La crise ukrainienne de 2014 : ses sources et ses conséquences

Général (2S) Henri PARIS

Président de Démocraties et auteur de nombreux ouvrages de géopolitique.

Décembre 2014

Par l’étude des crises et des guerres du temps historique, l’article fait le constat que l’histoire tumultueuse et saccadée de l’Ukraine saute perpétuellement de guerre en révolution et de crise en crise en impliquant les échelons régionaux et mondiaux par l’implication et, partant, l’opposition des grandes puissances. De plus, la dichotomie démographique, religieuse et économique très nette entre les parties orientale et occidentale de l’Ukraine souligne la légitime différenciation entre les régions de part et d’autre du Dniepr. Dans ce cadre, la crise de 2014 apparaît comme un contrecoup inévitable des fractures historiques et de l’imperfection des précédents règlements de la question ukrainienne et voit retour de la Crimée à la Russie, car c’est bien d’un retour dont il s’agit, le retour en force de Moscou dans les affaires du monde et le dévoilement de l’activisme occidental sur les marches de la Russie.

L’histoire tumultueuse et saccadée de l’Ukraine saute perpétuelle­ment de guerre en révolution et de crise en crise. En 2014, deux événements sont à l’origine de la crise ukrainienne, en même temps qu’ils la résument. Ces événe­ments ne restent pas isolés à la seule Ukraine. Les puissances étrangères, qu’elles soient voisines ou non, s’en mêlent et donnent à ces évènements une résonance et une implication mondiales. Interviennent ainsi directement la Russie, les États-Unis et l’Union européenne (UE).

Le 25 mai 2014, Petro Porochenko, un oligarque, roi industriel du chocolat, est élu président de l’Ukraine dans un pays en état de guerre civile Le 18 mars 2014, dans la salle d’apparat Saint George du Kremlin, le président de la Fédération russe appose sa signature sur l’acte entérinant le rattachement de la Crimée à la Fédération. Ce rattachement a été rendu possible par un referendum en Crimée, le 16 mars, et par un acte de confirmation pris par la Douma, la chambre basse du Parlement. Ainsi, la Crimée et Sébastopol deviennent les 84ème et 85ème régions de la Fédération. Pour faire bonne mesure, à la même date, le vice-Premier ministre de Crimée, Roustan Temirgaliev, déclare solennellement que le rouble, dès avril 2014, remplace la monnaie ukrainienne. Les opérations de transfert s’annoncent sans grande difficulté.

Comment en est-on arrivé là, quelque vingt-trois ans après la dislocation de l’URSS ? Les Occidentaux et les Ukrainiens nationalistes hurlent à l’annexion en dehors de toute règle de droit ; les Russes et les Criméens rétorquent du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et au même droit bafoué à de multiples périodes et dates, dont la dernière se place le 22 février, lorsque le Premier ministre Viktor Yanoukovitch est destitué de ses fonctions en dépit de l’accord qu’il a signé la veille avec le futur Premier ministre, Arséni Iatseniouk et contre-signé par les ministres des Affaires étrangères allemand, français et polonais. Formellement, la source de la destitution, le lendemain, provient du brutal changement de couleur politique de la Rada, le Parlement ukrainien, sous pression de l’émeute. Il s’agit d’un véritable coup d’État. La région orientale russophone du Donbass s’insurge contre le pou­voir central pour lequel les Américains et l’UE prennent fait et cause. Les Russes massent 40.000 hommes, de bonnes troupes, à la frontière orientale de l’Ukraine.

D’aucuns parlent d’un retour à la guerre froide. Les Occidentaux multiplient les sanctions à l’égard des Russes. Comment cela a-t-il pu se produire ? Les camps en présence déversent leurs arguments, plaidant dans leur sens. Une masse d’argu­ments est ainsi échangée, masse dans laquelle il est difficile de discriminer les inter­prétations plausibles et fondées des spécieuses ou à but uniquement médiatique, et, pour ne pas l’exprimer, à effet de propagande.

Pour démêler le vrai du faux et surtout pour faire apparaître une solution viable, c’est-à-dire durable, il est nécessaire d’interroger l’histoire passée et toute récente, qui, seule, donne la clef de l’assise nationale de la population concernée, quelque 45 millions d’Ukrainiens. Le rattachement de la Crimée à la Russie trouve son ori­gine factuelle dans la crise ukrainienne. Mais, s’en tenir là est un système réducteur. L’Histoire, encore elle, fournit une base de compréhension tant au rattachement de la Crimée à la Russie qu’à l’insurrection du Donbass. C’est donc elle qu’il faut interroger, de prime abord, pour saisir l’enchaînement des faits et tenter un essai de prospective. L’Histoire, cependant, ne fournit pas toutes les clés. L’interrogation porte donc sur les volontés politiques des parties en opposition, comme sur les fon­dements économiques et sociaux de cette opposition, virant à la lutte et déteignant sur les rapports qu’ont les Occidentaux vis-à-vis des Russes.

Les crises et les guerres du temps historique

Primitivement, l’espace dénommé Ukraine au xxie siècle, était peuplé de Scythes auxquels ont succédé les Sarmates, puis les Huns, les slaves orientaux, ensuite les Khazars avant l’arrivée des Vikings, en plus petit nombres, des Varègues selon la dénomination russe. Ces peuples conquérants se sont superposés, encastrés et inter­pénétrés sur cet espace appelé Ruthénie. Ce n’est qu’au XIIe siècle qu’apparaît dans les annales russes l’appellation d’Ukraine pour désigner Kiev, Pereislav, Tchernigov, Galitch et les régions environnantes. L’actuelle Ruthénie subcarpatique fait partie de la Russie, la Rouss.

L’étymologie fournit déjà une première indication : Ukraine veut dire, en russe comme en ukrainien, les marches, les confins. Les confins de quoi ? De la Russie, évidemment. Il a existé une première Russie, centrée sur Kiev, la Rouss, peuplée de Slaves et sous domination des Varègues, du IXe au XIIe siècle. Ces Varègues ont été complètement assimilés, tout autant que les Normands en France. Cette Russie a été christianisée aux alentours de l’an mil et a succombé sous la poussée mon­gole, poussée arrêtée par les Polonais. Elle a submergé sous le joug, « le joug tatar » disent les Russes, durant deux siècles, l’ensemble des terres russes, y compris Kiev et l’Ukraine, à l’exception de Novgorod, illustrée par Alexandre Nevsky et protégée pas sa ceinture de forêts à l’égard des Tatars, peuple nomade des steppes.

Tandis que les Polonais et les Lituaniens maintiennent une ligne défensive aux confins occidentaux de la Galicie, au long d’une ligne que forment approximati­vement le Dniestr, le Boug et le Donets, peu à peu, émerge une nouvelle Russie à partir de Moscou, à partir des XIVe et XVe siècles. Les Mongols se fondent dans la population plutôt que d’être refoulés. La Crimée, l’ancienne Tauride des Grecs, subit les mêmes avatars mais les Tatars y subsistent et elle est érigée en Khanat qui reconnaît la suzeraineté ottomane jusqu’en 1745. Elle est à l’abri de la reconquête russe, protégée par sa situation de presqu’île, jusqu’en 1783, année au cours de laquelle elle est conquise et annexée par Potemkine, devenant Prince de Tauride, sous la Grande Catherine. Auparavant, la guerre russo-turque de 1768-1774, per­due par les Turcs, avait donné à la Crimée une éphémère indépendance. L’actuelles Ruthénie subcarpatique, rurale, passe au pouvoir des Hongrois et y restera jusqu’en 1919, pour être transférée alors aux Tchécoslovaques.

À partir du XIIe siècle, les Polonais et les Lituaniens arrivèrent à occuper l’Ukraine, balayant les restes des Mongols. Cependant, à partir du XVe siècle, ils eurent à combattre les Cosaques, des paysans orthodoxes fuyant la servitude polonaise de Ruthénie et de Galicie comme le servage en Russie ou l’oppression ottomane en Asie mineure. Moscou leur accordait des libertés spéciales à la condition de défendre les confins de l’empire, sous les ordres d’un chef élu, l’hetman. Ils peuplèrent le bassin du Dniepr et plus particulièrement l’Ukraine orientale et entrèrent en conflit avec les Polonais qui persécutaient leur religion orthodoxe dans le but d’une assimilation. C’est ainsi que de 1648 à 1654, fut établi un précaire Etat cosaque à la suite d’une insurrection antipolonaise menée par l’hetman Bogdan Khmelnitsky. Les Russes intervinrent en aide des Cosaques contre les Polonais avec qui ils conclurent le traité d’Androussovo en 1667. Aux termes de ce traité, la partie est du Dniepr avec Kiev revenait à la Russie, tandis que la partie occidentale restait polonaise.

Les Russes eurent à lutter contre les indépendantistes ukrainiens, prêts à faire cause commune avec tous les adversaires de la Russie. Il en fut ainsi d’une révolte conduite par Mazeppa, allié des Suédois, vaincus à Poltava en Ukraine orientale en 1709. Les différents partages de la Pologne, intervenus à la fin du XVIIIe siècle, amenèrent la Galicie et la partie orientale de la Volhynie, en somme la partie occi­dentale de l’Ukraine, à passer sous domination de l’Autriche, devenue la Double Monarchie, autrichienne et hongroise, jusqu’en 1918. La partie orientale restait acquise à la Russie, à qui, de plus fut attribuée la partie orientale de la Volhynie et de la Podolie.

Durant la guerre civile russe de 1917 à 1921, renaît un Etat indépendant ukrai­nien secoué par des luttes internes acharnées, tandis que l’armée allemande occupe temporairement l’Ukraine, à la suite de la signature du traité de Brest-Litovsk, conclu le 9 février 1918, entre Russes bolchéviques, Ukrainiens et Allemands. La défaite allemande de novembre 1918 oblige Berlin à évacuer l’Ukraine, dont la partie occidentale, augmentée de la Volhynie occidentale et de la Podolie, passe sous domination polonaise. La guerre civile, suivie de luttes internes, mirent aux prises les Russes blancs et les Soviétiques, puis des indépendantistes et des anarchistes contre les Rouges. L’Ukraine indépendante se signala par l’organisation de pogroms antijuifs répétés, ce qui explique l’assassinat à Paris, en émigration, par un juif, de l’un des dirigeants indépendantistes férocement antisémite, Simon Petlioura. Les indépendantistes, sous la direction de Petlioura s’étaient alliés aux Polonais contre les Rouges, durant le conflit polono-soviétique de 1919 à 1921. En 1921, la paix de Riga, entre Polonais et Soviétiques, outre qu’elle rétablit l’indépendance de la Pologne, consacra le partage de l’Ukraine. La Galicie passa aux Polonais, avec les acquis de la Volhynie occidentale et de la Podolie. La partie orientale, avec Kiev et la Volhynie orientale furent érigées en République socialiste fédérée, membre de l’URSS. La collectivisation stalinienne dans les années 1930 provoqua une gigan­tesque famine, près de 4 millions de morts, tandis que l’industrialisation fut pous­sée à marche forcée. Elle est marquée par la construction de la plus grande centrale hydro-électrique, à l’époque, sur le Dniepr, ainsi que par une mise en valeur du bassin minier et métallurgique qui se traduisit par une série de Kombinats. Cette industrialisation consacra le partage de l’Ukraine, la partie occidentale, polonaise, restant rurale.

En 1939, le pacte Ribbentop-Molotov amena des rectifications de frontières au profit des Soviétiques, notamment la Podolie. En 1941, l’armée allemande fut accueillie en libératrice en Ukraine occidentale, moins en Ukraine orientale, malgré la terreur stalinienne. En 1945, l’ensemble de l’Ukraine, y compris la Ruthénie subcarpatique, est réunie pour la première fois, à la suite des accords de Yalta et de Potsdam, selon la politique orchestrée par Staline.

L’Allemagne, durant la guerre, leva une division SS, « Galicie », en Ukraine occidentale, ainsi que des supplétifs et des gardiens de camps de concentration. L’idéologie nationale-socialiste recruta une masse d’adeptes en Ukraine. Ces idéolo­gues tinrent la campagne, sous l’égide d’un dirigeant, Bander, encore bien après la défaite allemande. Les combats de harcèlement des « Banderovtsy » se poursuivirent jusqu’au début des années 1950. Les traces de ces combats ne sont pas éteintes et on les retrouvera sur la place Maïdan de Kiev, en 2014. Il ne faut, cependant, pas exagérer l’influence de l’antisémitisme et du nazisme en Ukraine : en effet, lors des élections de mai 2014, le parti politique se réclamant de l’idéologie nationale-socialiste ne peut dépasser 2 % des voix. En revanche, il est très actif et bien organisé sur un modèle paramilitaire et a su nouer des alliances intéressantes avec les partis de droite lors des émeutes, place Maïdan.

Reste controversée la question de l’aide qu’aurait apportée les États-Unis, au titre de la lutte contre les Rouges, tant à l’égard des « Banderovtsy » dans les années 1950, qu’à celui des nationaux-socialistes de la place Maï’dan.

Ce n’est qu’en 1954 que la Crimée, de toujours absente des péripéties ukrai­niennes, est rattachée à l’Ukraine. Khrouchtchev voulait de la sorte remercier son homologue ukrainien de son appui, aussi bien à la déstalinisation qu’à son accès au secrétariat général du parti communiste soviétique. À l’époque, cela n’avait stricte­ment aucune incidence dans la vie politique et économique de l’Union soviétique. La dislocation de l’URSS, avec la très brutale chute économique qui s’ensuivit, amena la déclaration d’indépendance de la République ukrainienne. Mais alors, cette même indépendance inaugura une corruption généralisée et une instabilité politique chronique. En 2004, la révolution « Orange », très largement soutenue financièrement par les États-Unis, sous les yeux d’une Europe aveugle, amena la chute du président Leonid Koutchma, ancien apparatchik communiste, corrompu et pro-russe, au profit de Viktor Iouchtchenko pro-européen, également corrompu, puis de l’égérie européenne, Ioulia Timochenko, tout aussi corrompue. Ce n’est qu’un épisode dans la lutte pour le pouvoir à laquelle se livrèrent les oligarques, enrichis des dépouilles de l’Union soviétique.

Il découle de cette analyse que la réunion des parties Ouest et Est de l’Ukraine, telle que réalisée en 1945 est artificielle. Le rattachement, de surcroît, de la Crimée à cet ensemble est encore plus artificiel. Staline en 1945 fit déporter en Sibérie la population tatare de Crimée au motif de collaboration avec les Allemands, ce qui n’était pas faux. Il y eut un retour, partiel, en 1988. Politiquement, le Dniepr est une barrière de séparation entre deux Ukraine, l’occidentale et l’orientale. Si la par­tie orientale de l’Ukraine a connu une unité historique, il n’en est pas de même de la partie occidentale dont l’histoire est caractérisée par une fragmentation tumultueuse entre différents États. L’unité complète de l’Ukraine est une œuvre stalinienne, à l’exception du rattachement purement artificiel de la Crimée, rattachement récent en regard des temps historiques. C’est ce dont hérite Petro Porochenko en 2014.

Démographie, religion et économie

Sous ce chapitre, la différenciation entre les régions de part et d’autre du Dniepr est, au moins, tout aussi prononcée que l’est l’Histoire de ces deux parties.

Il y a une dichotomie économique très nette entre les parties orientale et occi­dentale de l’Ukraine et a fortiori avec la Crimée.

– La partie orientale est industrialisée et développée, notamment dans les sphères de la métallurgie et de l’aéronautique. Ceci provient de l’héritage de la répartition entrepreneuriale, telle qu’elle avait été réalisée du temps de l’Union soviétique. Un exemple pertinent est fourni par la construction de l’avion gros porteur à longue distance russe Antonov. Quelque 40 % de la production est en provenance d’Ukraine, tant au niveau des composants de l’appareil que de la pro­duction finie. La majorité des bureaux d’étude est en Russie. En langage plus clair, cela signifie qu’en ce qui concerne XAntonov, un avion remarquable, vendu avec bénéfices à l’exportation ou loué, l’Ukraine orientale est liée à la Russie. Cependant, si la majeure partie des bureaux d’étude est en Russie et si la partie ukrainienne peut être reconstituée, la réciproque est moins vraie, d’autant plus que la déficience est encore plus prononcée au niveau du personnel. Il n’en demeure pas moins que la reconstitution par les Russes du potentiel perdu demandera au moins cinq à six ans. Quant aux Ukrainiens, il est hors de question qu’ils parviennent à reprendre à leur compte propre la production de l’Antonov et de son successeur. Cette situation n’est pas pour déplaire à l’industrie aéronautique américaine qui verra ainsi dispa­raître une dangereuse concurrence. Il en est de même du reste de la production industrielle. On ne détruit pas d’une chiquenaude une coopération soigneusement étudiée et réalisée au cours des siècles. L’Ukraine orientale est tournée vers la Russie, tout naturellement.

– La partie occidentale conserve une vocation rurale prononcée. Du temps de la Double Monarchie, la Galicie, la Ruthénie subcarpatique et la Volhynie étaient englobées dans la Cisleithanie, dévolue à la ruralité, et sous l’administration de Budapest, tandis que la Transleithanie l’était à l’industrialisation, sous l’administra­tion directe de Vienne. Les Polonais ne changèrent rien à cet état de fait, pas plus que les Soviétiques. Tous ont été contraints à prendre en compte l’héritage.

En ce qui concerne l’origine du peuplement, il est absurde d’en chercher les sources ethniques, tant les peuples se sont croisés au cours des siècles, y compris les Mongols. Tout au plus, peut-on se référer à la langue véhiculaire. Le russe est parlé par les 45 millions d’Ukrainiens, bien ou mal, ce qui n’est pas vrai de l’ukrainien. La partie orientale, le Donbass surtout, a pour langue véhiculaire le russe et n’emploie pas l’ukrainien, langue considérée comme un dialecte du temps de la Russie impé­riale et peu usité du temps de l’Union soviétique. Tout au plus, peut-on classifier la population selon l’ampleur de l’usage de la langue. D’une manière générale, à l’Est du Dniepr, y compris dans le Sud de l’Ukraine et en Crimée, la langue véhiculaire est le russe. À l’Ouest, c’est l’ukrainien. A Kiev, la capitale, sur le Dniepr, on parle russe. Cependant, les langues sont tellement rapprochées qu’il n’y a aucun pro­blème de compréhension et les deux langues utilisent le même alphabet cyrillique. Le grand écrivain ukrainien Gogol s’exprimait en russe. Les deux cultures n’en font qu’une au point qu’il est incongru de parler de deux cultures différentes. Tarass Boulba est autant un héro russe qu’ukrainien. Borodine, l’auteur de l’opéra « Le Prince Igor », achevé par Rimski-Korsakov et Glazounov, mettant en scène la lutte des Russes contre les Mongols, en Ukraine, ressort des deux nationalités, encore que tous trois soient russes. Chevtchenko, considéré comme le père de la littéra­ture ukrainienne, s’exprimait tout autant en russe qu’en ukrainien. Mark Donskoï, cinéaste soviétique, né au début du XXe siècle, célèbre pour ses adaptations de Gorki,

est né à Odessa, mais travailla en russe et ne s’exprimait que peu en ukrainien. Tous sont autant ukrainiens que russes.

Les différences de religion fournissent également une indication. La question religieuse avait été considérée comme réglée par l’athéisme professé par l’Union soviétique. Elle n’en existait pas moins et refit une renaissance triomphante avec la chute de l’URSS, d’autant plus que les Soviétiques, à partir des années suivant la Deuxième Guerre mondiale cessèrent toute persécution religieuse. Les deux grandes religions du pays sont chrétiennes, à raison de 58,7 % pour l’orthodoxie et 9,6 % pour le catholicisme dans sa version uniate. Les autres religions se par­tagent le reste : protestantisme, Eglise apostolique arménienne, judaïsme et l’islam pratiqué par 3,5 % de la population, principalement par les Tatars de Crimée. L’orthodoxie est surtout répandue à l’Est du Dniepr. La Galicie occidentale est très majoritairement uniate. Le catholicisme romain existe encore en Volhynie. La question religieuse vient encore accentuer la division de l’Ukraine en deux parties.

L’économie ukrainienne est malade. Le potentiel industriel est dans le Donbass, bassin houiller et région industrielle, dont la prolongation territoriale nettement plus développée est en Russie, doit son premier essor à la révolution industrielle, au XIXe siècle, puis fut le siège d’une série de kombinats extrêmement productifs sous Staline. La reconversion est difficile et est très lente, car freinée par une adminis­tration calamiteuse. Foyer d’industries métallurgiques qui ont besoin d’être moder­nisées, le Donbass est alimenté en minerai de fer par le bassin de Krivoï-Rog, en Ukraine orientale et par celui de Koursk en Russie. L’ensemble de l’économie est aux mains de quelques oligarques qui se sont appropriés les richesses du pays lors de la chute de l’URSS, très exactement par les mêmes procédés que les oligarques russes, mais avec un développement plus accentué. Aucun effort n’est réalisé aux fins d’une modernisation des industries de transformation qui en sont au stade où elles en étaient dans le courant des années 1980. La corruption, mal endémique qui règne également en Russie, mais à un moindre degré, ronge aussi bien l’ad­ministration étatique qu’industrielle. À titre d’exemple, une importation ne peut être réalisée qu’avec autorisation de l’Etat, en sus des droits douaniers. À cet effet, l’industriel doit payer – et grassement – des fonctionnaires du ministère de l’Éco­nomie pour qu’ils puissent se rendre à l’étranger aux fins d’examens, sur les lieux de production de l’importation. Faute de quoi, l’autorisation n’est pas accordée. Cet aspect n’existe pas en Russie. Tous les prêts octroyés par les organismes européens et le Fonds monétaire International (FMI) l’ont été, à la condition expresse d’une réforme éradiquant la corruption. Toutes les promesses ont été faites, aucune n’a été tenue, aucune réforme n’a été traduite dans les faits.

À noter que les principaux bénéficiaires de la corruption, seconde nature en Ukraine, restent toujours à la tête de l’Etat. Le régime de Petro Porochenko n’échappe pas au système. Le niveau de vie des Ukrainiens, mesuré en $ rapporté au Produit national brut exprimé, en parité du pouvoir d’achat (PNB/habPPA) s’éta­blit à quelque 5 000 $ moitié moindre que celui du Russe, contre 30 000 $ en ce qui concerne le Français et 38 000 $ l’Américain. L’économie ukrainienne présente une caricature du libéralisme économique.

La langue ukrainienne doit son existence, au XXIe siècle, à la politique de sauve­garde des langues minoritaires, lancée par Lénine et maintenue par Staline. Quant à l’identité politique de l’Ukraine, comme de la Biélorussie, c’est une construction stalinienne dont le but était d’avoir deux voix de plus à l’ONU.

La crise du temps présent : 2014

Dès l’indépendance acquise, la vie politique ukrainienne se caractérise par une succession de crises. Aucune élection d’un président de la République ou d’un Premier ministre n’est exempte de troubles plus ou moins étendus. Ces conflits se déroulent tous dans une ambiance de corruption et de lutte d’influence entre un candidat pro-russe et un autre pro-occidental.

Sur les ruines de Leonid Koutchma, l’ancien apparatchik soviétique reconverti, considéré comme corrompu (ni plus ni moins que les autres) se détachent trois personnages : Viktor Ianoukovitch, Viktor Iouchtchenko et Ioulia Timochenko qui joue à l’égérie, mais n’oublie pas ses intérêts dans l’industrie gazière qu’elle a bâtie, comme les autres, sur les dépouilles de l’Union soviétique. Ioulia Timochenko a été la tête de file de la révolution « orange » qui a porté au pouvoir, en décembre 2004, le candidat de l’opposition, Victor Iouchtchenko, soutenu très activement par les Américains. Il s’est avéré même, aux dires de Moscou, que c’est la CIA qui a monté cette révolution « orange » par le biais d’une Organisation non gouverne­mentale (ONG). L’ONG a été parée de la couleur orange qui a aussi servi de nom de code. Des répétitions de cette révolution ont agité les républiques anciennement soviétiques, toujours avec le même but : porter au pouvoir le candidat soutenu par les Américains, par le biais de troubles qu’orchestrait une ONG. Aussi, Moscou a exigé des ONG étrangères qu’elles fournissent un état de leurs comptes et de la provenance de leurs ressources à la première réquisition.

Le 3 avril 2007, le président Iouchtchenko, dissout le Parlement monocaméral, la Rada. Bien mal lui en prend ; à l’élection qui s’ensuit, il n’obtient que 14,28 % des voix. Il est renommé pour être partisan de l’UE, tout comme le bloc de Ioulia Timochenko qui totalise 30,18 % des voix. Le Bloc des Régions, présidé par Viktor Ianoukovitch, fédéraliste pro-russe, atteint 34,18 %.

Ioulia Timochenko, proposée par le président Iouchtchenko à la suite d’une nouvelle dissolution de la Rada et de nombreuses péripéties politiques, devient Premier ministre. Le poste lui offre un champ accru à sa corruption. À l’élection présidentielle de 2010, Viktor Ianoukovitch l’emporte sur Ioulia Timochenko, tandis que Viktor Iouchtchenko est éliminé au premier tour. Auparavant, Ioulia Timochenko qui a déjà goûté de la prison pour corruption (la maladroite !) y re­tourne pour les mêmes motifs (toujours aussi maladroite !)

Les prodromes de la crise de 2014 sont en place.

En novembre 2013, Viktor Ianoukovitch, bien que pro-russe, se rapproche de l’UE, visant un accord d’association assujetti d’un prêt de 20 milliards de $ pour sauver le pays de la banqueroute. Face au refus européen d’engager le prêt à une hauteur si élevée, Ianoukovitch récuse tout accord d’association. Les Russes, par ailleurs, proposent un prêt de 15 milliards de $. Immédiatement, Kiev est la proie de manifestations rassemblant des milliers de personnes, puis plus d’une centaine de milliers, qui occupent la grande place de la capitale, la place de Maïdan Nézalejnosti, transformée au fil des jours en camp retranché, ainsi que la Mairie. La situation s’envenime, la confrontation entre manifestants devenus émeutiers et force anti-émeute tourne à une guerre de rue qui se soldera par 82 morts chez les manifestants et 16 morts dans les rangs des forces de l’ordre. L’émeute réclame le rapprochement avec l’UE et le départ de Ianoukovitch.

Moscou et Ianoukovitch dénoncent la télécommande étrangère, comme lors de la révolution « orange », ce qui n’est peut-être pas absolument faux. Manifestants et émeutiers se leurrent sur l’opulence européenne à laquelle ils pensent accéder par un quelconque accord. Par ailleurs, les manifestants sont encadrés par des éléments d’extrême droite, dont certains ne cachent pas leur idéologie nazie. Les oriflammes et divers placards brandis à tour de bras sont parfaitement éloquents à cet effet et ne laissent planer aucun doute. Ces éléments se sont organisés en véritables com­mandos militaires disciplinés, ce qui leur permet d’encadrer efficacement les mani­festations. Beaucoup de ces éléments ont fait le voyage depuis les villes d’Ukraine occidentale, notamment de Galicie. Des pourparlers entrecoupés d’armistices et de concessions gouvernementales, se déroulent et finissent par aboutir, le 21 février 2014 à la solution d’une élection présidentielle anticipée fixée au 25 mai 2014, au lieu du terme normal qui se place en 2015. La rue, cependant, ne l’entend pas de la sorte. L’émeute redouble de violence. Entre temps, de nombreux dirigeants du Bloc des Régions, la formation politique dirigée par Ianoukovitch, ont fait défec­tion. Comment et pourquoi, et en un délai inférieur à 24 h ? L’interrogation sub­siste pleine et entière. Qui et comment ont été orchestrées les tractations, reste une énigme dont la résolution ne peut être fournie que par la CIA. Le 22 février, Ianoukovitch prend la fuite pour se réfugier d’abord à Kharkov, puis en Russie. Il disparaît de la scène politique, bien qu’il dénonce un coup d’Etat et l’illégalité de sa destitution. La moindre des qualités caractérisant l’oligarque qui a occupé la fonction suprême est la lâcheté.

La Rada change de camp à la suite des diverses défections, proclame la des­titution de Ianoukovitch et confirme la tenue d’une élection présidentielle anti­cipée, pour le 25 mai 2014, par 328 voix sur 450. Aleksander Tourtchymov est désigné pour diriger l’Ukraine, le temps de la prochaine élection, alors que Ioulia Timochenko est élargie de sa prison par décision de la Rada. Viktor Ianoukovitch est définitivement discrédité par sa propriété, près de Kiev, largement ouverte au public de masse qui s’indigne du luxe tapageur exhibé. Il a beau lancé de véhé­mentes protestations, sa corruption éclate au grand jour : il n’est pas écouté.

Dans la foulée, la Rada nouvelle formule commet l’erreur majeure de déchoir la langue russe de son statut de langue officielle, au même titre que l’ukrainien. Le contrecoup ne tardera pas à se faire sentir. Des troubles éclatent dans la partie orientale de l’Ukraine, notamment à Kharkov, à Donetsk et à Dniepropetrovsk. Les manifestants réclament le rattachement à la Russie, faute de pouvoir se ranger derrière Ianoukovitch, en fuite. Les troubles gagnent la Crimée, dont le Conseil suprême proclame unilatéralement l’indépendance, le 11 mars. Cependant, le réfé­rendum du 16 mars va plus loin en décidant le rattachement à la Russie, qui devient effectif le 18 mars 2014. L’Ukraine verse dans l’anarchie, son gouvernement pro­visoire se tourne vers Bruxelles qui, le 5 mars, annonce une assistance financière de 11 milliards d’euros, donc sensiblement le même montant que la Russie. Ce paquet consiste en 3 milliards en provenance du budget de l’UE, à raison d’un don de 1,565 milliards d’aide directe et 1,610 milliards sous forme de prêt, ainsi que 8 milliards, fournis par la Banque européenne d’investissement, à raison de 3 milliards, et par la Banque pour la reconstruction et le développement, à raison de 5 milliards, soit donc au total 11,175 milliards pour la période 2014-2020. Avec des allocations supplémentaires promises de diverses sources, le président du Fonds monétaire international a calculé que l’Ukraine bénéficiera de 27 milliards d’euros.

Il reste à savoir si cette assistance financière sera suffisante et si elle n’est pas à fonds perdus. Il serait proprement miraculeux que le gouvernement ukrainien, quel qu’il soit, assainisse ses finances et arrive à une gestion économique et financière harmo­nieuse. Par ailleurs, l’UE est-elle de taille à supporter l’homme malade de l’Europe ?

La politique russe et la Crimée

Il n’est point utile de faire une longue analyse de cette politique, tant elle a été déclamée et étudiée. Le président russe, Vladimir Poutine, estime que la Russie est suffisamment remise de son désastre de 1991 pour chercher à le réparer et à rejoindre son rang de puissance mondiale, ce que lui conteste le président amé­ricain Barack Obama, dans un discours public le 25 mars, en ne voyant en elle qu’une puissance régionale, tout en prêchant l’apaisement. Au plan intérieur, le président Poutine admet une économie de marché, avec un capitalisme d’Etat pré­pondérant. L’oligarchie est autorisée ou tolérée à la condition expresse de ne pas se mêler de politique ou de soutenir le Kremlin. Prudents, bon nombre d’oligarques ont préféré s’exiler à Londres, devenu en terme de plaisanterie « Londongrad ». Au plan externe, Vladimir Poutine caresse le grand dessein de remembrer la Russie en recouvrant les territoires ayant formé la défunte Union soviétique et l’Empire russe. Conformément à cette politique, la Russie a conclu une union douanière avec la Biélorussie et le Kazakhstan. Ce biais d’union douanière semble le volet principal du système de Moscou. Autre système, le rattachement par référendum lorsqu’il s’agit de portions de territoire finalement assez faible et ayant fait partie intégrante de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Le but russe est d’aboutir à une fédération ou une confédération, pas une extension de la Russie en elle-même.

La Crimée et l’Ukraine orientale, deux territoires peuplés indiscutablement de russophones, font partie du paquet. La Crimée, outre sa charge idéologique et économique, revêt une importance militaire inégalée avec le port de Sébastopol. C’est le pendant de Tartous en Syrie et explique pourquoi Vladimir Poutine, exploitant l’opportunité que lui offrait l’affaire ukrainienne, est parvenu au rattachement de la Crimée. En cela, il est unanimement suivi par l’opinion publique russe. Au plan factuel, les cartes demandent à être à nouveau battues. En effet, en échange de la libre disposition d’une enclave navale militaire à Sébastopol, Moscou accordait à Kiev une redevance et un tarif préférentiel sur la cession du gaz et du pétrole. Le rôle de transit de l’Ukraine tend à s’amoindrir car l’oléoduc et le gazoduc du Nord, système empruntant la Baltique, permet de joindre directement l’Europe occidentale, tributaire à 30 % des approvisionnements russes, au grand dam non seulement des Ukrainiens, mais aussi des Polonais. En tant que port d’attache de la flotte de guerre russe, Sébastopol est irremplaçable. Une carte maîtresse échappe désormais à Kiev. Outre les troubles en Ukraine orientale réclamant également un référendum visant le rattachement à la Russie, le même tableau se reproduit en Transnistrie aux dépens de la Moldavie.

Le rattachement de la Crimée est le pendant exact de ce que fut celui de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Nord en 2008, avec une intervention militaire en moins, ou plus voilée. Des forces russes, sans insignes distinctifs, sont intervenues en Crimée, pour chasser les rares éléments militaires ukrainiens ne voulant pas faire allégeance à Moscou. Dans les deux cas, Moscou a beau jeu de rappeler la partition du Kosovo, obtenue par référendum sans aucun aval de l’ONU, le référendum venant entériner une partition de fait ; en d’autres termes, légalement, le même cheminement que celui de la Crimée. Autre exemple avancé par Moscou, l’attaque de l’Irak en 2003, réalisée sans l’aval de l’ONU. Autre exemple encore, mais plus tendancieux, le maintien de Mayotte au sein de la République française effectué à la suite des référendums de 1974, 1976 et 2003. Les Russes avancent surtout qu’il ne peut y avoir deux poids contrebalancés par deux mesures dans le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le démembrement et la disparition de la Yougoslavie appar­tiennent au même schéma.

Par ailleurs, en ce qui concerne proprement l’Ukraine, la destitution de Ianoukovitch est due à un acte illégal, provoqué par une émeute qu’approuvent les Occidentaux. Les Européens, en l’espace de 24 heures renient leur parole ins­crite sur un acte assurant leur soutien à l’accord intervenu le 21 février 2014. Ce n’est pas pour autant que Ianoukovitch et ses commensaux gouvernementaux, tout aussi prévaricateurs que lui et tout aussi piètres politiques que lui, bénéficient des sympathies agissantes du Kremlin. Moscou les ignore, sans plus. Il est clair que Vladimir Poutine est à la recherche d’un personnel politique ukrainien politique­ment plus apte et surtout plus intègre. Le ménage est d’abord aussi à faire au sein de la Maison russe. La politique du Kremlin à l’égard de la Crimée se définit par un rattachement pur et simple. Il n’en est pas de même vis-à-vis de l’Ukraine orientale et méridionale : il s’agit de faire admettre à Kiev un système fédéral, doté d’une très large décentralisation.

Afin d’appuyer leur politique, les Russes n’hésitent pas à masser des troupes à la frontière ukrainienne. Par hasard, bien évidemment. Le signal, clairement perçu, n’est pas sans inquiéter les Occidentaux. Les Polonais en appellent à l’OTAN.

La reconnaissance russe du gouvernement ukrainien issu de l’émeute reste une carte importante dans la main du Kremlin. En terme de politique générale et de stratégie, la Russie estime intolérable d’avoir à sa frontière occidentale, donc en Ukraine, une organisation militaire adverse, que ce soit l’OTAN ou une Europe militaire, si jamais elle voit le jour. À son sens, les implantations de systèmes de missiles antimissiles américains sont également tournées contre elle. Il suffit que la Lettonie et l’Estonie soient membres de l’OTAN, bordant la frontière nord-ouest de la Russie et ainsi à moins de 200 km de Saint-Pétersbourg, sans en rajouter de la menace. En revanche, toute implantation militaire otanienne d’importance ne peut être tolérée. Si jamais il n’en est pas ainsi, les Russes annoncent être prêts à implanter des systèmes de missiles offensifs dans l’enclave de Kaliningrad, ce qu’ils ont fini par réaliser.

Les émeutes pro-russes en Ukraine orientale et méridionale

Parallèlement au soulèvement en Crimée, la partie orientale et méridionale de l’Ukraine s’est enflammée. L’exemple de la Crimée joue un rôle considérable et la contagion a gagné. Le pouvoir central est totalement débordé. Les troubles éclatent simultanément en pratique dans toutes les zones russophones et s’amplifient. Des milices s’organisent plus ou moins spontanément dans les principales villes et s’en prennent aux édifices gouvernementaux tels que les maisons des syndicats, les mai­ries, les sièges des gouvernements locaux… Ces milices sont bien organisées et se donnent des chefs de rencontre, comme cela est courant dans toutes les insur­rections. Il en est ainsi de Donetsk où le chef séparatiste, Denis Pouchiline, pré­sente l’organisation d’un référendum, le 11 mai, à l’image de celui de la Crimée, visant la création d’une République du Donetsk. Le référendum ne touche que le Donbass et dégage une imposante majorité en faveur de la séparation. Les troubles se prolongent et causent des victimes de part et d’autre. Les troupes gouverne­mentales s’essayent timidement à reprendre en main la situation puis vont s’enhar­dir, mais sans succès. À Odessa, le 4 mai, les affrontements de rue se soldent par une quarantaine de victimes pro-russes bloquées dans la Maison des syndicats en feu. Il apparaît évident que les séparatistes ukrainiens bénéficient d’une aide russe. En somme le Kremlin, instruit par les révolutions de couleur, jour la même carte à l’envers. Cherchant une sortie de crise, Vladimir Poutine, le 7 mai, rencontre Didier Burkhalter, le président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Son influence a permis la libération d’inspecteurs de l’OSCE que les séparatistes retenaient en otage. Cela n’empêche pas, bien au contraire, le président russe de superviser, le lendemain 8 mai, un tir expérimental de missile : une démonstration de force n’est jamais inutile.

La politique occidentale et le rôle de la France

Cette politique est surtout menée par les États-Unis, avec comme boutefeu la Pologne. Tant du côté américain qu’européen, d’évidence, il y a une russophobie déclarée, relayée avec force par pratiquement tous les médias. L’opinion publique est ainsi formatée. Les Européens, en l’occurrence les Français et les Allemands comme éléments prépondérants de la coalition que forme l’OTAN, opèrent une politique de suivisme à l’égard des Américains qui adoptent une politique antirusse avec une virulence acharnée, à croire que la guerre froide se poursuit. La bascule politique et stratégique américaine vers le Pacifique, proclamée en 2012, est mal en point. Les affaires européennes ne se font pas oublier par un coup de baguette magique. Cela ne peut qu’arranger la stratégie chinoise. Les Européens, et c’est leur argument fort, rappellent le mémorandum de Budapest de 1974, auquel ont sous­crit les Russes sur l’intangibilité des frontières des républiques anciennement sovié­tiques et devenues indépendantes à la suite de la dislocation de l’Union soviétique. Ce mémorandum avait été souscrit pour confirmer la dénucléarisation de l’Ukraine et de la Biélorussie ainsi que le statut de la Russie, seule héritière de la défunte URSS. La Russie, énonce le Secrétaire d’Etat John Kerry relève d’un comportement du XIXe siècle qui n’est plus tolérable au XXIe. Sans doute, la Rada a-t-elle commis des erreurs, mais cela pouvait être l’objet d’un règlement politique. Les Américains auraient bien voulu un isolement diplomatique de la Russie, mais cela se révèle difficile. En revanche, des sanctions à l’égard de personnalités russes et criméennes sont adoptées tant par les États-Unis que par l’UE.

Néanmoins, d’un commun accord, Washington et Bruxelles ont évité d’inclure, dans le lot des personnalités sanctionnées Alexis Miller, le dirigeant de Gazprom. Pas de bêtises intempestives ! De même, l’UE fait suspendre les coopérations d’état-major, mais ne va pas jusqu’à suspendre les coopérations industrielles militaires, ce à quoi les Français se sont opposés. Ils veulent toujours vendre leurs bâtiments de projection et de commandement de la classe Mistral dont les contrats sont signés. Ensuite, il ne faut pas insulter l’avenir.

Le Conseil européen, réuni le 22 juillet, débattra de l’attitude à observer à l’égard de la Russie, après le drame de l’avion de Malaysia Airlines abattu en plein vol. Au banc des accusés, les Français mis en cause pour leur vente de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral. Le Premier ministre britannique David Cameron se lance dans une litanie d’invectives à l’égard de la France, vou­lant oublier que la City est une plaque tournante ainsi qu’un abri pour les finances internationales russes. Les Américains jugent cette vente totalement inappropriée encore qu’ils n’aient rien à voir avec une réunion du Conseil européen et qu’ils ne se privent pas d’un fructueux négoce avec les Russes en matière d’armement. Très simplement, ils veulent éliminer un concurrent et les Britanniques font du suivisme, de même que beaucoup d’Européens. La vente des deux BPC, le Vladivostock et le Sébastopol – la dénomination indique clairement la destination des navires – garantit certes 1000 emplois durant quatre ans, mais est aussi une affaire de souveraineté nationale. De plus, les griefs invoqués par les contradicteurs semblent plus issus de reproches liés à la politique française vis-à-vis de la Russie qu’à des considérations humanitaires. Le président de la République française fait savoir, fin juillet, que le contrat sera honoré même si en septembre il évoquait la nécessité d’un règlement politique de la crise ukrainienne. Par ailleurs, la campagne médiatique lancée contre la Russie a été trop outrancière et provoque un choc en retour, aussi bien dans les cercles dirigeants français que dans l’opinion publique.

Si les Russes paraissent prêts à utiliser l’arme de l’exportation du gaz dont dépend l’Europe occidentale, les sanctions mises au point par les Américains atteignent leurs cibles, en l’occurrence 17 entreprises russes. Les grands projets du Kremlin sont en voie de paralysie. Ainsi le GPS russe, Glonass est à 80 % dépendant de composants électroniques importés, de même que les hélicoptères Ka-62 équipés de moteurs fran­çais de Turbomeca et de systèmes de transmission australien et allemand de Zoerkler Gears GmbH. Même l’hélicoptère présidentiel AW 139, une production italo-russe est pourvu d’un moteur canadien Pratt et Wittney. Est-il besoin de rappeler le mar­ché franco-russe des bâtiments de projection et de commandement Mistral, conçu par les Français ? De fait, les industries européenne et russe commencent à être for­tement intégrées, tandis que les américaines le sont dans une moindre mesure. Les Polonais, toujours donneurs de bonnes leçons quand ils ne sont pas partie prenante, critiquent le marché français des bâtiments Mistral et demandent aux Américains d’implanter sur leur territoire aussi bien des troupes que des sites antimissiles.

L’UE annule la réunion du G8 prévue à Sotchi au profit d’une autre réunion d’un G7, tenue à La Haye, la Russie ayant été exclue du système de réunion. L’UE en fait partie en tant que telle. Maintenant, signe d’apaisement, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a accepté de rencontrer son homologue du gouvernement provisoire ukrainien, Andreii Dechtchitsa, en marge du sommet sur la sécurité nucléaire, tenu à La Haye le 24 mars 2014, homologue qu’il ne reconnaît pas comme tel. Mais rien n’interdit de discuter, n’est-ce pas ! Le G8 devenu G7 s’est tenu le même jour dans la même ville. Circonstance fortuite ? Un second G7 sera tenu à Bruxelles les 4 et 5 juin, mais le point important réside dans la tournée euro­péenne inaugurée par Barack Obama en Pologne, les 3 et 4 juin. Le président amé­ricain a pris fait et cause pour les pays avoisinant la Russie, notamment la Pologne qui réclame l’assistance des États-Unis, ce qui pose un double problème stratégique. En effet, les Américains ont modifié leur dispositif stratégique et basculé leur force en Extrême-Orient, en dégarnissant fortement l’Europe et la Méditerranée, confor­mément à la déclaration du président américain, le 5 janvier 2012. Dans ce but, le président Barack Obama a demandé un rajout budgétaire d’un milliard de $. Le deuxième problème est que la demande polonaise ruine encore un peu plus la pers­pective d’une défense purement européenne. Une fois de plus, cherchant à être les brillants élèves des Américains, les Polonais tournent le dos à l’Europe.

François Hollande, ainsi que plusieurs dirigeants européens ont jugé utile de rencontrer Vladimir Poutine à Paris, le 5 juin ou lors des festivités du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie, le lendemain. C’est ainsi que le président français, jouant avec succès le médiateur, arrive à ménager une encontre entre Vladimir Poutine et Petro Porochenko, ainsi qu’avec Barack Obama. Cette deuxième rencontre n’était pas du tout prévue au protocole. Il s’agit de faire admettre au président russe la validité du scrutin du 26 mai. Le succès semble ainsi atteint. Las ! Lors de la cérémonie de son investiture à Kiev, le lendemain, 7 juin, Petro Porochenko jette de l’huile sur un brasier mal éteint. Fort de l’appui américain et polonais, le président ukrainien n’hésite pas à lancer en défi que la Crimée appartient toujours à l’Ukraine. Il a contre lui l’évidence des faits et il ruine la tentative de rapprochement entamée la veille en France. L’abcès purulent qu’est l’Ukraine, l’homme malade de l’Europe, n’est pas sur la voie de la guérison. La conciliation que cherche à apporter François Hollande repose sur le double dîner auquel il a dû se résigner, le 5 juin. Le premier avec Barack Obama, car il ne pouvait être question de négliger un tel allié de passage dans la capitale française. Quelques heures après, un deuxième dîner le réunissait à Vladimir Poutine, visant à améliorer les relations avec les Russes, relations mal en point à la suite de l’affaire ukrainienne. La guérilla diplomatique se poursuit ainsi, monopolisant l’attention des médias et des opinions publiques. La partie ukrainienne propose un plan de paix qu’elle sape immédiatement en lançant une offensive contre les séparatistes du Donbass.

Les gouvernementaux ukrainiens puissamment relayés par les Américains, ac­cusent Moscou de prêter un concours militaire actif aux séparatistes du Donbass.

L’accusation bénéficie de bases solides, bien que Vladimir Poutine, imperturbable­ment, se répande en dénégations. Il dénonce, à profusion, en échange l’aide mili­taire apportée à Kiev par les États-Unis, ce qui d’évidence n’est pas faux. La lutte armée se poursuit, parallèlement à la guérilla diplomatique.

Intervient un élément majeur qui jette l’opprobre sur la Russie. Le 17 juillet 2014, un avion Boeing 777 des lignes malaisiennes avec 298 passagers à son bord, est abattu au dessus du territoire tenu par les séparatistes ukrainiens. Ceux-ci sont immédiatement accusés d’être les auteurs du tir meurtrier. Ils nient et Moscou nie toute implication. Les médias se déchainent. Les États-Unis, forts de leurs relais satellitaires corroborent l’accusation qui, d’évidence, est fondée. Des éléments sé­paratistes, peu au fait des armements modernes, après avoir abattu deux avions militaires ukrainiens, les jours précédents, s’en seraient pris par erreur à l’avion de Malaysia Airlines en provenance d’Amsterdam et à destination de Kuala-Lumpur. Est en cause un système de missiles Buk russe, dont la mise en service date du début des années 1980. Ce système demande à être servi par du personnel compétent, ce qui n’a pas été le cas, et constitue la première erreur fondamentale des sépara­tistes. Pourtant, Moscou, sans nul doute, avait mis à leur disposition des militaires chevronnés. Erreur due peut-être à une suffisance originelle ou à un défaut d’orga­nisation. Parmi les passagers, 154 victimes néerlandaises conduisent les Pays-Bas à proclamer un deuil national. L’enquête, sur les lieux où s’est abattu l’appareil, donne lieu à une longue et passionnée controverse. Les parties en cause s’accusent mutuellement d’entraver l’enquête et de chercher à fausser les données.

La réprobation est universelle, mais son impact médiatique, tout fort qu’il soit, est rapidement dépassé par l’opération lancée par Tsahal, l’armée israélienne contre la bande de Gaza, peu de temps après le tir assassin antiaérien. À la fin du mois de juillet, les Palestiniens déplorent plus d’un millier de victimes et Tsahal une qua­rantaine de soldats tués. Le nombre élevé de victimes palestiniennes provient de ce que Tsahal, économisant la vie de ses combattants au maximum, opère des tirs par roquettes et drones peu précis qui touchent aussi bien femmes et enfants que com­battants. Le but poursuivi est de détruire les tunnels par lesquels le Hamas reçoit des armes et passe en Israël clandestinement pour y faire la guérilla. Les Palestiniens ripostent, tandis que les Français puis les Américains s’efforcent d’obtenir un ces­sez-le-feu, bien aléatoire. L’opinion publique est très divisée. Pour la première fois, une minorité israélienne, suffisamment importante pour se faire entendre, vient en renfort de la condamnation d’Israël.

L’affaire ukrainienne est totalement éclipsée par le problème palestinien. Un second élément vient encore mobiliser les médias et donc l’opinion publique. Le 25 juillet, un avion espagnol affrété par Air Algérie, en s’écrasant au sol près de Goa au Mali, est la cause parmi les victimes, de la mort de 54 Français. Le choc médiatique en France est tel qu’il conduit à la promulgation de trois jours de deuil national. L’Ukraine est bien passée au troisième plan.

Les combats entre séparatistes et armée ukrainienne s’intensifient au début du mois d’août, tournant à la guerre civile ouverte et aux bombardements aveugles. Le but des Ukrainiens est de couper les séparatistes de leur base russe. Parallèlement, le 28 juillet, les chefs d’Etat et de gouvernement François Hollande, Barack Obama, Angela Merkel, David Cameron et Matteo Renzi se sont mis d’accord pour renfor­cer les sanctions envers Moscou. La Cour d’arbitrage de La Haye a condamné la Russie à verser 50 milliards de $ en dédommagement aux actionnaires majoritaire­ment américains pour la faillite suspecte de Ioukos. En revanche, les BRICS, dont la Russie, lancent une Banque pour le développement des infrastructures d’un capital de 100 milliards de $, ainsi qu’un autre fonds pour défendre leurs monnaies. La Commission européenne, le 30 juillet 2014 publie la liste de sanctions supplémen­taires mettant à mal l’économie russe. Il lui faut encaisser le coup qui est sérieux. Par ailleurs, l’Europe des vingt-huit est arrivée à faire bloc, ce qui est extrêmement rare sur un tel sujet. Les Américains sont, certes, allés plus loin. En outre, l’institu­tion européenne se targue d’avoir réalisé l’isolement de la Russie dans les rapports internationaux.

L’isolement de la Russie est donc absolument relatif. Les dirigeants russes ont commis une erreur d’appréciation politique quant aux responsabilités du tir meur­trier à l’encontre de l’avion de la Malaysia Airlines. Il fallait s’inspirer du tir malen­contreux de l’USS Vincennes à l’encontre d’un avion iranien civil abattu au dessus du Golfe en 1988. Le gouvernement américain a reconnu son erreur, mais éludé les réparations. En ce qui concerne le cas présent, la Russie n’avait pas à reconnaître une erreur. Aucune accusation ne portait sur cet objet. Cela revenait à condamner le tir et à mettre en cause une erreur vraisemblable, sans définir l’auteur. Ensuite, il aurait été utile d’inviter immédiatement des enquêteurs internationaux à investiguer sur place les débris de l’appareil. Toujours sans pour autant nommer les auteurs du tir et laisser ce soin à l’enquête, mais toujours insister sur l’erreur. Aucun pays n’est à l’abri d’un scandale. Le 2 août 2014, le président américain est contraint d’avouer que son pays a eu recours à la torture dans la lutte contre les terroristes islamistes. Cela avait toujours été nié jusqu’à ce qu’un rapport du Congrès ne vienne établir le fait, contraignant ainsi le président américain à le reconnaître. Encore que précédem­ment, le Congrès avait eu une attitude ambiguë à ce sujet concernant Guantanamo.

Conclusion

Une conclusion d’ordre général s’impose à la fin de cette première étape qui marque un tournant dans l’histoire de l’Ukraine, ne serait-ce qu’à cause du retour de la Crimée à la Russie, car c’est bien d’un retour dont il s’agit. Vouloir exclure la Russie du jeu mondial, et à plus forte raison européen, est une erreur majeure. Certes, le sort de la Crimée a été réglé par un référendum qui, pas plus que ceux concernant l’Abkhazie et l’Ossétie, n’a été reconnu par l’ONU et la communauté internationale. Il s’agit là de décisions prises unilatéralement. Cependant, l’invasion de l’Irak, voulue unilatéralement par les Américains en 2003, comme l’indépen­dance du Kossovo, proclamée tout aussi unilatéralement en 1999, constituent des précédents qui ne peuvent être effacés. La question du gaz et du pétrole transitant par l’Ukraine relève d’un commun accord entre Russes et Européens, encore que le système passant par la Baltique, entreprise présidée par un ancien chancelier alle­mand qui plus est, Gerhard Schroeder, met à part l’Ukraine et risque de l’éloigner des centres de décision mondiaux. Pour pallier la menace d’une pénurie de gaz, les Européens envisagent d’importer du gaz de schiste produit par les Américains. On passe des fourches caudines de l’un à celles de l’autre. Quant aux Français et aux Allemands, ils n’ont plus qu’à gérer la contradiction que leur parti Vert a levée en interdisant toute extraction d’hydrocarbures schisteux à partir de leur sol. Mais du sol d’autrui, pourquoi pas ! Cela n’empêche pas d’avoir une vision universaliste. Et les Verts de s’en accommoder… La question ukrainienne n’est pas réglée. À preuve, existent toujours dans le Donbass et en Ukraine méridionale des foyers de rébellion. Les États occidentaux, la France en tête, ont toujours estimé de leur devoir que de défendre leurs nationaux. Ce problème a été la cause avancée à de nombreuses reprises par la France pour intervenir en Afrique. Les Russes peuvent soulever la même question en Ukraine. C’est d’ailleurs ce qu’on a souvent craint au début du processus d’indépendance des pays baltes qui possédaient une minorité très forte (40 %) de Russes transplantés là en colonisateurs mais qui y sont restés. L’intangibilité des frontières est un mythe dénoncé par l’Histoire. Cela s’applique aussi bien à l’Ukraine qu’à la réunification allemande. Ce principe s’oppose à celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La France est confrontée à ce pro­blème en août 2014 au Mali avec la revendication sécessionniste de l’Azaouad. Le président français François Hollande avait réussi un véritable tour de force diplo­matique, les 4, 5 et 6 juin en amenant les parties en opposition – toutes sans excep­tion aucune – à entamer un dialogue. Il a fallu que le président ukrainien, cédant aux pressions nationalistes et aux boutefeux américains et polonais ruine en un instant les efforts dépensés. En effet, lors de son discours d’investiture, le lendemain 7 juin, il souligne l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine. Les Polonais se com­plaisent à ce rôle incendiaire international qui leur a causé tant de déboires dans leur histoire. Il faut bien accepter la réalité des faits : la Crimée ne reviendra pas plus dans le giron ukrainien que le Kosovo ne fera retour à la Serbie. En défendant, pour l’Ukraine, la thèse d’un régime fédéral jouissant d’une large décentralisation, le président russe défend une solution réaliste et pacifique à court et à long terme, non sans arrière-pensées. Mais qui n’en a pas ? L’autre revendication est commune aux Américains comme aux Russes : amener en Ukraine orientale et méridionale un arrêt des hostilités. Les deux parties se rejettent mutuellement la cause du moteur de ces hostilités. Chacune des parties veut sa paix, sa conception de la paix. Les Russes accusent les Américains d’avoir besoin d’un adversaire en Europe, quitte à s’en fabriquer un. Peut-être n’ont-ils pas tort ?

Le point crucial, qu’il faut souligner est le retour en force de la Russie dans les affaires du monde. Ne pas le reconnaître est faire œuvre d’une rare cécité politique. La politique russe de remembrement n’a pas fini d’être en scène. Au plan historique, et ce n’est pas sans conséquences au XXIe siècle, il appert que la guerre froide n’avait pas pour source qu’une différente appréciation du monde et des oppositions idéolo­giques ; il y avait aussi, et même avant tout, un antagonisme étatique, de puissance à puissance.

 

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