LA MODERNISATION SANS LE CHANGEMENT !

Pierre Conesa

Ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, agrégé d’histoire, ENA

Il a dirigé pendant 10 an un une société d’intelligence économique

Auteur de Docteur Saoud et Mister Djihad, la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite (ed R Laffont, préf H Vedrine)

« La modernisation sans le changement » était le slogan public apparu à la suite de l’immense enrichissement de l’Arabie après la hausse pétrolière de 1973. Cette phase accélérée se conclut par l’attaque de la Grande Mosquée par des étudiants radicaux, élèves du grand Mufti le 20 novembre 1979.  Qu’est-ce que le changement en Arabie saoudite ? L’Arabie saoudite est un pays biface comme l’était l’URSS, la communication extérieure sert à masquer la réalité intérieure. Mais la propagande soviétique était organisée autour des partis communistes, la propagande saoudienne est totalement privatisée donc plus diffuse et difficile à décrypter. Cet article recense quelques uns des multiples partenaires de Riyad aux Etats-Unis et en France qui ont pris en charge la communication internationale ciblée d’un pays qui n’a pas les hommes pour le faire.  L’affaire Kashoggi après avoir secoué l’opinion publique, est aujourd’hui oubliée : preuve s’il en fallait de la puissance du Lobby.

“Modernization without change” was the public tag that appeared after the huge enrichment of Arabia after the Oil crisis of 1973. This accelerated phase ends with the attack of the Great Mosque by radical students, students of the great Mufti on November 20, 1979. What is change in Saudi Arabia? The country is a two-sided regime, as was the USSR; external communication serves to mask the inner reality. But the Soviet propaganda was organized with the hand of communist parties, Saudi propaganda is totally privatized, so it is more diffuse and difficult to decrypt. This article lists some of Riyadh’s multiple PR partners in the United States and France who have taken over the targeted international communication of a country that does not have the men to do so. The Kashoggi affair, after shaking public opinion, is nowadays forgotten: proof if it needed the power of the Saudi Lobby.

Ce slogan public apparu après la crise de 1973 et la hausse soudaine des prix du pactole pétrolier qui allait transformer le pays comme jamais, semble toujours d’actualité et encore au cœur du système saoudien. On se souvient que la phase de modernisation accélérée se conclut par l’attaque de la Grande Mosquée par des étudiants radicaux, élèves du grand Mufti le 20 novembre 1979. Peut-on réformer sans changer ? Parle-t-on de la réalité de la transformation du régime ou de l’apparence de changement qu’il veut donner à ses partenaires occidentaux ? Parle-t-on de changement de nature du pouvoir ? Il y a incontestablement le même problème méthodologique pour parler de l’Arabie saoudite qu’on avait connu par le passé dans le cas de l’URSS c’est-à-dire d’un régime à deux faces diffusant une propagande internationale enthousiaste que la réalité intérieure démentait. L’URSS faisait porter par les partis communistes l’image de la « patrie des ouvriers et du socialisme » en dépit de l’interdiction du droit de grève et de la répression des pays satellites, comme aujourd’hui l’Arabie finance le King Abdullah International Center for interreligious et intercultural Dialogue (KAICIID), magnifique fondation installée dans un des plus beaux palais de Vienne alors qu’aucune autre religion n’est autorisée sur son territoire. Mais si la propagande soviétique était organisée autour des partis et des compagnons de route, la propagande saoudienne est totalement privatisée donc plus diffuse et difficile à décrypter.

Ce slogan public apparu après la crise de 1973 et la hausse soudaine des prix du pactole pétrolier qui allait transformer le pays comme jamais, semble toujours d’actualité et encore au cœur du système saoudien. On se souvient que la phase de modernisation accélérée se conclut par l’attaque de la Grande Mosquée par des étudiants radicaux, élèves du grand Mufti le 20 novembre 1979. Peut-on réformer sans changer ? Parle-t-on de la réalité de la transformation du régime ou de l’apparence de changement qu’il veut donner à ses partenaires occidentaux ? Parle-t-on de changement de nature du pouvoir ? Il y a incontestablement le même problème méthodologique pour parler de l’Arabie saoudite qu’on avait connu par le passé dans le cas de l’URSS c’est-à-dire d’un régime à deux faces diffusant une propagande internationale enthousiaste que la réalité intérieure démentait. L’URSS faisait porter par les partis communistes l’image de la « patrie des ouvriers et du socialisme » en dépit de l’interdiction du droit de grève et de la répression des pays satellites, comme aujourd’hui l’Arabie finance le King Abdullah International Center for interreligious et intercultural Dialogue (KAICIID), magnifique fondation installée dans un des plus beaux palais de Vienne alors qu’aucune autre religion n’est autorisée sur son territoire. Mais si la propagande soviétique était organisée autour des partis et des compagnons de route, la propagande saoudienne est totalement privatisée donc plus diffuse et difficile à décrypter.

 Comment ce pays qui a fourni 15 des 19 terroristes du 11 septembre, le plus gros contingent des combattants étrangers de Daech, classé en tête des condamnations à mort par tête d’habitants (avant la Chine et l’Iran), pratique le même islam intolérant et cruel que Daech, condamne Raef Badawi à  1000 coups de fouet et 10 ans de prison, ou le neveu de l’Ayatollah Nimr al Nimr à la décapitation et crucifixion, punit de mort le « blasphème » et l’athéisme assimilé à du terrorisme, envahit le Bahreïn pour s’opposer à une révolution populaire et enfin provoque une crise humanitaire révoltante au Yémen, connait le pire système d’oppression des femmes, peut-il être analysé ? Comment mesurer le changement ?

Commençons par la façon dont nous appréhendons ce pays. Ci-dessous un travail fait par un site d’opposition installé aux USA qui a repris 70 ans de « Une » du New York Times à chaque changement de tête à Riyad et chaque fois avec une imperturbable constance, le nouveau souverain est annoncé comme « l’homme du changement »[i]

Ce recensement traduit deux choses : d’abord que personne ne pénètre les rouages du système adelphique saoudien dans lequel un octogénaire avec des intentions « réformatrices » devrait succéder à un nonagénaire ranci. On comprend mieux pourquoi l’apparition soudaine de Mohamed ben Salman au pouvoir donne enfin consistance à cette hypothèse journalistique du changement répétée à l’envie : jeune, beau garçon, rompant avec le processus de succession… Il personnalise le « nouveau » régime avec son image glamour de prince héritier moderne qui a compris mieux que ses prédécesseurs le rôle de la communication.

Deuxième caractéristique médiatique : le moindre signe du nouveau dirigeant est immédiatement pris comme la preuve évidente du « changement » : les femmes sont autorisées à conduire – alors que l’Arabie est le seul pays de la planète dans lequel elles étaient interdites- ciel, quel changement ! On constate alors combien les critères de jugement sur ce pays se sont dégradés avec le temps, l’Arabie étant parvenu à nous faire penser que « le pays était rétrograde et content de l’être !». Si demain Kim Jong Un ouvre un Mac Do à Pyong Yang va-t-on considérer que la « démocratie progresse » ?

La communication internationale s’est progressivement imposée comme une nécessité aux autorités. Le pays déstabilisé par la naissance d’Al Djazirah, la chaine du rival qatarien puis par le traumatisme du 11 septembre, a senti l’urgence d’une véritable politique de communication internationale. Il fallait sortir des méthodes classiques de contrôle des media arabes, par financement ou rachat de grands journaux publiés dans les années 70-80, par des éditeurs et journalistes libanais et palestiniens, comme Al-Hayat, « Sharq al-Awsat » (1978). La Saudi Broadcasting Authority (SBA) anciennement SBC, contrôlait 10 chaines de télévision et 7 radios. Mais cet immense dispositif médiatique n’avait jamais réussi à asseoir sa légitimité, ni au nom de la liberté de la presse et encore moins « au service des intérêts des Arabes et des Musulmans » selon l’expression consacrée dans la rhétorique saoudienne.  Al Jazeera disposant d’une liberté de ton exceptionnelle dans la région trouva rapidement son public et en 2003 en réplique l’AS lance Al Arabiya, mais sans véritable succès.

Alors communiquer comment surtout après le 11 septembre 2001 ? Le pays ne dispose d’aucun intellectuel présentable sur des plateaux télé, sauf des religieux obtus mais très actifs sur les réseaux sociaux ; n’a pas de diaspora à l’étranger donc pas d’organisations sociales structurées à la différence de certains pays maghrébins et enfin le pays a trop d’ennemis désignés : les Frères Musulmans, l’Iran, le Qatar, les Houthis au Yémen, Daech, les Princes « félons », ce qui rend le ciblage de la communication internationale difficile. Dès le 12 septembre 2001, la firme américaine Qorvis vient démarcher les autorités saoudiennes pour les convaincre de son savoir-faire. La cible première va être par une frénésie de relations publiques, d’ affirmer que la Commission d’enquête sénatoriale n’avait trouvé aucune preuve d l’implication de l’Arabie dans les attaques contre le World trade Center : succès puisque le président classe Secret Défense les 28 pages du rapport du Congrès qui incriminent l’Ambassade saoudienne à Washington et immédiatement G W Bush désigne les Pays de l’Axe du Mal … Iran, Irak, et Corée du Nord.

Depuis le 11 septembre, les contrats saoudiens aux USA n’ont cessé de se développer. Riyad a engagé la société de Patton Boggs LLP à Washington ; évidemment la société Qorvis (14 millions de dollars par an rachetée par Publicis en 2012). Mais c’est la fantastique arborescence de sociétés sous-traitantes qui caractérisent le lobbying saoudien et rend l’analyse difficile : Targeted Victory, cabinet de conseil républicain basé à Alexandria, en Virginie ; Zignal Laboratories, pour mener des enquêtes sur l’opinion publique et l’image de l’Arabie saoudite aux États-Unis, le cabinet d’avocats Hogan Lovells (HP Goldfield), la société de Patton Boggs LLP à Washington, et le groupe Albright Stonebridge (Madeleine Allbright) ; Hill & Knowlton (depuis 1982) et DLA Piper, Pillsbury Winthrop… En septembre 2017, le ministère de la Justice des États-Unis indique que Edelman et The Podesta Group ont été embauchés par des intérêts saoudiens etc… Le Budget annuel total de communication serait de 1 à 2 MM$par an si on ne compte que les contrats passés avec les consultants étrangers. La cible première reste les Etats-Unis, car depuis longtemps l’avenir du régime s’y joue. Aujourd’hui la politique saoudienne couvre la planète grâce à ses contrats avec les “Big Five” de la communication :  les trois Américaines, Interpublic, Omnicom et WPP et les Français Publicis et Havas Worldwide.

MBS renouvelle quelques thèmes de communication essentiels : d’abord personnaliser le régime. La plus grosse opération ce propagande pour préparer sa venue en Europe est la distribution gratuite à partir de mars 2018 de 200 000 copies d’un magazine lénifiant de 100 pages dans les aéroports et les grandes surfaces WalMart, Safeway and Kroger’s. Comme dit un expert le magazine « Disneyfies Saudi Arabia as “the Magic Kingdom. » It’s easily the most uncritical encommunium to MBS (C’est l’Arabie saoudite vue par Disney) “.

Ensuite le jeune prince va «libéraliser » la société civile, quelques actions médiatiques mais politiquement insignifiantes rencontrent un grand écho médiatique : Organisation d’un tournoi d’échecs (excluant les Israéliens), un premier Salon du Livre à Riyad, Organisation de concerts, création de parcs de jeux : Quiddiya, le nouveau « Saudi Mickey » sera le plus innovant et le plus grand centre de loisir du monde….

Lutter contre la corruption avec la très médiatique opération du Ritz qui a rapporté environ 107 milliards de dollars (40 % en liquidités et 60 % en actifs) ce qui permit à MBS de prendre le contrôle du groupe de presse MBC.

Enfin affirmer le pays comme acteur de la lutte anti-terroriste….

Tous ces axes de communication ont été contredits par les faits. Pour la libération des femmes, l’emprisonnement de neuf féministes saoudiennes torturées en prison, demandant simplement la fin du tutorat et/ou la récente de demande d’asile politique au Canada de Rahaf Mohammed Al Qunun, femme saoudienne évadée avec l’aide d’un réseau de femmes ayant vécu la même expérience. La revue Insider a publié un article décrivant Absher, une application informatique gratuite lancé par le gouvernement en 2015, valable sur Google Play Store et Apple’s App Store, qui donne aux hommes « le pouvoir d’arrêter des femmes essayant de partir sans autorisation ». Apple et Google ont supprimé cette application, Google a refusé. En contrepoint de la campagne de lutte contre la corruption, l’achat par MBS du Château de Louveciennes et du Yacht princier peu après l’opération du Ritz. La seule réforme significative est la réduction du pouvoir de la police religieuse les Muttawa en avril 2016. Les membres du Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice ne sont plus autorisés à arrêter des « suspects », mais doivent les signaler aux forces de sécurité.

L’action en France

La France est un partenaire secondaire pour Riyad, et on y retrouve les grands axes de la politique de communication dans d’autres démocraties. De plus le parlementarisme français n’obligeant pas les lobbys à la transparence comme l‘impose la démocratie américaine ou le Parlement européen, certains liens contractuels peuvent être prouvés, d’autres plus informels relèvent de l’auto-censure, d’autres enfin de logiques d’opportunité. En termes de propagation du salafisme, la France ne semble pas une cible prioritaire d’abord parce que la population musulmane est majoritairement maghrébine et que la laïcité y est un principe législatif. Les Frères Musulmans bien implantés, y sont aussi un obstacle majeur. Le but est donc d’abord de maintenir un lobby d’influence efficace mais limité aux niveaux décisionnels à travers de grandes sociétés de RP.

Le lobbying se décline sur trois cibles : d’abord l’action auprès des décideurs politiques qui se concrétise presque systématiquement par une lettre d’intention de futures signatures de contrats signée lors des visites officielles. Ceci permet à l’homme politique de rentrer triomphalement au pays :Valls 10 MM $, Trump 110 MM$ mais aucun contrat signé depuis. Les hommes d’affaires, seconde cible, se retiennent quand ils s’entendent annoncer les ambitieux projets saoudiens : Neom , la cité du Futur 500 mm $ ou la privatisation d’Aramco. On veut y croire, bien qu’aucune des différentes Tech Cities annoncés par les monarques précédents n ‘ait jamais atteint ses objectifs et que la privatisation tarde. Enfin les élites de la communauté musulmane dernière cible, doivent rester d’une grande prudence : aucune dénonciation de la guerre au Yémen ou des arrestations de femmes. Est-ce parce que le pays a réussi à faire croire que « critiquer l’Arabie saoudite, pays des Lieux Saints, c’est critiquer l’Islam ? » ou parce que la gestion des visas pour le Hadj est un puissant levier de contrôle des communautés musulmanes à l’étranger ?

Publicis est un partenaire essentiel sur l’ensemble du spectre (USA, Bruxelles, Paris) surtout depuis le rachat de Qorvis, responsable de l’action au Parlement européen. MSL Brussels, autre filiale de Publicis, a un contrat qu’elle souhaite garder secret. Parmi les services fournis : la gestion de site web et des réseaux sociaux dans la capitale de l’UE, l’organisation de rencontres avec des parlementaires européens et autres décideurs bruxellois, l’écriture « d’éléments de langage » décrivant l’Arabie saoudite comme un rempart contre le terrorisme et sa guerre au Yémen comme une opération humanitaire, ou le placement dans les médias d’articles dépeignant le régime sous un jour favorable. Largesses saoudiennes dont a également bénéficié son concurrent Havas (groupe Vivendi) ou encore Steele & Holt, cofondée par Sylvain Fort, conseiller en communication d’Emmanuel Macron. Parmi les autres sociétés de RP françaises, Edile Consulting (ELN Group) créée par Souid Sihem, ancienne policière, conseillère au cabinet de A Montebourg. Sollicitée après les attentats du 13 novembre, elle publie à compte d’auteur, une apologie intitulée « L’Arabie Saoudite, ce pays méconnu » et fait la publicité du Forum pour le dialogue des civilisations (KAICIID) créé par ce pays. Elle semble avoir renoncé au contrat avec l’Arabie pour gérer la crise de l’embargo décidé par Riyad. François-Aïssa Touazi, ancien conseiller au cabinet de Douste Blazy au Ministère des Affaires Etrangères de 2005 à 2007, a fondé CAP MENA, un think tank spécialisé sur les questions économiques et financières du monde arabe. Il publie un livre confidentiel « Le ciel est leur limite » Editions du Golfe (Oct 2014), maison d’Editions domiciliée 1 rue Maréchal d’Ornano, 20000 AJACCIO (aucun résultat sur Amazon). Son cabinet a organisé en Mai 2018 un voyage tous frais payés, mélange de parlementaires (Bocquel, mme Amélia Amal Lakrafi), d’élus locaux (Fadela Mekal conseillère municipale de Paris) de journalistes et d’experts (Levallois, Dazi Heni) d’anciens diplomates… un voyage à Riyad mais sans rencontre avec des officiels de haut niveau.  Toutes ces activités ne sont mentionnées, ni par Publicis, ni par Havas sur le registre du lobbying mis en place en 2017 sous l’autorité de la Haute autorité pour la Transparence de la Vie publique (HATVP).

Autre technique, solliciter des personnalités parisiennes : Jacques Attali, conseiller économique du Royaume depuis 2,5 ans qui joue le rôle de Sherpa de MBS ; Richard Attia, organisateur du Business forum de Riyad ; Christine Ockrent, journaliste, chroniqueuse, auteur d’une biographie sur MBS qu’elle reconnait ne pas avoir rencontré ; Nicolas Sarkozy se rend au Business forum malgré l’affaire Kashoggi enfin Alexandre Adler chroniqueur, célèbre pour la quantité informations généralement présentées comme émanant « des services de enseignements, bénéficiaire d’un contrat depuis mai 2018, écrit un étonnant article[ii] attribuant l’assassinat de Kashoggi … à Erdogan, article repris par la chaine saoudienne Al Arabiya.

Le ventre mou du système français semble être l’action auprès des parlementaires ou d’anciens ministres: Michèle Alliot Marie et Rachida Dati, députées européennes n’ont voté aucune des résolutions dénonçant les atteintes aux droits de l’homme et des femmes dans le Royaume même au plus fort de l‘affaire Kashoggi.

L’action sur l’Islam de France est marquée par la dualité. L,e rapport Al Karaoui fait pourl ‘Institut Montaigne parle pour la première fois de la « wahhabisation de l‘Islam de France » et évoque l’influence prépondérante de prédicateurs saoudiens dans la propagation d’un message rigoriste. Il illustre à travers cinq d’entre eux personnalités parmi les plus influentes du monde, cumulant des millions d’abonnés sur les réseaux sociaux parfois plus que le Dalaï-Lama et le Pape et à peine moins que le compte du président des Etats-Unis. Une première mesurette annoncée à l’occasion d’une visite française : le changement récent du recteur de l’Université de Médine, comme « preuve de la réforme ». Mais de nombreuses bourses d’études sont proposées à des citoyens français vers des universités islamiques à La Mecque (université al-Mukkarama), à Médine (université al-Munawwara) ou à Riyad (université Ibn Saûd), afin de concurrencer directement les grandes universités historiques comme Al-Azhar en Égypte, la Zaytouna en Tunisie ou Al Karawiyine au Maroc. Il y aurait environ 120 Français à Médine dont les autorités ont toujours refusé de donner l’identité. Leur nombre est inconnu à Riyad. 

Au delà de publications de livres de complaisance comme certains cités, l’AS mène Le financement d’actions culturelles à forte résonance médiatique : participation au département des arts islamiques du Louvre ; achat du tableau « Salvator Mundi » de Leonard de Vinci exposé au Louvre d’Abou Dhabi, pas en Arabie ; exposition sur le site Al Ulla à’Institut du Monde Arabe avec une carte régionale ne mentionnant pas Israël.

Bref on pouvait commencer à croire que le pays allait « changer », sans l’affaire Kashoggi.

Après la tournée médiatiquement triomphale du Prince Héritier Mohamed Ben Salman aux USA, en Grande Bretagne et en France, l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi a provoqué un séisme politico-médiatique.

Le meurtre a révélé la vindicte du régime contre les « Félons », ces traitres qui connaissent bien le système, et le dénoncent. Kashoggi n’est que le dernier en date et le plus en vue des 5 « princes disparus d’Arabie saoudite » (Saudi Arabia’s Missing Princes documentaire de la BBC juin 2017). Tous avaient en commun de s’être exprimés en public contre le régime saoudien.  La politique d’enlèvement commencé sous les règnes de Fahd et d’Abdallah, et poursuivi mais de façon plus brutale aujourd’hui, a longtemps bénéficié du silence médiatique international. L’image très négative des princes milliardaires saoudiens explique sans doute l’absence d’intérêt pour des enlèvements qui ressemblent à des règlements de compte mafieux, toujours plus ou moins obscurs Mais sont également visés des citoyens qui font fonction de journalistes : exemple le black-out sur les manifestations dans le gouvernorat d’Al-Qatif, à majorité chiite. Les blogueurs sont particulièrement ciblés. L’écrivain Nazir Al-Majid qui avait publié, en avril, un article intitulé “Je proteste, donc je suis un être humain” sur le site d’informations rasid.com, est toujours emprisonné. Le meurtre a soudainement révélé le visage du pouvoir wahhabite auquel on convenait d’accorder un satisfecit poli. Le régime a dû compter sur tous ses « amis » pour retrouver sa place et faire oublier son forfait. Aujourd’hui le calme est revenu. Le pays qui a dirigé la commission des droits de l’homme de l’ONU, est à la tête du « groupe consultatif » de l’ONU chargé de sélectionner les rapporteurs sur les « violences faites aux femmes », avec le soutien de 4 pays membres de l’UE (dont la Belgique, mais sans la France).

Pourquoi protester ?

Le 12 juin 2019, le Parlement autrichien vote une motion appelant à résilier le traité sur lequel KAICIID est basé dans la capitale autrichienne. Il appelle également à «utiliser tous les moyens politiques et diplomatiques disponibles» pour empêcher l’exécution de Murtaja Qureiris, un jeune de 18 ans accusé d’infractions liées à sa participation à des manifestations anti-gouvernementales. Le Canada a élevé une protestation pour prendre la défense des 9 femmes emprisonnées, réplique saoudienne : rupture des relations diplomatiques !

 Le Davos du désert n’a donc eu à gérer aucune défection significative. Selon un témoin, « de nombreux délégués refusent cette année d’être cités dans les médias. Certains cherchent à échapper aux radars, en retournant leurs badges ou en les cachant derrière leurs cravates. D’autres hésitent à donner leur carte de visite aux journalistes ». Les affaires peuvent reprendre. Philosophe et femme d’affaires, il est difficile pour Elisabeth Badinter qui possède 35% de Publicis de rester cohérente à travers ses divers engagements entre son appel au boycott des marques proposant « la mode islamique ». En 2009, lors d’une mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, Elle avait affirmé : « A supposer que j’aille en Arabie saoudite, je serais obligée de mettre un voile. C’est pourquoi je n’irai jamais. » La même année, la philosophe critiquait ouvertement le wahhabisme, dans une lettre ouverte « à celles qui portent volontairement la burqa. So What ?

Le 29 mai 2019, selon le site Middle East Eye, évoquant des sources gouvernementales, les autorités saoudiennes auraient annoncé leur intention d’exécuter le cheikh Salman Al-Awdah, coupable d’avoir soutenu publiquement une vision modérée de l’Islam, et accusé de dissidence et de 37 chefs d’accusation. Il est entre autres, accusé d’avoir « incité l’opinion publique à s’opposer au dirigeant » et d’avoir manifesté publiquement sa réticence envers le boycott contre le Qatar, avoir soutenu les révolutions du printemps arabe, militer pour l’établissement d’un « État des droits et des institutions » en Arabie saoudite et se prononce en 2016 contre la criminalisation pénale de l’homosexualité. Le prédicateur saoudien âgé de 62 ans, suivi par quelques 14 millions de followers sur Twitter, connu pour son approche réformiste, a été arrêté en septembre 2017. Pour François Zimeray, avocat et ancien Ambassadeur de France pour les droits de l’Homme :« L’Arabie Saoudite est devenue le royaume infréquentable de la lâcheté, de l’arbitraire et du sang, un pays où l’on assassine pour un tweet et où même des mineurs et des femmes sont condamnés à mort. Il ne s’agit pas d’une exécution mais bien d’un crime et les responsables et tous ceux qui auront prêté la main à cette entreprise criminelle seront poursuivis sans relâche ». Donc actuellement, en Arabie, un prédicateur salafiste incitant à la haine de l’Autre, à l’antisémitisme, à l’homophobie, au sectarisme, à la misogynie et au racisme, à l’intolérance contre les mécréants… ne risque rien, un réformateur la peine de mort !.

C’est donc un cas pour école de journalisme ou de relations publiques. Le mouvement de réforme de l’Arabie n’est-elle que la version étatique du Moon Walk de Michael Jackson qui semblait avancer alors qu’il reculait ? En conclure que l’Arabie ne bouge pas serait excessif : tout bouge pour que rien ne change … et tout le monde s’en satisfait.


[i] Seventy Years of the New York Times « Describing Saudi Royals as Reformers » By : Abdullah Al-Arian Site http://www.jadaliyya.com/Details/34727

[ii] https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/11/25/31002-20181125ARTFIG00191-alexandre-adler-questions-sur-l-affaire-khashoggi.php

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