La France et l’Union Européenne – Quelle diplomatie au Moyen Orient?

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Ana GOMES[1]

Ancienne diplomate et ambassadrice du Portugal, Anne Gomes est aujourd’hui député du Parlement européen

Comment s’ajuster contre le terrorisme ?

Je suis une diplomate portugaise socialiste essayant de jouer son rôle, exercer son travail en tant que membre du parlement européen (PE) de l’Union européenne (UE), de la commission des relations extérieures, également de la commission des libertés civiles et sécurité intérieure, bref qui essaie de réconcilier droit de l’homme et sécurité et défense et depuis que je suis entrée au parlement européen en 2004. J’ai travaillé sur les sujets du Moyen-Orient, en rentrant au PE en tant que diplomate de carrière j’étais convaincu que la question du conflit israélo palestinien étais absolument capitale, l’expression que j’ai utilisé à l’époque et que j’utilise aujourd’hui, c’est l’échec du concert des relations internationales, le manque de réglementation mondial sur cette question. C’est une perception qui s’était imposée à moi lors de mon travail en tant que diplomate au début du processus des pays du Moyen Orient en 1991, et comme très impliquée dans ce qu’était la présidence portugaise 92 qui a mis en place toutes les structures qui ont découlé de la conférence de Madrid.

Réflexions personnelles

En tant qu’ambassadeur en Indonésie en 2003 quand l’Indonésie a connu sa transition démocratique, j’ai fait le constat que l’Indonésie étant le pays le plus peuplé de musulmans au monde en construction démocratique, mais déjà heurté au terrorisme notamment à la branche de Al Quaida, Jammaa Islamiya qui frappait souvent notamment l’attentat de Bali en 2012. Beaucoup d’australiens et d’européens sont morts à cette occasion mais également des indonésiens mourraient tous les jours sous les bombes de Jamaa Islamiya, et à l’époque déjà les spécialistes et les imams, les oulémas locaux disaient à nous les diplomates : « c’est l’Arabie Saoudite qui finance, qui fait le prosélytisme du wahhabisme. Ça na rien à voir avec l’Islam tel que nous le concevons dans un pays assez divers et tel que nous le pratiquons ici etc. », et c’est pourquoi je me suis occupée de ces questions au PE, j’étais rapporteur pour l’Arabie Saoudite, le premier rapport qui a été fait en 2016.

En 2008, j’avais pu rédiger un rapport sur l’Irak en partant du fait que nous les Européens, on était divisé à cause de l’invasion de l’Irak en 2003 mais il fallait ne pas se laisser ligoter par ces divisions et aller de l’avant pour s’engager avec l’Irak pour une voie disons démocratique. Proche de l’idéal de l’UE, je suis très critique, constructivement critique mais très critique et je vous dis que malheureusement je n’ai vu que faiblesse intrinsèque de l’UE et absence de résultats. La négociation qui a conduit à une certaine normalisation avec l’Iran, c’était important, je crois en revanche que l’Union européenne, même absente, a joué un rôle important, même si je ne crois pas que l’UE a été décisive, non, ce furent les Etats-Unis (ÉU) mais l’union européenne a joué un rôle important la dessus.

Mais à part ça, le bilan diplomatique et stratégique de l’UE est très décevant, malgré, avec notamment le traité de Lisbonne et la création du poste de Haut représentant pour la politique extérieure et le fait que ce nouveau poste était amélioré par rapport à ce qu’on avait avant avec Javier Solana, c’est-à-dire que que ce rôle de haut représentant lequel possède également le chapeau de vice président de la commission et là,la différence avec Solana, c’est que en tant que vice président de la commission européenne, on dispose d’un budget, de moyens financiers, mais aussi de ressources humaines à disposition par les Etats sur leurs moyens propres pour tenter de faire en sorte que nos visions, notre rhétorique en matière de politique extérieure puisse devenir une réalité un jour et ne pas rester le plus petit dénominateur commun fortement teinté d’atlantisme et de normalisation occidentaliste.

Je veux vous convaincre d’un certain nombre de choses…

L’un des défis les plus importants lancés au Haut représentant était d’assurer la coordination entre les différentes politiques, des politiques extérieures avec d’autres politiques qui font le contraire au niveau commercial ou au niveau énergétique, doter l’UE d’une politique cohérente, consistante, extérieure avec toutes ses domaines commerciaux, développement, énergie mais également un volet sécurité, de défense, parce que on ne peut pas se tromper on a beau avoir du soft power, mais il faut quand même surtout avoir du hard power, surtout dans un monde déréglé. C’est le grand défi pour le Haut représentant de promouvoir une politique commune de sécurité et de défense.

C’était mon espoir, mais jusqu’ici je suis très déçue, Madame Ashton avait beaucoup de difficulté puisqu’elle n’était pas préparée du tout même du point de vue de la géographie, enfin elle était anglaise et on sait très bien que les Anglais en matière politique, sécurité et défense ont choisi de ne pas aider l’UE dans ces domaines, au contraire de mettre des bâtons dans les roues, ou de choisir à la carte quand ça les arrangeait.

Et maintenant nous avons Madame Mogherini, plus préparée notamment en ce qui concerne le Moyen orient et donc le voisinage sud et beaucoup plus préparée en raison de sa sensibilité italienne, de sa formation et d’un intérêt constant portés sur le Moyen orient, préoccupée passionnée même des questions notamment des question israélo-palestiniennes.

Mais je dois dire aussi jusqu’ici que je reste dans l’attente parce que il y a toute sorte de contraintes et surtout des contraintes qui tiennent bien sur à la direction politique de l’UE, et au pas en avant dans un approfondissement et donc dans l’intégration y compris dans la politique extérieure.

L’absence de cohérence de l’UE en matière internationale, en raison de l’existence naturelle des différentes politiques internationales des Etats et des nations, a des retombées énormes chez nous notamment dans le domaine de notre sécurité parce que l’une des choses que le terrorisme nous a fait découvrir est que notre sécurité intérieure dépend de la sécurité de notre voisinage, ou des conflits comme le conflit syrien alimente encore plus davantage, la déstabilisation des acteurs faibles.

Et quoi de la Palestine ?

Mais je pense qu’à tout moment et avec la situation se détériorant de façon accélérée, en Palestine et donc entre Israël et la Palestine, ca peut avoir des conséquences terribles chez nous et partout dans le monde et je ne vois pas que l’union européenne, et les pays membres s’y intéresse. Aujourd’hui on a écouté au parlement européen, Monsieur Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne, hier c’était le président d’Israël qui est venu ; je suis allée en Palestine depuis deux mois, j’ai visité des campements de bédouins qui étaient démolis, d’ailleurs l’UE, avec les budgets des Etats, vos impôts, investit pour financer la reconstruction de ces campements et puis viennent les troupes israéliennes qui écrasent et détruisent, j’ai vu la progression du mur et des colonies de façon incroyable par rapport à ce que j’avais vu la dernière fois ; ce qui m’a frappé beaucoup c’est le sentiment complètement apathique de la plupart des israéliens, il y a le mur, ils ne le voient pas, la vie est facile de leur coté, sauf quand il y a des attaques, même si ces attaques sont démonstratives du désespoir total des gamins, etc., que la situation est terrible et du coté des Palestiniens c’est le désespoir.

L’UE a son mot à dire sur Israël et le Moyen Orient

La récente initiative française démontre l’incapacité de l’Union européenne et en même temps ceux qui pourraient mettre de la pression sur Israël ne le font pas certainement comme les Américains, ni les Européens d’une Europe allemande, l’Allemagne étant un pays bien sûr très sous la pression d’un chantage par Israël en raison de l’histoire. Il y a un autre équilibre de force qui se dégage avec l’histoire des réserves de gaz naturel autour de l’île de Chypre et avec bien sur les alignements qui vont dériver des intérêts soit du point de vue du financement, soit de la technologie pour exploiter ces gisements, et de l’intérêt qui sont en train de s’établir de quelques pays européens de la région notamment Chypre et Grèce avec Israël, avec la Turquie de Monsieur Erdogan en embuscade.

La Syrie je n’en vois pas la fin et surtout bien sûr quand on sait très bien que le conflit en Syrie est beaucoup plus que le conflit syrien en soi ça a beaucoup avoir dans ce conflit profond sunnite/chiite, j’ai pensé que l’Iran pourrait être poussé à jouer un rôle positif mais bien sur ça impliquerait une initiative européenne que je ne vois pas du tout surgir là, pour pousser l’Iran à jouer un rôle positif dans ce conflit, même si je crois que par rapport à l’Arabie Saoudite je pense que l’Iran est une puissance qui a une logique, qui peut délivrer une cohérence civilisationelle, avec une structure d’Etat qui veut s’engager dans la politique régionale et globale. A mon avis, il y a de l’intérêt à cultiver et à développer des liens avec l’Irak, l’Iran et pousser cette dernière vers une position plus constructive qu’en ce moment. Or, avec toutes nos politiques de business et normalement à cause du pétrole et des ventes d’armes, on ne fait même pas la différence avec l’Arabie Saoudite, et donc pour rééquilibrer cette relation très compliquée entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, et par rapport à l’Iran je pense que l’Arabie Saoudite et c’est ce que j’ai vu quand j’ai fait mon rapport et quand j’étais là bas et j’ai parlé avec tout le monde, ce n’est pas une puissance, c’est quelque chose de dysfonctionnel, qui est maintenu par nous tous qui faisons avec parce que on a des intérêts économiques mais à mon avis ces intérêts économiques ne sont pas en cohérence avec nos intérêts de sécurité.

[1] Ancienne diplomate et ambassadrice du Portugal, Anne Gomes est aujourd’hui député du Parlement européen et membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, et du Sous-comité pour la sécurité et la défense, ainsi que membre à part entière de la délégation pour les relations avec les États-Unis et la délégation à l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée. Elle est membre suppléant du Comité des affaires étrangères et de la Sous-commission des droits de l’homme. Son travail à la main met l’accent sur la justice et des affaires intérieures, de la sécurité et de la défense, la justice fiscale et de transparence, les droits humains et la primauté du droit. En 1980, elle a servi dans les missions portugaises de l’ONU à New York et à Genève.

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