LA GUERRE DE COREE (1950-1953) UN CONFLIT CHAUD DANS LA GUERRE FROIDE ?

Alexis BACONNET

Septembre 2007

Alors que l’effondrement prochain de la Corée du Nord est mis en doute et que l’on s’interroge sur ce que seraient les origines d’un tel événement (effondrement de l’économie, du régime ou de l’Etat ?)\ la position nord-coréenne se radicalise autour de la question du nucléaire2 et suscite de vives tensions sur l’échiquier nord-est asiatique. Il semble donc plus que jamais important de saisir les enjeux passés ayant façonné la géostratégie de la péninsule coréenne.

Né de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et cristallisé durant la Guerre froide (1947-1991), le régime nord-coréen s’impose comme une coriace réminis­cence du passé ayant survécu à la fin de la bipolarité (1991) comme au décès de son fondateur Kim Il Sung (1994). Pourtant, sa menace demeure réelle. Aujourd’hui comme il y a cinquante ans, la prétention nord-coréenne est à une existence stra­tégique propre, hors de toute tutelle. Le présent article se propose de remonter aux sources des tensions actuelles en se penchant sur un acte fondateur de l’identité stratégique nord-coréenne : la Guerre de Corée.

La Guerre Corée est sans doute, et paradoxalement, le plus important des «conflits oubliés» d’après 1945. Si la Guerre froide commença en Europe, elle prit sa forme militaire en Corée3. Ainsi la Guerre de Corée s’impose comme le premier conflit de la Guerre froide, inaugure le recours à l’Organisation des Nations Unies (ONU) dans le cadre d’une intervention armée et fait frôler la Troisième Guerre mondiale à l’humanité. Elle fut une « rencontre sanglante entre l’Est et l’Ouest4 », le point paroxystique5 de la Guerre froide mettant en scène un duel URSS-Etats-Unis joué par l’entremise des Corée, de l’ONU et de la Chine.

C’est en effet au sein de ce petit territoire que s’est joué durant trois années l’ave­nir du monde bipolaire, pour preuve les 450 000 morts dans les rangs de l’ONU (dont 415 000 sud-coréens) et les 1 420 000 morts dans les rangs des sino-coréens (dont 520 000 nord-coréens)6. Entre escalade de la violence et contrôle de soi, la Guerre de Corée a été menée sur le fil du rasoir.

Géostratégie de la péninsule Coréenne

La péninsule coréenne est une avancée montagneuse de 220 000km2 (1000km de long et entre 200km et 300km de large), frontalière au nord, de la Chine sur 1300km et de la Russie sur 20km. Cette frontière se matérialise par les fleuves Yalu et Tuman. Quant à ses frontières ouest, est et sud elles sont maritimes. Enfin, la péninsule coréenne est pointée en direction du Japon dont elle se trouve éloignée de moins de 100km des premières terres7.

L’intérêt stratégique du territoire coréen s’explique à travers la notion de heart-land théorisée par le géographe britannique Halford J. Mackinder (1861-1947) et celle de rimland, développée par le politologue américain Nicholas John Spykman (1893-1943). Le heartland 8 (cœur du monde) désigne la partie intérieure et nord de l’Eurasie allant de la Baltique à la Sibérie et de l’Arctique à l’Asie centrale. Il est le cœur des puissances terrestres, profitant de ces étendues désertiques pour circuler. Le rimland 9 (terres du bord) désigne les zones côtières de l’Eurasie. Il comprend : l’Europe côtière, les déserts d’Arabie et du Moyen-Orient et l’Asie des moussons. Le rimland est la région où s’entrechoquent les conflits entre puissances terrestres et puissances maritimes. Sa situation côtière est à la fois un avantage pour les com­munications et une faiblesse majeure face aux invasions. Or la péninsule Coréenne, territoire de l’Asie des moussons appartient au rimland. Elle est un de ses territoires ouvert aux invasions et également convoitée en tant que lieu de passage du conti­nent à l’océan et de l’océan au continent.

La péninsule Coréenne constitue un pont entre deux mondes. Elle permet l’ac­cès à l’Asie pacifique et au Japon, puissance maritime régionale, mais aussi l’accès de ce dernier au continent asiatique. Elle représente également un verrou à l’ex­pansion russe dans le pacifique – la Russie ayant toujours été préoccupée par le contrôle de cet espace en raison de la possibilité d’y installer des ports en eaux libres (Vladivostok gelant l’hiver). Quant au détroit de Tsushima situé entre les pointes sud de la Corée et du Japon, il constitue un sas géographique vers le pacifique et les côtes asiatiques.

La Corée est donc un espace tampon, elle occupe une position triangulaire entre Chine-Russie-Japon. De son contrôle dépend l’hégémonie sur le nord-est asiatique.

 

Les invasions du sol coréen à travers l’histoire

Bien avant la Seconde Guerre mondiale, l’ordre mondial bipolaire et les années 1950, les grandes puissances régionales d’Asie orientale avaient déjà manifesté leur intérêt pour la péninsule coréenne. La Corée sera le lieu d’affrontements entre puis­sances asiatiques continentales (Chine, Mongolie) et maritime (Japon), avant d’être le théâtre de l’affrontement Est-Ouest.

C’est ainsi que des premiers siècles avant J.-C. jusqu’à la fin du XIXe siècle de notre ère, la Corée connaîtra successivement les invasions chinoises (les dynasties Han, Tang, Ming et Yi y établissent des colonies), mongoles (le roi Kubilaï Khan tentera d’envahir le Japon depuis la péninsule coréenne par deux fois), japonaises (le shogun Tokugawa Hideyoshi tentera d’envahir la Corée pour envahir la Chine) et mandchoues (établissement d’une suzeraineté de la Mandchourie sur la Corée)10.

En 1894 la guerre sino-japonaise (1894-1895) éclate. La Corée, alors sous contrôle chinois, y est disputée. Le traité de Shimonoseki du 17 avril 1895, rend la Corée indépendante vis-à-vis du joug chinois mais impose la présence de conseillers japonais11.

En 1904 la Corée est l’objet de la guerre russo-japonaise (1904-1905). La paix est conclue, suite à la victoire japonaise, lors du traité de Portsmouth du 5 septem­bre 1905. La Corée devient protectorat japonais. Puis le 28 août 1910, la Corée, jusqu’à lors sous tutelle, est annexée par le Japon12 qui y demeurera présent jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 194513.

 

La Corée et la fin de la Seconde Guerre mondiale

En Occident, la Seconde Guerre mondiale prend fin le 8 mai 1945. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) s’est engagée auprès des Alliés à poursuivre la guerre en Asie trois mois après la victoire en Europe (l’état de son économie et le degré de ses engagements militaires en Europe ne lui permettant pas de combattre sur deux fronts simultanément). L’URSS devrait donc engager les hostilités avec le Japon le 8 août 1945.

Mais les Américains, s’ils laissent libre cours à l’avancée soviétique en Asie orien­tale, craignent d’être cantonnés sur les îles d’Iwo Jima et d’Okinawa (où les japonais parviennent à opposer une solide résistance). En effet, les Soviétiques ayant une assise continentale à leur offensive, ils traverseraient la Mandchourie et la Corée avant d’entrer au Japon par le nord. La crainte américaine est que les Soviétiques parviennent à asseoir leur pouvoir sur la moitié du Japon, réitérant la partition effectuée en Allemagne. Les Soviétiques ne semblant pas voir l’intérêt américain ou ne pouvant pas accélérer la manœuvre de leur engagement militaire, les Etats-Unis parviennent à intervenir à leur avantage.

Le 6 août 1945 les Etats-Unis recourent au feu nucléaire contre le Japon (Hiroshima). Ils y voient la possibilité de terminer la guerre de manière anticipée économisant argent, matériel et hommes, mais surtout de devancer l’URSS dans son implantation en Asie. Cependant le Japon continue le combat. Les Soviétiques n’attendent pas plus que nécessaire, ils déclarent la guerre au Japon le 8 août 1945 et envahissent la Mandchourie. Face à l’avancée soviétique et au maintient Japonais, les Etats-Unis lancent une seconde bombe atomique sur le Japon le 9 août 1945 (Nagasaki). Le Japon capitule le 14 août et passe sous contrôle américain.

 

La partition de la Corée

Conséquences directes de la fin du Second conflit mondial (Hobsbawm parle de la Guerre de Corée comme d’un sous-produit de la Seconde Guerre mondiale14), les raisons de la partition de la Corée résident dans des impératifs géostratégiques propres aux Etats-Unis et à l’URSS. Dès la conférence du Caire de novembre 1943, la question coréenne réapparaît au sein des préoccupations des alliés. Ceux-ci s’en­gageaient à garantir la sécurité de la Corée une fois la guerre terminée. Cet enga­gement sera réitéré lors des conférences de Yalta en février 1945 et de Potsdam en juillet-août 1945.

Dans l’immédiat après guerre, le Japon vaincu, il est décidé que la Corée (colo­nie japonaise) sera désarmée au nord du 38e parallèle par l’URSS et au sud par les Etats-Unis. Une commission américano-soviétique est constituée pour former un gouvernement uni pour les deux Corée. Ne pouvant s’entendre, les deux puissances sollicitent l’aide de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en septembre 1947.

En 1948 des élections entre le Nord et le Sud ont lieu pour former un gouverne­ment unique mais le nord les refuse.

Dès lors des élections ont lieu séparément au Nord et au Sud. Syngman Rhee (1875-1965) est élu président de la République de Corée (RC, Sud) le 20 juillet 1948. Le 9 septembre 1948 Kim Il Sung (1912-1994) est nommé premier ministre de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC, Nord). Chaque camp refuse de reconnaître la légitimité de l’autre15.

Kim Il Sung prétend que la RPDC à été proclamée par les volontés des peuples du Nord et du Sud. Dès lors le peuple nord-coréen doit combattre pour faire appli­quer la Loi au Sud. De son côté l’ONU estime que la RPDC s’est constituée sans jamais solliciter l’avis du peuple16.

Concernant les grandes puissances, le 26 août 1947 l’URSS avait proposé aux Etats-Unis que chacun retire ses troupes de Corée. Les Etats-Unis, se sentant plus menacés en Europe quant à l’expansion du communisme, choisissent de négliger l’Asie et acceptent. Après quelques hésitations et retardements, les Soviétiques quit­tent la Corée fin décembre 1948 et les Etats-Unis fin juin 1949.

 

Un conflit chaud escamoté

Pour combattre, les Etats-Unis comme la République Populaire de Chine (RPC) recourent à des masques afin d’éviter de reconnaître un engagement militaire di­rect entre eux. Chaque puissance craint trop l’éclatement d’une Troisième Guerre mondiale pour agir autrement. La terreur de l’orage nucléaire est omniprésente. Les Etats-Unis détiennent depuis 1945 l’arme atomique et y ont déjà recouru par deux fois sur le Japon. Quant à l’URSS, elle détient certes l’arme atomique depuis 1949 mais sa technologie est moins développée et surtout elle ne détient qu’une vingtaine de bombes contre environ quatre cent bombes américaines17.

Les Etats-Unis choisissent l’ONU pour intervenir dans le cadre de leur politique de containment. Le 27 juin 1950 le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) adopte la résolution 83 qui recommande aux membres de l’ONU d’apporter à la République de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants. Cette résolution se concrétisera par l’engagement au sein des troupes combattantes onu­siennes des pays suivant : l’Australie (Terre, Air, Marine), la Belgique (Terre), le Canada (Terre, Air, Marine), la Colombie (Terre, Marine), les Etats-Unis (Terre, Air, Marine), l’Ethiopie (Terre), la France (Terre), la Grande-Bretagne (Terre, Marine), la Grèce (Terre, Air), le Luxembourg (Terre), la Nouvelle-Zélande (Terre, Marine), les Pays-Bas (Terre, Marine), les Philippines (Terre), le République de Corée (Corée du Sud), la Thaïlande (Terre, Air, Marine) et la Turquie (Terre). L’Inde et l’Italie enverront des unités médicales, la Norvège, la Suède et le Danemark des navires hôpitaux.

En recourant à l’ONU, les Etats-Unis pallient ainsi à leur manque d’hommes de troupes, légitiment leur action sur la scène internationale et pensent pouvoir éviter un engagement soviétique et chinois. L’URSS en signe de protestation contre le refus de reconnaissance de la RPC18 boycotte son propre siège de membre per­manent du CSNU19 depuis janvier 1950. Ainsi elle ne peut opposer son veto à l’intervention des Nations Unies. L’URSS se contentera de fournir armement20 et conseillers21 à la Corée du Nord.

 

La RPC n’existe pas formellement sur la scène internationale pour de nombreux pays dont les Etats-Unis. Elle ne siège pas à l’ONU, la place étant occupée par la Chine nationaliste, elle ne peut donc pas s’opposer légalement. Elle représente un puissant potentiel humain mais les Etats-Unis ne s’en soucient guère misant sur leur supériorité technologique pour maintenir la peur qu’ils inspirent.

Cependant, fin octobre 195022, Mao Zedong (1893-1976, président de la RPC de 1949 à 1976) choisit d’envoyer combattre aux côtés des nord-coréens des troupes chinoises. Il prétend sur la scène internationale qu’il s’agit de Volontaires du Peuple Chinois (VPC) ayant choisi librement de se battre par solidarité avec le peuple de Corée du Nord. Ainsi Mao affirme n’avoir aucun contrôle sur eux et pallie de ce fait à l’inaction dans laquelle il était enfermé. Cette décision d’engager des volontaires est avant tout mû par l’engagement des Etats-Unis (alors principal soutient de la Chine nationaliste de Taiwan) et de l’ONU en Corée, engagement vécu comme une agression contre la Chine23. De toute leur histoire, les Chinois n’ont « jamais toléré qu’une puissance qui représente pour eux une menace grave s’installe à leurs fron­tières »24. D’autre part, l’intervention chinoise s’inscrit dans la continuité du rap­prochement sino-soviétique amorcé par la signature du Traité d’alliance, d’amitié et d’assistance mutuelle le 14 février 1950.

Enfin, le conflit coréen apparaît comme unique au sein de la Guerre froide, puis­qu’il s’est agit du seul où les troupes de deux puissances adverses (Chine/Etats-Unis) se sont affrontées directement, l’une comme l’autre n’étant cachée que derrière des arguments (VPC pour la Chine et ONU pour les Etats-Unis). Contrairement par exemple à la Guerre du Vietnam où les Etats-Unis combattront des Vietnamiens, cer­tes équipés par l’URSS mais sans corps expéditionnaire étranger pour les soutenir.

Les grandes puissances font de la Guerre de Corée un conflit international, chaque Etat jaugeant l’adversaire, chaque Etat essayant de manifester sa puissance et sa détermination tout en exprimant une certaine retenue, terrifié par l’idée d’une Troisième Guerre mondiale.

 

Déclenchement de la guerre et invasion nord-coréenne

La thèse la plus plausible quant aux origines de la Guerre de Corée est l’argu­ment selon lequel l’invasion de la Corée du Sud fut projetée par Kim Il Sung avec l’accord de Staline25 afin d’amoindrir la pression militaire des Etats-Unis en Europe et de manifester la puissance militaire soviétique (Kim Il Sung ayant été formé en URSS et l’armement nord-coréen étant de facture soviétique). Staline « était convaincu que la guerre serait menée rapidement et que les Américains accepteraient leur défaite comme ils l’avaient fait en Chine en 1949 »26. Enfin, cette tentative de réunification forcée à l’initiative de la Corée du Nord était perçue, par ses artisans, comme réalisable en raison de l’absence d’intervention américaine lors de la consti­tution puis proclamation de la RPC en 194927.

La déclaration Acheson28 est l’événement déclencheur de l’invasion. Le 12 janvier 1950 le Secrétaire d’Etat américain Dean Acheson fait une déclaration à la pres­se au sujet de la ligne de défense des Etats-Unis. Cette déclaration n’englobe pas la péninsule coréenne.

Dès lors, la Corée est exclue du périmètre défensif des Etats-Unis. L’effet est catastrophique, le bloc communiste interprète cela comme une voie libre pour la Corée.

Selon le politologue et diplomate américain Henri Kissinger (1923-), le pouvoir américain était trop obnubilé par une attaque soviétique en Méditerranée (pro­gramme d’aide greco-turc) ou en Europe de l’ouest (création de l’Organisation du Traité Atlantique Nord) pour s’inquiéter sérieusement de l’Asie29. Les Etats-Unis es­timaient la Corée trop proche des bases américaines et du Japon et trop éloignée des bases soviétiques pour être menaçante, oubliant de se fait de considérer Kim Il Sung comme un danger30. Quant aux Soviétiques, ils prirent la déclaration Acheson au pied de la lettre, autorisant Kim Il Sung à attaquer.

Ainsi le 25 juin 1950 la Corée du Nord envahit la Corée du Sud. L’impréparation du Sud et l’écart conséquent d’équipement et d’organisation entre les deux armées permettent au Nord de prendre rapidement le dessus. L’offensive se poursuit sans ré­sistances majeures jusqu’à la ville de Pusan (côte sud de la Corée). L’effort de l’ONU permettra de tenir le réduit de Pusan et de repousser progressivement l’ennemi.

 

Riposte onusienne

Le 27 juin 1950 Harry Truman (1884-1972, président des Etats-Unis de 1945 à 1952) ordonne que les forces navales et aériennes américaines apportent leurs sou­tiens à la Corée du Sud. L’ONU et plus particulièrement les Etats-Unis souhaitent intervenir le plus rapidement possible, tant qu’une part du territoire sud-coréen est encore sous souveraineté sud-coréenne. Ils craignent de devoir reconquérir un Etat unifié par un régime communiste ce qui pourrait compliquer la situation diploma­tique mondiale. Le commandement des forces de l’ONU en Corée est confié au général américain Douglas MacArthur (1880-1964), proconsul au Japon depuis 1945.

Le 30 juin Truman engage les forces terrestres américaines en Corée. La pression est maintenue par l’ONU à l’intérieur du réduit de Pusan. Une contre offensive de desserrement de Pusan est amorcée le 7 août 1950 et le débarquement de Inchon (côte ouest de la Corée) a lieu le 15 septembre 1950. Séoul est reprise par les forces des Nations Unies le 28 septembre 1950.

Le 7 octobre l’ONU autorise les forces des Nations Unies à poursuivre l’offen­sive au-delà du 38e parallèle. Le 19 octobre 1950 Pyongyang est prise par les forces des Nations Unies.

Depuis le 2 octobre 1950 déjà, la Chine avait menacé d’intervenir dans le conflit coréen si les troupes de l’ONU entraient en Corée du Nord. L’ONU passant outre ces sommations, la Chine décide d’intervenir.

 

Retraite et contre attaque onusienne

Le 16 octobre 1950, les VPC pénètrent en Corée du Nord pour aider les nord-coréens. Ces VPC ne sont en réalité rien d’autre que des troupes régulières de l’ar­mée populaire chinoise présentées comme des volontaires se battant par solidarité avec le peuple coréen. Pékin compare ces VPC aux Brigades Internationales ayant combattu Franco en Espagne. Les VPC sont commandés sur le terrain par le géné­ral chinois Lin Biao (1907-1971, Maréchal et homme politique), lui même assisté par le général soviétique Deveranko31. Ces volontaires seraient 250 000 à la fron­tière et 200 000 auraient déjà pénétrés en Corée32.

Le 26 novembre les VPC entrent véritablement en guerre. MacArthur bien que conscient de la présence chinoise dans le conflit ne craint pas un engagement massif de ces derniers. Il pense avoir terminé la guerre pour noël et c’est ainsi qu’il lance ce qu’il conçoit comme l’offensive finale du conflit le 25 novembre 1950.

Cependant la Chine voit en l’offensive de MacArthur, venant lécher la frontière sino-coréenne, une menace intolérable. Non seulement la péninsule coréenne dans sa totalité sombre aux mains de l’impérialisme occidental lui conférant une domi­nation stratégique dans la région, mais l’occupation de la Corée jusqu’au fleuve Yalu crée une proximité avec la presqu’île du Shandong. Or cette presqu’île constitue un verrou géographique à la baie de Pet-chi-li (grande zone industrielle du nord chinois) et à la région de Pékin33. Pour la Chine une telle donne des positions stra­tégiques dans la région est inacceptable, d’où sa décision d’un engagement massif par le biais des VPC.

Les VPC procèdent par assauts de «vagues humaines». Ils franchissent les lignes de l’ONU, se dispersent dans les collines, s’y cachent et attendent le retour de la nuit pour reprendre leur progression.

Face à la supériorité numérique de l’ennemi et à sa tactique, l’ONU est contrain­te de battre en retraite. Pyongyang est reprise par le Nord le 4 décembre 1950. Le 26 décembre les troupes du Nord franchissent le 38e parallèle. Le 4 janvier 1951 Séoul est reprise par les communistes.

 

MacArthur et le risque d’une Troisième Guerre mondiale

Pour mettre un terme au conflit, MacArthur préconise de détruire le sanctuaire que constitue la Mandchourie pour les troupes sino-coréennes. L’espace mandchou permet ravitaillement et protection ; pour exemple les chasseurs MIG-15 soviéti­ques y sont stationnés et s’y réfugient après chaque raid, interdisant toute poursuite de la part de l’ONU, la Chine n’étant officiellement pas en guerre.

MacArthur prône donc : l’organisation d’un blocus des côtes chinoises ; le bombardement avec de 30 à 50 bombes atomiques de la Mandchourie et de ses centres industriels (à l’époque les Etats-Unis ne disposent pas encore de bombes atomiques tactiques, ce qui signifie qu’un tel bombardement sur la Mandchourie causerait des dommages effroyables sur une très grande surface34) ; le débarquement en Mandchourie toujours, de 500 000 soldats de la Chine nationaliste et de deux divisions de US marines ; la réalisation d’un barrage de cobalt radioactif le long du Yalu (dont la durée de vie active est de soixante à cent vingt années) ; de permettre aux garnisons de la Chine nationaliste de Formose d’envahir les régions de Chine populaire les plus vulnérables pour créer une diversion35.

Peu à peu MacArthur perd la confiance de Truman. Le 11 avril 1951 il est relevé de ses fonctions et remplacé par le général américain Ridgway. Truman cherchait une issue négociée, MacArthur voulait une victoire à tout prix sur le bloc commu­niste. Par ailleurs, la politique extérieure américaine avait pour priorité l’Europe, c’est en Europe qu’il fallait d’abord lutter contre l’expansion communiste. Pour certains, MacArthur avait une vision trop asiatique de la politique américaine, peut être en raison de son trop long séjour en Asie au cours de sa vie (de 1928 à 1951). Cependant, comme le souligne Claude Delmas, son remerciement ne fut pas mo­tivé par la possibilité d’un recours à l’arme nucléaire en Corée mais par celle d’une extension du conflit à la Chine36.

 

Contre offensive onusienne et négociations d’armistice

Les combats se poursuivent dans une zone qui se stabilise autour du 38e paral­lèle. A la fin mai 1951 les troupes sino-coréennes souffrent de nombreuses pertes et d’un manque de ravitaillements réguliers des Soviétiques. Le 21 mai 1951 les sino-coréens sont repoussés au nord du 38e parallèle.

Le 23 juin Jacob Malik, délégué et «médiateur» soviétique, propose un armistice et un retrait des troupes de part et d’autre du 38e parallèle. Le 30 juin Ridgway accepte et des pourparlers sont engagés le 10 juillet. Au mois d’août les pourparlers sont tour à tour rompus et rétablis par l’ONU et par la Corée du Nord suite à des désaccords. Les négociations se font laborieuses et les combats ne cessent pas pour autant. Une guerre de position s’installe sur le 38e parallèle. Les négociations re­prennent le 25 octobre 1951 pour échouer à nouveau le 27 décembre.

Le 7 mai 1952 le général Ridgway est remplacé par le général américain Mark Clark en tant que Commandant en chef des forces de l’ONU. Le 4 novembre 1952 Dwight Eisenhower (1890-1969) est élu président des Etats-Unis (1952-1961). Républicain, il défend une politique beaucoup plus énergique à l’encontre du com­munisme. A l’Est, le décès de Staline (1879-1953, secrétaire général du comité cen­tral du parti communiste soviétique de 1924 à 1953) le 5 mars 1953 (remplacé par Malenkov) adoucit le climat. Dès lors la situation connaît une nouvelle approche qui va permettre l’aboutissement des négociations. Eisenhower se rend en Corée et déclare que si les négociations de paix n’aboutissent pas, la guerre reprendra et les Etats-Unis n’hésiteront pas à recourir à l’arme atomique.

Dès lors la situation se débloque. Les 13 et 14 juin les sino-coréens relancent une ultime offensive que l’aviation américaine anéantira. Les négociations repren­nent concernant la ligne de démarcation. Mais le 17 juin Syngman Rhee qui refuse le retour au statu quo fait évader 27 000 prisonniers nord-coréens. Il souhaite ainsi enrayer les négociations et reprendre la guerre pour obtenir une unification au bé­néfice du Sud. Le général Clark menace de conclure l’armistice sans les sud-coréens. Le 27 juillet 1953 l’armistice est signé à Pan-Mun-Jon. La ligne de démarcation en­tre les armées du Nord et du Sud est fixée sur le 38e parallèle. Elle mesure 243km de long et est enrobée d’une zone démilitarisée s’enfonçant de 2km de part et d’autre de la ligne. A ce jour aucun traité de paix n’est venu entériner cet armistice.

 

Le problème des prisonniers de guerre

La Guerre de Corée fut le théâtre d’une situation nouvelle concernant la gestion des prisonniers. En effet ceux-ci se scindèrent en deux groupes opposés. Les uns refusant de retourner dans leur camp après libération, les autres demeurant fidèles au régime nord-coréen. Pour la première fois, un des belligérants d’un conflit allait devoir refuser de restituer une partie des prisonniers fait en raison du choix de ces derniers. Le droit de la guerre fut donc adapté et modifié en conséquence. Jusqu’à lors la captivité des prisonniers de guerre se terminait à la fin des hostilités ou de l’occupation. La convention d’armistice de Pan-Mun-Jon du 27 juillet 1953 ins­taura la possibilité, pour les prisonniers refusant d’être rapatriés, de demander le statut de réfugié.

Du côté nord-coréen la question de la restitution des prisonniers revêtait un aspect différent. Si officiellement celle-ci libéra l’ensemble des prisonniers en son pouvoir, des informations ultérieures permirent d’établir que des soldats de l’ONU avait été (et étaient peut-être encore) séquestrés en Corée du Nord pendant près de cinquante années et d’autres transférés en URSS. Les motifs de séquestration diver­geaient selon qu’il s’agissait de sud-coréens ou d’autres soldats des Nations Unies. Il semblerait que les sud-coréens aient été gardés captifs pour des raisons punitives intrinsèques à la dimension coréenne du conflit, tandis que les autres soldats de l’ONU furent séquestrés aux fins de servir d’hypothétique monnaie d’échange en cas de manœuvres diplomatique ou de relance de la guerre37.

 

Guerre bactériologique

Les Etats-Unis ont débuté leurs recherches bactériologiques en 1942. Après la victoire sur le Japon, ils ont récupéré les travaux et les hommes de l’Unité 731 de l’armée japonaise (notamment le général médecin Shiro Ishii ainsi que le général Kitano Misaji en l’échange de leur évincement du procès des criminels de guerre à Tokyo). Cette unité était spécialisée dans la recherche d’armes bactériologiques et pratiquait notamment la vivisection, l’inoculation de l’anthrax, du choléra, des bacilles du charbon et de la peste ainsi que des bactéries shigella (dysenterie) et neisseria meningitis (méningite) sur des prisonniers chinois, anglais, américains, néo-zélandais et australiens. Elle fut responsable de la contamination d’au moins 11 villes chinoises durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que de la mort d’au moins 10 000 prisonniers de 1932 à 194538.

Ainsi seront développées des armes antipersonnel mais aussi des armes anti­récoltes, des aérosols – pulvérisés par épandage aérien et agissant par inflammation des voies respiratoires – ainsi que des bombes spéciales à fragmentation en porcelai­nes ou encore des bombes à tractes de propagande reconverties en bombes a plumes porteuses de spores de charbon céréalier39.

Un accord tripartite Etats-Unis-Canada-Grande-Bretagne fondait le travail des trois pays sur les insectes-vecteurs, dont le but était de propager les maladies une fois inoculées aux insectes. Les rapports du corps médical chinois témoignent de passages récurrents d’avions américains dans l’espace aérien coréen, passages après lesquels on observe une concentration anormale d’insectes (mouches, puces et in­sectes résistant au froid inconnus dans la région). La Chine connaîtra ainsi une épidémie d’encéphalite toxique aiguë durant le mois de mars 1952 à la frontière co­réenne. Selon les experts seule la variole ne figure pas dans les archives du program­me américain. Néanmoins la Chine en fait mention dans ses rapports de l’époque. Cependant, à l’heure actuelle, les informations sur l’ensemble des travaux menés par les Etats-Unis en la matière sont réduites40.

 

Le bataillon français de Corée

 

Le bataillon français de Corée fut crée le 24 août 1950. Construit sur le modèle des bataillons américains, il devait être commandé par un lieutenant-colonel. Le Général de corps d’armée Raoul Magrin-Verneret (de son nom de guerre Ralph Monclar)41 se rétrogradera au grade de lieutenant-colonel42 afin d’en obtenir le commandement. Le bataillon comprendra 39 officiers, 172 sous-officiers et 807 hommes43.

 

En raison de la crise des effectifs44 dont souffre la France ainsi qu’aux fins de pallier au manque de temps quant à la constitution et à l’entraînement du bataillon, les troupes furent recrutées parmi des soldats d’active et des réservistes vétérans des campagnes de 1944/45 et/ou d’Indochine45, permettant ainsi de disposer de soldats aguerris. L’ensemble du bataillon fut incorporé durant toute la guerre au 23e Régiment d’Infanterie de la 2e Division Indianhead, VIIIe Armée US.

 

Débarqué à Pusan le 29 novembre 1950, ce bataillon fut engagé dans bon nom­bres des grandes batailles de la guerre où il s’illustra par ses faits d’armes comme à Twin Tunnels, Chipyong-ni, la cote 1037, Crève-cœur, le T-Bone, Arrow-head, Kumhwa). Sur les 3763 hommes qui passeront dans les rangs du bataillon entre 1950 et 1953, 262 furent tués et 7 disparurent46.

 

Aspects juridiques de la Guerre de Corée

Il y a bien eu agression de la Corée du Sud par le Nord, mais que dire de la léga­lité de la résolution 83 du CSNU du 27 juin 1950 étant donné l’absence du délégué soviétique ? Légale ou non, les conséquences furent telles que l’URSS choisi de ne pas réitérer l’expérience. En effet, le 1er août 1950, Moscou réintègre son siège au CSNU et oppose sont veto à toute proposition de résolution47.

Pour remédier à ce blocage, la résolution 377 (V) du 3 novembre 1950 dite Union pour le maintien de la paix ou résolution Acheson (à ne pas confondre avec la déclaration Acheson sur le périmètre de sécurité des Etats-Unis) fut adoptée par l’As­semblée Générale des Nations Unies (AGNU). Cette résolution permet à l’AGNU de pallier aux déficiences du CSNU lorsque celui-ci « manque à s’acquitter de sa responsabilité principale » (le maintien de la paix et de la sécurité internationale) parce que « l’unanimité n’a pu se réaliser parmi ses membres permanents » (cas de l’op­position permanente du veto soviétique). L’AGNU se réunit alors d’urgence afin de recommander aux membres « les mesures collectives à prendre », y compris « l’emploi de la force armée », en cas de « rupture de la paix ou acte d’agression »48.

 

Quant au jus in bello ou droit de la guerre durant la conduite des opérations, il fut à maintes reprises violé pendant la Guerre de Corée. Particulièrement dans ses principes : de distinction entre combattants et non combattants, de proportionna­lité, de précaution (exécutions sommaires de prisonniers de l’ONU par les nord-coréens49, villes rasées par l’aviation de l’ONU50 ; infiltration des cohortes de réfu­giés civils par les troupes nord-coréennes pour approcher l’ennemi débouchant sur l’ouverture du feu par les troupes de l’ONU51 ; utilisation d’armes bactériologiques par les Etats-Unis52) et de loyauté (perfidie des troupes nord-coréennes s’infiltrant au sein des cohortes de réfugiés civils pour approcher l’ennemi).

 

L’expérience coréenne, dans toute sa démesure, sa violence et ses excès débouche sur une mise en sommeil de l’ONU.

Enfin, en l’absence de traité de paix venant entériner l’armistice de Pan-Mun-Jon du 27 juillet 1953, la Guerre de Corée est de facto terminée mais de jure tou­jours en cours.

 

Conséquences stratégiques du conflit

La Guerre de Corée fut la première application du système de sécurité collective des Nations Unies. Il s’agit alors de la première guerre saisie par le droit interna­tional sous l’égide de l’ONU. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit pour les Nations Unies de prouver que leur système fonctionne en étant à même de maintenir ou rétablir la paix parmi les nations du monde. L’ONU a su montrer qu’elle était ca­pable d’intervenir rapidement et avec une très grande puissance sur n’importe quel théâtre même si cette capacité à été en grande partie due aux Etats-Unis.

 

Les Etats-Unis ont pu faire étalage de leur puissance de feu tout en manifestant au monde leur détermination, leur opiniâtreté à défendre leurs intérêts et ce y com­pris à travers les institutions de l’ONU. Cette démonstration permis sans doute aux Etats-Unis de ne pas rencontrer d’autres conflits de la même forme, et inversement l’âpreté des combats de la Guerre de Corée détourna l’Amérique des conflits fron­taux avec un adversaire semblant être de sa catégorie.

 

Sur le plan strictement militaire, non seulement la Guerre de Corée met en évidence le sous-équipement et le sous-entraînement des forces tactiques (non nu­cléaires) américaines53, mais soulève également les enjeux de la puissance nucléai­re tactique54 – le stratégique demeurant quasi-inutilisable par crainte de riposte. Corollaire de ce constat, la Guerre de Corée usa d’un recours massif aux bombar­dements stratégiques conventionnels, faute de pouvoir utiliser le feu nucléaire. Par crainte de voir le conflit dégénérer en guerre mondiale, la Guerre de Corée inaugura l’ère de la guerre limitée, succédant à celle de la guerre totale55. Elle fut une guerre conduite presque totalement en fonction de la politique et non en vue de la seule victoire militaire56.

 

D’autre part, l’intervention des volontaires chinois en Corée vînt probablement conforter les Etats-Unis dans leur stratégie d’aide à la France en Asie57, cette der­nière luttant contre le Viet Minh en Indochine58.

 

La Guerre de Corée servi également aux Etats-Unis (et plus généralement à l’Occident) de test imprévu, ou du moins anticipé, de fidélité du Japon. Le 7 sep­tembre 1951 les Etats-Unis et leurs principaux alliés occidentaux signaient un traité de paix avec le Japon suivi d’un traité de sécurité nippo-américain le 8 septembre de la même année59. En se voyant lâcher la bride en raison de l’accaparement d’énergie que nécessitait le conflit coréen, le Japon était évalué quant à sa stabilité politique (même si MacArthur et de nombreux soldats demeuraient au Japon). En servant de base arrière et d’avant poste aux actions militaires en Corée, il prouvait sa ca­pacité à nourrir une armée et donc sa stabilité économique. Le Japon entrait dans l’Occident.

De son côté la Chine jusqu’à lors négligée car estimée archaïque et divisée su s’imposer par la Guerre de Corée. Elle démontra qu’avec des moyens technologi­ques et économiques limités (en dépit de l’aide soviétique) elle parvenait à défier les Etats-Unis en jouant les cartes de l’adaptation et de sa formidable démographie. Elle démontra également que nonobstant sa non reconnaissance sur la scène inter­nationale il fallait désormais compter avec elle. Le conflit coréen amorça le premier pas de l’affranchissement chinois de la tutelle soviétique ; les Soviétiques s’étant montrés trop distant lors du conflit et la Chine ayant prouvé aux Soviétiques et à elle même qu’elle pouvait agir avec de plus en plus d’autonomie.

 

Enfin, l’intervention chinoise dans la Guerre de Corée provoqua d’une part l’intervention de la VIIe flotte des Etats-Unis venant geler la question de Taiwan60, et contribua d’autre part à entretenir l’absence de relations diplomatiques avec les Etats-Unis jusqu’en 1971-1972.

 

En dernier lieu on peut s’interroger sur le fait que la Guerre de Corée ait ou non sauvé l’Occident. Il est indéniable que la Guerre de Corée en générant un sentiment de peur pour les gouvernements occidentaux engendra un accroissement des forces militaires en Europe. La Guerre de Corée poussa également les Etats-Unis à faire de l’OTAN une « organisation militaire intégrée avec à sa tête un commandant en chef »61, cependant il paraît plus délicat de prétendre avec assurance que cette guerre a sauvé l’Europe de l’invasion soviétique.

 

Aux yeux de Truman l’objectif crucial demeurait l’Europe, pour preuve l’impor­tance accordée à la mise en place de réseaux Stay-behind au lendemain de la Seconde Guerre mondiale62. Il pensait éloigner le danger de l’Europe en le jugulant en Asie. Mais les Etats-Unis se sentaient exagérément assiégés et croyaient fermement en l’existence d’un dessein communiste mondial63. Or les Etats communistes n’étaient pas unis, les rapports entre Moscou et Pékin étaient distants.

 

Certains auteurs soulèvent tout de même la possibilité d’une telle thèse. En tenant compte de l’opposition stratégique soviétique quant à l’ouverture d’un deuxième front et du fait que le conflit coréen fixait tensions et armements en Asie, l’Europe aurait été sauvée par détournement des forces communistes64.

 

La Guerre de Corée a façonné l’identité stratégique nord-coréenne à travers la vigueur de la riposte onusienne. Cette crainte de subir une intervention étrangère a été nourrie et amplifiée par cinquante années de Guerre froide ainsi que par la paranoïa d’un régime doctrinaire et totalitaire. Aujourd’hui encore, l’acquisition et l’application de la technologie nucléaire – permise notamment par l’enlisement des Etats-Unis dans le bourbier irakien65 – demeure avant tout, un moyen de sanctua-riser son territoire et de pérenniser son régime66.

 

* Doctorant en Science Politique au Centre d’Etude et de Recherche Politiques (CERPO -Université de Bourgogne).

 

Notes

  1. Samuel S. Kim, « The Mirage of A United Korea », Far Eastern Economic Review, 169 N° 9, novembre 2006.
  2. Le 9 octobre 2006, le régime de Pyongyang a procédé à un essai nucléaire souter­ Après s’être approché une fois de plus du bord du gouffre, Pyongyang a cédé aux pressions internationales, acceptant de signer le 13 février 2007, un accord monnayant la désactivation de son programme nucléaire en l’échange de fioul, d’électricité et du retrait de leur pays de la liste des Etats terroristes établie par Washington. La stratégie nord-coréenne est ici la même qu’en 2005, faire deux pas en avant mais reculer d’un seul. En effet, en dépit d’un éventuel démantèlement de son arsenal, la Corée du Nord détient un savoir-faire nucléaire qui progresse à chaque crise.
  3. Lawrence Freedman, La Guerre froide. Une histoire militaire, Traduction de Jacques Vernet, Préface de Maurice Vaïsse, Paris, Editions Autrement-Atlas des guerres,

2004, p. 36.

  1. Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Flammarion, Champs, 1993,
  2. 312.
  3. Pour reprendre Claude Delmas, Corée 1950. Paroxysme de la Guerre froide, Bruxelles, Editions Complexe, 1982.
  4. Encyclopedia Americana, citée par Patrick Souty, La guerre de Corée (1950-1953). Guerre froide en Asie orientale, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2002, p. 209. Quant au nombre total de victimes, englobant les civils, Eric Hobsbawm citant Jon Halliday et Bruce Cumings parle de 3 à 4 millions de morts dans un pays de 30 millions d’habitants, Eric J. Hobsbawm, L’Age de extrêmes. Histoire du courtXXe siècle, Bruxelles, Editions Complexe, 2003, p. 565.
  1. Claude Balaize, La péninsule coréenne, Paris, Nathan, 1993, pp. 6-13.
  2. Halford J. Mackinder, « Le pivot géographique de l’histoire » (1904), Stratégique n°55 Espaces stratégiques, 1992/3 et Philippe Moreau Defarges, Introduction à la géopolitique, Paris, Seuil, Points essais, 1994, pp. 50-5
  3. Philippe Moreau Defarges, cit., pp. 46-66.
  4. André Fabre, Histoire de la Corée, Paris, Langues & Mondes, L’Asiathèque, 2000, pp. 37-46 ; 173-199 ; 247-263.
  5. Alain Delissen (dir.), L’Asie Orientale et Méridionale aux XIXe et XXe siècles, Paris, Presses Universitaires de France, Nouvelle Clio, 1999, pp. 169-173 et in Nora Wang, L’Asie orientale du milieu du XIXe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 1993, pp. 101-105.
  6. André Fabre, cit., pp. 311-323.
  7. Eric J. Hobsbawm, cit., p. 82.
  8. Patrick Souty, cit., pp. 71-74.
  9. Kim Chum-Kon, The korean war, Seoul, Kwangmyong Publishing Company,

1973, p. 33.

  1. En 1950, les Etats-Unis disposent d’au moins 450 bombes atomiques alors que l’URSS n’en détient que 25, in Bruce Cumings, « Mémoires de feu en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, décembre 2004.
  2. Jusqu’au 25 octobre 1971, seule la République de Chine (Chine nationaliste de Taiwan) était reconnue à l’ONU et donc d’une certaine façon sur la scène inter­ La République Populaire de Chine (Chine continentale communiste) s’étant constituée le 1er octobre 1949 suite à une guerre civile et étant d’obédience marxiste, de nombreux Etats (en premier lieu les Etats-Unis) refusaient de la recon­naître comme le régime légitime de la Chine.
  3. L’URSS ne reviendra au CSNU que le 1er août 1950, in Maurice Bertrand, L’ONU, Paris, La Découverte, Repères, 2004, p. 28.
  4. Jusqu’à 150 avions chinois seront en réalité des appareils soviétiques pilotés par des soviétiques, in Eric J. Hobsbawm, cit., p. 306.
  5. Notamment des artilleurs, in Erwan Bergot, Bataillon de Corée. Les volontaires fran­çais (1950-1953), Paris, Presses de la Cité, 1983, p. 150.
  6. Fin octobre 1950, les volontaires chinois pénètrent sur le territoire de la Corée du Nord, in Patrick Souty, cit., p. 130. Cependant il faudra attendre le 26 novembre 1950 pour pouvoir parler de véritable entrée en guerre avec leur réponse à l’offensive de MacArthur du 25 novembre 1950, in Patrick Souty, Op. cit., pp. 135-136.
  1. Le 28 juin 1950, Zhou Enlai (1898-1976, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères chinois) déclare que l’intervention américaine « constitue une agression contre la Chine », Jean-Luc Domenach, Philippe Richer, La Chine. Tome 1 1949­1971, Paris, Seuil, Points Histoire, 1987, p. 58.
  2. André Fabre souligne qu’en 1593 déjà, la Chine était venue au secours de la Corée lorsque l’invasion du shogun japonais Tokugawa Hideyoshi menaçait la Mandchourie, cit., p. 331.
  3. Staline donnera son accord à Kim Il Sung pour le déclenchement de la guerre à la fin de l’hiver 1949-1950, en témoigne une lettre à Vychinski (1883-1954, ministre des Affaires étrangères soviétique de 1949 à 1953) de l’ambassadeur soviétique de Pyongyang, datée du 19 janvier 1950, cité in Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin, Le livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Paris, Robert Laffont, Pocket, 1997, p. 775. Pour Sabine Dullin, Staline aurait donné son autorisation à Kim Il Sung en janvier 1950, in Sabine Dullin, Histoire de l’URSS, Paris, La Découverte,

Repères, 2003, p. 55.

  1. Lawrence Freedman, cit., p. 37.
  2. Gérard Chaliand, Jean Lacouture, Voyage dans le demi-siècle. Entretiens croisés avec André Versaille, Bruxelles, Complexe, 2001, pp. 96-97.
  3. Joyaux et Y.-H. Nouailhat, cités par Patrick Souty, Op. cit., p. 77.
  4. Henri Kissinger, Diplomatie, Paris, Fayard, 1996, p. 426. Sur l’ensemble des attaques possibles de l’URSS dans le monde, présenté à Truman par la Central Intelligence Agency (CIA), la Corée n’apparaissait qu’en cinquième place derrière l’Europe et le Moyen-Orient, Frédéric Lert, Les ailes de la CIA, Paris, Histoires et Collections, Collection « Actions Spéciales », 1998, p. 46.
  5. Frédéric Lert, cit., p. 46.
  6. Claude Delmas, cit., p. 139.
  7. Baldwin, journaliste au Times, cité par Patrick Souty, cit., p. 131.
  8. Patrick Souty, cit., p. 137.
  9. Bruce Cumings, cit. et Claude Delmas, Op. cit., p 120. Selon Claude Delmas les Etats-Unis ne possèderont des bombes nucléaires tactiques, donc de faible puis­sance et destinées à des objectifs limités qu’à partir du 28 octobre 1951.
  10. Patrick Souty, cit., pp. 162-163 et Bruce Cumings, Art. cit. Bruce Cumings cite également l’historien Carrol Quigley selon lequel une bombe H de 400 tonnes au cobalt pourrait détruire toute vie animale sur terre, Carrol Quigley, Tragedy and Hope : A History of the World in Our Time, New York, MacMilan, 1966, p. 875.
  1. Claude Delmas, cit., p. 140.
  2. « Des centaines de prisonniers américains de la Guerre de Corée furent transférés en URSS », Le Monde, 28 septembre 1993, « Trente soldats sud-coréens toujours prisonniers du régime de Pyongyang », Le Monde, 13 octobre 1998, « Des occiden­taux dans le goulag de Pyongyang », Le Monde, 24 octobre 2003.
  3. Jean-Jacques Mével, « Pékin rappelle Tokyo à son passé militariste », Le Figaro, mercredi 20 avril 2005, p. 4, Patrice Binder et Olivier Lepick, Les armes biologiques, Paris, Presses Universitaires de France, Que-sais-je ? n° 3599, 2001, pp. 48 et 52, Stephen Endicott et Edward Hagerman, « Les armes bactériologiques de la guerre de Corée », Le Monde diplomatique, juillet 1999 et Claude Meyer et Dominique Leglu, La menace chimique et biologique, Ellipses, Référence géopolitique, 2003,
  4. 146-147.
  5. Stephen Endicott et Edward Hagerman, cit.
  6. Le général Ralph Monclar (1892-1964) était un ancien Saint-Cyrien de la promo­tion Montmirail, celle ayant juré de mener son premier assaut en casoar et gants blancs. En 1940 il participa au débarquement de Narvik à la tête de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, obtenant un des seuls succès militaire français de la campagne. Il fut également le vainqueur de la campagne d’Erythrée et le seul chef de corps à gagner Londres avec ses effectifs quasi complets. Pour plus de précisions sur la biographie du général Ralph Monclar, voir Edme de Vollerons, Le général Monclar, un condottière du XXe siècle, Paris, Economica, Hautes Etudes Militaires, Institut de Stratégie Comparée, 2002, 180 p.
  7. Claude Delmas, cit., p. 151.
  8. Jacques Vernet, Pierre Ferrari, Corée 1950-1953. L’héroïque bataillon français, Panazol, Lavauzelle, 2001, p. 26.
  9. , p. 25.
  10. Bergot, cit., p. 19 et Jacques Vernet, Pierre Ferrari, Op. cit., p. 25.
  11. Jacques Vernet, Pierre Ferrari, cit., p. 39.
  12. Maurice Bertrand, cit., p. 28.
  13. L’ensemble des citations sont extraites de Jean Combacau, Serge Sur, Droit interna­tional public, Paris, Montchrestien, Domat droit public, 6e édition, 2004, p. 638.
  14. Patrick Souty, cit., pp. 192-193.
  15. Bruce Cumings, cit.

 

  1. Patrick Souty, cit., p. 193 ethttp://www.checkpoint-online.ch/CheckPoint/ Histoire/His0002-MassacresUSCoree.html à partir de sources de l’Associated Press (AP) et de l’Agence France Presse (AFP).
  2. supra notes 35, 36, 37 et 38.
  3. Etienne de Durand, Les transformations de l’US Army, Paris, IFRI, Département des Etudes de sécurité, Les Etudes de l’IFRI 1, juillet 2003, p. 10.
  4. Acquisition massive d’armes nucléaires tactiques par l’armée américaine (43% de son budget en 1956), , p. 13.
  5. Gérard Chaliand, Arnaud Blin, Dictionnaire de stratégie militaire, Paris, Perrin,

1998, pp. 363 et 630.

  1. Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, p. 40.
  2. Une aide d’urgence (véhicules, munitions, radios, carburants, avions…) fut déci­dée par Truman en janvier 1950, Michel Bodin, Dictionnaire de la Guerre d’Indo­ 1945-1954, Paris, Economica, Commission Française d’Histoire Militaire, Institut de Stratégie Comparée, 2004, p. 92.
  3. Dès 1948 des troupes chinoises combattaient aux côtés du Viet Minh dans le Tonkin. Peut-être de 20 000 à 30 000 volontaires tout au long du conflit indochi­nois, , p. 60.
  4. Jean-Luc Domenach, Philippe Richer, cit., pp. 61-62.
  5. Jean-Luc Domenach, Philippe Richer, cit., p. 61.
  6. Henry Kissinger, cit., p. 442.
  7. Les réseaux Stay-behind étaient les infrastructures dormantes mises en place par les Etats-Unis et destinées à mener les actions de guérillas derrière les lignes enne­mies en cas de conflit global Est-Ouest, Jacques Baud, Encyclopédie du renseigne­ment et des services secrets, Panazol, Lavauzelle, Renseignement & Guerre secrète, 2002, pp. 663-671 et Eric Denécé, Forces spéciales, l’avenir de la guerre ?, Monaco, Editions du Rocher, L’Art de la Guerre, 2002, pp. 116-118.
  8. , p. 430.
  9. Patrick Souty, cit., p. 143.
  10. Pascal Chaigneau, « Une hyperpuissance rattrapée par ses erreurs », Enjeux Diplomatiques et Stratégiques 2006, Paris, Economica, 2006.
  11. Pascal Drouhaud, « Prolifération nucléaire : le passage en force de la Corée du Nord », Défense Nationale et Sécurité Collective, N°12, Décembre 2006.
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