IRAK : DE LA DICTATURE À UN AVENIR PROMETTEUR

Son Excellence Mowafak ABBOUD

JE VOUS REMERCIE BEAUCOUP, de m’avoir invité à m’adresser à ce rassem­blement important. C’est un honneur d’être ici dans le cadre de cet institut presti­gieux, pour parler de la transition de l’Irak vers la démocratie.

L’Irak, c’est un pays relativement jeune. Sculpté dans l’Empire ottoman dans les années 1920, maints groupes ethniques et religieux divers ont formé une na­tion sur ce territoire reconnu « berceau des civilisations ». Depuis lors, du mandat britannique à la monarchie, à la version baasiste socialiste arabe d’une république, l’Irak n’a jamais connu une paix et une stabilité sociale complètes. Au lieu de cela, le pouvoir et les richesses ont été saisis et concentrés chez des minorités successives de dirigeants qui ont bafoué les valeurs démocratiques et n’ont jamais gouverné dans l’intérêt du peuple irakien ni dans son intégralité ni avec son consentement. En dépendant de la puissance de l’armée et en abusant systématiquement des richesses irakiennes, ces dirigeants autoritaires ont ultimement compromis, marginalisé et persécuté même la population.

Mais les sommets de la dictature et de la tyrannie ont été incorporés chez l’an­cien régime baasiste. Aucun dirigeant n’a été aussi dépourvu de scrupules, aussi destructeur et aussi brutal que Saddam Hussein, qui a investi les ressources du pays pour sécuriser des institutions étatiques responsables de ne servir que lui et d’avoir dédier tous ses efforts afin de contrôler la société, d’éliminer toute dissidence et op­position, et de lancer des guerres régionales dévastatrices qui ont coûté à l’Irak plus d’un million de vies humaines accompagnées de destructions à grande échelle.

L’Irak c’est le cas emblématique de la chute d’une nation, de gloire en misère, de richesse en dureté, et de puissance en vulnérabilité. C’est un modèle typique de la manière avec laquelle un régime corrompu, oppressant et égoïste peut amener à la ruine une société vibrante. Ayant atteint un niveau de vie assez satisfaisant associé à un taux de croissance économique élevé, ayant effectué une accumulation colos­sale de réserves financières, le régime de Saddam a réduit le revenu par tête, pour atteindre un niveau inférieur à celui de l’Inde il y a trois décennies. Il a quitté un pays confronté au fardeau de $125 milliards de dettes et plus de $200 milliards de réparations à effectuer dans le contexte de l’invasion du Koweït. Donc, le régime de Saddam a mis le pays à genou. Trente-cinq années de mauvaise gestion économi­que, deux guerres majeures (contre l’Iran et le Koweït) et douze années de sanctions ont laissé toute l’infrastructure du pays, l’industrie pétrolière, les institutions étati­ques et l’économie nationale dans un désarroi honteux. Des millions d’Irakiens ont perdu leur maison, et il y a eu dégradation et pénurie des produits et des services essentiels.

Alors que la communauté internationale se disputait la sagesse de faire la guerre pour faire partir le régime de Saddam, nous en Irak, savions qu’il s’agissait là de la seule manière pour permettre aux Irakiens de trouver l’opportunité de construire un nouveau pays libre et démocratique. L’Histoire nous avertit que ce n’est pas là une démarche facile. Construire une démocratie est en général difficile, douloureux et mouvementé, exigeant du temps et une volonté déterminée. Nous avons donc reconnu que la reconstruction de notre pays et de notre transition démocratique allait être une tache formidable ; les cicatrices de notre passé sont profondes, et dans notre société il y avait beaucoup d’animosité à surmonter. Nous savions donc que notre démocratie n’allait pas arriver automatiquement, et qu’elle ne pourrait non plus être imposée de l’extérieur. Une formule favorisant un futur paisible et tolérant pour l’Irak doit être élaborée par les Irakiens en choisissant et en mettant sur pied un système politique qui reflète le mieux leur paysage politique. Tous les Irakiens doivent jouer leur rôle dans la construction du futur, un futur où les libertés et les droits de l’homme sont protégés, et où tous les Irakiens jouissent de droits égaux.

Pour accomplir cela, un procédé politique a été instruit par le Conseil de gou­vernement conformément à la Loi administrative transitionnelle d’Irak et ratifié par la Résolution n°1546 du Conseil de sécurité de l’Onu, approuvant essentiellement des élections libres et équitables, la rédaction et la ratification d’une Constitution, et la tenue d’élections générales amenant la constitution d’un parlement et d’un gouvernement constitutionnels avant fin 2005. Des millions d’Irakiens ont relevé le défi des menaces terroristes et ont voté en deux élections et un référendum. À deux reprises, le transfert paisible de pouvoir entre gouvernements a eu lieu par la voie des urnes et non violemment.

À l’achèvement du procédé politique, un gouvernement élu et légitime a été installé en Irak, un gouvernement qui représente toutes les composantes politiques, religieuses et ethniques irakiennes qui démontraient que les Irakiens ont choisi un chemin progressiste et favorisent une société ouverte et libre d’oppression et de dictature. Cependant, une petite minorité de saddamistes, d’extrémistes religieux et de criminels s’opposent à ce que construit la majorité, et mènent une campagne sanguinaire de violence et de terreur en de divers lieux d’Irak. La visée de ces forces destructrices est de déstabiliser le pays, briser la volonté de la majorité, et dérailler la transition vers la démocratie. Ils visent aussi à exploiter le sol irakien, en base pour propager leurs idéologies extrémistes de haine et de violence. Les atrocités terroristes ciblent principalement les civils, les services publics, les forces de sécurité, les fonc­tionnaires et l’infrastructure afin de paralyser le pays, d’intimider les civils irakiens pour se défaire du nouvel ordre, et de générer le sentiment à travers le monde que se débarrasser de Saddam n’était pas le bon choix. Le soutien et l’encouragement qu’ils obtiennent auprès de certains pouvoirs dans la région qui ne veulent pas voir dans leur voisinage, de nouvelles valeurs telles la démocratie et le bon gouvernement, rendent la situation sécuritaire en Irak d’autant plus alarmante.

Nous combattons en tous lieux ces terroristes; après tout, la menace ne met pas en jeu que notre liberté, mais aussi celle de tous les pays qui apprécient la liberté, la paix et la tolérance. Les sacrifices et confrontations quotidiens par les Irakiens en vue de maintenir la sécurité, reflètent la détermination de l’Irak, de faire le né­cessaire pour défendre sa démocratie émergeante. L’Irak lutte non seulement en accélérant le développement de ses forces armées pour qu’elles puissent se charger de la sécurité nationale et en être pleinement responsable, mais aussi en renforçant le cadre légal et institutionnel pour le rôle de la loi et de l’ordre public.

Saddam Hussein attachait peu de valeur aux relations paisibles avec le monde extérieur. Il considérait que la diplomatie était un signe de faiblesse. Sous Saddam, l’Irak adopta une politique extérieure de confrontation et de violation qui lui attira l’isolement international et des sanctions. En contraste, le nouvel Irak cherche à être un membre responsable et pleinement intégré de la communauté internationale, en paix avec ses voisins et le monde. La politique étrangère irakienne vise à surmonter l’héritage de méfiance et d’hostilité, en renforçant les relations à travers le globe, et en engageant autant que possible le pays pour protéger la sécurité irakienne, ainsi stabilisant le pays et en préservant l’intégrité territoriale. L’Irak a cherché à rejoindre toutes les organisations multilatérales et à restaurer ses relations internationales à

travers la réactivation de ses missions diplomatiques. L’Irak engage la communauté internationale dans des partenariats pour sa reconstruction et son développement.

L’Irak a cherché des relations bilatérales et multilatérales positives sur la base de respect mutuel et de non ingérence dans les affaires de l’autre. Nous donnons la main de la coopération et de l’amitié à tous pays. Sur ces principes qui nous gui­dent, nous demandons aux pays de traiter ouvertement et de bonne foi avec l’Irak, et d’éviter d’influencer les choix politiques de la majorité du peuple irakien expri­més par voie démocratique. Une autre priorité est de dialoguer avec nos voisins, afin d’atteindre nos buts communs de sécurité et de paix, en réparant et renforçant nos relations et notre coopération avec les pays arabes et avec la communauté islamique plus large. La fin du régime de Saddam et l’ambition démocratique irakienne ont eu des répercussions dans tout le Moyen-Orient. Nous sommes alors activement engagés bilatéralement et à travers des forums régionaux, pour convaincre nos voi­sins qu’un Irak paisible et démocratique serait vital pour eux, en qualité d’élément positif de stabilité et de développement régionaux.

L’Irak dispose de frontières communes avec six pays. Sécuriser ces frontières est essentiel pour gagner le combat visant la stabilisation du pays. Notre agenda de politique étrangère inclut chercher l’assistance et les bons offices de pays limi­trophes et régionaux en vue de sécuriser dans un premier temps les frontières de l’Irak, d’empêcher la circulation des terroristes et de leurs fonds, et d’arrêter la pro­vocation religieuse et médiatique qui encourage les citoyens à se rallier aux groupes terroristes. Nous avons effectué des efforts persistants, à travers une politique étran­gère transparente et clairement communiquée, pour amener ces pays à n’éprouver aucune intention de miner l’unité ou l’intégrité territoriale irakienne, ni de rompre les liens entre l’Irak et pas plus ses relations arabes et islamiques.

Pour remplacer la confrontation et la suspicion par une nouvelle ambiance de confiance et de foi dans la région, il y a un dialogue en cours avec nos voisins, afin de résoudre les affaires en suspens, telle la délimitation des frontières, l’accès à l’eau, les dettes, et réparations de guerre. L’Irak cherche aussi à intensifier sa coopération commerciale et économique avec ses voisins, afin d’avoir des relations plus consé­quentes avec ceux-ci.

Afin d’amplifier l’assistance véritable, pratique et tangible provenant de notre région, deux forums ont été organisés: l’un composés de neuf réunions pour les ministres des Affaires étrangères des pays voisins, et l’autre de trois réunions de ministres de l’Intérieur avoisinants. Pendant ces meetings, l’Irak a souligné à plu­sieurs reprises l’importance de la stabilité en Irak, pour les intérêts stratégiques à long terme des participants, et a encouragé ceux-ci à respecter la souveraineté et l’intégrité de l’Irak, ainsi qu’adopter une politique de non-ingérence dans ses affai­res domestiques, tout en assumant des mesures pratiques sérieuses confortant les efforts irakiens pour éliminer la violence sur son sol. L’Irak a aussi demandé à ses voisins, de conduire des contrôles plus stricts à leurs frontières, d’empêcher l’agita­tion publique, et de traiter de manière constructive avec le gouvernement d’Irak. Malheureusement, nous souffrons toujours de vagues de terroristes qui exploitent la Syrie afin d’atteindre l’Irak. Nous croyons que la Syrie ne prend pas suffisamment de mesures pour stopper de telles activités.

Internationalement, l’intention d’Irak est de réparer les dégâts infligés à ses re­lations étrangères, par les politiques agressives du régime précédent. L’on vise à établir des relations ouvertes et équilibrées avec tout le monde, en particulier avec les acteurs internationaux majeurs. Durant le régime de Saddam, la politique de l’Irak était une source de désaccords dans la communauté internationale, mais le nouvel Irak travaille très dur pour obtenir le consensus politique international en faveur de ses efforts pour stabiliser et reconstruire le pays et réaliser en priorité la réforme économique.

L’Irak a su restaurer ses relations rompues avec de nombreux pays et instances internationales, y compris l’Union européenne qui fournit une importante assis­tance à l’Irak pour la réhabilitation des institutions gouvernementales sur la base de la transparence, de responsabilité et de la règle de la loi, et éventuellement pour la remise en état de ses forces de la sécurité, l’amélioration des services publics et de l’infrastructure. A l’arrière-plan du débat qui fait fureur à l’ONU en ce qui concer­ne la légalité et la moralité de la guerre pour extirper le régime de Saddam, l’Irak a été en faveur d’une implication majeure de l’ONU, puisqu’une telle implication est cruciale pour que l’Irak obtienne une légitimité internationale et le respect de son intégrité. L’Irak a réussi à obtenir effectivement de l’ONU son implication dans le processus politique, les affaires humanitaires, l’élaboration des moyens et réformes démocratiques. Les experts de l’ONU ont joué un rôle de guide dans l’organisation et la supervision des élections en Irak. Le Secrétaire général de l’ONU a nommé un représentant spécial en Irak, qui s’est fortement engagé dans la promotion du dialogue et de la réconciliation entre Irakiens.

L’Irak reprend progressivement sa position internationale et souhaite vivement l’expansion et le renforcement de ses relations internationales. À cet effet, l’Irak a installé 60 missions diplomatiques à l’étranger et projette d’en créer encore une trentaine au début de l’année 2007. Malgré ses difficultés en matière de sécurité, il y a 45 missions diplomatiques étrangères qui travaillent actuellement sur le territoire irakien.

Afin d’engager nos pays voisins et la communauté internationale dans le proces­sus de transformation et d’intégration de l’Irak dans les économies régionale et glo­bale, une Commission internationale a été lancée par l’Irak le 27 juillet 2006. Cette commission, présidée conjointement par le gouvernement irakien et par l’ONU, et avec le soutien de la Banque mondiale, rassemblera à travers les cinq années à venir, la communauté internationale et certaines organisations multilatérales qui aideront l’Irak à atteindre sa vision nationale d’un pays fédéré et démocratique, en paix avec ses voisins et avec lui-même, et bien intégrée dans sa région et dans le monde.

Afin de réaliser cette vision, le gouvernement irakien a entrepris de faire avan­cer le pluralisme et les moyens d’atteindre le consensus sur la règle de la loi et sur l’établissement de forces sécuritaires professionnelles. Le gouvernement de l’Irak s’est aussi commis dans la lutte contre la corruption, dans la création d’un secteur pétrolier transparent et efficace, dans le développement d’un cadre budgétaire so­lide, dans l’amélioration des modalités de gouvernement, et dans la construction et la consolidation d’institutions nationales efficaces. La dite commission aidera l’Irak à réaliser ces buts avec l’assistance de partenaires régionaux et internationaux. Un comité exécutif représentant l’Irak, l’ONU, la Banque mondiale, le Fond monétaire international ainsi que d’autres institutions financières régionales, assistera le gou­vernement irakien afin de formuler une stratégie de régénération économique et de réformes fondamentales s’intégrant dans l’économie régionale et globale.

Ce que le futur détient pour l’Irak

L’Irak est un pays traumatisé par l’héritage de plus de trois décennies de calvaire humain inimaginable, des violations grossières des droits de l’homme, et des effets de politiques systématiques conçues pour le déchiqueter en abusant des lignes eth­niques et religieuses. Ce que vous pouvez voir aujourd’hui en Irak correspond à un effort sans précédent par des dirigeants et par des groupes politiques, religieux, eth­niques et sectaires pour arriver à une entente commune et élaborer une formule ac­ceptable pour un futur démocratique, en s’assurant que chaque membre s’exprime et protège la nation de la tyrannie du passé. Cette ambition exige de l’encourage­ment et de la reconnaissance au niveau international afin que les Irakiens puissent avancer dans le temps avec confiance et espérance. La position géographique et stra­tégique de l’Irak signifie que des développements en Irak ont un impact sécuritaire et stabilisant dans tout le Moyen-Orient. Donc, la situation en Irak ne peut être isolée ou extraite de son contexte. En conséquence, laisser le terrorisme s’implanter en Irak aboutira à ce qu’aucun pays ne sera en sécurité. Le succès de l’expérience démocratique en Irak serait un pas crucial vers un monde plus sûr.

Une estimation plus précise du développement en Irak requiert un regard plus profond qui ne dépend pas seulement des images tristes et dramatiques projetées à partir de l’Irak, mais reconnaît aussi le progrès remarquable sur le chemin de la dé­mocratie. L’Irak a accompli un succès politique majeur : il a complété le processus politique conformément au lendemain établi par le Conseil de sécurité de l’ONU, ayant élu un parlement et un gouvernement légitimes, à la suite d’un vote émanant de 12 millions d’Irakiens et pouvant parler pour le peuple irakien et identifier les priorités du pays. De surcroît, l’Irak dispose d’une constitution rédigée par voie d’une assemblée élue. Sur le front de la sécurité, l’Irak gagne du terrain en route pour stabiliser le pays, ce qui empêchera les insurges de maintenir le même niveau d’activités terroristes, aussi bien quantitativement que qualitativement. Le gouver­nement irakien espère qu’en améliorant ses forces de sécurité et en avantageant l’ouverture du processus politique à travers l’initiative de réconciliation nationale, il pourra réduire dramatiquement le niveau actuel de violence dans le pays.

Ayant les réserves pétrolières au deuxième rang mondial, après l’Arabie Saoudite, l’Irak sera fabricant majeur de pétrole et peut jouer un rôle très important pour compenser les pénuries au marché pétrolier, et en stabilisant les prix internationaux. Le rendement pétrolier d’Irak approche à présent le niveau de 3 millions de barils par jour, et atteindra 5 millions barils par jour d’ici 2010, et 8 millions de barils par jour d’ici 2015.

La détermination des Irakiens pour recouvrer leur pays et s’avancer vers l’avenir prometteur et éclairé qui les attend, réaffirmera leur pays en qualité d’acteur perfor­mant aussi bien dans sa région que plus loin encore. Reconstruire l’Irak suivant des concepts pluralistes et démocratiques lui permettra l’exploitation de ses ressources naturelles et humaines afin de construire un pays prospère, paisible et stable animé par un nouvel esprit de coopération et de relations paisibles et amicales. Cela con­firmera certainement l’Irak en tant que participant majeur pour remodeler le futur de la région sur de nouvelles valeurs et concepts politiques, en permettant la pro­motion de réformes démocratiques supplémentaires. Ceci serait un facteur majeur dans la réduction des tensions existant dans la région, dans un stade ultime.

Nous, en Irak, nous attendons le jour où nous aurons surmonté les défis pré­sents, de sorte que notre peuple puisse apprendre en quoi cela consiste de vivre dans un pays prospère, démocratique, libre et sécurisé.

* Diplomate de carrière, actuellement il est l’Ambassadeur de la République d’Irak en France.

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