LA GUERRE D’IRAN SERA MONDIALE, OU ELLE N’AURA PAS LIE

Xavier HOUZEL

DE CHINE, le président de la République française évoque « l’exigence d’une discipline collective au service de la paix et de la sécurité du monde ». Le fait de ne pas s’y attacher « serait encourager la tentation de l’unilatéralisme dont chacun a pu mesurer les conséquences fâcheuses et les impasses ». De Téhéran, l’ancien président de la République islamique d’Iran, l’Hojatoleslam Khatami, parle de « résolution passée par un gang, sans fondement, et n’ayant aucune valeur aux yeux des peuples libres ». Ils disent la même chose. Le premier veut être diplomate, et le second plus cru. Mais ils mesurent également la profondeur du gouffre qui sépare la conception anglo-saxonne des affaires du monde de celle des « peuples libres », et qui semble n’avoir pas varié. Revenons cinquante ans en arrière, en mars 1951, quand le Majlis iranien vote une loi portant nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne, y compris 11Anglo-Iranian Oil Company. Mossadegh donne sept jours aux Britanniques pour quitter Abadan. Abadan est évacué, et le shah d’Iran doit quitter le pays. En octobre suivant, encouragé par le succès iranien, le président du Conseil égyptien, Mustafa al-Nahhâs Pasha, soumet au Parlement un projet de loi portant dénonciation uni­latérale du traité anglo-égyptien de 1936. Les Britanniques se cabrent. Les Frères musulmans sont les plus radicaux ; ils engagent la lutte armée contre les troupes d’occupation, qui comptent 64.000 hommes. Les responsables britanniques voient des terroristes à chaque échauffourée ; ils ne possèdent sur eux aucune indication, sinon qu’ils sont de mieux en mieux préparés et organisés. Le discours du lieute­nant général Erskine est le suivant : « Ce serait une grave erreur de croire, de la part de quiconque, que la pression et le terrorisme avec toutes leurs inévitables conséquences, puissent avoir le moindre effet sur notre résolution. Si cela est nécessaire, nous poursui­vrons notre activité mois après mois et pendant plusieurs mois si cela est nécessaire. Nous disposons de forces suffisantes et nous avons l’appui des autres pays.[…J Nul ne doit s’imaginer que le temps ou le terrorisme changeront notre politique. »1 Le point cul­minant de cette guerre du canal sera une émeute réprimée dans le sang à Ismaïlia. Après le drame, les observateurs britanniques resteront impressionnés par le « début d’un véritable sentiment révolutionnaire ». Le Shah d’Iran sera finalement réinstallé et Mossadegh chassé, mais le roi Farouk sera déposé. Le canal de Suez est nationalisé le 28 Juillet 1956. Or rien n’a changé depuis dans la région. Sauf en ce qui concerne l’Iran, devenu, après le retour de l’Imam Khomeiny de son exil français une répu­blique islamique et une authentique démocratie – la seule de la région avec Israël. Voter, en Iran, est un devoir politique et religieux.

Cinquante ans après, la Russie de Poutine a la même volonté de puissance que l’Union soviétique. Le Kremlin achève sa reprise en main des forces vives de l’em­pire. La Chine rêve quant à elle d’incorporer l’Iran dans sa zone d’influence et d’y inclure d’emblée l’ensemble des pays à droite d’une ligne rouge qui traverserait du nord au sud la mer Caspienne, le golfe Persique et l’océan Indien, tellement les hydrocarbures d’Asie centrale et d’Iran lui sont devenus vitaux. L’Egypte continue de « canaliser » dans les deux sens l’énergie indispensable au fonctionnement du monde, par le canal maritime et par l’oléoduc SUMED. Le silence du peuple égyp­tien n’en est pas moins lourd, et son sommeil moins trompeur. L’Iran est de son côté stupéfait de voir les Etats-Unis persister comme si de rien n’était, en dépit de la totale perte de crédibilité de l’armée américaine dans le bourbier irakien ; il enrage de voir une Europe invertébrée se comporter, comme au temps de Mossadegh, en donneuse de leçons. La différence est qu’en 2006, ses « caisses » sont pleines ; le détroit d’Ormuz filtre, pour ne pas dire qu’il contrôle la quasi totalité des barils produits dans le Golfe ; et Téhéran tient les fils d’une immense toile d’araignée où s’empêtrent la reine américaine et sa ruche de frelons, en Afghanistan, en Irak, en Palestine et au Liban, jusqu’aux marches de la Chine et au bord de la Méditerranée. Si la Perse, qui depuis le grand Darius n’a jamais agressé personne, fait peur, c’est que les Iraniens considèrent de plus belle que « faire disparaître toute restriction por­tant atteinte à leur souveraineté et à leur indépendance » ressort de leur droit naturel de peuple libre. La réalité, c’est qu’après l’Europe, la Chine, l’Inde et le Brésil, c’est au tour de l’Iran d’émerger de l’histoire et de la géographie, au grand dam du « nou­veau monde » qui l’avait oublié. C’est la raison pour laquelle Téhéran n’accepte plus d’être soumis à un ultimatum, ni par les Américains, ni par l’ONU, ni encore moins par Israël.

Israël, à qui les dieux ne sont pas favorables ! Ses troupes doivent se retirer aujourd’hui du Liban avec la même honte qu’un demi-siècle plus tôt d’Egypte, alors qu’elles étaient alors à 60 kilomètres du Caire où toute résistance était annihi­lée. L’Amérique n’est pas mieux, car en Irak, d’un mort par jour, on est passé à cent. La « zone verte » de Bagdad est encerclée par des nuées de combattants de l’ombre.

L’insurrection fait de l’Afghanistan une nouvelle Somalie, et de Gaza une cour des miracles. Quant aux monarchies arabes, elles sont fragilisées à l’extrême ; autrefois les fondements de la relative stabilité de l’Islam, la situation y devient intenable ; la vague de populisme à laquelle on assiste en Amérique latine pourrait les submer­ger, comme les banlieues une capitale. Pour peu que dans la foulée, l’Afrique se mette au « national populisme », l’industrie pétrolière devra revoir complètement ses marques, ce qui serait beaucoup plus lourd de conséquences que l’admission par la communauté internationale d’un nouvel Etat nucléaire avec le statut du Japon. Beaucoup plus grave encore serait une collusion de l’armée pakistanaise et de l’ISI avec les Gardiens de la Révolution iranienne, c’est-à-dire d’Al Qaïda avec ceux qu’on appelle les Fous de Dieu. Le Jihad aurait alors sa bombe. Le risque de guerre serait mondial. Ce serait la fin d’une ère.

Mais est-ce en raison d’un pareil risque qu’il faut taxer l’Iran de mauvaises in­tentions ? Les trois dernières décades ont donné à la société iranienne le temps de se réconcilier avec son histoire ; le pays a traversé suffisamment d’épreuves pour que ses dirigeants élus fassent preuve d’assez de sagesse. Ainsi, Ahmadinejad n’est-il pas Chavez. C’est pour endiguer le flot du populisme, tout en s’en ménageant le soutien sur la scène internationale, qu’il a fait sa jonction avec ce dernier. Il sait parfaitement ce qui différencie Castro d’un Mahatma Gandhi. De même qu’il faut donner sa mesure au délire verbal dont il fait preuve à l’égard d’Israël. Les Iraniens n’ont rien contre les Juifs ; il suffit pour le croire de déambuler à Téhéran dans la rue des Antiquaires (Manuscheri Street), où ils sont nombreux à être fiers de l’être. Le président iranien n’a trouvé que ce moyen pour mettre de son côté la rue arabe, étant désormais seul à fustiger l’occupation israélienne d’un coin (lointain) de terre sunnite. Il faudrait peu de choses pour qu’il ne soit plus question dans son discours, ni de populisme ravageur, ni d’antisémitisme. Le choix par Israël du député extré­miste Avigdor Lieberman comme ministre chargé du nucléaire est autrement plus alarmant.

La guerre de Juillet dernier, comme la Guerre du Canal il y a cinquante ans révèle un malaise mondial auquel il va falloir remédier avec finesse de peur de faire s’écrouler le château de cartes dont l’Iran est l’un des piliers atteints. La donne étant sur la table, et connue de chacun, voici un exemple de partie que la France pourrait jouer, et gagner : (I) désamorcer la crise par un subterfuge simple puisé à la sour­ce de l’humanisme, (II) reconstruire sur des fondements de confiance en prenant exemple sur la construction européenne, et (III) tenir compte des effets pervers du système monétaire international et des dérives de la mondialisation pour « actuali­ser » le tout, et (IV) amener les réfractaires au dialogue sans parti pris ni préalable.

Humanisme et universalisme

L’Iran est le signataire d’un Traité (de non-prolifération) dont il lui est loisible de sortir. Les Occidentaux soupçonnent le programme nucléaire iranien de viser à fabriquer la bombe atomique, ce que Téhéran dément avec vigueur. L’Agence internationale pour l’énergie atomique n’est pas en mesure de prouver le contraire. Le corps du délit est constitué par deux batteries de centrifugeuses qui seraient plus à leur place parmi les machines à remonter le temps dans un musée d’art moderne que dans un sarcophage enterré à Ispahan (Natanz) ! Comme si deux mille coolies pédalaient sur autant de bicyclettes pour produire l’énergie d’un moteur à réaction que leur patron ne pourrait pas se procurer. Bref, parce qu’on reproche à l’Iran de jouer avec le feu au risque d’incendier la maison, on ne veut pas lui montrer comment éviter de se brûler. Comme le faux-semblant des armes de destruction massive, le danger nucléaire est un épouvantail. Aussi, dans son interview du 28 oc­tobre, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, s’insurge-t-il contre le fait que le Conseil de sécurité de l’ONU ne soit «utilisé» que pour «châtier» l’Iran ou «promouvoir l’idée d’un changement de régime» à Téhéran. Il faut alors s’interroger sur ce qui fait se raidir les Américains, dès qu’il s’agit d’Iran ?

Certes il y a les ayatollahs et le souvenir des otages. Il y a aussi le pétrole et le détroit d’Ormuz. Mais il y a surtout la « route de la soie », et le fait que ce pays soit depuis la nuit des temps le carrefour des idées et des hordes humaines, le centre de triage des biens et des services entre l’Est et l’Ouest, et entre le Nord et le Sud. L’endroit se situe dans la province iranienne d’Arvend, autrement dit le Shatt El-Arab, dans l’estuaire commun du Tigre et de l’Euphrate, là où la pomme (la figue) d’Adam aurait poussé dans le jardin d’Eden. C’est aussi le site du plus gros gisement de brut encore intact (les Iles de Majnoun), à cheval sur la frontière avec l’Irak. C’est un cas typique de « poids désastreux sur le bonheur » auquel il n’est possible aux nations d’échapper qu’en acceptant de « continuer au profit du reste du monde la collaboration aux intérêts généraux de l’humanité que leur situation géographique leur impose, en se gardant d’établir une opposition entre leur principe national et l’ensemble des nations ». Ce croisement des routes d’Alexandre le Grand et de Marco Polo, comme de Gengis Khan et de Tamerlan, a été verrouillé par les Britanniques avec la création du Koweït, la « 17″ »province ». Il y allait de l’hégémonie de la Couronne sur les mers après le percement de Suez. Or cette route vient de se rouvrir, porte béante débouchant sur l’Asie centrale et du sud-est. Il s’agit pour les Iraniens de méditer les célèbres paroles de Renan sur l’Egypte d’alors : « Quand on a un rôle touchant aux intérêts généraux de l’humanité, on y est toujours sacrifié. Une terre qui importe à ce point au reste du monde ne saurait s’appartenir à elle-même : elle est neutralisée au profit de l’humanité, le principe national y est tué (…) L’exploitation ra­tionnelle et scientifique du monde tournera sans cesse vers cette étrange vallée ses regards curieux, avides et attentifs ».

En partant du principe que l’Iran dispose sur son vaste territoire de gisements d’uranium et entend inviter un consortium à traiter en commun ce minerai sur son propre territoire, il lui convient de constituer un « organe de réalisation représentant une universalité d’intérêts étrangers de caractère strictement approprié au but à attein­dre ». En consacrant par décret comme zone franche internationale une partie de cette province frontalière de Arvend, le président Ahmadinejad a peut-être trouvé sans le savoir la solution au problème. C’est par ce moyen et à cet endroit qu’il peut donner à de futurs partenaires, des fournisseurs et des clients disposés à investir, les garanties objectives qu’ils attendent. L’endroit serait idéal pour abriter de surcroît le siège d’autres activités à vocation collective, comme un port en eaux profondes à partager avec l’Irak, un terminal relié par oléoduc à la Mer Caspienne à l’exemple du SUMED, un aéroport international au centre de ce monde intermédiaire, et surtout la plateforme (un hyper Djebel Ali) dont l’Irak a besoin pour se recons­truire. La région se trouverait métamorphosée, de pomme de discorde en un havre de paix. Ne parlons pas d’argent ! Parlons plutôt de maïeutique. C’est à la France d’être la sage-femme, car on en vient naturellement à la formule magique de Suez, et que nous sommes en plein génie français.

A l’origine, le canal lui-même, s’il fait bien partie du territoire égyptien, est effectivement doté d’un statut international assurant au profit de toutes les na­tions, et sans discrimination entre elles, le libre usage de l’ouvrage dont le caractère est unique. Ainsi s’était réalisé le programme dont Mohamed Saïd avait fait part à Napoléon III dans une lettre de décembre 1854 au lendemain de leur acte de concession. Le vice-roi faisait ressortir ce que signifiait pour lui la qualification d’universelle donnée à la compagnie : « Pénétré de cette vérité que tous les hommes sont frères et mû par le désir d’être utile à tous les peuples, j’ai formé le projet de réunir la Méditerranée à la mer Rouge par un canal de navigation et de confier l’exécution de cet­te grande œuvre à une compagnie universelle. J’ose espérer, Sire, que Votre Majesté dont la haute sollicitude s’étend à toutes les entreprises qui peuvent contribuer au bien-être de l’humanité daignera donner son approbation à un projet dont la réalisation ouvrira un nouveau débouché au commerce et à l’industrie de toutes les nations d’Europe. » Par consentement mutuel des deux parties, le gouvernement iranien et un consortium international ne pourraient pas faire moins bien, cent cinquante ans après.

L’acte de concession et les statuts de la société qui lui seraient annexés donne­raient à cette « Compagnie de l’Arvend » un statut de société anonyme, mais avec la qualité de société iranienne, donc avec la même physionomie originale que la Compagnie universelle du Canal maritime de Suez. La compagnie aurait son siège en Iran, mais elle serait constituée en France, où elle aurait son siège administratif et serait société étrangère. Elle ne déclinerait pas la compétence des tribunaux Iraniens à l’occasion des assignations autres que celles entre associés. Ce serait à Paris – à Paris ou ailleurs – que se formerait la volonté de la Compagnie et que tous les organes de son administration se réuniraient : Assemblée générale des actionnaires, Conseil d’administration et Comité de direction. Qui oserait prétendre qu’à l’instant même d’un accord de principe sur un schéma comme celui-ci les autorités iraniennes ne suspendraient pas d’elles-mêmes les tests en cours près d’Ispahan ? Personne ! Les opérations de déménagement vers l’Arvend commenceraient dès le lendemain.

Plus de pragmatisme

L’angélisme a mauvaise presse. Le pragmatisme aussi. Mais c’est qu’il faudrait beaucoup d’argent pour entretenir les efforts de développement nécessaires à l’Iran et à toute la région, l’Irak et l’Afghanistan en particulier. Déjà deux cent milliards de dollars appartenant aux Iraniens se trouvent à Dubaï prêts à déferler sur l’Arvend. Il en faudra encore beaucoup plus pour l’Irak, dont la reconstruction ne se fera pas sans « l’ordre régional » et l’exemple communicatif du voisin iranien. Autrement ce sera « la haine et la colère ». La laborieuse création de l’Union européenne de­vrait alors pouvoir servir de matrice. Et permettre de gagner beaucoup de temps et de régler de nombreux problèmes. Gageons même que les Américains seraient les premiers à plébisciter une telle formule. Pourquoi ? Retournons de nouveau en arrière.

En 1951, précisément le 18 Avril, à l’heure où Mossadegh excipe avant la let­tre des droits naturels de l’Iran, la nouveauté résulte de la volonté de pays euro­péens traditionnellement ennemis de se fondre dans un plus grand ensemble, à l’échelle des moyens modernes de la communication et de l’échange. L’initiative européenne prend d’abord la forme d’une nouvelle Communauté du charbon et de l’acier (CECA). Elle est aussitôt confirmée par la signature du Traité de Rome et la création du Marché commun. Son exemple inspirera la CDAO, l’ALENA, le MERCOSUR. Or seul le Moyen-Orient échappe à ce courant. Il avait fallu atten­dre neuf cents ans de guerres depuis Hastings pour que l’Europe se drape dans un manteau de paix! Pourquoi ne pas en faire autant avec le Golfe ? Le premier train de traités entraînerait la création de la « Communauté du Golfe du pétrole, du gaz et de l’énergie nucléaire », qui deviendrait très rapidement le « Golfe des Six » à la suite du « Traité de Qom » pour singer celui de Rome ! L’Iran jouerait le rôle de l’Allemagne, l’Irak celui de la France, ou vice versa ; la Hollande serait le Koweït, l’Italie l’Arabie Saoudite, La Belgique les Emirats, le Luxembourg le Qatar, et Monaco Bahreïn. Un bon équilibre démographique entre les chiites et les sunnites serait facile à at­teindre. Dès 1999, un groupe de chercheurs irakiens, dirigé par Fadhel Othman, ex-Directeur général de la SOMO, avait brossé trait pour trait le profil d’une telle union douanière, dont il avait fait l’inventaire des synergies et des complémentari­tés possibles. Le projet s’intitulait « The Hexagone Group ». Il dort dans un carton. Il suffit de l’exhumer. Les problèmes des « îles contestées », des eaux territoriales partagées et des frontières rectifiées n’en seraient plus. Les régimes monarchiques, républicains, laïcs ou religieux, n’auraient pas à subir de remaniement. Seul un re­gain de transparence résulterait de leur rapprochement, et, bientôt, de six, l’Union du Golfe passerait à quinze ; et ainsi… de suite.

Plus de rationalisme et à la fois plus d’équité

Quatre points sont à revoir, mais pas dans l’immédiat. Le premier (A) touche au domaine minier, le deuxième (B) au système monétaire international, le troisième (C) à la façon de terminer les guerres, et le quatrième (D) aux institutions et à la parité dans l’espace et dans le temps.

  1. Il existe toutes sortes de contrats d’exploration et de production. Cela va de la concession minière d’autrefois au contrat de louage de services rémunéré par du pétrole, en passant par les classiques « contrats de partage de production », avec des variantes. Beaucoup d’ordre reste à mettre pour éviter le pillage des pays du Sud par ceux du Nord, sans minimiser pour autant la valeur de l’apport de technologies et de capitaux fait par les « majors » aux pays producteurs de pétrole. Or la formule iranienne du buy-back manque totalement d’attrait, voire de sécurité pour un inves­tisseur et bailleur de technologie. L’Iran devra faire un geste. Les Majors américaines sont à ce prix-là.
  1. Le dollar américain est l’étalon des monnaies de compte du monde entier. La quasi-totalité des transactions pétrolières sont libellées en dollars. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis doivent constamment « réguler » la masse monétaire des dollars en circulation dans l’économie in Lorsque le prix du baril grimpe de 10 à 60 dollars en quelques années, le nombre de dollars que l’Amérique (qui est seule à les imprimer) se doit de déverser à l’étranger devient vertigineux. C’est ce qui explique le déficit abyssal de la balance de comptes américaine. Cette situation est malsaine, car l’Amérique doit emprunter pour combler son déficit, et vendre au reste du monde des bons du Trésor en nombre incalculable. Or il n’est pas sûr que l’Amérique puisse s’acquitter jamais de sa dette publique hypertro­phiée. A l’inverse, l’Iran n’a pas un sou de dette ; c’est la rançon de son « enferme­ment ». Sans préjudice de l’effet pétrodollar sur les places financières des prébendes du pétrole cher, l’Iran représente une menace monétaire et industrielle pour les Etats-Unis. C’est cette frayeur de Wall Street qui conduit les Américains à provo­quer une guerre environ tous les dix ans dans la région. Cette solution permet aux belligérants de dégorger leur trop plein d’armes et de capitaux. Le conflit de 1981 fut organisé entre l’Irak et l’Iran parce qu’ils étaient au seuil du décollage industriel. L’Arabie Saoudite avait été la seule à comprendre « la musique », grâce au Cheikh Yamani, et c’est pourquoi le Trésor américain lui doit à l’heure actuelle une quantité de milliards dont le montant est un secret d’Etat. Pour les Etats-Unis, qui ont déjà de sérieux problèmes avec le Yuan, l’Iran se profile comme un dangereux catalyseur de révolte monétaire et de défi industriel. Lorsqu’on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage, c’est-à-dire qu’il veut la bombe.
  2. Jusqu’à l’aube du XX ème siècle, on ne pouvait pas concevoir de commencer une guerre sans la terminer par un traité. Ces traités revêtaient une certaine so­lennité. Leur force l’emportait sur les lois de tous les pays signataires, et ils étaient opposables aux tiers nonobstant la diversité des constitutions. Leurs clauses particu­lières comportaient la réparation des dommages causés, ainsi que le châtiment des criminels de guerre. Une fois les traités scellés, l’amnistie était définitive. Bachar el-Assad n’hésiterait pas à négocier avec Israël les nouvelles frontières du Golan, si ses généraux avaient l’assurance qu’à cette occasion le massacre de Hama serait oublié, et qu’il pourrait en aller de même de la mort d’Hariri.
  1. La parité entre le Nord et le Sud est un impératif. Cela revient à dire que l’accès aux technologies est un droit imprescriptible de tous les peuples, y compris le droit à la technologie nucléaire. La parité, c’est aussi l’équilibre entre l’homme et la nature. Préserver la planète dans l’intérêt des générations futures est un devoir. En ce sens l’Iran, qui est le berceau à la fois d’Avicene et d’Omar Khayam, a raison de préserver l’avenir en rationnant de lui-même et chez lui l’usage des hydrocarbu­res fossiles dont il est dépositaire des réserves. On oublie cet aspect exemplaire de l’attitude iranienne.

Plus de transparence dans le dialogue

La consolidation de l’Etat palestinien et la sécurité d’Israël couleront de source à partir de l’instant où seront résolus ces problèmes. Cela demandera encore plus d’argent, pour indemniser les colons juifs, et qu’ils consentent à quitter leurs co­lonies, et pour dédommager les Palestiniens et les Juifs (chassés des villes arabes, id est Justice for Jews from Arab Countries) et qu’ils renoncent, un par un, à leur droit au retour sur la terre de leurs pères. Il n’est plus possible d’éterniser la situa­tion. Et c’est pourquoi il faut changer de méthode, quitte à faire cavalier seul. Les dirigeants américains s’affranchissent trop facilement des règles en ne se reposant que sur eux-mêmes. Deux exemples. Le premier : au cours des dernières semaines, la Banque centrale de Syrie a vu fermer ses comptes chez les grandes banques in­ternationales sujettes aux pressions américaines. Son gouverneur ne sait plus où placer les 2 milliards de dollars dont le pays a besoin pour fonctionner. L’économie syrienne est asphyxiée. Ce procédé peut avoir cours à Guantanamo, mais pas aux Nations unies. Voilà pourquoi l’ancien président iranien Khatami, à qui l’Univer­sité de Saint-Andrews fait l’hommage d’un doctorat honoris causa pour ses efforts en faveur du dialogue entre les civilisations, peut se permettre d’évoquer le com­portement de gang. Des banques françaises ont dû s’incliner devant ce gang : elles ne confirment plus de lettres de crédit en faveur de l’Iran. Le second : les actions clandestines des troupes spéciales américaines (Special Operation Command) et des commandos du Mossad (Code Z au Kurdistan) se multiplient en Iran, ce qui est parfaitement illégal. La danse du scalp des diplomates à l’ONU participe d’une cul­ture qui n’est pas la nôtre. C’est jouer du tam-tam de guerre. Ce qui importe est que le collège des experts iraniens, le Guide et le président de la République islamique d’Iran, pris séparément ou collégialement, n’aient rien à voir avec King Jong-Il et ses moyens de chantage. Les suites de la défaite de Corée autour du 38ème parallèle sont du domaine des Américains. La déconfiture de Suez leur est due. Le lâchage du Shah leur incombe. L’affaire irakienne est de leur responsabilité. Cela commence à faire beaucoup. Qu’ils s’occupent de leurs affaires. Occupons-nous des nôtres. Son rapprochement spectaculaire avec les Etats-Unis et Israël (la visite de Sharon à Paris fut un électrochoc) a placé la France en porte-à-faux par rapport au monde arabe, où sa singularité faisait d’elle jusqu’alors un interlocuteur majeur. L’ostracisme dont elle continue de punir la Syrie lui coûte sa liberté de manoeuvre sur l’échiquier où la partie se joue. C’est à croire qu’elle était été visée, qu’il fallait la mettre hors-jeu, le temps que les néo-conservateurs remodèlent le Moyen-Orient à leur guise géo­graphique et à leur mode laïc. Or la guerre de Juillet dernier, comme la Guerre du Canal il y a cinquante ans, marque le début d’une partie. A cette occasion, la France peut sortir de sa catalepsie d’entrée de jeu en se glissant dans la partie d’autant plus facilement par la poterne d’Iran qu’on l’y attend le moins. En s’impliquant de nouveau en Irak, et en renouant avec Damas, elle éviterait en prime que le Liban ne sombre dans un coma profond ou ne la renie pour de bon.

* Economiste, Négociant international de pétrole.

Notes

1 Cité par Anne-Claire de Gayffier-Bonneville « La guerre du canal 1951-1952 », Cahiers de la Méditerranée; vol. 70 Crises, conflits et guerres en Méditerranée (Tome 1).

Article précédentLES CONSÉQUENCES DE LA CONSTRUCTION DU MUR À JÉRUSALEM
Article suivantL’ACCORD DE COMMERCE ET DE COOPÉRATION IRAN – UE Intérêts et limites

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.