produire une stabilité institutionnelle d’ici à 2020. Cette stabilité politique se fonde sur l’octroi par la France de ressources financières assurant un haut niveau de vie moyen pour les Tahitiens ($14.900/hab.) et les Calédoniens ($15300/hab.), ce qui les met dans un position comparable à celle des ressortissants de Guam ($20.300/hab.), voire d’Hawaii ($27.600/hab., ce qui représente selon l’année une position comprise entre le 10e et le 15e rang sur les 50 Etats que compte l’Union).

Certes des inégalités économico-culturelles existent, ce qui milite en faveur d’une plus grande égalité sociale, tant dans l’espace américain que dans l’espace français. Mais, en termes de pouvoir d’achat, le « marginal » de ces systèmes peut faire figure de « privilégié » lorsqu’on le compare à l’individu « standard » des petits Etats insulaires. Si bien que les Pacific Islanders placés sous la tutelle néo-zélandaise ont négocié, eux aussi, un pacte d’association avec les autorités de Wellington; seuls les ressortissants du Samoa occidental font exception parce que leur pays, qui fut une colonie allemande prospère entre 1879 et 1918, a été poussé délibérément vers l’indépendance, au début des années 1960, par des milieux anglophones qui n’ont pas su ou voulu faire fructifier le capital économique et culturel mis en place par les hommes d’affaire de Hambourg, sous l’impulsion de Bismarck.

D’une façon générale, l’histoire post-coloniale des aires polynésiennes et micronésiennes ne présente pas de tension majeure remettant en cause l’équilibre des sociétés insulaires. A l’inverse, on peut s’inquiéter des tensions qui se font jour périodiquement et de plus en plus souvent en Mélanésie. Si l’indépendance de Vanuatu fut tumultueuse de par la compétition ancienne des milieux économiques affiliés aux sphères d’influence australienne et française, on peut s’étonner de la pratique de coups d’Etat à Fiji, pays océanien souvent cité en exemple, dans les années 1970, pour une situation inter-ethnique jugée « équitable ». Or, en 1987 et très récemment en 2000, « la prééminence du peuple autochtone dans la conduite de l’Etat » est affirmée avec vigueur, sous entendant la légitimité des discriminations à l’encontre des descendants des immigrants indiens, en particulier par le non-renouvèlement depuis 1997 de plus de 3000 baux agricoles (57500 ha de terroir cannier sont l’enjeu de ce débat d’ici à 2024). La non-concrétisation d’une « nation » fidjienne depuis l’obtention de l’indépendance en 1970, la crise du pouvoir traditionnel océanien révèlent l’incapacité à penser les relations institutionnelles dans un cadre de modernité compréhensible au plus grand nombre. Les vieilles oppositions ethno-culturelles entre les deux grandes communautés mélanésienne et indienne n’explique pas tout. La faillite de la petite communauté métisse qui n’a pas pu ou su s’imposer comme élément de régulation de la vie locale, l’absence de projet de développement de réelle envergure pour un pays qui compte à présent 800.000 habitants, le manque de sens du « bien public » chez beaucoup de responsables politiques concourent à cet échec.

Les Etats de Salomon, Papouasie-Nouvelle Guinée et Vanutu connaissent eux aussi des crises internes graves, entrainant en général l’intervention de troupes d’interposition étrangères (appartenant tantot aux pays mélanésiens voisins, tantôt aux forces australiennes ou néo-zélandaises). Pendant longtemps, l’attention des observateurs a été focalisée sur le cas de Bougainville, île relativement vaste, située au nord de l’arc salomonais, affiliée de par les faits de conquête coloniale à l’Etat de PNG. Or, l’île accueillait, au moment de l’indépendance (1975), la plus grande mine de cuivre du monde (Panguna), alimentant grâce à de substantielles royalties les caisses de l’Etat papou (jugé localement « étranger ») et non celles des « propriétaires fonciers » traditionnels. Ces derniers organisèrent une rébellion violente qui dura deux décennies, proclamant dès 1976 une République du Nord Salomon. Une Bougainville Revolutionary Army multiplia les sabotages. Et même si l’île bénéficie à présent d’un gouvernement relativement autonomie par rapport au pouvoir central, la mine fait toujours l’objet de contestations et n’arrive pas à être remise en production; les accords signés en 1994 à Honiara restent lettre morte. En fait, avec le temps, la violence tribale s’est propagée dans tout le pays, y compris et surtout à Port Moresby, la capitale. Et sans atteindre la violence de la révolte des « propriétaires » coutumiers du périmètre minier de Bougainville, de nouveaux conflits éclatent sur le « continent » néo-guinéen à propos des dégâts liés à l’activité des grandes mines (en particulier dans la Fly River valley) ou par suite de « l’oubli » du versement de royalties aux responsables fonciers des tribus locales.

Aux Iles Salomon, les autorités de chaque île tentent de s’affranchir du pouvoir central et de capter pour leur seul bénéfice l’aide étrangère lorsque celle-ci s’investit en un lieu précis (cas de l’expédition scientifique de recherche des épaves des vaisseaux de La Pérouse, à Vanikoro). Les émeutes récentes qui ont éclaté à Honiara, la capitale, et l’insécurité qui y règne depuis, malgré la présence d’observateurs militaires étrangers, confirment le délabrement de l’Etat. C’est la décision, en 1999, de l’Isatabu Freedom Movement, représentant les gens de Guadalcanal, d’expulser d’Honiara et des plantations d’Unilever plus de 20.000 ressortissants de l’île de Malaïta qui provoqua une série d’affrontements avec la Malaitan Eagle Force, puis le renversement du gouvernement en 2000. Mais en fait, depuis la déclaration d’indépendance intervenue en 1978, les différentes îles n’ont de cesse de revendiquer la possibilité d’agir dans la plus totale indépendance, pour réduire l’Etat à une simple enveloppe protectrice vis à vis de l’extérieur. Dans le cas de Guadalcanal, il y a aussi exigence des autorités locales d’obtenir du gouvernement une rente annuelle de 800.000 F pour le maintient des services nationaux à Honiara, la capitale (crée de toute pièce, après la Seconde Guerre mondiale, par récupération d’un vaste cantonnement mis en place par les troupes américaines), puique la terre est considérée inaliénable. En fait 60.000 ha sont aliénés et enregistrés aux Salomon depuis l’époque coloniale (30.000 ha au profit d’Unilever).

Que ce soit en PNG, aux Salomon ou au Vanuatu, l’univers traditionnel est tellement fragmenté qu’aucune conscience nationale n’a pu se diffuser au sein des populations. La coutume est donc en permanence mise en avant pour en fait couvrir des jeux d’intérêts privés ou de micro-communautés qui se comportent comme des entités ne relevant pas de l’espace public national. La notion de « collectivité territoriale » dépositaire par délégation d’une parcelle de la souveraineté nationale n’existe pas; le principe de souveraineté au sens moderne du terme est impensable hors de la bureaucratie gouvernementale; au contraire, l’Etat n’est conçu par le plus grand nombre que comme une « chefferie » fédérative, une alliance extrême pour des groupes qui fonctionnent essentiellement sur la base de solidarités locales; la « patrie, c’est au plus une île de quelques centaines de km2, parfois un territoire de moins de 10.000 ha.

De la sorte, apparait très nettement une ligne de clivage lourde de sens, au sein du Pacifique insulaire:
– un espace de « souveraineté partagée », s’étendant principalement sur la Micronésie et la Polynésie, où les sociétés autochtones s’appuient sur une puissance extérieure (Etats-Unis, Nouvelle Zélande ou France) pour mener une politique de compromis associant le développement des cultures autochtones fondant les identités collectives (d’où l’importance de la tenue périodique des festivals des arts du Pacifique) et une volonté délibérée de participer à la modernité des sociétés post-industrielles par la valorisation d’un tourisme de qualité et de quelques productions marines pouvant bien s’écouler sur les marchés internationaux: perles, crevettes, thon frais pour l’approvisionnement par avion du marché japonais du sashimi . Ainsi, la perle noire développée sur une grande échelle en Polynésie française présente t’elle un chiffre d’affaire d’environ 1,4 milliard F, à la fin des années 1990; ce chiffre provient à la fois des ventes consenties aux brasseurs d’affaires japonais, aux courtiers chinois d’outre-mer et aux joaillers européens ou nord-américains, alimentant accessoirement à Tahiti même une activité artisanale lucrative; le seul danger actuellement perceptible n’est pas tant le phénomène de concurrence des Iles Cook, de Kiribati et des Iles Salomon que le manque de rigueur professionnelle de certains acteurs tahitiens qui, par frénésie spéculative, ont trop tendance à écouler des lots de qualité médiocre, entrainant en 2000 une sanction immédiate

des Japonais, des Européens et des Américains, à savoir une mévente générale des lots mis aux enchères, en octobre, sur la place de Papeete.
– un espace de « déconstruction » de l’Etat à l’échelle de la Mélanésie « indépendante », où les affiliations partisanes locales prennent toujours le pas sur les intérêts nationaux: aux Parlements de PNG, des Salomon ou du Vanuatu, cela se traduit par des recompositions incessantes de coalitions gouvernementales, incapables de définir une action de moyen-long terme en matières politique, économique et sociale. Les représentants élus, il faut le reconnaitre, sont en général indexés sur des communautés traditionnelles acceptant les aventages, mais pas les obligations du fonctionnement étatique. Pour cela, ils sont souvent de connivence avec des « compatriotes », chefs de petites nomenclatures bureaucratiques qui ont pris l’habitude, depuis une vingtaine d’années, de confisquer le « bien public » pour leur profit personnel et à celui de leur communauté d’origine. Le compagnonnage s’établit alors sur la base de l’appartenance à une même île ou à une même vallée de grande terre.

Si la corruption est largement diffusée de par le monde, la prévarication des responsables de petits pays mal développés a des conséquences dramatiques pour les populations, car elles sont largement démunies et ont besoin plus que toutes autres des revenus que leur Etat peut tirer de leurs exportations. Il s’en suit, dans le meilleur des cas, un repli sur les villages traditionnels; mais les terroirs supportent évidemment très mal la sur-exploitation qu’on leur impose. Dans le pire des cas, c’est au développement de la guérilla urbaine qu’il faut s’attendre, simplement pour survivre, lorsqu’on ne sait plus travailler la terre. Le processus de dépérissement qu’on a constaté en divers secteurs de l’Afrique, depuis les années 1970, semble avoir atteint le Pacifique occidental, en 2000.

A l’interface des deux espaces sous-régionaux décrits, la Nouvelle-Calédonie propose un schéma qui, pour les deux décennies à venir, en fait un exemple du régime de la « souveraineté partagée ». Au bout de cette période, on peut toutefois la voir basculer dans le « syndrome » qui caractérise actuellement les quatre Etats de la Mélanésie. Le RPCR et le FLNKS, signataires des accords de Nouméa, qui représentent des intérêts des communautés culturelles dominantes (caldoche et kanak) et aux valeurs très typées, en ont parfaitement conscience. Des efforts ont donc été entrepris, de part et d’autre, pour stabiliser la vie politique dans la durée. Mais les objectifs de la communauté autochtone, d’enracinement multiséculaire, et ceux de la communauté d’origine européenne, mise en place durant la période coloniale, peuvent difficilement se superposer. Entre elles se trouvent des minorités d’origines polynésiennes (wallisienne, futunienne et tahitienne) ou asiatiques (vietnamienne et indonésienne) qui, jusqu’à présent, adhèrent très largement au projet « inter-ethnique » voulu par le RPCR et les Caldoches d’ascendance européenne.

Comme les formes de métissage sont de plus en plus fréquentes et variées à Nouméa, on peut penser qu’à terme on débouchera sur la constitution d’un peuple métis, tirant de chaque communauté constitutive des valeurs de sociabilité et d’éthique à valeur générale: l’unité du pays serait alors trouvée. L’émergence d’un « peuple calédonien » reste plausible puisque les métropolitains installés après 1988 ne peuvent plus alimenter la société issue de la colonisation et émarger à la « citoyenneté » locale. Mais, dans le même temps les citoyens calédoniens d’origines allochtones variées ne peuvent intégrer la communauté autochtone mélanésienne. En étant officiellement dénommée « peuple kanak », cette dernière se voit reconnaître une prééminence culturelle dans le pays, compensée jusqu’à présent, au plan politique, par la position majoritaire des groupes allochtones fédérés par le RPCR. Plus du tiers des autochtones accorde d’ailleurs leur confiance à cette majorité, soit par leur vote en faveur du RPCR, soit par leur vote en faveur des « co-souverainetéistes » de la FCCI qui est associé au RPCR pour le gouvernement du pays.

A la différence de ce qui se passe à Tahiti, où Maohi et métis participent à l’autochtonie, en Nouvelle Calédonie la perspective de l’avènement d’un peuple calédonien largement métissé reste suspendue à la mutation éventuelle du monde des tribus kanak. Pour l’heure, en l’absence d’un peuple majoritaire, cohabitent sur le « Caillou » deux sociétés (l’une rurale et traditionnaliste, l’autre urbaine et moderniste) qui se supportent en faisant semblant de s’ignorer et en se partageant les fonds publics venus de métropole.

La question pour l’instant ne peut pas trouver de réponse définitive, à moins de pronostiquer que le dynamisme démographique actuel dont font preuve les Mélanésiens va permettre, autour de 2020, de faire triompher « l’indépendance kanak » par disposition mécanique d’une majorité de suffrages. En ce cas, il est probable qu’un redéploiement ethnique d’envergure se produise: comme la communauté caldoche a de grandes affinités avec la communauté blanche d’Australie, elle risque d’y migrer massivement. La région de Brisbane qui accueille déjà, « en résidence secondaire », 5.000 à 6.000 ressortissants de Nouvelle-Calédonie, peut facilement en accueillir définitivement dix fois plus, d’autant que ces gens, souvent fortunés, participeraient aisément au développement de la côte du Queensland.

A défaut d’indépendance kanak obtenue par referendum, la dichotomie inscrite dans l’espace calédonien s’accentuera certainement: une zone de 5.000 km2, peuplée au moins de 200.000 hab., centrée sur Nouméa (Sud et partiellement la côte Ouest), développée et urbanisée « à l’australienne »; une zone de 14.000 km2, peuplée au plus de 30.000 hab., regoupant la partie septentrionale de la côte Ouest, la côte Est, la Chaîne centrale et les îles périphériques, conservatoire de l’Océanité agreste, largement sponsorisée par Nouméa pour assurer les loisirs et la détente de ses résidents.

Si une usine métallurgique doit voir le jour dans la plaine de Koné (son démarrage éventuel devait être annoncé au premier trimestre 2001), il est prévu qu’elle fonctionne avec un encadrement basé à Brisbane. Très automatisée, elle ne permettra pas localement la création de beaucoup d’emplois, d’autant plus que l’objectif des jeunes calodoches ou kanak est plus de s’insérer dans la fonction publique que de travailler à l’usine. Cette unité de production est essentiellement voulue par le pouvoir représentant le monde kanak comme source de revenus (sous forme de parts de bénéfice, de royalties et de taxes) pour financer l’amélioration des conditions de vie des gens profitant mal de la modernité, au sein des périmètres ayant statut de terres coutumières.

Les troubles inhérent à l’environnement insulindien

Si les Océaniens se préoccupent en priorité du devenir du Pacifique insulaire dont ils sont natifs, ils ne peuvent pas indéfiniment ignorer les problèmes de l’Asie orientale. Les tensions entre RPC et Taïwan, les suspicions des deux Corées, la volonté du Japon de récupérer les îles Kouriles et les prétentions de la Chine à contrôler la mer de Chine du Sud, peuvent leur paraître des problèmes lointains. Par contre, ils ne peuvent plus pratiquer la « politique de l’autruche » face aux tensions du monde insulindien.

Diverses formes d’affrontement se font jour entre pouvoir central et communautés locales, sur fond d’opposition entre chrétiens et musulmans. Ainsi, aux Philippines, pays majoritairement chrétien, le gouvernement de Manille est-il confronté de longue date à une rébellion musulmane trouvant place dans l’île de Mindanao. Quant aux communautés chrétiennes des Célèbes (devenues Sulawesi) et des Moluques, vestiges des implantations portugaise puis hollandaise des siècles passés (XVIe-XXe), elles subissent, depuis la déclaration d’indépendance de l’Indonésie (1945), pressions politiques, voire sévices physiques dont personne ne parle, car la souveraineté indonésienne sur ces îles ne peut pas être contestée; aussi dès le début des années 1950, plus de 20.000 Moluquois partirent-ils s’installer définitivement aux Pays-Bas.

La légitimité dont l’Etat indonésien pouvait se prévaloir à Sulawesi et aux Moluques ne peut être avancée pour justifier l’invasion par l’armée indonésienne des territoires coloniaux hollandais de Nouvelle Guinée occidentale et portugais du Timor oriental. Après la reconnaissance par les Pays-Bas de l’indépendance de l’Indonésie (1949), les populations papoues vivant dans la partie occidentale de la Nouvelle Guinée devaient bénéficier d’une préparation à l’administration de leurs propres affaires, avant d’avoir à choisir leur statut définitif, y compris l’exercice de la pleine souveraineté. Mais en pleine Guerre froide, le gouvernement néerlandais, sous la double pression des autorités américaines et indonésiennes, a accepté le principe du transfert de souveraineté du territoire néo-guinéen à l’Etat indonésien, au prétexte que ce territoire avait été un temps rattaché au district colonial d’Amboine (ou Ambon). Depuis 1962, les Mélanésiens de Nouvelle Guinée occidentale, dénommée Irian Jaya par les Indonésiens, ont ainsi à supporter une nouvelle forme colonisation, conforme à ce qui se passe déjà à Kalimantan, c’est à dire à la prise en mains du pays par les intérêts javanais. En réaction, des maquis se développent à la frontière de PNG qui sert évidemment de sanctuaire aux « troupes rebelles ».

La plus médiatisée des actions initiées par le pouvoir indonésien, à l’encontre de minorités chrétiennes, trouve place sur l’ancien territoire portugais du Timor oriental, envahi par l’armée javanaise en 1975, avec le consentement du Portugal, des Etats-Unis, puis de l’Australie, ces deux derniers étant très inquiets, à l’époque, de la forte poussée du communisme en Asie du Sud-Est, alors que le premier cité mettait fin à son action coloniale. Seulement, dans les 24 ans qui suivirent, environ 35% de la population locale furent massacrés en toute impunité.
Pendant longtemps les Australiens n’y trouvèrent rien à redire, étant associés aux Indonésiens pour l’exploitation de pétrole off shore au large des côtes de Timor. Il fallut que l’Indonésie s’enfonce dans la crise en 1997, puis que le président Suharto démissionne (mai 1998), qu’un referendum d’auto-détermination soit programmé par l’ONU en août 1999 et que l’assurance soit alors donnée aux Australiens, par les indépendantistes de Timor, qu’en cas d’arrivée au pouvoir ils ne modifieraient pas les contrats d’exploitation pétrolière, pour convaincre le gouvernement de Canberra de changer radicalement de stratégie. Une fois l’indépendance de Timor acquise (78% du corps électoral se prononça en sa faveur), l’Australie obtint des Nations Unies un rôle de leader dans le retour à la paix, le maintient de l’ordre et l’assistance humanitaire en faveur des Timorais, assortis du versement annuel jusqu’en 2004 d’une aide à la reconstruction de l’ordre de 2,7 milliards F par an.
La présence de longue date de missions militaires américaine et australienne à Singapour doit nous rappeler que les puissances anglophones ayant une façade sur l’Océan Pacifique ont la volonté d’être présentes en Asie du Sud-Est, tant pour leur sécurité que pour le développement de leurs affaires. Tandis que les Etats-Unis ont établi une stratégie globale vis à vis de l’Asie, l’Australie concentre son intérêt sur la péninsule indochinoise et les archipels insulindiens, c’est à dire sur sa « périphérie proche », en continuité de l’aire de Mélanésie qui a toujours été dans sa mouvance. Pour les USA, le centre d’intérêt majeur est le contrôle à distance de la puissance militaire chinoise, puissance en croissance tout en étant en crise, donc particulièrement imprévisible et dangereuse.

L’hostilité déclarée des autorités malaises à l’Australie, la rupture intervenue entre responsables de Canbera et de Jakarta, l’instabilité politique de l’Indonésie (forte poussée islamique) et des Philippines (forte corruption) se conjuguent donc avec les difficultés enregistrées en Mélanésie pour donner une image peu favorable à la partie occidentale du Bassin du Pacifique. En contre partie la partie orientale peut se féliciter de la « proximité » des Américains et chercher à faire des affaires lucratives avec les Japonais. Cette dualité constatée en 2000 demandera à être affinée, mais il est peu probable que pour les dix ans à venir elle se modifie radicalement.

Dans la mesure où les Etats-Unis ont à faire face à une série de conflits endémiques sur la ligne de flexure eurasiatique (crises des Balkans, du Caucase, du Moyen Orient, d’Asie centrale, du Cachemire) et dans le voisinage de la Chine, ils vont avoir tendance à continuer à « sous-traiter » auprès de l’Australie la gestion des crises mélanésiennes et à se coordonner avec leurs alliés de l’OTASE pour venir en aide aux deux Etats-archipels insulindiens dont le poids géopolitique est trop lourd pour une seule puissance, fût-elle la première puissance du monde. Le Pacifique participe maintenant largement aux bonnes et mauvaises fortunes du monde contemporain. Son « pacifisme » affiché ne le met pas à l’abri des turbulences. Ses dirigeants doivent s’en persuader. Peut-être même devront-ils faire évoluer leur idéologie dans un avenir proche, car ils ne pourront indéfiniment vouloir bénéficier du meilleur de la modernité et stigmatiser celle-ci et « les gens de l’extérieur » qui la véhicule. Ils participent à la modernité; ils doivent donc gérer ses contradictions. Avoir obtenu que le Pacifique Sud soit « dénucléarisé » ne représente en fait pas grand chose.

Le Pacifique a connu un bouleversement majeur au moment du déroulement de la Seconde Guerre mondiale, puis une « révolution » profonde avec l’urbanisation rapide de ses populations. Les mentalités insulaires n’ont pas encore « digéré » les changements qui en ont résulté, mais la qualité de vie qui s’y rattache garde un prix: l’adaptation rapide à des modes de vie et de pensées intégrant mieux le savoir-faire et l’expérience des gens qui se sont « frottés » au monde extérieur. Le Pacifique est un univers particulièrement fragile; il doit donc plus rapidement que d’autre se fortifier.

Au premier chef, cela signifie, aménager les conditions d’une grande mobilité des populations, par une formation performante et par une urbanisation mieux maitrisée, mais encore accrue. Cela signifie aussi intégration par la population de la notion de « bien public », sans laquelle un régime qui se veut démocratique ne peut pas bien fonctionner. Cela signifie enfin dépassement du sentiment, au demeurant légitime, de la prééminence politique des descendants des gens de vieil enracinement par rapport à ceux dérivant des implantations coloniales.
Chaque fois qu’un pluralisme ethno-culturel est suffisamment manifeste, un effort de mise en commun de valeurs de sociabilité doit être entrepris pour que durablement un peuple s’élabore à l’échelle de chaque Etat ou territoire: refouler aujourd’hui les communautés immigrées dans l’anonymat et un statut de citoyen de seconde zone est aussi insupportable que la négation il y a encore peu de la personnalité des peuples autochtones. Un effort de compréhension inter¬culturelle est à suggérer de manière à ce que le Pacifique du XXIe siècle, si féru de qualité de vie, puisse être cité en exemple dans un monde qui a besoin en permanence de dépasser ses contradictions localistes et de croire à la pertinence de quelques valeurs à vocation universelle.

Concrètement et symétriquement, il semble nécessaire que les autochtones puissent reconnaitre les droit à vivre dans leur pays des gens venus depuis deux siècles, mais aussi que les gens d’origine allochtone respectent mieux les valeurs qui font la personnalité océanienne, nourrie toute à la fois de mythes multiséculaires et d’une foi chrétienne dont les promoteurs ne sont autres que des Européens. La facilité d’intégration du christianisme en Océanie prouve l’ouverture naturelle des habitants de cette partie du monde, même si souvent l’étroitesse de leurs îles font qu’ils sont victime « d’insularisme », synonyme de fermeture. Au total, on voit bien ce que peut être le « choc des civilisations », osmotique s’il est maitrisé, pénalisant si on en reste à une instrumentation matérialiste du management des sociétés modernes. Toute société a besoin d’un projet mobilisateur, historiquement explicité, régulé grâce à des normes compréhensibles, ancré dans un espace précis et maitrisé. En cela, l’évolution culturelle et politique du Pacifique doit être intégrée dans la stratégie des nations.

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