La laïcité et l’islam contemporain

Hassan Al HAKIM, représentant du Conseil Islamique chiite Supérieur
COLLOQUE : LAICITE & ISLAMS
Actes du colloque-Conference proceedings
Jeudi 04 juin 2015
Assemblée Nationale
National Assembly

La laïcité ou le sécularisme est le pouvoir des laïcs bourgeois, en opposition au pouvoir de l’église et de son allié la royauté et l’aristocratie. Elle remplace Dieu par le peuple, la bible par la philosophie et la science, et le droit divin de l’aristocratie par la démocratie. La séparation entre l’État et les religions qu’elle applique diffère selon les pays laïques.

L’islam est la religion prêchée par le prophète Muhammad (Mahomet). Elle se considère comme une réforme et une continuité des religions précédentes telles le judaïsme et le christianisme. Institué en Etat, du vivant de son prophète, cet état n’a pas cessé de s’élargir. Après une succession mouvementée de 4 califes, vue différemment selon les courants de l’islam (sunnites, chiites et ibâdites), le califat s’est transformé en royauté, et l’histoire de l’islam fut dirigée et partagée par plusieurs dynasties, dont deux ont couvert, à elles seules, plus de 11 siècles de cette histoire : les Abbassides de Bagdad = 750-1258 c.à.d 508 ans), les Abbassides d’Egypte = 1261-1517 c.à.d. 206 ans, enfin les Ottomans = 1299-1923 c.à.d. 624 ans.

Le contact avec la Perse et Byzance a favorisé l’épanouissement d’une nouvelle civilisation qui a eu sa contribution dans des différents domaines du savoir. Mais les pratiques des rois qui ont régné n’étaient pas toujours conformes aux principes du Coran et aux enseignements du Prophète. Beaucoup de conquêtes, entamées au nom de l’islam, furent entachées d’injustices et réalisées par des rois qui contredisaient l’islam par leurs pratiques.

L’épanouissement du savoir a reçu un coup d’arrêt avec le calife abbasside de Bagdad, Al Qadir (947-1031), et la Profession de Foi qu’il a fait lire dans toutes les mosquées, en 1019 (409 de l’hégire), pour fixer le credo officiel et interdire toute autre exégèse. Il ferma la porte de l’ijtihad ou effort de recherche personnel, encourageant l’imitation soumise, taqlid, au détriment de l’innovation, et réduisant le courant rationnel des mutazilites. Ce fut le début du déclin.

C’est à une époque ultérieure qu’ont eu lieu la révolution laïque en Occident, puis les premiers contacts entre la société musulmane et la laïcité. Ces contacts se sont réalisés à travers les guerres colonialistes européennes. On s’est trouvé, ainsi, face à un occupant non musulman, à des modes de vie non musulmanes, puis, en matière juridique, face à des tribunaux mixtes en Egypte et ailleurs qui introduisaient des lois non islamiques, à côté de la charia. Le choc terrible fut la chute de l’Empire Ottoman, et la déclaration d’un état turc laïque. Les postcoloniaux vont suivre, plus ou moins l’exemple turc (surtout les régimes de gauche).

Les voyages d’études puis de travail, vers l’Occident, qui ont suivi ce contact, vont mettre une élite, puis des masses, en contact avec des sociétés laïques. Des partis politiques, à l’image des partis de l’Occident (capitalistes et communistes) vont se former et se propager. Et à côté de l’islam majoritaire, dans son pays d’origine, on va se trouver devant un islam minoritaire, dans les pays de l’immigration, où ses adeptes se sont installés.

Face à cette laïcité introduite par la force militaire, et les alliances politiques avec les uns et les autres (Hussein de le Mecque puis AbdelAziz), la réaction de la société musulmane, et surtout de ses élites, fut de 4 sortes : « 1- Non 2- Oui, 3- Non mais, et 4- Oui mais.

Il est clair que le non est l’attitude des plus traditionnels. C’est une attitude de rejet, et d’attachement à la tradition. Son avantage fut de préserver la langue et la culture arabo-islamique, et d’éviter une perte totale d’identité. Le oui est la position de ceux qui se sont ralliés entièrement, ou presque, à cette nouveauté. Si l’on cite des noms comme Tahaa Hussein et Ali Abdel Razeq, parmi les précurseurs, la liste jusqu’aujourd’hui sera longue? Et l’on y trouve beaucoup d’intellectuels, et de cadres politiques.

Le Oui mais est l’attitude de ceux qui ont accepté la laïcité, mais avec des doses islamiques, qui prônent une laïcité partielle, qui veulent se concilier à la fois avec les masses et avec les exigences de l’étranger (occidental et/ou onusien). Le Non mais est l’attitude des intellectuels musulmans qui sont passés, après le rejet de la laïcité à la réflexion. Ils ont commencé à se mettre en question, mettant du coup en question l’histoire, les lois et la pensée islamique. Ils examinaient ainsi les points de différend, et cherchaient de nouvelles interprétations et des preuves pour convaincre, et pour se réconcilier avec le monde moderne. Dans cette catégorie on peut citer des noms comme (al-Afghani, Abdo, Iqbal, Mawdoudi, ben Nabi, Baqer as Sadr, Chariati, Chamsuddine, Adnan Ibrahim, Tareq Ramadan).

Face aux partis laïques, des partis islamiques ont été formés, parmi les premiers furent les frères musulmans (sunnite), et le parti Da’wa (chiite). Trois événements majeurs ont, récemment, eu lieu :

· la révolution iranienne, qui a instauré un état islamique.

· les réactions pour la stopper politiquement et militairement, et pour stopper, aussi, l’invasion soviétique de l’Afghanistan, à travers la propagation et la militarisation de la pensée salafiste, qui est du hanbalisme influencé successivement par Ibn Taymiyya puis par Muh. Ibn Abdel Wahhab (une tendance intransigeante envers la différence, et potentiellement violente)

· l’accès au pouvoir, en Turquie, du courant islamiste, pratiquant une certaine coexistence avec la laïcité d’Atatürk.

Ce schéma nous montre la complexité de la situation actuelle et la multiplicité de ses tendances. Les dits « printemps arabes », la montée de l’islam politique en Egypte puis sa chute, les guerres qui ensanglantent la Syrie, la Lybie et l’Irak (sans oublier l’Afghanistan, la Somalie etc…) et les exactions des salafistes et leurs luttes de fractions, ont terni l’image de l’islam politique, et ont renforcé un peu la position des partisans de laïcité. Mais l’engrenage et les guerres civiles risquent d’emporter tout le monde dans les sociétés touchées.

Les sociétés musulmanes (et orientales), étant plus attachées à leur foi, une laïcité extrémiste et antireligieuse leur est inacceptable. Beaucoup de musulmans (qu’ils soient majoritaires ou étrangers minoritaires) tiennent toujours à leur identité, leurs valeurs et à la famille. Si certains rêvent d’un régime islamique, les détails de ce rêve sont souvent vagues. Mais une réalité reste certaine : avant de gérer les autres il faut se gérer, soi-même. Beaucoup de penseurs insistent sur les valeurs islamiques, la décence (vestimentaire et relationnelle), la famille et le statut personnel comme bastion à défendre.

Dans son livre sur la laïcité, cheikh Mohammad Mahdi Chamsuddine, ex-président du CICS, la définit comme étant « la mode de vie qui écarte, de l’organisation de la société, de ses relations et de ses valeurs, toute influence ou orientation religieuse ». Selon lui, le système laïc se base sur la science expérimentale, l’organisation stricte qui nécessite une autorité centrale forte, et des relations humaines basées sur l’intérêt, la rivalité et la subjectivité des valeurs.il refuse le matérialisme que sous-entend la laïcité, et affirme que la religion est une affaire à la fois individuelle et sociale. En affirmant que l’islam, comme le christianisme sont victimes de cette laïcité, il dit que l’islam n’est pas concerné par les critiques laïques du christianisme, car l’islam n’a pas de clergé.

Il y cite quelques éloges de la charia, émanant de congrès et de juristes européens, qui ont vanté sa capacité et son évolutivité,. Et finit son livre par une défense du réduit qui reste pour la charia, dans le système laïque libanais, le Statut Personnel et la famille. Cette attitude est partagée par beaucoup d’autres penseurs, tels Tareq Ramadan, Adnan Ibrahim etc…

La laïcité, en tant que mise à l’écart du religieux, et réduction de son espace vital, trouve un allié dans le confort matériel et la civilisation des loisirs que favorise le développement technologique. Alors que les médias propagent le mode de vie occidental, et banalisent la violation des interdits de la religion, le confort matériel donne, même aux plus pauvres une illusion de force et un orgueil que ne possédaient pas les rois du passé (téléphone portable, voyages par le train, murs de béton qui protègent de la nature, soins médicaux etc..).

Mais le vide spirituel, s’il se fait au détriment de la religion, il se fait aussi au détriment de l’être humain dans sa profondeur, favorisant le nihilisme, et vidant la vie humaine de sens. Et si le sécularisme oblige la religion à se mettre en question, elle se doit, face à ce danger, de le faire, lui-même aussi. Ainsi, après plus de deux siècles de laïcité, un bilan s’impose :

Si l’on peut critiquer l’islam historique pour ses conquêtes et injustices, le christianisme pour son inquisition et ses croisades, on reproche à la laïcité ses guerres coloniales et sa politique basée sur l’intérêt au détriment de principes. Comme tout système d’idées transmises, la laïcité est devenue pour certains une religion, une identité sociale, voire une fierté nationale. Or, la maturité de la foi religieuse demande une remise en question et une rationalisation pour se libérer de l’empreinte des parents et des ancêtres, et pour adhérer directement aux principes et à Dieu. Si cette action est nécessaire pour tout croyant, elle l’est aussi pour tout laïque convaincu.

L’esprit scientifique vanté par les premiers laïques est en contradiction avec le parti pris, à l’école, pour une théorie contre une autre. Etre pour la théorie de l’évolution et contre celle de la création, c’est aussi attribuer, contre toute logique, l’ordre complexe du cosmos et la conscience de l’homme à des notions abstraites vides de toute force créatrice, comme le Temps et la Loi.

La neutralité des laïcs vis-à-vis des religions, leur impose de ne pas se transformer en une nouvelle religion, et de comprendre la logique des croyants. La décence des vêtements, par exemple, n’est pas un signe, mais une norme, qui vise à se faire respecter en société, au lieu de séduire, à garder un équilibre intérieur et à préserver la famille dont la stabilité et le maintien dépendent de la maîtrise de l’instinct sexuel.

À propos de cette famille, les sages laïques doivent chercher les raisons de l’échec du mariage civil. Surtout lorsqu’on se trouve devant 16 millions de célibataires, et lorsque l’éclatement de la famille cause des maladies sociales comme la solitude, les problèmes psychiques et la folie qui résultent de cette solitude, et, enfin, le problème de la vieillesse (15 mille morts pendant la crise de chaleur il y a quelques années). La famille étant un refuge, et le moyen de la transmission de la culture et des valeurs.

La nécessité de l’intégration des musulmans, par la laïcité, qu’on ne cesse de répéter, demande de préciser, au préalable : à quel modèle social il faut s’intégrer ? Surtout lorsqu’on se trouve devant un modèle variable sans cesse, et devant une dictature, ou presque, de modes de toutes sortes, modes générées par des stylistes, des acteurs, des chanteurs, des artistes et des sportifs, modes que l’intellectuel vient, à la fin, justifier, seulement.

À la place de l’intellectuel qui justifie, et du politicien qui cherche l’efficacité et la popularité, la laïcité a besoin du sage qui dit la vérité, même si la vérité blesse.

Au lieu de demander aux gens de consommer (c à d de manger et boire sans besoin, et d’acheter ce qui n’est pas nécessaire) ce qui provoque un gaspillage d’énergie et d’argent, et une perte de santé, il faut les aider à réfléchir, pour ne pas tomber dans le nihilisme et pour se donner un sens à la vie.

Dans un heurt de civilisation, c’est le faible qui a tendance à fléchir et à réfléchir. Mais l’impasse actuelle doit pousser tout le monde à s’y mettre. Le monde est devenu si petit, on est dans le même bateau, et on risque de se noyer ensemble. Ce que vous choisissez influence –plus ou moins – toute l’humanité. La réflexion sincère, la coopération, et l’audace de dire la vérité permettent d’améliorer la situation. Et comme Teilhard de Chardin l’a, déjà, dit : « tout ce qui monte, converge ».
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