LA GRANDE-BRETAGNE ET LE MOYEN-ORIENT

Son Excellence John HOLMES

LA CRISE QUI A ECLATE cet été au Liban a ravivé le débat, en particulier en Grande-Bretagne mais pas uniquement, sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir la région de l’ornière et sur le rôle que devrait jouer la Grande-Bretagne à cet effet. La question du Liban, conjuguée aux interrogations qui se posent à propos du nucléaire iranien, aux problèmes rencontrés en Irak, aux leviers à utiliser pour parvenir à stabiliser et à démocratiser la région, et à l’impasse épouvantable dans laquelle est englué le processus de paix au Proche-Orient, constitue un vrai casse-tête actuellement. Comment en sortir ? Dans quelle mesure sérier les problèmes ou au contraire les connecter ? A quels mécanismes multilatéraux recourir pour en venir à bout ? En Grande-Bretagne, ce débat touche au rôle même du pays dans le monde, à sa position en Europe et, de plus en plus, à sa propre sécurité. La nouvelle inconnue que constitue le départ annoncé de Tony Blair en 2007 – lui qui s’est tant démené pour promouvoir le processus de paix au Proche-Orient – vient encore compliquer la donne.

Je vous ferai grâce de l’historique. Nous connaissons tous les relations qu’entre­tient la Grande-Bretagne de longue date avec les pays de la région et les intérêts qu’elle y conserve. Je vous épargnerai également les positions officielles – vous con­naissez aussi bien que moi celles de la Grande-Bretagne et de l’Union européenne. Je m’attarderai plutôt sur les trois leçons qu’à mon sens il y a à tirer de notre expé­rience récente au Moyen-Orient.

Premièrement, la région a besoin que l’Europe y joue un rôle d’inter­venant majeur – non pas pour faire contrepoids à qui que ce soit – mais tout simplement en vertu de sa proximité géographique avec la région. Notre avenir dépend de l’avenir du Moyen-Orient. Si on ne s’occupe pas de lui, lui s’occu­pera de nous. Il y faudra plus que de pieuses déclarations. Il s’agira de prendre des risques, de prendre des décisions impopulaires, d’y consacrer de l’argent et même de déployer des hommes sur le terrain. Et à vrai dire,  l’Union euro-péenne ne pourra effectivement peser de tout son poids dans la région que si un noyau dur de pays, dotés de l’expérience et des capacités nécessaires, accepte de monter en première ligne. Il ne s’agit pas d’exclure qui que ce soit. D’étroites consultations entre tous les pays membres de l’Union seront indispensables. Dans le cas de l’Iran, par exemple, les ministres des Affaires étrangères et les di­recteurs politiques d’Allemagne, de France et de Grande-Bretagne ont conduit les efforts diplomatiques de haute intensité, avec Javier Solana et ses services, en coordonnant leurs approches au plus haut niveau, mais aussi en se plaçant sur le terrain de la communication et en se montrant très attentifs aux points de vue des autres Etats membres de l’Union. C’est ainsi que l’Union européenne est parvenue à jouer un rôle de premier plan auprès du gouvernement iranien face aux ambitions nucléaires de Téhéran et à se placer au centre de gravité de la démarche de la com­munauté internationale sur ce dossier.

On sait que la presse s’acharne à trouver des divergences de vues entre nous et à les mettre aussitôt en exergue. Or, dans la pratique, nous sommes restés sur la même ligne quant aux exigences que nous avons vis-à-vis du gouvernement iranien, quant aux concessions que nous accepterions de faire en retour et quant aux autres formu­les possibles de sortie de crise. Les choses ne sont pas faciles et nous ne sommes pas au bout de nos peines – loin de là. Mais nous sommes désormais mieux armés, dès lors que nous nous sommes dotés de mécanismes rodés dans la pratique.

Deuxième leçon, qui ne prétend pas être originale : nous n’aboutirons à rien sans le soutien des États-Unis. Il est tentant – et souvent porteur politiquement, soyons honnêtes – de se démarquer publiquement de leurs prises de position. Contrairement aux idées reçues, même la Grande-Bretagne n’hésite pas à faire en­tendre sa voix, quand elle estime pouvoir faire bouger les lignes à Washington, par exemple sur le changement climatique ou les échanges commerciaux Amérique/ Union européenne. Mais, à mon avis, il est illusoire de penser pouvoir adopter cette logique sur la question du Moyen-Orient. Nous n’avons rien à y gagner, malgré les doutes que nous pouvons avoir sur leur rhétorique ou sur leur mode de pensée. Certes, ils n’ont pas toujours raison, et nous n’avons pas toujours à dire amen à tout. De même, ils n’ont pas toujours à être en première ligne. Mais si nous voulons que nos efforts se soldent par du concret, nous avons besoin de leur soutien, comme ils ont toujours besoin du nôtre, en définitive. Sinon, nous nous perdrons en gesticu­lations inutiles. Or, ce soutien, c’est au prix d’une action diplomatique sans relâche que nous l’obtiendrons.

La Grande-Bretagne et le Moyen-Orient

Je prétends par exemple que l’influence qu’exerce Tony Blair sur George Bush a amené le président américain à accepter l’idée d’un État palestinien et qu’elle maintient l’Amérique engagée dans les affaires de la région, et sur la bonne voie. De la même façon, si l’influence de la France sur la Maison blanche a été croissante pendant la crise du Liban, c’est que Paris a su maintenir un dialogue nourri avec Washington – loin des feux des projecteurs. Les intérêts des différents protagonistes n’étaient certes pas exactement les mêmes – et c’est normal – mais le résultat, c’est que le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1701 et que le cessez-le-feu tient toujours. Si nous pouvons appliquer au processus de paix au Proche-Orient – en­core une fois au cœur des problèmes de la région – cette même logique de coopéra­tion, alors nous parviendrons à mobiliser à l’échelle internationale les énergies in­dispensables à l’intervention d’une solution durable. Quand nous agissons en ordre dispersé – voir l’Irak, quel qu’ait été le bien-fondé de l’intervention d’origine – nous déployons une énergie considérable pour ne parvenir à rien.

Troisième leçon : nous devons non seulement opter pour les bonnes solutions sur le fond, mais aussi faire œuvre de pédagogie et nous montrer persuasifs dans notre communication. C’est particulièrement vrai vis-à-vis du monde arabe et mu­sulman. Quand nous communiquons mal, nous nous faisons un tort considérable. Et tous les succès que nous pourrons remporter dans le monde en termes de sé­curité ne nous mèneront à rien si nous ne savons pas gagner les cœurs. Cet effort de pédagogie demande du temps, de l’énergie et de la subtilité. Tony Blair l’a dit et redit dans une série de discours qu’il a prononcés récemment et dont les textes ont été publiés il y a quelques semaines à Londres. Il y expose sa conviction de la nécessité de renouer le dialogue avec l’islam – sur le fond et sur le ton. Il ne s’agit pas de nier les problèmes, ni de fermer les yeux sur les exigences impérieuses de la création d’un État palestinien. Mais nous devons renouer un dialogue plus sincère, plus honnête et moins manichéen. Nous devons tous élaborer une stratégie col­lective plus subtile et mieux pensée pour communiquer avec ce qu’il est convenu d’appeler la « rue » arabe.

Et la politique de la Grande-Bretagne – me direz-vous – dans tout cela ? Vous comprendrez que je ne veuille pas spéculer sur le fait de savoir si Tony Blair sera ou non toujours aux affaires au moment de l’élection présidentielle française, en dépit de tout l’intérêt que présente cet élément de la donne. Il a fait savoir qu’il serait parti d’ici un an.

Dans son esprit, cette dernière ligne droite au pouvoir est l’occasion ou jamais de faire bouger les choses au Moyen-Orient. Il n’a jamais cessé de croire, depuis sa prise de fonctions, qu’il était non seulement capital mais aussi possible de résoudre le conflit israélo-palestinien, et qu’il pouvait y contribuer. La communauté interna­tionale est d’accord à 90 % sur les paramètres du statut auquel il convient de mener Israël et le futur État palestinien. Qu’elle se polarise donc sur ce terrain d’entente au lieu de s’écharper sur les points de friction. Nous voulons la voir se mobiliser davantage. Nous n’avons pas d’idées fixes, mais nous pourrions par exemple envi­sager d’étoffer le Groupe de contact, de lui donner plus de visibilité sur le terrain, d’épauler davantage les institutions palestiniennes et de faire monter en puissance le rôle de l’Union européenne.

Dans ce cadre, nous devons donner au président Mahmoud Abbas le soutien dont il a besoin pour prendre les décisions politiques difficiles qui l’attendent et se montrer capable de joindre le geste à la parole en formant un gouvernement d’union nationale, qui respecte les principes fondamentaux édictés par le Quartet. On ne dira jamais assez l’importance que Tony Blair attache à ce dossier, même si, en dernier ressort, ce qui compte c’est moins la marque personnelle qu’il laissera que la résolution définitive de ce conflit, qui continue à tout empoisonner dans la région et à aggraver les autres problèmes.

Il est, certes, intéressant de gloser sur le tour que les deux gouvernements appe­lés à prendre la relève en Grande-Bretagne et en France donneront à leurs relations avec le Moyen-Orient. Mais je vous engagerais surtout à observer attentivement les intentions et les ambitions des actuels titulaires du pouvoir. C’est le sujet en or pour une année utile.

* Ambassadeur de Grande-Bretagne en France.

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