Guerre saoudienne en Syrie et au Yémen : enjeux et plan d’un changement qui redessine le Moyen Orient

Fayçal JALLOUL

Ecrivain et spécialiste du Monde arabe

Avril 2016

L’Arabie Saoudite a formé une alliance militaire pour se lancer dans une guerre sans merci contre le Yémen. Justifiée au nom du soi-disant maintien de la « légitimité yéménite » démocratique, la poursuite de cette guerre est conditionnée par le retour au pouvoir à Sanaa du président Abed Rabbo Mansour Hadi et de son gouvernement dit « légal ». Les Saoudiens prétendent agir au nom des principes inscrites dans l’Accord du Golfe unanimement soutenu sur le plan international, y compris par la Russie.

En Syrie, l’Arabie Saoudite mène presque la même politique. Elle finance, forme et envoie des combattants dans ce pays et prend en charge un certain nombre de mouvements d’opposition armés afin de changer le régime syrien et de mettre en place un régime démocratique. Dans un cas comme dans l’autre, les guerres menées par l’Arabie Saoudite soulèvent toujours la même ques­tion : pourquoi un régime monarchique se bat-il pour la démocratie partout ailleurs mais jamais chez lui ? En réalité, les raisons de l’engagement militaire de l’Arabie Saoudite dans ces pays sont avant tout de nature géopolitique, historique et communautaire.

On peut en effet expliquer la guerre de l’Arabie Saoudite contre le Yémen et la Syrie par la conflic-tualité traditionnelle entre républiques et monarchies. Cette dualité de régime est un héritage du colonialisme : les Français ont construit les régimes républicains, les Britanniques les États monarchiques, et l’antagonisme entre ces deux systèmes a perduré jusqu’à nos jours. La fin de la Guerre froide a rendu possible une guerre de l’Arabie Saoudite lancée contre ces deux pays, désormais dépourvus de la protection de l’Union soviétique, jusqu’alors garante du maintien de l’équilibre régional et interarabe. Les États-Unis, après l’échec de la guerre en Afghanistan et en Irak, annoncèrent leur intention de quitter le Moyen-Orient. Ce tournant majeur dans la stra­tégie américaine s’est accompagné du déclenchement des Printemps arabes et a offert à l’Arabie Saoudite une occasion rêvée pour en finir avec ses rivaux yéménite et syrien. L’Arabie Saoudite espère gagner la guerre au Yémen et en Syrie pour pouvoir remodeler tout l’es­pace régional, signer la paix avec Israël aux conditions de l’État juif et mettre ainsi fin à l’influence iranienne dans la région, en grande partie alimentée par la colère anti-israélienne. Au Yémen, le régime saoudien espère aussi assurer l’exportation du pétrole à l’étranger sous un régime sûr et fédéral, et mettre la main sur le détroit de Bâb el Mandeb. Il entend également protéger sa rive de la Mer rouge et, peut-être, annexer la région stratégique du Hadramaout. Il n’en reste pas moins que la guerre menée par les Saoudiens dans ces deux pays se déroule très mal et qu’en cas d’échec, le prix à payer sera très cher, et ira peut-être jusqu’à la perte du trône de leur Royaume.

Pour la première fois de son histoire, l’Arabie Saoudite déclenche deux guerres en Syrie et au Yémen. On peut se demander pourquoi, alors que ce pays avait jusqu’à présent fondé sa stratégie politique sur le pétrole et l’argent, et que la dernière guerre connue qu’il avait menée remontait à presque un siècle.

Lorsque la question est posée aux autorités saoudiennes, elles répondent qu’au Yémen, il y avait un président élu légalement, évincé par le mouvement paramili­taire Ansar Allah, et que cette guerre est menée pour rétablir le pouvoir du président élu. Pour la Syrie, l’Arabie Saoudite explique que Bachar Al Assad est un dictateur et qu’il faut remplacer son règne par un régime démocratique.

Face à ces explications officielles, on est en droit de s’interroger sur les véritables motivations de ce régime, tant il est curieux qu’une monarchie absolue témoigne d’une soudaine volonté de défendre la démocratie, dans deux de ces États républicains que sont le Yémen et la Syrie. Car si le roi Salman apprécie sincèrement la démo­cratie, pourquoi ne l’a-t-il pas installée chez lui ? Et pourquoi n’a-t-il pas également contribué à son installation chez ses voisins ? Parce que ce discours officiel ne peut que poser sérieusement la question des véritables motifs de cette double entrée en guerre de l’Arabie Saoudite qui doivent être cherchés ailleurs.

Il y a des enjeux stratégiques derrière les deux guerres en question, dont le plus important est l’exercice du leadership dans le monde arabe. Pour le comprendre, un recadrage historique est nécessaire. Entre les années 1950 et 1960, c’est Jamal Abdel Nasser qui était le leader du monde arabe. Anouar el Sadate qui lui a succédé, en décidant de signer la paix avec Israël, abandonna le combat pour la résolution du conflit israélo-arabe. Et comme le leadership au Moyen-Orient est structurellement lié à la question palestinienne, l’Égypte perdit toute prétention à jouer le rôle de guide des Arabes. Par ailleurs, une croissance démographique de plus en plus im­portante absorba le gros des moyens de ce pays. Entre temps, l’aide américaine, qui faisait partie intégrante des accords de Camp David, permis de s’assurer du soutien de l’armée égyptienne et de sa collaboration dans la mise au pas des populations.

Cette marginalisation de l’Égypte de Sadate coïncida avec la Révolution ira­nienne et l’installation de la République islamique. Le nouvel Iran déclara haut et fort son intention d’exporter autant que possible son modèle de révolution, mais ne mit jamais en application ce projet. Entre temps, le président irakien Saddam Hussein réussit à isoler l’Égypte, à maîtriser le monde arabe et à le retourner, dans sa quasi-intégralité, contre l’Iran, à l’exception de la Syrie. Saddam Hussein présentait les Perses comme les ennemis de toujours de la nation arabe et soutenait qu’il fallait les combattre et faire tomber leur régime avant qu’ils n’exportent leur révolution en Irak et dans le Golfe.

Le leadership de Saddam Hussein s’est maintenu jusqu’à l’envahissement du Koweït en 1990. Puis, s’en est suivie une longue période de vide du leadership, jusqu’à l’année 2000 où les Arabes ont trouvé une sorte de compromis dans la direc­tion de leurs affaires. Une coalition se forma entre l’Égypte en paix avec Israël, la Syrie ennemie d’Israël et l’Arabie Saoudite, faisant l’équilibre entre les deux, avec le soutien des principaux mouvements de résistance palestino-libanaise. Après le Printemps arabe, cette direction tripartite des affaires arabes s’est, de fait, dissoute ; la Syrie et le Yémen étant considérablement affaiblis et privés de leur soutien libyen après la mort de Kadhafi.

Le Printemps arabe a affaibli l’Égypte, fait disparaitre la Libye, a frappé le Yémen en plein cœur et plongé la Syrie dans une guerre civile atroce. Une nouvelle situation de vide dans le leadership du monde arabe s’est présentée, vide que l’Ara­bie Saoudite a pensé pouvoir remplir à elle seule. Ce vide était tel que pendant un temps, le Qatar a joué ce rôle de leader, tentative qui fut naturellement couronné d’échec : c’était comme si le Luxembourg prétendait diriger à lui tout seul l’Union européenne.

Il faut par ailleurs ajouter à ce premier recadrage historique la question des structures politiques coloniales dont les régimes arabes ont été largement les héri­tiers. Dans leurs anciens Empires coloniaux, les Français avaient installé des régimes républicains tandis que les Britanniques avaient forgé des régimes monarchiques. Tous les changements effectués dans la région l’étaient dans les pays républicains. Les monarchies étaient systématiquement protégées par l’Occident et surtout par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Pour ces pays protecteurs des Droits de l’homme, la liberté d’expression, la démocratie et autres valeurs univer­selles devaient être respectées dans la moitié républicaine du monde arabe mais pas dans les monarchies.

Ce deux-poids deux-mesures se reproduisit lors du Printemps arabe… La preuve en est que l’opinion internationale a fermé les yeux sur la répression de la population bahreïnie qui descendait dans les rues pour revendiquer des reformes, mettre fin à la ségrégation communautaire et réclamer la démission d’un Premier ministre despote, en place depuis un demi siècle. La communauté internatio­nale a par ailleurs largement maintenu cachée la naturalisation rapide et massive d’étrangers d’origine sunnite, pour faire face à la majorité chiite dans la société bahreïnie. L’Arabie Saoudite et ses protecteurs démocrates en Occident ont aussi défendu deux monarchies arabes situées en dehors de la zone du Golfe, ne s’exprimant jamais sur la nécessité de changement de régime ou de reformes. Il s’agit des Royaumes de Jordanie et du Maroc. Cela a légitimement laissé un goût amer à l’ensemble des populations ayant été témoin de ce Printemps dit démocratique et de l’hypocrisie de la politique, à géométrie variable, de l’Occident.

On est donc légitimement en droit de contester l’explication selon laquelle l’Arabie Saoudite serait entrée en guerre au Yémen et en Syrie au nom d’une géné­reuse volonté de défendre le droit des peuples. Il semble par contre plus vraisem­blable de penser que la Syrie affaiblie devenait une cible relativement facile pour l’Arabie Saoudite et que cette dernière s’est saisie de cette opportunité qui lui était offerte par le Printemps arabe.

Avec la fin de la Guerre froide, le coup avait déjà été dur pour la Syrie qui per­dait alors son allié et protecteur soviétique. Tout récemment, les États-Unis ont éga­lement pris un tournant stratégique historique dans leur politique régionale. Ayant coup sur coup perdu les guerres d’Irak et d’Afghanistan, ils sont devenus le pre­mier producteur de pétrole dans le monde, ce qui rendait inutile le maintien d’une influence américaine dans la région au nom de l’approvisionnement pétrolier. Ces deux facteurs, conjugués à d’autres moins importants, ont poussé les Américains à reconsidérer le Moyen-Orient comme une région moins importante pour leurs intérêts et à concentrer leurs forces dans la zone du Pacifique. Ce renversement majeur de la politique américaine a provoqué une course régionale pour combler le vide laissé par les Américains : la Turquie, Israël et l’Iran en ont pris la tête.

L’Iran a fait des investissements militaro-politiques très intelligents dans le monde arabe, fondés sur ses liaisons religieuses étroites avec les communautés chiites et son soutien à la cause palestinienne. Il a réussie à occuper une place de première importance en soutenant activement les mouvements de résistance sun­nite en Palestine et en Syrie, et de résistance chiite au Liban. Ces mouvements sont devenus des têtes de pont iraniennes très importantes à la suite des défaites israé­liennes, lors des trois guerres de 2006, 2009 et 2013. La cause palestinienne occu­pant toujours dans la culture politique arabe une place prépondérante, les Iraniens ont construit, grâce à la défense de cette cause, un réseau régional très important en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, en Palestine, à Bahreïn et dans la région chiite à l’Est de l’Arabie Saoudite.

En Irak, l’Iran a profité de l’échec américain en devenant, grâce à la majorité chiite, un facilitateur de l’évacuation des forces militaires américaines, sans perte à la vietnamienne. L’influence iranienne à Bagdad a atteint un degré très élevé de sorte que la formation des gouvernements ne peut plus se faire contre les intérêts iraniens, ce qui relègue au statut de lointain souvenir l’hostilité anti-perse du régime de Saddam Hussein.

Au Liban, le soutien iranien au Hezbollah et à la communauté chiite dans son ensemble, lors de la libération du Sud Liban puis pendant et après la guerre israé­lienne de 2006, a fait de l’Iran un acteur majeur dans la résolution du sort de ce pays.

En Syrie, le pacte de Damas de 2009 signé entre Assad, Ahmadinejad et Nasrallah a placé la Syrie au centre d’une alliance de vie ou de mort avec l’Iran, confirmant au passage le choix d’Assad père, qui n’avait pas hésité à défendre l’Iran seul contre tous les Arabes derrières Saddam Hussein, pendant la guerre Iran-Irak. L’Iran défend aujourd’hui ardemment la Syrie, en considérant à juste titre que la chute du régime syrien peut provoquer un grand chamboulement dans la région et la priver d’un allié central dans le monde arabe.

Au Yémen comme à Bahreïn, l’influence de l’Iran est indiscutable, tout comme dans l’Est de l’Arabie Saoudite, même si Téhéran ne va pas très loin face à la pré­sence du commandement de la cinquième flotte américaine à Manama et la base américano-française située au détroit de Bab al mandeb, à Djibouti.

Naturellement, l’Iran ne peut prétendre diriger le monde arabe majoritairement sunnite à lui tout seul, mais compte bien y jouer un rôle important, ne serait-ce que pour prévenir une nouvelle guerre communautaire ou nationaliste arabe telle que Saddam Hussein l’a menée contre les Perses.

Sous la présidence d’Erdogan, la Turquie est également devenue un nouvel acteur régional dans le monde arabe. On prête à ce président des prétentions néo­ottomanes dans cette région, et son rôle dans le Printemps arabe reflète bien une ambition de cette nature. Ses discours, ses problèmes avec Israël et surtout sa co­lère publiquement exprimée contre l’État hébreu après l’affaire de la flottille de la Liberté, violement interceptée par la marine israélienne pour l’empêcher de braver l’embargo qui frappe Gaza, furent bien accueillis par l’opinion publique arabe qui a toujours la nostalgie de l’héroïsme nassérien. La Turquie a travaillé étroitement avec les Frères musulmans pour changer les régimes arabes républicains et mettre à leur place des gouvernements islamiques modérés et amis de l’Otan. Le mufti du Printemps arabe, le Cheikh Qaradawi, disait publiquement que si le Prophète Mahomet vivait à notre époque, il aurait travaillé avec l’Otan. Le président égyptien Morsi, issu du même courant, a promis aux Israéliens de meilleures relations avec le monde arabe, s’il était dominé par la confrérie.

Il est important de noter que la fondation des Frères musulmans était l’expres­sion d’une sorte de refus de la dissolution de califat par Atatùrk, et qu’Erdogan est considéré comme le nouveau calife qui va tourner la page Atatùrk et restaurer la gloire islamique dans le monde. Pour atteindre cet objectif, il fallait faire tomber le régime syrien et ensuite les régimes du Golfe. Un réseau de Frères musulmans pla­nifiait un coup d’État aux Emirats arabes unis. Lorsque ses membres furent arrêtés ils révélèrent ce plan, ce qui provoqua une chasse à l’homme contre la confrérie. La Turquie, quelques mois après la chute du président égyptien Morsi, se voyait supprimér une aide financière massive des Emirats et de l’Arabie Saoudite, ce qui a freiné son ambition de rétablissement du califat sans l’écarter définitivement

Quant à Israël, s’il lui est impossible de prétendre au leadership du monde arabe, il pourrait toutefois se débarrasser de la cause palestinienne et garder le Golan et les Fermes de Chebaa libanaises en cas de victoire de l’axe Turquie-Qatar-Frères musulmans ou bien si le bloc dirigé par l’Arabie Saoudite arrivait à battre le régime syrien et les résistants yéménites. Dans le pire des cas, l’État hébreu profitera de la déchirure interarabe qui ne peut que se prolonger. C’est à la faveur de cette déchi­rure qu’il a récemment pu voir se réaliser l’un de ses rêves apparemment le moins réalisable : l’inscription, par la Ligue arabe, de la résistance libanaise du Hezbollah dans la liste des organisations terroristes, faisant directement suite à des pressions saoudiennes.

Si le déplacement stratégique américain à provoqué le printemps arabe, puis une course régionale au comblement de ce vide, il a également poussé les régimes arabes rescapés de ce changement à faire leurs choix d’alliance. L’Égypte post-Morsi souffre de graves problèmes économiques et du terrorisme : elle restera probable­ment sur la défensive pendant un long moment. L’Algérie n’a jamais eu de préten­tions à jouer un rôle en dehors de sa région ni même de ses frontières. Le Maroc est un allié de Ryad et la Syrie et l’Irak sont menacés d’implosion. Tout cela semblait laisser à l’Arabie Saoudite un large boulevard dans lequel s’engouffrer. Le général saoudien à la retraite, Anouar Echqui (président de l’Institut des études stratégiques du Moyen-Orient à Djedda), révélait les grands points de ce plan saoudien au mois de juin 2015, lors d’une rencontre avec Dori Gold, directeur du ministère israélien des affaires étrangères :

  • – Joindre la Corne de l’Afrique à la Péninsule arabique par un pont qui s’ap­pellerait le Pont Annour, reliant la ville qui porte le même nom à Djibouti et la ville similaire en construction au Yémen. L’Ethiopie unifierait la Corne de l’Afrique autour des sources de gaz et de pétrole, dans le champ d’Ogaden et dirigerait cette région en coopération avec la Péninsule arabique.

Pour pouvoir réaliser ce projet régional, il faudrait par ailleurs réunir les condi­tions suivantes :

  • – Signer la paix entre les Arabes et Israël
  • – Changer de régime politique en Iran
  • – Unifier les pays du Golfe
  • – Faire la paix au Yémen et réaliser la zone franche d’Aden
  • – Former une force arabe sous l’égide des Américains et des Européens pour protéger les pays du Golfe et les pays arabes et pour imposer la stabilité dans cette région
  • – Instaurer la démocratie sur des bases islamiques dans le monde arabe
  • – Créer le grand Kurdistan par des moyens pacifiques. Cela priverait l’Irak, la Turquie et l’Iran du tiers du territoire de chacun d’eux et par conséquence, dimi­nuerait leurs ambitions régionales

Ce plan qui n’a pas été démenti par les autorités saoudiennes, est celui d’une al­liance avec Israël, État qui est en quelque sorte le prolongement de l’Occident dans le monde arabe. Son existence explique pourquoi et comment l’Arabie Saoudite voulait se débarrasser du régime syrien, ainsi que de la coalition entre Ansar Allah et l’armée de Ali Abdallah Saleh au Yémen.

En Syrie, l’enjeu saoudien de la guerre comporte plusieurs objectifs stratégiques. Le premier est de mettre fin à la résistance palestinienne, comme en témoigne la première déclaration de l’opposition armée syrienne liée à l’Arabie Saoudite, qui promettait le désarmement du Hezbollah s’il arrivait à gouverner la Syrie. S’il avait lieu, un tel désarmement mettrait fin à la cause palestinienne. L’organisation pro­turque Al Noussra, dont les combattants profitent de l’aide israélienne au sud de la Syrie, gardent des relations amicales avec l’État hébreu.

La mention des Kurdes dans le plan du général Echqui rejoint par ailleurs la politique américaine de soutien aux Kurdes en Syrie, qui n’a pas cessé de provo­quer la colère des autorités turques. En chassant Assad du pouvoir, les Saoudiens espèrent diriger le monde arabe avec Israël et faire face au Turcs et aux Iraniens. Le droit au retour de six millions des Palestiniens serait piétiné, ainsi que la restitution des Fermes de Chebaa au Liban et du Golan à la Syrie. Les Russes, les Iraniens et le Hezbollah ont pour l’instant empêché la chute de Damas, mettant en échec cette stratégie de Ryad.

Au Yémen, la guerre saoudienne devait atteindre quatre buts de première im­portance :

1 – Maintenir ce pays sous ordre saoudien : selon un adage, attribué au roi Abdelaziz, le roi wahhabite lui-même conseillait à ses fils et héritiers : « votre mal vient du Yémen et votre bien également. Que le Yémen soit toujours sous vos ordres ». Tous les présidents qui ont gouverné le Nord Yémen furent installés, à partir de 1970, par les Saoudiens. Lorsque le président Ibrahim al Hamdi (1974­1977) s’éloigna des Saouds et pensa réunifier son pays, il fut assassiné avec son frère en présence de l’attaché militaire saoudien Saleh Alhoudian.

La formation des gouvernements yemenites à Sanaa devaient avoir l’approba­tion de Ryad. Des personnalités importantes touchaient des salaires mensuels du royaume. Ali Abdallah Saleh, en profitant de la fin de la Guerre froide et de bonnes relations avec Saddam Hussein et Yasser Arafat, a osé la réunification des deux Yémens et a mené une politique étrangère indépendante de l’Arabie Saoudite. Il a été puni pendant le Printemps arabe, provoqué par les medias aux ordres du Golfe, d’abord par un attentat fomenté par les amis de Ryad et ensuite en le poussant à quitter le pouvoir. L’initiative de sortie de crise yéménite, dite « Initiative du Golfe », prônait la division du Yémen en six régions. Des fédérations qui disperseraient la force démographique de ce pays et isoleraientt les Zaydites qui ont gouverné ce pays depuis toujours, dans une région sans ressources naturelle et sans accès à la mer.

La mainmise saoudienne sur le Yémen était presque imposée lorsque Al-houthi et Saleh firent volte-face début 2015 et réoccupèrent tout le pays, provocant le déclenchement de la guerre atroce du roi saoud, ne supportant pas que son voisin refuse son diktat. Cette guerre est clairement punitive : elle vise les infrastructures que ce pays pauvre a passé de longues années à construire, en plus des crimes de guerre commis avec l’aval silencieux des Américains et des Européens. Le message des envahisseurs saoudiens aux Yéménites est le suivant : « votre sort sera toujours entre nos mains… puisque notre bien et notre mal viennent du Yémen ».

  • – Avoir un accès direct au Pacifique : les Saoudiens ont longtemps négocié en vain l’achat d’un territoire yéménite pour construire un pipeline placé directement sous leur souveraineté, reliant l’Arabie au Pacifique. Un régime local, sous leurs ordres, pourrait signer un tel accord sans état d’âme.
  • – Éloigner l’Iran de la frontière sud du royaume : les Iraniens font faire des cau­chemars à la famille royale parce qu’ils ont des amis au Bahreïn, à l’est du royaume, en plus de leur influence au sein de la communauté chiite saoudienne. Ils ont des amis en Irak, non loin de leurs frontières. Enfin, ils sont présents à la frontière sud du Yémen, en s’appuyant sur le mouvement Ansar Allah. S’ils gagnaient la guerre, les Saoudiens stopperaient l’avancé considérable de Téhéran dans cette région.
  • – Le Pont Annour : Le projet du Pont Annour, reliant la Corne de l’Afrique à la Péninsule arabique, mentionné dans le plan du général Anouar Echqui, ne peut voir le jour que sous un Yémen faible, régionalisé voir morcelé, aux ordres du royaume saoudien.

La prétention de l’Arabie Saoudite à s’emparer du leadership dans le monde arabe dépend principalement du sort de la guerre en Syrie, et ensuite du dénoue­ment de la guerre au Yémen. Le développement de la guerre en Syrie après l’inter­vention russe donne l’avantage au régime qui vient de libérer Palmyre de Daech et le sort du président Assad n’est plus une priorité des parties en conflit, à l’exception de l’Arabie Saoudite qui sait très bien qu’Assad rescapé s’opposerait résolument à elle.

Du coté yéménite, les Saoudiens constatent que la coalition Saleh-Al-houthi tient très bien sur tous les fronts et que les forces de M. Hadi n’arrivent pas à gagner des batailles importantes sur le terrain. D’une part, Ryad ne pourra plus assumer le coût très élevé de cette guerre pendant longtemps. D’autre part, les Américains et les Européens ont averti le royaume saoudien que leur guerre va dans la mauvaise direction et qu’il faut l’arrêter le plus tôt possible, faute de ne plus pouvoir couvrir les atrocités commises par les bombardiers du royaume et de ses alliés. Le premier avertissement occidental est venu du Parlement européen qui a voté récemment une motion d’interdiction de vente d’armes à l’Arabie Saoudite à cause de la guerre du Yémen. Le président Obama avait, avant cela, fortement critiqué la guerre au Yémen.

Les Saoudiens savent très bien qu’ils ne pourront pas continuer la guerre sans couverture occidentale, ce qui explique le dialogue secret qu’ils ont commencé à entamer avec Ansar Allah. Ils espèrent négocier une sortie de conflit qui ne leur soit pas trop déshonorante, eux qui pensaient, avant de la commencer, gagner cette guerre en deux semaines.

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