La France et la coopération culturelle avec l’Afrique

Roger TEBIB

Professeur des Universités – Sociologie – Reims

Octobre 2009

Après avoir réalisé, pendant des siècles, une absorption de terres diverses pour former son unité, la France se mit aussi à insérer des pays d’outre-mer. Son œuvre consista alors à les équiper de moyens de production modernes ainsi que d’institutions politiques, éducatives et sociales. Ce fut une tâche de longue durée.

Lorsqu’elle fut accomplie, ces peuples se transformèrent en nations indépen­dantes mais ils sont restés plus ou moins rattachés à la France colonisatrice. Celle-ci, en effet, n’avait pas d’intérêt sordide et ne répugnait point à voir se séparer d’elle un peuple qu’elle avait formé.

Aujourd’hui, elle veut faire encore mieux et il convient, au moment où les déni­grements fleurissent, d’insister sur le rôle qu’a joué et peut encore jouer notre pays.

Disons d’abord que, si les entreprises coloniales de la France ne purent être absolument pures d’exploitations économiques et militaires dans ces régions, il n’en est pas moins vrai qu’elles furent animées d’une préoccupation humanitaire authen­tique, encore que parfois maladroite.

La France a trouvé, en général, dans la fondation et la gestion de son empire, l’occasion de faire à l’échelle mondiale la preuve de l’universalité propre à son génie culturel et social.

Elle continue à développer de fructueux échanges. L’Afrique subsaharienne — à laquelle on peut parfois adjoindre Madagascar et les Antilles — en est actuellement un parfait exemple.

La langue française et l’action des universités françaises dans la coopération franco-africaine

On a écrit, à juste titre, à ce sujet : « La France est le pays le plus doué pour la coopération internationale, par suite de son passé prestigieux, de l’importance de sa langue, de ses actions multiples au-delà des mers, de son libéralisme en matière d’accueil. La France a toujours été terre d’asile pour des intellectuels persécutés, depuis les Polonais en 1831 jusqu’aux Chiliens de nos jours ; elle a fait preuve éga­lement depuis des siècles d’une volonté d’expansion qui depuis le reflux colonial se porte aujourd’hui sur le terrain de la francophonie1 ».

Depuis la loi d’orientation de 1968, il existe une assistance technique aux États en voie de développement, en même temps qu’une participation accrue aux opé­rations de coopération entre universités de niveau comparable, notamment dans le cadre européen.

On a constaté que la création de XAssociation des universités partiellement ou en­tièrement de langue française (A.U.P.E.L.F.) avait permis, pendant un certain temps, de diffuser dans l’ensemble du monde des ouvrages, revues et manuels scientifiques publiés en langue française. Mais les progrès de l’anglais devenaient considérables, en particulier dans le domaine des sciences exactes et les grandes revues internatio­nales de physique, par exemple, paraissaient dans cette langue.

La langue française est alors passée à la défensive pour conserver son importance à l’échelle mondiale, en particulier dans tous les pays francophones. Deux orga­nismes ont été créés pour renforcer les exportations de livres français :

  • l’Agence de coopération culturelle et technique ;
  • le Fonds culturel du livre.

Le dynamisme français en matière culturelle demeure vivant face à la montée de la langue anglaise.

Les étudiants étrangers en France et les échanges d’enseignants

  1. Le gonflement du flux d’étudiants étrangers est dû à plusieurs raisons :
  • succès de notre enseignement et du prestige de la France ;
  • faiblesse des droits d’inscription, des tickets de restauration…
  • échappatoire aux politiques de numerus clausus de certains pays d’origine.

Les services officiels contrôlent les entrées pour éviter une dégradation de la qualité des étudiants et du niveau des études. Ils vérifient également la connaissance préalable de la langue française.

  1. On a noté que l’enseignement supérieur français fut et reste moins repré­senté en Afrique subsaharienne que le primaire et le secondaire. En effet, la plupart des missions des universitaires est de courte ou moyenne durée. Pour ceux qui sont partis pour plusieurs années, la difficulté principale est celle de leur retour en France : toute arrivée d’un coopérant dans une université risque de dimi­nuer le nombre de postes à créer par la suite et la spécialité de ce professeur n’est pas toujours la plus utile dans l’université de retour. Par contre, les professeurs étran­gers enseignant dans les universités françaises sont devenus un peu plus nombreux qu’autrefois grâce aux créations de postes d’enseignants associés.
  2. Remarquons qu’en 1910 le gouvernement avait créé Y Office des universités et écoles françaises dont les statuts ont été renouvelés en 1973. Son rôle est de s’occuper des bourses d’études et de recherche à l’étranger, des échanges d’assistants de langue vivante et de lecteurs dans les universités et les lycées et collèges.

 

L’exemple africain

L’implantation des institutions d’enseignement supérieur en Afrique franco­phone est essentiellement l’œuvre de la France. Elles devaient dispenser un savoir en mettant surtout l’accent sur l’enseignement de la langue et de la culture fran­çaises. Dans toutes les universités et les écoles normales supérieures, l’enseignement littéraire fut créé dans un premier temps pour répondre à ce souci.

L’évolution a été, en gros, la suivante :

  • En 1918, fut créée l’école de médecine de Dakar à la demande et avec l’aide de médecins militaires franç Et en 1957, naquit l’université de Dakar, la plus ancienne d’expression française.
  • Après les indépendances, on assista à l’ouverture de toute une série d’univer­sités : Madagascar (i960) ; Cameroun (1962) ; Côte d’Ivoire, Rwanda et Burundi (1964) ; République Centre Africaine (1969) ; Togo, Bénin et Gabon (1970).
  • En 1971, furent regroupées au Zaïre trois universités qui étaient auparavant libres et rattachées à des États européens.
  • En 1971 également, fut créée l’université Marien Ngouabé
  • En 1973, le Niger eut son propre établissement supérieur et le Burkina Faso le sien en 1974.
  • C’est seulement en 1981 qu’à Conakry fut créée une université remplaçant l’Institut polytechnique Gamal Abdel Nasser.
  • Le Mali a préféré former les étudiants dans le cadre d’une direction nationale des enseignements supérieurs et de la recherche scientifique (DNESRS) qui re­groupe depuis 1963 cinq écoles et deux instituts.
  • Quant au Tchad, il a vu son activité universitaire perturbée par une guerre sans fin.

On note pourtant que, depuis des décennies, les ressortissants de ces pays sont désireux de poursuivre leurs études en France, surtout dans un troisième cycle et ne désirent pas retourner dans leur pays d’origine, de peur, en particulier, d’y affronter le chômage2.

 

L’action culturelle de la France et la francophonie

L’action culturelle de la France en Afrique peut être abordée sous l’angle du macrosystème (la francophonie) ou sous celui du microsystème (la coopération technique).

Contrairement à l’opinion courante, l’idée de développer la francophonie n’est pas une séquelle du colonialisme, mais une revendication des Africains, dont les premières manifestations sont, en 1960, la création de la Conférence des ministres de l’Éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN) et, en 1961, de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (A.U.P.E.L.F.). En 1969, les premiers états généraux de la francophonie à Niamey mettent en place l’agence de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.) qui s’investit dans la culture, l’éducation, les sciences et techniques.

Côté français, plusieurs structures d’encadrement ou d’appui se succèdent de­puis 1973. Le premier sommet de la francophonie se tint à Paris en 1986 et les suivants tous les deux ans. À la différence des sommets franco-africains, qui prépa­rent ou mettent en forme des décisions, les sommets de la francophonie ouvrent des pistes et font avancer la réflexion. On y débat surtout de l’environnement, des droits de l’homme, de l’information et de la communication, de la place du français dans les nouvelles technologies. Depuis des années, l’accent est mis sur l’exception culturelle francophone et la résistance à une mondialisation pilotée par les États-Unis. Les secrétaires généraux de la francophonie, l’Égyptien Boutros Ghali puis le Sénégalais Abdou Diouf, ont fait des déclarations en ce sens et tenté de développer les contacts avec les mondes lusophones, hispanophones et arabophones, mais ces efforts ont abouti à des prises de position plutôt qu’à des réalisations.

 

La coopération culturelle

En matière de culture, la France a toujours voulu être une structure d’accueil pour les créateurs africains en même temps qu’un vecteur de transformation des industries culturelles en Afrique. On pourrait examiner le cas des écrivains, des peintres, des musiciens, des danseurs, des artisans d’art. Nous nous bornerons à évoquer quelques aspects de la coopération dans le domaine cinématographique.

Sur un plan technique, la Direction générale de la coopération internationale et du développement (D.G.C.I.D.) compte quarante attachés audiovisuels et une douzaine d’experts qui sont à la fois les relais de la présence française et les obser­vateurs avertis de ce qui se passe dans les pays concernés. Une seule cinémathèque existe en Afrique francophone subsaharienne, celle d’Abidjan.

Avant qu’il soit intégré aux Affaires étrangères, le ministère de la Coopération a financé 300 longs métrages et 500 courts métrages, fictions et documentaires, réali­sés par des cinéastes africains ou antillais, essentiellement dans le cadre du soutien financier à la postproduction et à l’achat des droits non commerciaux 3. Il a apporté un appui aux festivals africains dont le célèbre FESPACO (festival panafricain du cinéma et de la télévision) de Ouagadougou, invité des cinéastes et remis des prix. Par ailleurs, les conventions signées avec les pays africains permettent d’obtenir l’aide du Centre national de la cinématographie (CNC) et de l’avance sur recettes, et ouvrent les portes des adaptations ou des coproductions télévisuelles. Les chaînes françaises ou européennes sont d’ailleurs intervenues sur la coproduction ou le pré­achat de plus de trente films africains.

Le soutien à la postproduction est évidemment de l’aide liée qui s’exerce pour des achats de matériel et de service en France et par l’intermédiaire d’un producteur français. Il a pour objectif la mise en valeur des identités culturelles africaines. Il ne contribue pas directement au développement des structures africaines de cinéma.

Avec le passage de la Coopération aux Affaires étrangères, le nombre des bénéfi­ciaires potentiels a augmenté et les pays africains de l’Ouest ne sont plus systémati­quement privilégiés. Mais l’ancienne aide, rebaptisée « appui aux cinémas du Sud » veut changer de perspective en favorisant le développement des structures de pro­duction africaines, en permettant notamment de dépenser les sommes versées à l’extérieur de la France.

L’Afrique, en effet, n’a pu mettre en place ni structures de formation, depuis les balbutiements des institutions ivoiriennes et la fermeture de l’INAFEC de Ouagadougou abandonnée par absence de débouchés, ni structures de production – en raison de l’individualisme des cinéastes africains -, ni structures de distribu­tion – les distributeurs locaux trouvant plus d’audience pour les films égyptiens que pour les productions nationales.

Quant aux organismes français travaillant pour l’aide au cinéma africain, ou bien ils connaissent des difficultés avec les créateurs africains (médiathèque des Trois Mondes), ou bien ils ont été obligés d’arrêter leur activité (Atria, Écran Nord-Sud) car ils ne dépendaient que des subventions des bailleurs de fonds.

D’autres aides existent, également financées par l’Agence internationale de la francophonie, le Fonds européen de développement, le Fonds Sud interministériel destiné au cinéma non commercial, le Fonds Sud télévision. Et, de leur côté, la cinémathèque Afrique du ministère des Affaires étrangères et l’Association pour la diffusion de la pensée française continuent leur action pour le rayonnement de la production africaine.

Il existe donc un cinéma africain très vivant depuis Afrique-sur-Seine (1955) jusqu’aux dernières productions d’Ousmane Sembene, d’Idrissa Ouedraogo ou de Souleymane Cissé : films militants, chroniques d’exil ou oeuvres de fiction. Mais un paradoxe persiste : ces cinéastes sont mieux reconnus à l’étranger ou dans la diaspora africaine que dans leur propre pays, et d’autre part ce cinéma de com­bat ou d’auteur s’intéresse également peu aux autres productions africaines ou aux transpositions africaines d’oeuvres littéraires. (Cf. revue CinemAction n° 106, 1er trimestre 2003). Le cinéma africain attire cependant toujour s l’attention des spé­cialistes français : du 13 au 22 juin 2008, un rendez-vous de cinéastes consacre une section « à l’Afrique, avec un colloque et des rencontres » (Journal Le Monde du 10 juin 2008).

En définitive, et nous pourrions faire la même analyse pour d’autres secteurs, la coopération culturelle s’exerce davantage au bénéfice de créateurs africains que de la mise en place d’une structure de création africaine, même s’il arrive à cer­tains festivals français, comme Afrique en créations, de se délocaliser une année vers Madagascar. La France finance donc, qu’elle le veuille ou non, une industrie d’ex­portation qui encourage l’émigration plus que le développement de structures lo­cales de production permettant aux Africains de faire entendre leurs voix chez eux et d’inviter à ce qu’on vienne les entendre.

 

En guise de conclusion

Dans un de ses ouvrages (Africa must unite), N’Krumah recense patiemment, chiffres à l’appui, les richesses fabuleuses du continent et montre comment les divi­sions tribales et les frontières imposées par les colonisateurs ont permis son pillage par les étrangers.

En sens contraire, seule l’existence d’une nation peut empêcher un peuple de sombrer dans les guerres civiles et les luttes intestines. Un proverbe africain dit : « Si quelqu’un fait un saut dans le feu, il lui reste un autre saut à faire ». On a forcé l’Afrique à faire un bond dans la situation coloniale ; elle doit maintenant continuer dans le sens de l’universel, vers la nation qui seule structure un peuple.

Le développement d’une nation exige des efforts et des sacrifices. Il est inutile de parler de démocratie si les structures du pouvoir traditionnel ne se transforment pas, sans que, pour autant, les valeurs proprement morales de lignage disparaissent. Il s’agit de dissocier le domaine des liens tribaux de celui des responsabilités propre­ment économiques et politiques.

On doit rejeter ce qui est sclérosé pour mettre en valeur ce qui est sain. C’est une des conditions de base de la rénovation de la vie publique africaine. « Ceci peut sembler un paradoxe dans la mesure où la tribu est justement un foyer d’épanouis­sement des cultures de ce continent. Si l’on compare les Lobi et les Bassari ou les Yoruba, on constate que c’est dans le cadre tribal que leurs particularités artistiques se sont développées. Mais il n’est pas question de détruire le folklore : il est de réa­liser des espaces plus vastes qui conditionnent d’ailleurs la survie des petits centres culturels comme des centres tribaux. Ainsi, en France, la Révolution et l’Empire n’ont quand même pas détruit complètement ce que la Bretagne peut avoir de particularités
culturelles4 ».

 

Notes

  1. DEVEZE M., Histoire contemporaine de l’Université, SEDES, 1976
  2. TEDGA J.P.M., Enseignement supérieur en Afrique noire francophone, L’Harmattan, 1988
  3. BAYARD J.F., L’État en Afrique, Fayard, 1989
  4. KI-ZERBO Joseph, Le monde africain noir, Hatier, 1966
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