La France au Moyen-Orient : France-Syrie

Gérard BAPT

Président du groupe d’amitié France-Syrie de l’Assemblée nationale, membre du Parti socialiste et médecin-cardiologue

RÉSUMÉ

J’ai été président du groupe parlementaire d’amitié France-Liban – j’ai connu le Liban dans la pleine guerre civile, et ai lourdement senti la présence syrienne au Liban. Ensuite, je suis passé à la présidence du groupe France-Syrie et puis j’ai vécu l’histoire tumultueuse des relations entre la France et la Syrie, et la lune de miel lorsque Bachar El Assad est arrivé. Mais tant d’autres événements et tendances s’imposent dans la région, donc d’office les relations entre les parties sont exigeantes et se résument plutôt à une succession d’incidents qui ne laissent ni indifférents ni toujours d’un même côté.

La France est fortement engagée au Moyen-Orient, et accueille sur son propre sol et à de nombreux titres des familles, des commerces, des industries originaires du Moyen-Orient. Voilà pourquoi je souhaite que la paix se rétablisse fortement tout aussi bien là-bas qu’ici.

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Fragilités et tendances politiques régionales

Être parlementaire c’est intéressant si on va chercher l’information qui peut vous parvenir… Je l’ai fait surtout en matière de santé et je sors d’ailleurs de l’enregistrement d’un film que je vous recommande quand il paraîtra – puisque c’était une frondeuse remarquable, docteur Irène Frachon, sur l’affaire du Médiator – et puis moi je ne suis pas frondeur sur le plan de la politique intérieure parce que je pensais effectivement qu’il fallait restaurer la compétitivité dans nos entreprises – peut-être qu’aujourd’hui d’ailleurs ça donne quelques résultats – mais, je dois vous dire que je suis frondeur sur le plan de la politique extérieure.

Je ne suis pas du tout formé à la diplomatie, mais il se trouve que j’ai été président du groupe d’amitié France-Liban et que j’ai connu le Liban en plein dans la guerre civile. J’ai lourdement senti la présence syrienne au Liban et je suis devenu président du groupe d’amitié France-Syrie par un hasard de circonstances qui fait que – en 1992, quand on a perdu la majorité, la nouvelle majorité qui s’appelait déjà UMP à l’époque, a voulu reprendre la présidence du groupe d’amitié France-Liban… et, hasard des choses, le président du groupe socialiste à l’époque s’appelait Jean-Marc Ayrault, il m’a appelé en disant « tu sais Gérard, on n’a pas pu garder la présidence France-Liban par contre il reste la présidence France-Syrie, alors je voudrais que ce soit quelqu’un qui connaisse un peu la région ». Au départ, ça m’avait un petit peu surpris, on n’était pas encore dans une phase historique nouvelle.

Et puis, j’ai accepté et puis j’ai vécu l’histoire tumultueuse des relations entre la France et la Syrie, la lune de miel lorsque Bachar El Assad est arrivé, même si j’avais rencontré Hafez El Assad auparavant au quai d’Orsay. Cette lune de miel qui s’est terminée brutalement avec l’assassinat de Rafic Hariri, et qui, à mon sens, coïncide avec le revirement de la présidence française laquelle a quitté la position Gaullo-Mitterrandienne classique de notre diplomatie originelle consistant à se tenir toujours dans une position avant tout de médiation, d’amitié avec l’ensemble des Etats, de développement des relations culturelles, économiques avec l’ensemble des courants. La France a quitté donc à ce moment-là cette position qu’elle avait pourtant assumé avec beaucoup de brio au moment de la guerre en Irak puisque son ministre des Affaires étrangères à l’époque, Dominique de Villepin, avait prononcé un discours historique à l’ONU en dénonçant à l’avance ce qui allait se passer c’est-à-dire la catastrophe de et après l’intervention américano-anglaise et les pays du Golfe en Irak.

Je crois que c’est à partir de l’assassinat de Rafic Hariri que le président Chirac a basculé et a rejoint d’ailleurs dans cette fameuse Résolution à l’ONU qui demandait le départ immédiat de la présence syrienne, demandée auparavant par l’ONU pour stabiliser le Liban. Il s’est rapproché à ce moment-là, notamment au G8 à Evian, du président Bush et il s’est rapproché de ce qui est la philosophie diplomatique américaine, qui a culminé au moment de Bush avec Kissinger, c’est ce qu’on appelle le « néo-conservatisme », c’est-à-dire des valeurs de la diplomatie qui font passer les valeurs occidentales comme supérieures, les valeurs de la démocratie à l’européenne et à l’occidentale, les valeurs aussi du libéralisme, de l’échange économique et, y compris donc, cette prééminence donnant le droit à l’ingérence. Mais on ne va pas le présenter sous l’ingérence politique, on va le vendre sous l’ingérence d’un pseudo « droit humanitaire » et chez nous Bernard Kouchner incarne cette tendance lourde de l’establishment politique.

Le droit humanitaire, la possibilité de s’ingérer pour « protéger les populations civiles » et c’est au nom de cela que d’ailleurs l’intervention franco-anglaise, avec, malgré tout, la bénédiction américaine, s’est produite en Lybie. Dans ce pays, on a reproduit le prétexte de la « protection des populations » sous prétexte qu’on avait commencé à mitrailler des populations civiles à Benghazi par l’aviation de Kadhafi ; or, ce mitraillage n’a jamais eu lieu ! cette désinformation provenait d’Al Jazeera, tout de suite reprise par le secrétaire d’Etat britannique de l’époque et qui a donné donc la possibilité, en grugeant au passage la Russie et la Chine, d’aller non pas assurer une protection de la population mais aller renverser le régime, jusqu’à aller tuer Kadhafi alors même que l’on savait qu’à l’époque Kadhafi était déjà d’accord pour, mais avec un certain nombre d’égards, quitter le pouvoir.

On s’est ensuite heurté à la Syrie. Pourquoi ? Sans doute parce que, lit-on, depuis 2006, la CIA et un certain nombre de services de renseignement, voyaient dans l’arc chiite – l’Iran, l’Irak, la Syrie alliée, le Hezbollah – un danger à la fois pour Israël et pour l’Arabie Saoudite. Le facteur déclenchant ayant été peut-être, c’est à peu près certain, le fait que Bachar El Assad a refusé le passage d’un pipeline qui venait du Qatar vers la méditerranée en préférant un pipeline qui, cette fois venait d’Iran et serait passé donc par l’Irak et par la Syrie, alors que celui du Qatar serait passé par la Jordanie.

Ça a peut-être été un des facteurs déclenchant décisif de la décision de profiter de manifestations – qui à certains égards se sont très certainement rapprochés des « printemps arabes » – mais dont on a pu juger, en revoyant les câbles diplomatiques de l’ambassadeur de l’époque, Eric Chevallier, que pourtant il attirait l’attention sur le fait que ce n’était pas tout à fait la même chose que ce qui se passait pour les autres « printemps arabes » ; ce n’était pas tout à fait la jeunesse estudiantine, les intellectuels, la bourgeoisie éclairée… Ces manifestations venaient après un grand épisode de sécheresse en Syrie, de populations déplacées qui s’étaient localisées dans les faubourgs et qui étaient en situation sociale difficile. Très certainement aussi, depuis un certain temps, ces manifestations avait profité de l’influence de fonds sociaux venant du Golfe et qui expliquaient notamment que l’on avait vu progressivement de plus en plus de femmes voilées à Damas, ce qui n’était pas le cas quelques années auparavant.

En ce qui concerne la France, puisque c’est un petit peu le sujet que vous m’avez confié, l’engagement de François Hollande le numéro 57, à l’élection présidentielle, c’était une « aide accrue aux pays en développement et un renouveau du multilatéralisme ». Bon, « l’aide accrue aux pays en développement », on sait ce que c’est. Mais « le renouveau du multilatéralisme », on voit que c’est l’inverse qui est pratiqué par l’Elysée et le Quai d’Orsay puisque l’on a un club qui est le club « franco-anglo-américain », allié bien entendu des pays du Golfe lesquels ont l’avantage de pouvoir financer à fonds perdus, qui aujourd’hui est à la manœuvre.

Et, à cet égard, où est la politique étrangère de la France ? C’est la question qui m’était posée dans cette réunion. Une politique étrangère ça sert, d’une part à assurer la sécurité intérieure, d’autre part aussi, à concourir à la stabilité de ses voisins, puisque la déstabilisation d’un voisin peut entraîner l’insécurité intérieure, et puis aussi à protéger l’identité nationale. En France on a quand même une tradition, une identité un petit peu particulière ; alors on se plume du coq parfois avec les valeurs de la Révolution française, le « message universel » de la France… Aujourd’hui on peut encore s’en réclamer mais il est trop d’occasions où on ne le voit plus à mon sens.

Dynamiques et perspectifs

Ce multilatéralisme est donc mort ; mais en plus il a conduit à ce qu’on se mette en opposition de plus en plus dure avec un autre pays, qui est d’Europe du nord mais qui fait partie néanmoins de notre continent, qu’est la Russie. Alors il y a non seulement le retour dans le commandement intégré de l’OTAN sous Sarkozy effectivement mais il y a le fait que l’OTAN a fait adhérer des pays de l’Est en remplaçant en quelque sorte un glacis soviétique par un autre glacis qui serait otanien. Ça a marché tant que la Russie était faible, ça commence à trouver des résistances… et le président russe, Vladimir Poutine n’accepte plus. Mais au lieu de traiter ça par le dialogue et la coopération, on le traite par des sanctions. Or les sanctions qui pénalisent-elles? C’est vrai dans tous les pays, ça a été le cas en Iran bien entendu, c’est toujours le cas en Syrie pour la partie qui relève de l’Etat syrien, c’est toujours le peuple qui pâti de ces sanctions-là.

En l’occurrence, les sanctions avec la Russie restent à effet limité ; la Russie est un grand pays et les sanctions occidentales néanmoins mettront du temps, ça ne fait que créer quelques difficultés économiques. Par contre, on se sanctionne nous-même puisque c’est l’agriculture française qui a subi le plus de dommage de ces sanctions avec la Russie ; sans compter bien entendu l’affaire des « Mistral », où « heureusement » avec l’Egypte et les fonds saoudiens on a trouvé une porte de sortie.

Alors la politique arabe de la France a disparu, et à l’heure actuelle on se demande s’il y a une politique étrangère française pour le Moyen-Orient… si ce n’est, ce que j’avais dénoncé dans un communiqué parce que ça m’avait fait beaucoup de peine en pensant à mon frère qui a eu la légion d’honneur sur un lit d’hôpital au moment de l’évacuation des Allemands vers la Normandie, blessé qu’il était pendant la Résistance, lorsqu’on a remis la légion d’honneur au ministre saoudien de la défense. Et, si ce n’est que peu après la visite d’un ministre, qui venait dans le cadre du groupe des amis de la Syrie, on a vu un grand entretien, en page deux du journal Le Monde, intégralement consacrée à ce ministre saoudien et dans lequel, il faut le retrouver, au dernier paragraphe, ce ministre se félicite de « l’alignement de la France sur tous les aspects de la politique saoudienne » ; c’est la conclusion ! Et il n’y a jamais eu aucune réaction. Moi je l’ai gardé parce que c’est bon pour l’histoire… mais malheureusement, c’est triste pour l’actualité.

Dans cette question syrienne, on a cru aider une révolution populaire qui allait conduire rapidement à la chute d’Assad. Tous les quinze jours, on disait « ça y est, ça arrive, c’est tout de suite ». Comment notre diplomatie a-t-elle pu se tromper à ce point sur la situation intérieure syrienne ? Comment a-t-elle pu penser que la bourgeoisie sunnite, et notamment commerçante et industrielle d’Alep, les minorités religieuses, et pas seulement les chrétiennes, allaient pouvoir risquer la charia, dont la majorité sunnite ne veut pas puisqu’ils sont toujours du côté de l’Etat, et sans compter les minorités religieuses, sans compter ceux à qui on a déjà promis la décapitation, et qu’ils allaient donc ne pas faire front autour du régime ? Alors, certes, le régime, à mon sens, a fait d’énormes fautes de répression dans les premières semaines de ces manifestations, il y a eu d’ailleurs des désertions dans l’armée, au départ, qui expliquent la création de cette « armée syrienne libre » qui a rapidement été submergée.

Dans le journal Marianne (un hebdomadaire que je vous conseille de lire de temps en temps), du 11 au 17 mars 2016, le numéro 987 révèle (je n’ai pas réussi à obtenir l’original parce que le journaliste ne donne jamais ses sources ; c’est dommage mais on a quand même la page), qu’une note au Quai d’Orsay du 15 octobre 2012 écrit à Fabius « le piège islamiste vient du Golfe », écrit et pointe clairement la responsabilité de l’Arabie Saoudite et du Qatar dans le financement des groupes djihadistes luttant en Syrie, il n’y avait pas encore Daesh, « la visibilité croissante des islamistes dans l’opposition armée est un phénomène marquant depuis quelques semaines ; même s’ils ne sont pas dominant dans le champ de l’opposition syrienne ceci pose toutefois la question du poids réel de l’islamisme dans ses différentes composantes ».

Tout était dans cette note du 15 décembre 2012 qui a fait l’objet d’un « classement vertical ». Donc, il s’agit là d’une volonté et d’un parti pris d’une alliance, qui devient stratégique, avec les Etats du Golfe ; et pourtant j’entendais d’un orateur qui était assis ici, monsieur Belliot je crois, parler du financement par les Etats du Golfe du terrorisme.

Rôle de la France dans la paix syrienne

Sur le site d’information électronique Médiapart vient de paraître un article sur la fortune d’un ancien Emir du Qatar lequel a abandonné le pouvoir. Cet ancien Emir a quatre milliards et demi de dollars à l’extérieur pour sa propriété personnelle. Et toujours on nous répond : mais on n’a aucune preuve que les Etats du Golfe financent les groupes terroristes, ou les groupes islamistes ! Mais quand il y a une telle confusion entre les fonds privés et les fonds d’Etat dans ces pays, comment peut-on avoir cette certitude-là ?

Je pense que l’on se fourvoie, que l’on s’est complètement fourvoyé et que l’on n’a pas su voir par ailleurs – deuxième grosse erreur de la diplomatie française sous François Hollande – la solidité des liens qui unissaient la Syrie avec ses alliés. On aurait pu commencer à le voir lorsque Hassan Nasrallah, annonçant l’intervention du Hezbollah en Syrie, avait dit « pour nous c’est une lutte existentielle » ; parce qu’il savait très bien que de la Syrie on allait pouvoir troubler l’équilibre communautaire qui existe au Liban. On n’a pas su le voir non plus, parce que ce lien existait entre l’Iran et la Syrie de manière très formelle. On n’a pas su le voir non plus quand on a pensé que la Russie, prise dans ses problèmes, ne s’intéresserait pas à ce qui était pourtant son implantation, et la seule, en méditerranée, le port de Tartous, ainsi qu’aux nombreux traités à de multiples titres qui unissaient la Syrie et la Russie.

Aujourd’hui la France de Hollande, Fabius puis Ayrault, est totalement hors du jeu ; ça se passe entre les ministres des Affaires étrangères Kerry et Lavrov, ça se passe entre les présidents Obama et Poutine mais la France, elle, ne peut plus peser. Alors ce que je souhaiterais, si elle ne peut pas peser pour l’instant, au moins qu’elle arrête de favoriser les menées et qu’elle arrête de s’agenouiller devant les chantages extraordinaires que peut faire la Turquie à propos des migrants. Vous avez eu connaissance du fait que la Turquie vient de refuser l’accès à son sol au secrétaire d’Etat allemand à la défense ainsi qu’à une délégation parlementaire allemande, alors même qu’il y a des avions allemands qui vont stationner avec ceux américains sur une base aérienne en Turquie ; la Turquie vient de refuser l’accès de son sol pour, en quelque sorte, prendre une mesure de rétorsion contre le rapport au vote du Bundestag sur le génocide arménien.

Alors un petit mot quand même, parce que moi je suis toujours très en relation avec des familles franco-syriennes ou franco-libanaises toulousaines qui sont issues d’Alep, qui ont toujours de la famille à Alep, je pense qu’en 1915 il y a eu le génocide arménien et syrien et qu’en 2015 ce sont les hommes du même sultan qui, en quelque sorte, veulent achever le combat à Alep. Voilà pourquoi je souhaite que rapidement la paix revienne à Alep.

 

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