La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France

Sous la Direction de Dominique BARJOT

Professeur d’Histoire économique contemporaine, Université Paris Sorbonne (Paris IV)

et Yimin LU

Professeur d’Histoire, Vice-doyen de l’école des sciences humaines, Université Zhejiang

2eme trimestre 2014

L’Affaire BNP Paribas et la crise ukrainienne offrent à la Chine l’occasion de nouvelles avancées internationales[1]. En effet, encouragées par leur gouvernement, les banques et les grandes entreprises russes envisagent de plus en plus ouvertement de recourir à la devise chinoise (le renminbi, ou « monnaie du peuple », autre nom du yuan) pour réaliser leurs transaction et leurs investissements. Depuis 2012 en effet, le gouvernement de Pékin cherche à internationaliser sa monnaie en libéra­lisant son usage pour les entreprises étrangères. C’est la conséquence directe de l’affirmation d’un modèle économique chinois. Cette montée en puissance de l’éco­nomie chinoise, si elle comporte des implications considérables sur la démographie, la production et le développement spatial, renforce le poids géo-stratégique d’un pays où la France continue de bénéficier de l’importance de son héritage culturel.

1/ Un nouveau modèle de croissance économique confronté au défi politique

De 1978 à 2008, le produit national chinois s’est développé au rythme de 10 % par an en moyenne et à prix constants ; il se maintient encore autour de 70 % depuis[2]. Il semble donc que le rythme de croissance s’infléchisse à la baisse, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de dirigeants privilégiant, aux aides publiques et aux exportations à faible valeur ajoutée, une demande auto-entretenue par la consommation[3]. L’objectif de Xi Jinping, le successeur de Hu Jintao au Secrétariat Général du parti et au poste de chef de l’Etat depuis 2012, et du Premier Ministre Li Keqiang, est de rebâtir le système chinois sur des base plus saines, grâce à des réformes libérales, à la lutte contre la corruption, sans pour autant renoncer au contrôle de l’opinion (notamment du web), mais aussi à une politique plus soucieuse de préserver l’environnement[4].

Un « nouveau modèle de croissance pointe enfin[5]. Certes l’exportation reste essentielle, mais la hausse des coûts chinois et la faiblesse de la demande dans les pays développés poussent à un rééquilibrage au profit de la demande interne et à une réduction de l’excédent commercial chinois. L’autre moteur de la croissance, l’investissement intérieur, tend aussi à s’essouffler parce que générateur de dettes bancaires, ou financières : selon l’agence Fitch, l’endettement global de l’économie est passé de 13 % du PIB en 2008 à 218% en 2013. C’est dans une large mesure le résultat du plan de relance massif décidé fin 2008 par les autorités chinoises afin de passer le cap de la crise financière internationale.

Pour y parvenir, les nouveaux dirigeants doivent surmonter les trois obstacles freinant la « révolution économique »[6] : le système financier, l’immobilier et la corruption. Le premier a été conçu dans un seul but : capter l’épargne massive des ménages pour financer des investissements. Mais cela n’a pu se réaliser qu’un plafonnant la rémunération de l’épargne à des niveaux très bas au détriment de l’épargnant moyen, c’est-à-dire du petit peuple. Pour encourager la consommation, il faut donc introduire la concurrence entre les banques et que celles-ci cessent de financer presqu’exclusivement les groupes publics au détriment des PME et des groupes privés innovants. Quant au marché immobilier, il est biaisé par deux fac­teurs au moins : le caractère crucial des ventes de terre pour des collectivités locales et régionales surendettées et la faible rémunération des placements bancaires et fi­nanciers, qui détournent nombre de ménage de l’acquisition de valeurs mobilières. Enfin, la corruption demeure un fléau : Xi Jinping ne s’est d’ailleurs pas trompé sur la cible en faisant tomber les principaux dirigeants de Petrochina. Mais jusqu’où pourra-t-il aller ?

Le pouvoir semble toutefois se concentrer sur l’économie comme l’indique la mise en œuvre d’un plan de sauvetage en faveur des provinces, dont l’endettement représente à lui seul plus d’un tiers du PIB[7]. La libéralisation politique n’est pas la priorité[8]. Certes, le 4 juin 2014 a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire des évènements de Tianmen ; certes à Hong Kong, les libéraux réclament l’intro­duction, dès 2017 et selon la promesse faite par Pékin, du suffrage universel direct pour élection de chef de l’exécutif du territoire ; certes, à Taiwan, le parti au pou­voir, le Kuomintang (KMT) connait une chute de popularité face au Parti démo­crate, beaucoup moins enclin à coopérer avec Pékin. Mais, à l’intérieur, les grands projets d’investissement ont toujours de beaux jours devant eux : nouveau centre de lancement de satellites sur l’île méridionale de Hainan, le plus haut gratte-ciel jamais réalisé en Chine (Sky City, 838m de hauteur à Shanghai), ligne de TGV de 1 776 km reliant le Xinjiang à l’intérieur du pays par le Tibet, démarrage du nouvel aéroport de Pékin, etc.

Dans un contexte marqué par la montée des conflits en mer de Chine, notam­ment avec le Japon, autour des îles Senkaku (selon le Japon et Diaoyu pour la Chine)[9], mais aussi le Vietnam à propos des îles Paracels, ou des Spratleys revendi­quées aussi par Brunei, la Malaisie ou les Philippines[10], la nouvelle politique semble vouloir lutter plus efficacement contre la pollution. En 2014, les émissions de CO2 atteignent presque le double de celles des Etats-Unis alors qu’elles étaient au même niveau il y a moins de dix ans. Il s’agit moins de se concentrer sur le gaz à effet de serre, que de résoudre le problème urbain. À Pékin par exemple, le nombre de véhicule neufs autorisés à circuler sera réduit de près de moitié et un péage urbain sur le modèle de celui de Londres est à l’étude. Reste à savoir si les classes moyennes renonceront à considérer que « la possession et l’usage d’un voiture constitue un droit inaliénable »[11].

2/ La montée en puissance de l’économie chinoise : ses implications sur la démographie, la production et le développement spatial

À plus long terme, la Chine doit faire face à un redoutable défi démographique (Gérard-François Dumont). Depuis vingt-cinq siècles au moins, la Chine a tou­jours représenté environ le cinquième de la population mondiale. Néanmoins, de 1900 à 2013, le nombre de ses habitants s’est accru à un rythme inférieur à celui de la croissance mondiale. Par suite, la proportion de la Chine de la population mondiale a diminué de 25,4 % en 1900 à 19 % en 2013, et, selon toute vraisem­blance, 14,5 % en 2050. Pire, le dépeuplement pourrait commencer à se manifester dès les années 2030, voire même à partir de 2025, conduisant à ce que l’Inde la supplante. La rapidité du vieillissement de la population chinoise (22,1 % de 65 ans et plus en 2040 contre 7,7 % en 2010), la baisse projetée de sa population active (-200 millions d’actifs en 2050 par rapport à 2013) tout cela résulte de la politique de l’enfant unique, récemment assouplie, de même que le déséquilibre tout à fait anormal entre les sexes et au profits des garçons.

Avec la fondation de la République populaire de Chine, en 1949, la réforme agraire, la collectivisation des terres et l’instauration des communes populaires ont constitué des réformes fondamentales sur lesquelles sont revenue les réformes de Den Xiaoping en 1978, basées sur la restauration du rôle des ménages et de l’entre­prise agricoles. Tout cela atteste du fait que le développement agricole chinois obéit toujours à des mécanismes fondamentaux (Liang Jin-Ming) : la croissance de la main-d’œuvre agricole, la construction, coordonnée et impulsée par l’Etat, des in­frastructures d’irrigation ; les investissements effectués dans l’agriculture moderne, grâce à la mobilisation de l’industrie (outils et machines agricoles, mais aussi engrais et insecticides) ; la mutation du système de production agricole, grâce à l’aide des banques commerciales et des institutions financiers ; l’amélioration quantitatives et qualitatives des récoltes ainsi que la promotion des technologies agricoles.

Le développement économique de la Chine a dépendu de façon étroite des mécanismes d’intégration économique dont le delta du Yangtsé offre le meilleur exemple (Chen Jianjun). Cette intégration s’est réalisée en trois étapes. La première correspond à la création de la zone économique de Shanghai, en 1983. Dans les années 1980 et 1990, se sont opérés d’importants transferts entre Shanghai et les régions de Zhejiang et du Jiangzu, lesquelles reposent sur une collaboration hori­zontale des entreprises, sur le recours aux « ingénieurs du dimanche »[12] et sur la sous-traitance de marque. La seconde, décisive, a été le résultat de l’ouverture de la zone spéciale de Pudong, bénéficiant à la fois de la libéralisation financière (créa­tion de la Bourse) et de l’afflux des investissements étrangers. Autour de Pudong s’est engagée une collaboration particulièrement fructueuse avec la région Suzhou-Wuxi-Changshu ainsi que l’afflux d’entreprises venues du Zhejiang. Enfin la troi­sième s’ouvre avec l’adhésion de la Chine à l’OMC et la création d’infrastructure qui en a résulté (ligne Shanghai-Ningbo et autoroute Shanghai-Hangzhou). En définitive, les deux facteurs majeurs de l’intégration ont été d’une part l’accélération des flux de produits et de facteurs de production, de l’autre la division du travail et les transferts de technologie qui ne sont opérés au sein du grand delta du Yangtsé.

L’action de Den Xiaoping a été décisive, on le sait, pour lancer la Chine dans la course au développement économique, mais il se trouve, ce que l’on sait moins, à l’origine de la puissance actuelle de l’industrie chinoise de la construction (Zhou Xiaolan). Pragmatique, il disait « peu importe qu’un chat soit noir ou jaune, s’il attrape la souris, c’est un bon chat ». Cette formule, il l’a appliqué aussi à l’indus­trie de la construction. Très affaiblie par l’échec du « Grand bond en avant », le départ des techniciens russes et la révolution culturelle, cette industrie a atteint son niveau le plus bas entre 1967 et 1976, avant de se redresser. Le grand tournant date de 1980, avec l’introduction par Deng et son Premier Ministre Zhao Ziyang de quatre réformes majeures, d’abord expérimentées à Shanghai : introduction du système de l’adjudication, décentralisation des processus de décision, classement des entreprises en fonction de leur qualification et de leur taille, affranchissement de la tutelle étatique en matière de gestion et de design.

Cette politique s’est plutôt avérée efficace. Source d’inflation, notamment pendant les trois poussées qui affectèrent le pays (1985, 1988-89, 1993-95), la construction est restée largement sous le contrôle de l’Etat, en particulier à travers la nomination à la tête des plus grandes entreprises, de fonctionnaires ou de membres du parti (insider control). En revanche, le secteur s’est trouvé porté en avant par la masse des investissements consentis en sa faveur, mais non sans subir des à coups liées aux politiques de contrôle de l’inflation. Une fois encore, le pragmatisme prône par Deng Xiaoping a servi de ligne directrice : « l’économie planifiée n’équivaut pas au socialisme et le capitalisme a besoin de plan ; l’économie de marché n’équivaut pas au capitalisme. Le plan et le marché ne sont que des moyens économiques ». Il en a résulté l’adoption du système des deux rails, reposant l’adoption d’une régu­lation par le marché au niveau microéconomique et du contrôle de l’Etat à celui macroéconomique.

Le nucléaire est devenu une priorité pour la Chine, ouvrant la voie à une coopé­ration de grande ampleur avec la France (Ali Rastbeen). Parce que la Chine dont ré­duire ses émissions de gaz à effet de serre et freiner une consommation énergétique de plus en plus monstrueuse, il lui faut adopter un nouveau modèle énergétique, fondé sur des économies d’énergie et une diversification de ses sources d’énergie. Si le pays produit à peu près autant de charbon qu’il en consomme (deux tiers de l’énergie consommée en 2013), il doit importer plus de la moitié de son pétrole (19 % de sa consommation) et 15 % de son gaz (4,5 % de sa consommation). La Chine doit donc recourir de plus en plus aux énergies renouvelables : elle est no­tamment passée au premier rang pour la capacité installée en énergie éolienne, et le premier exportateur de panneaux solaires.

Néanmoins, seul le nucléaire paraît présenter une alternative crédible. C’est pourquoi la RPC s’est hissée au rang de cinquième producteur mondial derrière les Etats-Unis, la France, la Russie et la Corée du Sud. Il s’est bâti une industrie nu­cléaire compétitive associant quatre acteurs principaux relevant du secteur public, dont China Guandong Nuclear Power Company, partenaire privilégié d’Areva et d’EDF, et cinq entreprises capables de fabriquer et de fournir des pièces de centrales nucléaires (dont Dongfeng Group partenaire d’Areva). Maîtrisant quatre techno­logies d’origine chinoise, canadienne (Candu), russe (VVER) et français (REP), les Chinois ont néanmoins privilégié cette dernière. Cela offre à la France une oppor­tunité de développer la coopération engagée avec la réalisation des deux centrales de Daya Bay (1994) et Ling Ao (2002). Pour preuve, la Chine est devenu aujourd’hui un exportateur de technologie nucléaire. L’essor économique ouvre la voie à un renforcement du rôle géostratégique de la Chine.

3/ La Chine dans le monde : de l’émergence économique au renforcement de l’influence géopolitique

Partant de l’observation faite en 2013 par le Financial Times d’un essoufflement de la croissance économique des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), Jimmyn Parc et Rang-Ri Park-Barjot soulignent que la situation est en réalité très contrastée : dé­clin absolu pour le Brésil, chute puis reprise pour la Russie, gains substantiels pour l’Inde, progression forte pour la Chine. Dans la longue durée c’est cette dernière qui a fait les choix les meilleurs, sous l’impulsion notamment de Deng Xiaoping. L’appel au capital étranger et l’introduction d’une économie concurrentielle sans remise en cause du régime socialiste ont assuré, par exemple, une formidable expan­sion à la province du Guangdong : grâce à une multiplication par près de 200 entre 1978 et 2010, sa production dépasse aujourd’hui celles de Singapour, Hong Kong et, même, Taiwan.

Grâce à l’emploi de la méthode du « double diamant » dérivée des approches de Michael Porter, les auteurs montrent, à partir d’une comparaison entre la Corée du Sud et Singapour que, plus haut c’st le degré d’internationalisation d’une écono­mie, plus forte est sa compétitivité. Dans cette perspective, compte tenu de la perte de compétitivité de la Chine observée entre 2005 et 2010, il est clair que celle-ci doit adopter une démarche de benchmarking afin de rattraper son retard sur ses principaux concurrents asiatiques : Corée du Sud et Japon mais aussi Singapour et, surtout, Hong Kong. Elle doit ouvrir ses frontières, pour conserver son leadership industriel (modèle coréen), mais aussi développer ses activités des services (modèle singapourien) pour faire face à la montée de l’Inde qui a misé sur ces derniers.

Comme le montre Régine Perron, depuis 1978 et, surtout, 1992, la Chine s’est peu à eu imposée, avec les Etats-Unis, comme un acteur international majeur : premier exportateur mondial devant les Etats-Unis (mais second si l’on consolide l’ensemble de l’UE), elle a beaucoup gagné en parts de marché entre 1990 et 2000 (de moins de 2 % à plus de 11 %) tandis que déclinaient les parts respectives des Etats-Unis (de 15,4 à 8,4 %) et surtout de l’Union Européenne (de 44,5 % à moins de 15 %) prévu par Zhou Enlai et réalisé par Deng Xiaoping, l’alliance du commu­nisme politique et du libéralisme économique. Elle le fit en optant pour l’adoption du modèle asiatique, celui suivi par le Japon, puis les quatre dragons. Admise à l’ONU en 1971, la Chine a formulé sa première demande d’adhésion au GATT dès 1986, puis s’est mise progressivement aux normes de ce dernier, d’où son entrée à l’OMC en 2001. De fait les droits de douane chinois sur les biens importés sont passés de 32 % en 1990-95 à 17 % en 2000 et 9,6 % en 2012 (contre 3,4 % et 5,5 % respectivement pour les Etats-Unis et l’UE).

Tout en dépendant son statut de pays en développement, à travers l’adhésion d’une série de groupes ad hoc, la Chine cherche à imposer le yuan, face au dollar, à l’euro et au yen, autres monnaies de références. Il commence déjà à être utilisé de façon exclusive par le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, l’Indonésie et l’Australie pour leurs achats en Chine. Même si les facturations en yuan ne concernent encore que 10 % des exportations chinoises, le pays bénéficie, grâce à Hong Kong, d’une place financière mondiale. La Chine revendique aussi un rôle actif au FMI, dont elle est devenue le troisième contributeur (derrière les Etats-Unis et le Japon) en jouant sur l’énormité de ses réserves en devises. Enfin, face à l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) prônée par les Etats-Unis, elle mise, à travers l’AFTA (Asean Free Trade Agreement) sur la coopération entre elle, le Japon, la Corée du Sud et l’ASEAN. L’économie devient aussi un atout majeur du softpower chinois, sans que cela implique un abandon de son hard power (la Chine est devenue le cin­quième exportateur mondial d’armes).

Face à la Chine, l’Union Européenne n’est pas sans atouts, mais non plus sans faiblesses (Dominique Barjot). En effet, l’UE, avec son processus de décision com­plexe, mais aussi ses politiques communes (monétaire, agricole, régionale, etc.) doit affronter, depuis 2008, des problèmes conjoncturels, mais aussi structurels de grande ampleur : entre 2007 et 2010, les pays de la zone euro, par exemple, ont connu une perte de richesse de 3,1 % en moyenne, une fois mesurée par l’évolu­tion du PIB par habitant en volume. Cela s’accompagne d’un recul économique de longue durée, que masquent difficilement et élargissements successifs et, plus encore, d’un déclin démographique à l’origine d’une immigration massive et de plus en plus difficile à intégrer.

De fait, la Chine s’est imposée, dans la décennie 2000, comme la seule super­puissance capable de rivaliser avec les Etats-Unis, grâce au nombre considérable de ses actifs (lus de 800 millions) et de son accumulation énorme de capital humain. Son dynamisme économique record se fond sur un massif effort d’investissement (40 % du PIB), sur une énorme consommation d’énergie, mais aussi la puissance d’entreprises géantes encore, très liées à l’Etat : celui dans l’industrie pétrolière, le secteur de la construction, la banque, les télécommunications et le sidérurgie. Ces grandes firmes émergentes se retrouvent aussi dans les technologies avancées, avec Lenovo, leader mondial de PC, et Huawei. Mais la Chine doit aussi faire face à quatre défis majeurs : la pollution, les inégalités sociales et territoriales, l’inflation et l’endettement intérieur.

Dans ces conditions, la poursuite du modèle chinois de développement suppose d’exporter plus, mais aussi de pratiquer une politique d’importation sélective afin de favoriser les progrès de compétitivité. Depuis les accords de coopération doua­nière de 2004 et 2009, la Chine et l’Europe sont des partenaires privilégiés. Même si le taux de couverture des échanges de l’UE avec la Chine tend à devenir de plus en plus défavorable, un partenariat gagnant-gagnant paraît possible, en raison de la complémentarité des effets de spécialisation internationale et de la prise en compte de ceux de Global Value Chains (chaînes globales de valeur), tels que ceux obser­vables dans l’industrie des pneumatiques.

Dominé par le principe « nos intérêts communs l’emportent de loin sur nos divergences », le dialogue bilatéral Chine-UE demeure organisé autour de trois éléments : dialogue politique, dialogue économique global et sectoriel dialogue autour des échanges humains (Christophe Réveillard). Des sommets réguliers ponctuent ces échanges. Au cours du seizième, tenu le 21 novembre 2013 à Pékin, l’UE a proposé un nouvel outil d’affirmation de son intégration politique avec le Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) et son Haut Représentant censés lui conférer la force de décision manquante jusqu’ici. Certes la position européenne reste très marquée par son orientation transatlantique, mais les choses pourraient évoluer en raison du déclin d’influence de l’ancienne triade. La géopolitique d’émergence adoptée par Pékin s’appuie à la fois sur une diplomatie très active dans la gouvernance mondiale et la recherche des outils du hard power. Si certains positionnements chinois constituent des pierres d’achoppement (attachement viscéral des BRIC à la souveraineté étatique, rejet de la « moralisation » des relations internationales et de la politique d’ingérence, contestation de l’hégémonie occidentale), dans le partenariat stratégique Chine-UE, c’est sans doute la première qui mène le jeu.

4/ La Chine et la France : importance du fonds culturel commun

Au sein de la relation entre l’Union Européenne et la Chine, la France tient cependant une place à part, en raison de l’existence d’un important fonds culturel commun. Tel est le cas avec les études sur l’histoire de la Révolution française (Lu Yimin). Si la Révolution française semble avoir été connue en Chine dès 1793 par un ambassadeur anglais envoyé auprès de l’empereur Qianlong, voire même deux en trois ans plus tôt, le premier historien à s’y intéresser a été Wang Tao, mais avec la vision négative d’un lettré conservateur. En revanche, la Révolution française a servi, très vite, de base à la réflexion des mouvements réformateur (Kang Youwei) et révolutionnaires (Sun Yat-sen), notamment à partir de la Révolution Xinhai de 1911, qui fait entrer son homologue française dans le discours politiques. La géné­ration des années 1911 à 1949 voit d’ailleurs se former à l’étranger les premiers spécialistes chinois : Shen Lianzhi, en France auprès d’Albert Mathiez, et Yang Renpian, à Oxford auprès de J.M. Thompson. Ces deux universitaires chinois ont été les auteurs des premières synthèses réellement historiques.

Sous l’impulsion des études marxistes-léninistes, entre 1949 et 1978, les histo­riens chinois partent surtout se former en URSS. Une vision commune se diffuse, celle d’une Révolution française comme étape décisive du capitalisme européen et comme exemple le plus parfait des révolutions bourgeoises anti-féodales. À la même époque sont traduits en Chine, les travaux d’Albert Soboul et de George Rudé, tous deux élèves de Georges Lefebvre. Seuls Wang Rongtang et Cao Shaolian publient alors des synthèses chinoises sur le sujet. Tout change avec la politique d’ouverture, à partir de 1979 et du premier colloque de l’Association chinoise des études sur l’histoire française. Tandis que se multiplient les invitations de chercheurs étrangers, Wang Yangdong et Wang Lingyu publient, en 2007, une histoire de la Révolution française (1789-1794). La période apparaît cependant dominée par les travaux de Gao Yi, Professeur à l’Université de Pékin, notamment autour de thème tels que la culture politique et la violence révolutionnaires ou, plus récemment, du « paradoxe de Tocqueville ». L’on peut aussi citer les recherches de Zhong Chi, sur la Terreur, à partir du concept d’« état d’exception », de Xu Qianjin sur Rousseau et de Pang Guanqun sur la relation entre le Parlement et les Lumières.

Ainsi que le montre Zhou Lihong, si l’école des Annales n’a été connu en Chine qui à partir des années 1950, il existe cependant de nombreux points de conver­gence avec ce que l’on appelé, en Chine, la « nouvelle histoire ». Si l’introduction d’une histoire scientifique peut-être datée de Liang Qichao, et a été marquée par l’adoption d’une démarche très ouvertement positiviste, entre les deux guerres s’est produit un profond renouvellement sous l’impulsion de Fu Sinian, Gu Hiegan et Chen Yiuke. Sans rompre avec les méthodes rigoureuses d’analyse des documents, ils en ont élargi la nature et lancé de nouvelles directions de recherche telles que l’histoire économique et sociale, l’histoire « culturelle, l’histoire des femmes et l’his­toire du folklore. Ils ont jeté les bases de la vitalité actuelle de l’historiographie chinoise : tel fut le cas par exemple à l’Université Sun Yat-sen de Canton. L’une des raisons en a été la diffusion des travaux de l’école des Annales sous l’impulsion de Zhang Zhilian, Yao Meng ou Lu Yimin.

Dans ces transferts intellectuels entre la Chine et la France, l’Institut Franco-chinois de Lyon a joué un rôle déterminant (Wang Wei). Dès la fin du XIXe siècle de nombreux intellectuels et patriotes chinois ont voulu aller chercher à l’étran­ger la formation moderne que ne pouvait leur assurer leur pays. À l’initiative de personnalités chinois et français est ni en 1921 l’Institut Franco-chinois de Lyon, dont le but état de constitue une élite chinoise afin de répondre aux besoins de la nouvelle Chine. Fermé en 1950, il a été ré-ouvert en 1980 dans la droite ligne de la politique d’ouverture de la nouvelle Chine. Pour des raisons très complexes, surtout de nature politique, puisque certains ont été nationalistes, une partie de ces intel­lectuels chinois sont peu connus en République Populaire de Chine. Il s’agissait de la première universitaire chinoise à l’étranger. Etabli au Fort Saint-Irénée de Lyon, entre 1921 et 1938, l’IFC a accueilli 473 étudiants chinois dont la majorité ont fait leurs études en France ou y ont soutenu leur thèse avant de retourner au pays. Entre sa réouverture et 2008, l’Institut a accordé 219 bourses. Au total, l’on dispose d’un échantillon de 692 étudiants, à propos desquels il est possible de jeter les bases d’une étude sociologique.

Le dialogue entre la Chine et la France, voire, de façon plus large, l’Occident demeure, aujourd’hui encore, difficile. C’est ce que montre Guo Lina, à travers une analyse de la défaite littéraire en Chine de Le Clézio, prix Nobel de Littérature 2008. En Occident, cet auteur fascine les lecteurs, par sa revendication d’un huma­nisme universel mélé de désir de nature ainsi que son intérêt pour les ethnies et civilisations marginalisées. En Chine au contraire, il n’a pas connu le succès de Marguerite Duras ou de Milton Kundera. Cela peut sans doute d’expliquer par la volonté de retrouver les valeurs chinoises traditionnelles et de les moderniser ainsi que d’en promouvoir la valeur universelle. Maintenant que la Chine a pris de l’assurance face au monde grâce à sa montée en puissance économique, elle s’ouvre aux échanges internationaux de toutes natures, mais à condition que « l’Occident ne se considère plus comme tuteur du monde » et participe à l’effort chinois pour reconstruire sa culture nationale. Les conditions sont ainsi clairement signifiées à l’Europe et d’une manière plus large à l’Occident, pour relever d’une façon positive le défi chinois.

[1]Fabrice Nodé-Langlois, « L’affaire BNP Paribas et Ukraine profitent à la Chine », Le Figaro, mardi 10 juin 2014, p. 17.

[2]Sur l’économie chinoise d’aujourd’hui, voir entre autres : Michel Aglietta et Guo Bai, La voie chinoise. Capitalisme et Empire, Paris, Editions Odile Jacob, Coll. « Economie », 2012, trad. fr. par Christophe Jaquet ; ChinaS Development. Capitalism and Empire, London, Routledge; Marie-Claire Bergère, Chine, le nouveau capitalisme d’État, Paris, Fayard, Coll. « Doc. Témoignage », 2013; Denise Flouzat, La nouvelle émergence de l’Asie. L’évolution économique des pays asiatiques depuis la crise de 1997, Paris, PUF, 1999 ; François Gipouloux, La Chine vers l’économie de marché ? La longue marche de l’après-Mao, Paris, Editions Nathan, 1993; La Chine du 21e siècle. Une nouvelle superpuissance ?, Paris, Armand Colin, Coll. CIRCA, 2005; Benoît Vermander, La Chine ou le temps retrouvé. Les figures de la mondialisation et l’émergence chinoise, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant/Presses Universitaires de Louvain, Coll. « Orientales » 2, 2008.

[3]« Chine », in « Le monde en 2014 », The Economist-Courrier International, décembre 2013-février 2014, p. 88.

[4]Gabriel Grésillon, « Xi Jinping, l’homme qui doit changer la Chine », in « 2013-2014. Les 10 ruptures qui changent le monde », Les Echos, janvier 2014, p. 158.

[5]Gabriel Grésillon, « En Chine, un nouveau modèle de croissance pointe enfin », Les Echos, janvier 2014, op. cit., p. 38.

[6]« Les trois obstacles qui freinent la révolution économique », ibidem, p. 38.

[7]Simon Cox, « Plan de sauvetage en vue pour les provinces », in « Le monde en 2014 », The Economist-CourrierInternational, op. cit., p. 40.

[8]James Miles, « Tout sauf la réforme politique », ibidem, p. 38.

[9]Simon Long, « L’Avis de tempête en mer de Chine », ibid., p. 42.

[10]Gabriel Grésillon, « En Asie, un voisin chinois de plus en plus encombrant », Les Echos, janvier 2014, op. cit., p. 43.

[11]James Miles, « Tout sauf le réforme politique », art. cit.

[12]Travaillant avec d’autres entreprises que celles les employant à titre principal.

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