Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ?

Olivier Hanne
Professeur associé à Saint-Cyr Coëtquidan
Thomas Flichy de La Neuville
Professeur à l’Ecole Militaire de Saint-Cyr
Présentation et introduction par Ugo Feracci
Saint-cyrien et consultant au sein du cabinet Frost&Sullivan
Un grand nombre d’informations relayées par les médias sont depuis
quelques mois disponibles sur le Yémen. Le Yémen, qui n’avait fait parler de lui
qu’épisodiquement ces dernières années – souvent à l’évocation d’Oussama ben
Laden – est plus que jamais en 2015 au centre des attentions. En effet, une guerre se
déroule sur le sol Yéménite et ses implications sont pour le moins complexes et inquiétantes.
Quelles sont les véritables causes de cette guerre ? C’est à cette question
qu’il semble primordial de pouvoir répondre. S’il s’avère possible de déterminer avec
précision et subtilité les causes de ce conflit, alors, anticiper ses conséquences sur
la région et sur les relations internationales sera peut-être un peu moins hasardeux.
L’objet de cet exposé sera donc de tenter de réduire l’incertitude et le brouillard
dérobant à nos yeux l’avenir à court et moyen terme du Yémen. Premièrement, une
analyse de l’espace, tant physique que civilisationnel, sera l’occasion de présenter les
Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ? Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
26
disparités Nord/Sud du Yémen. Dans un deuxième temps, le chemin vers l’islamisation
du Yémen qui n’interviendra qu’au IXe
siècle, est un pan de l’histoire complexe
et structurant qu’il s’agira d’aborder. On découvrira alors les relations particulières
entretenues avec la Perse, ou bien encore les turbulences économiques traversées par
un pays riche. Le chiisme fera l’objet d’un troisième développement afin de couvrir
la période allant de 897 à 1839. Durant cette partie, c’est l’évolution du Yémen
chiite qui devra retenir l’attention : ses dynamiques et les obstacles à son expansion.
Enfin, une partie dialectique opposant la théorie dichotomique – que celle-ci soit
une partition Nord/Sud ou bien une partition Sunnisme/Chiisme – et la théorie
tribale ou identitaire mettant en jeu plusieurs acteurs fera office de conclusion
et ouvrira un débat. Il sera alors bienvenu de tenter de répondre aux questions
suivantes : L’Iran est-il véritablement la clé du conflit ? Quelle place pour l’État
Islamique dans la guerre au Yémen ? Quelle stratégie l’Arabie Saoudite devrait-elle
adopter vis-à-vis du Yémen ? Le pétrole joue-t-il un rôle important dans la crise au
Yémen ? Quelle attitude pourrait adopter la communauté internationale ? Quelle
attitude devrait-elle adopter ? Enfin, cette guerre est-elle au cœur de la problématique
orientale du XXIe
siècle ou bien n’est-elle qu’un de ses épiphénomènes, un de
ses dommages collatéraux ?
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
27
Espace physique et civilisationnel
Le Yémen, un haut-pays privilégié par les conditions naturelles
Si la situation géographique a jamais pu déterminer le destin d’un peuple, c’est
au Yémen que cette influence s’est faite particulièrement sentir. Qu’on imagine en
effet une région montagneuse de la zone aride, très accidentée et difficile d’accès,
jouissant d’un excellent climat à cause de l’altitude, et d’un sol fertile, arrosé par les
pluies de printemps et d’été. Le Yémen est une île de verdure au milieu d’un océan
de sable et de rocailles. Sur ces hauts plateaux, un peuple audacieux a su exploiter
admirablement les conditions géographiques. Le Yémen se présente pour l’essentiel,
comme un ensemble de hautes terres qui s’élèvent en direction du Sud jusqu’à
3 760 m. Tout ceci n’aurait qu’un intérêt secondaire si le Yémen ne se distinguait
par son climat : le haut pays reçoit des précipitations inhabituelles dans le reste de la
péninsule, à la fois par leur abondance et par leur répartition saisonnière. On comprend
donc les avantages dont jouit le haut pays : climat, richesse du sol sur roche
mère volcanique, et donc richesse du potentiel biologique, autant de conditions qui
sont remplies pour qu’une population abondante s’y soit constituée, beaucoup plus
dense que dans le reste de la péninsule.
Une civilisation urbaine qui s’oppose aux bédouins
L’Arabie du Sud était parvenue au VIe
siècle avant J-C à un haut degré de civilisation
comme en témoignent son écriture et ses monuments. La population
construisait des barrages et avait atteint un grand raffinement artistique dans la
statuaire. Les habitants policés des royaumes du Sud avaient un genre de vie très
différent des Bédouins du Nord. Cultivateurs et citadins, formant des États policés
aux structures complexes, dotés de techniques perfectionnées, les Sudarabiques
appelaient Arabes uniquement les pasteurs nomades du Nord et du Centre. Eux
mêmes parlaient une langue sémitique proche mais différente. Grands bâtisseurs,
ils avaient érigé des temples, construits des forts, édifié des palais et rendu la vie au
désert grâce à d’importants ouvrages d’art. Tandis que le Sud de l’Arabie connaissait
un haut degré de civilisation, le reste de la péninsule arabique, hormis les régions
influencées par les méridionaux, était plus ou moins livré au bédouinisme. Cent ans
avant l’Islam, deux civilisations dominaient encore l’ensemble de la péninsule arabique,
représentées essentiellement d’un côté par des fermiers et des commerçants,
de l’autre par des nomades qui avaient su exploiter les étonnantes possibilités du
dromadaire. Ces deux types de populations étaient souvent en conflit, notamment
en raison de la disparité des intérêts économiques.
Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ? Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
28
Le chemin vers l’islamisation
Un rôle d’intermédiation commerciale entre l’Inde et la Méditerranée
Placé au carrefour des routes commerciales, à l’extrémité sud-ouest de l’Arabie,
le Yémen saute par dessus les obstacles naturels pour jouer à l’intermédiaire entre
l’Inde et la Méditerranée, deux mondes aux richesses multiples et complémentaires,
dont il est séparé par la mer d’Oman, l’Erythrée, jadis la terreur des navigateurs et
le Rub al-Khâli, vaste étendue désertique hostile à l’homme et quasiment impéné-
trable. Les anciens Yéménites surmontèrent ces difficultés et détournèrent ainsi, à
leur profit, une partie d’un vaste courant d’échange, parmi les plus importants du
monde antique. Amenés par bateau dans les ports de l’Arabie du Sud, les marchandises
en provenance de l’Inde étaient dirigées par caravanes vers le golfe arabo-persique,
la Babylonie, la Syrie et l’Égypte. De très gros bénéfices étaient ainsi réalisés,
auxquels s’ajoutaient les gains résultant de l’exportation de produits locaux très
recherchés : encens, myrrhe et aromates. Devenus riches et prospères, les anciens
Yéménites travaillèrent à améliorer leur niveau de vie et surtout à développer l’agriculture
en exploitant au maximum la possibilité de leurs terres arables. C’est ainsi
qu’ils créèrent de gigantesques terrasses aux flancs de leurs montagnes, maîtrisèrent
l’eau, et rendirent la vie au désert, grâce à d’imposants ouvrages d’art. La célèbre
digue de Ma’rib, qui défia le temps pendant plus de mille ans, témoigne à la fois
du génie Yéménite en architecture et de leur préoccupation majeure de revivifier le
désert. Ces Yéménites étaient fortunés lorsque leur souveraine, la fameuse Balqîs,
reine de Saba rendit visite à Salomon, lui offrant selon la Bible, de l’or en énorme
quantité, des pierres précieuses et des charges d’aromates. Ce récit nous permet de
nous faire une idée de la richesse fabuleuse de ce royaume. Les anciens Yéménites
avaient par conséquent édifié leur fortune et leur puissance sur le commerce, en exportant
leurs propres produits, jadis très recherchés et en exploitant judicieusement
la position géographique de leur pays, par lequel transitaient les richesses de l’Inde
et de la Méditerranée. Ensuite, ils surent donner un essor prodigieux à l’agriculture
en multipliant les terrasses et en gagnant de grands espaces sur le désert. Enfin, ils
étaient en relation avec l’ensemble de la péninsule arabique, pour les besoins de
leurs trafics qui se faisait surtout par caravane.
Le déclin du royaume du Sud
Comment expliquer qu’une langue de culture, parlée par des hommes policés
parvenus à un degré avancé de civilisation ait été finalement submergée et vaincue
par une langue de pasteurs ? L’invasion linguistique s’est opérée pacifiquement à la
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
29
faveur du déclin du royaume du Sud. Au VIe
siècle, la Perse, soucieuse de chasser
les Abyssins du Yémen, alliés de Byzance, son ennemi héréditaire, avait contribué
militairement à la lutte yéménite pour la libération nationale. La disparition de son
protégé Dhi Yazan lui fournit le prétexte d’une nouvelle intervention armée. Ainsi,
à la veille de l’Islam, le Yémen n’était plus qu’une dépendance de la Perse, administré
par des gouverneurs persans.
L’Islam bédouin s’empare de la richesse humaine et matérielle du Yémen
Avec la bédouinisation de l’Arabie l’unification culturelle des Arabes était virtuellement
atteinte. Il ne leur manquait qu’une personnalité marquante. Ce fut
Mahomet. Après avoir conquis le Yémen, une double ligne politique guida la politique
de Mahomet : gagner la région la plus riche, la plus peuplée et la plus civilisée
de l’Arabie, et patrie d’origine des Médinois, à la cause de l’Islam, et s’assurer,
d’autre part le contrôle d’une des artères principales du commerce international,
par laquelle transitaient les produits de l’Inde. La conversion du Yémen à l’Islam ne
fut ni spontanée, ni totalement désintéressée. Les Yéménites jouèrent toutefois un
rôle majeur dans la conquête arabe : l’Arabie du Sud fut en effet le grand réservoir
d’hommes dans lequel l’Islam puisa tout au long de son histoire. La conséquence
est que le Yémen se vida progressivement de ses habitants. Un Yémen religieusement
et politiquement divisé, la mainmise de l’étranger, abyssin ou persan, c’est à
cette situation qu’avait mis fin, du vivant du Prophète, la conversion à l’Islam du
gouverneur sassanide Badhân (628), entraînant officiellement celle du pays entier.
Cela signifiait aussi la prédominance des Arabes au sein de l’Empire des Califes.
Ainsi semblait devoir s’effacer la spécificité du Yémen dans un espace religieux,
culturel et politique au sein de l’Islam. Pourtant, dès la fin du IXe
siècle, en 897, un
descendant d’Ali profita de la situation chaotique qui régnait au Yémen pour établir
sa capitale dans le nord du pays à Saada. Ainsi, à la différence du reste de la péninsule
et de la majorité du monde arabe, le Yémen devint chiite au moins dans le haut
pays. Sous les Omeyades, le commerce connut un grand essor. Grâce à l’activité
maritime, Aden devint le grand entrepôt des marchandises en provenance de l’Inde
et de l’Afrique orientale. Une classe bourgeoise sut profiter de la pax islamica pour
reprendre à son compte le rôle d’intermédiaire jadis joué par les Sabéens.
Les évolutions du Chiisme au Yémen
Le zaydisme au Yémen
Le zaydisme est, à l’origine, une secte fondée par Zayd ibn Alî, membre de la
parenté du Prophète, qui s’est séparée des chiites vers 740. Le groupe considère
Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ? Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
30
comme les chiites que le pouvoir califal – l’imâmat – doit aller à un descendant de
Alî et de Fâtima, tout en défendant la nécessité d’un consensus autour de la désignation
de l’imâm, théorie proche du sunnisme. Ils assurent surtout que le pouvoir
légitime doit être défendu par la force, voire pris par les armes et l’insurrection.
Leur état d’esprit les poussait donc facilement dans les révoltes et l’organisation de
coups de main. La doctrine zaydite fut théoriée par Yahyâ ibn al-Husayn al-Hâdî
qui devint émir du Yémen (897-911), et y implanta le zaydisme. Ce courant n’est
donc pas réductible au chiisme « classique », c’est-à-dire duodécimain, majoritaire
en Iran ; il serait plutôt une sorte d’intermédiaire théologique entre sunnisme et
chiisme. En outre, cette doctrine n’est pas unique dans le pays, puisque l’est et le
sud sont sunnites de rite shâfiite, tandis que le sultanat d’Oman voisin est ibadite et
l’Arabie Saoudite hanbalite, deux mouvements intégrés au sunnisme.
Les divisions dynastiques
Après l’islamisation, qui prit trois siècles, le Yémen se retrouva sous la domination
de petites dynasties successives professant le zaydisme : les Yufirides (847-997),
les Nadjâhides (1021-1156), les Suhayhides (1047-1138), les Zurayides (1080-
1173). Chacune était portée par un groupe tribal particulier et s’appuyait sur une
région du sud de la péninsule. Leur unité était assurée par le zaydisme, de sorte
que les Suhayhides, installés à Sanaa, prêtèrent allégeance aux Fâtimides du Caire,
eux aussi chiites. Ils s’opposèrent violemment aux Nadhâhides qui dominaient la
Tihâma. Le système politique était contrôlé par les shérifs, c’est-à-dire des membres
de la haute aristocratie et des chefs de clan qui mettaient en avant leurs origines
mecquoises et leur proximité généalogique avec le Prophète. Le chiisme partagé
n’évitait nullement les conflits violents entre groupes tribaux, ainsi au XIIe
siècle
pour le contrôle de Sanaa.
La lutte pour l’indépendance
En 1173, les troupes de Saladin, notoirement sunnites, envahirent le Yémen,
brisèrent les dynasties locales. Cette fragilisation des petits émirats chiites de la ré-
gion facilita la domination des Rasûlides (1228-1454), considérée comme l’apogée
du Yémen avant l’occupation ottomane à partir de 1516. Mais les Turcs n’exercèrent
qu’un contrôle nominal et composèrent avec les imâms zaydites qui menèrent la
résistance pendant un siècle. En 1629, les zaydites prirent Sanaa, renversèrent les
armées ottomanes et instaurèrent un système politique fondé sur l’imâmat zaydite.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
31
En confiant le gouvernement du pays à une succession d’imâms, les Yéménites
renforçaient la place et l’autorité du pouvoir religieux, sans pour autant empêcher
les tentatives de coup d’État et les querelles entre prétendants à l’imâmat. Sous
l’imâm al-Mutawakkil (1644-1676), le pays connut un nouvel essor en conquérant
l’Hadramaout, mais la puissance ottomane, forte de son armement et profitant
d’une vacance dans l’imâmat, parvint à occuper à nouveau le Yémen en 1872. Les
révoltes zaydites et la désignation d’imâms résistants ne purent rien faire contre
l’hégémonie turque. En 1918, la défaite ottomane rendit au Yémen son indépendance
sous le contrôle de l’imâm Yahyâ, qui isola le pays et le maintin dans le
sous-développement. Son assassinat en 1948 amena au pouvoir son fils, personnage
violent et autoritaire, qui ne parvint jamais à s’imposer à Sanaa et dut s’effacer dans
la cité de Taïz. À sa mort en 1962, l’armée, influencée par le nationalisme arabe et
Nasser, prit le pouvoir et abolit l’imâmat.
Analyse de la partition et analyse tribale
Les deux Yémen
Dès le XIXe
siècle, le Yémen fut coupé en deux : au nord l’État-imâmat, et au
sud la colonie anglaise structurée autour du port d’Aden et conquise dès 1839.
En 1962, la proclamation d’indépendance de la République Arabe du Yémen ne
concernait que la partie Nord, laquelle entra aussitôt dans une période de guerre
civile, marquée par les intrusions militaires de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite. En
1978, Alî Abdallah Sâlih devint président de ce Yémen du Nord et garda le pouvoir
jusqu’aux événements de 2011-2012. Le Yémen du Sud, lui, quitta le giron de de
la Grande-Bretagne en 1967 et s’orienta progressivement vers un système marxiste
proche de l’URSS. Pourtant, dans les deux pays, des campagnes populaires militaient
pour la réunification, processus rendu possible par la chute du Mur, Moscou
ne pouvant plus soutenir la partie Sud.
En mai 1990, les deux Yémen furent officiellement rassemblés, mais c’est le
président Sâlih qui devint le chef d’État du pays réunifié, mettant ainsi aux commandes
du Yémen toute l’oligarchie du nord. Dès lors, les tensions ne cessèrent
d’être exacerbées et débouchèrent sur une nouvelle guerre civile en 1994.
Une fracture religieuse ?
Le conflit actuel ne peut être réduit à une fracture chiites/sunnites. Celle-ci
existe bien sûr, mais le zaydisme est un courant du chiisme qui ne se réduit pas au
Guerre au Yémen, quelles en sont les véritables causes ? Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
32
groupe majoritaire duodécimain tel qu’il existe en Iran. Certaines tribus yéménites
sont elles-mêmes partagées entre shafiisme et zaydisme, or l’appartenance tribale
l’emporte bien souvent sur l’aspect confessionnel.
Les houthis, qui mènent la révolte au Yémen depuis 2014, représentent un tiers
de la population, qui est d’abord sunnite shafiite. La milice houthie fut fondée par
Hussein al-Houthi, après l’indépendance du Nord en 1962, afin de garantir que
la fin de l’imâmat ne sonnerait pas celle du zaydisme et de l’ancienne culture tribale.
Il fallait préserver la vénération des familles aristocratiques qui avaient donné
les principaux imâms au pays. Le président Sâlih dut longtemps composer avec la
milice, mais l’influence diplomatique des États-Unis après le 11 septembre 2001 et
la « guerre contre le terrorisme », auquel participait officiellement Sâlih, brisèrent
l’unité de façade entre le gouvernement et les élites zaydites. Hussein al-Houthi fut
même assassiné en 2004 à l’initiative de Sâlih. Or, l’influence grandissante chez les
sunnites yéménites du wahhabisme saoudien, des Frères musulmans et du salafisme
d’Al-Qaïda remit en cause les équilibres religieux traditionnels. Les élites shafiites
et le sud du pays se rallièrent progressivement à l’islamisme mondial et à l’idéologie
revancharde de Ben Laden, dont la famille était originaire du Yémen.
Le Yémen entre Houthis, Al-Qaïda et l’Arabie Saoudite
Alors que les zaydites dominaient politiquement le Yémen du Nord depuis
mille ans, ils craignirent de perdre leur ascendant politique face au dynamisme
d’al-Qaïda et de l’Arabie Saoudite voisine. Sâlih de son côté se savait menacé par
les États-Unis qui voulaient démocratiser le régime à la faveur du Printemps arabe.
Oubliant les tensions récentes avec la milice houthie, Sâlih décida de la soutenir
pour conserver le pouvoir face à Al-Qaïda et Washington. Mais il fut évincé en
2011 et remplacé par Abd Rabo Mansour Hadi, un sunnite favorable à l’Arabie
Saoudite. C’était la victoire politique du projet américano-saoudien. Les shafiites
du Sud s’emparèrent donc du gouvernement à la place des zaydites. Aussitôt ceux-ci
lancèrent une révolte qui leur permit de prendre Sanaa en mars 2015, la capitale se
situant dans la zone zaydite.
Le pays se déchira. L’ancien Yémen du Nord passa entièrement sous contrôle
des Houthis. Le gouvernement sunnite se rapprocha de Riyad. Mais les shafiites
eux-mêmes virent d’un mauvais œil ces liens hétérodoxes au sein du sunnisme
avec Riyad, dont la confession est hanbalite, et non shafiite. La soumission aux
Saoudiens leur paraissait scandaleuse. Un courant sécessionniste donc se constitua
dans le sud, désobéissant au gouvernement central. La branche locale d’Al-Qaïda
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
33
en profita pour prendre pieds dans la partie Sud, sous le nom d’Al-Qaïda dans la
Péninsule arabique (AQPA). Les États-Unis, qui craignaient la présence d’AQPA,
organisation contre laquelle ils multiplièrent les assassinats par drones, laissèrent
faire les Houthis dans l’espoir qu’ils briseraient le jihadisme. Mais l’année 2014
ayant vu le retour de l’Iran sur la scène internationale, les Américains identifièrent
dans les Houthis une cinquième colonne chiite en Arabie, alors que les liens politiques
et militaires entre zaydites et iraniens n’étaient nullement avérés. Ils changèrent
brutalement leur fusil d’épaule pour soutenir les salafistes et autorisèrent
Riyad à intervenir militairement au Yémon contre les Houthis.
Tous unis contre les Houthis
L’aspect confessionnel du conflit est donc réel mais beaucoup plus complexe
que le manichéisme chiites / sunnites rabâché dans les médias. Les deux camps en
présence ont eu pourtant tout intérêt depuis un an à s’identifier progressivement
à une confession reconnue de l’islam, les Houthis au chiisme duodécimain, les
Yéménites du Sud au sunnisme hanbalite, les uns pour obtenir l’aide de l’Iran, les
autres pour avoir celle de l’Arabie Saoudite, d’AQPA, voire de l’État islamique. Mais
si les médias iraniens se scandalisent du sort réservé aux Houthis, ils ne pourront
pas leur venir en aide en raison de l’éloignement de ce théâtre de guerre et parce
que les houthis ne contrôlent aucun port où débarquer des armes. De l’autre côté,
les médias de Daech ont pris fait et cause pour la guerre faite contre les Houthis,
tout comme les États-Unis.
Sur le plan médiatique, les adversaires de ces derniers ont tout fait pour les
identifier à un chiisme révolutionnaire et violent, pour mieux les associer à l’Iran
et au danger qu’il représente. Les acteurs de ce plan de communication sont les
États-Unis et l’Arabie Saoudite. À la haine anti-iranienne s’est ajoutée chez ces derniers
une sympathie naturelle pour les sécessionnistes radicalisés du Sud, proches
du wahhabisme, voire d’AQPA. Riyad continue donc son jeu trouble de séduction
des salafistes les plus dangereux de la planète.

Article précédentYémen, théâtre d’opposition des puissances régionales
Article suivantDaech, Yémen et Moyen-Orient

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.