La mort ou l’échec de la défense européenne dans les Balkans ?

Général (cr) Henri PARIS

Président de Démocraties

2eme Trimestre 2011

POSER LE LIBELLÉ DU TITRE de cette très courte (étude à l’interrogatif revient à y répondre. Non seule ment il n’y a pas eu de défense européenne dans les Balkans durant les guerres «qu’ils ont subies dans la décennie 1990, mais, de fait, l’Europc institutionnelle a é »e à pieu près absente du conflk, a fortiori, dc son eppareil de défense. Qu’il y ait échec, assurément donc ! Mort pie ut-être pas, parœ quf si mort ou inexistence il y a, de toute défense européenne durant les guerres balkaniques, ce qui est un constat, en revanche, la leçon d’une nécessité de bâtir cette défense aurait pu être tirée.

À cet effet, est dressé un bilan dece qu’il en est CnC011,en préalable.

L’historique des guerres balkaniques, plusieuts fois reiracé, n’offre pour la Oé-marche que l’intérêt d’une analyse des raisons de t’inaction, voire de l’absance de tout système de forces armées européennes et plus krgement de l’Europe institu­tionnelle. (C’est pourquoi l’exumen s’attache uniquement à ceite analyse et non à un historique déjà maintes fois entrepris. La démarche porte, de fait, sur les relations entre l’ONU, l’OTAN et l’Union européenne . Interaiennont des constantes dont l’excmen démontre bien que ce ne sont pas des cas fortoits et dont  »Europe, en tant atie telle, est iCrémédiablement absCnte.

Les mafias, sans être une spécificité balkanique son » un facteur prospérant’ peu pris en compte par l’Europe.

Une prospective s’efforcera, par ailleurs, de déterminer l’avantage que peut pro­curer une défense européenne.

Bilan de l’action de défense européenne en 2011

L’Europe militaire ne s’est guère signalée durant les guerres balkaniques. Comme fait significatif, il est possible de relever la prise en charge par une administration européenne, le 23 juillet 1994, de la ville de Mostar en Bosnie-Herzégovine, ravagée par la guerre. Les administrateurs ont pu faire procéder à la reconstruction de la ville, après l’accord de Dayton, et arriver à sa réunification alors qu’elle était partagée entre musulmans et Croates.

Il a fallu attendre le 1er janvier 2003 pour que la Mission de police en Bosnie (MPUE) remplace le groupe international de police des Nations unies. La MPUE est la première opération de gestion civile d’une crise menée par l’Union dans le cadre de la politique de sécurité et de défense. Elle est prévue pour durer jusqu’au 31 dé­cembre 2011. Parallèlement, les forces de l’OTAN en Bosnie (SFOR) doivent être progressivement relevées par des contingents européens sous administration de l’UE. Ce sera le seul engagement de contingents européens fournis par les États membres, chacun pour soi. Il ne sera pas constitué de force européenne en tant que telle.

Toujours dans la même année, l’UE inaugurait la première opération mili­taire de son histoire, Concordia, en prenant la succession des forces de l’OTAN en Macédoine. Après le retrait de Concordia en décembre 2003, une mission de police Proxima, suivie d’une autre, Eupat en Macédoine, ont assuré une présence euro­péenne jusqu’en juillet 2006.

Après que ce qui a été appelé la guerre du Kosovo a été réglé par l’OTAN, c’est-à-dire essentiellement par l’aviation américaine, une force au sol, la KFOR, a achevé la conquête de la région. La KFOR comprenait bien des contingents européens, mais sous commandement américain. Alors, des contingents européens restèrent présents au Kosovo, où se prolongea la plus large mission (EUMM) civile jamais menée dans les domaines de la police, de la justice et de l’administration. Le mandat de l’EUMM, arrivé à échéance le 14 juin 2010, a été prorogé. De fait, le Kosovo est sous tutelle, sans laquelle la lutte entre Serbes et Albanais reprendrait.

Ces missions de police, s’appuyant sur une présence armée, ont toutes pour rôle essentiel de former une force de police professionnelle et multiethnique. L’UE a l’ambition d’engager cette force contre la criminalité organisée au premier chef.

Le bilan est donc mince. Les faibles résultats concernent particulièrement les missions civiles de police. À remarquer, cependant, que leur sphère de compétences n’est jamais très éloignée d’un maintien de l’ordre par des moyens militaires.

L’ONU, l’OTAN et l’Union européenne

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la géostratégie américaine eut pour dessein affiché de déterminer les trois théâtres intéressant au plus haut chef ses intérêts et de les assujettir à sa suprématie : l’Europe, le Proche- et le Moyen-Orient, et l’Extrême-Orient.

La guerre froide conduisit à donner au théâtre européen une importance pré­pondérante, qu’illustrent l’Alliance atlantique et son organisation militaire intégra-tionniste, l’OTAN. À la fin de la guerre froide, la position américaine n’avait pas changé. Mieux, Washington obtint que l’OTAN soit considérée comme le bras armé de l’ONU et autorisée à intervenir en dehors de l’aire géographique délimitée par son traité fondateur.

C’est ainsi que l’OTAN, entre autres, opéra en Afghanistan à partir de 2001 et avant dans les Balkans qui, contrairement à l’Afghanistan, correspondaient à l’aire couverte par le traité.

La décennie 1990 s’ouvrit avec le conflit balkanique. L’Europe, en tant qu’ac­teur international, n’était qu’une velléité qu’allait concrétiser le traité de Maastricht de 1992, au niveau des principes, mais certainement pas au-delà et notamment d’une réalité tangible. Les progrès ne se firent que lentement, très et trop lentement sentir. Donc, toute politique de défense européenne, même dans les limbes, et par conséquent toute force militaire européenne constituée étaient inexistantes, lorsque s’amorça le conflit balkanique.

Une réalité s’impose d’emblée. Les guerres balkaniques s’annoncent par une crise latente qui monte en tension avec la mort de Tito, le 4 mai 1980. La crise prend un tour violent en mars-avril 1981, lors d’émeutes provoquant une répres­sion sanglante au Kosovo, où des dizaines de milliers de manifestants albanophones réclament le statut de république et non plus de province autonome, ce qui n’est qu’un prélude à une revendication indépendantiste. Le début de la guerre dans les Balkans peut être daté de la proclamation d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, le 25 juin 1991. Ces faits, notamment leur maturation, sont antérieurs à la signature du traité de Maastricht et encore plus de son entrée en vigueur, qui n’intervient qu’en 1993.

Il en résulte tout naturellement que l’Europe, face à la crise balkanique, était incapable d’avoir une politique commune bien définie et encore moins une force armée pour mettre en œuvre un concept de prévention, et encore moins de gestion de la crise. Il est alors d’une logique absolue que le Conseil de sécurité de l’ONU ait confié à l’OTAN la tâche d’appliquer les résolutions qu’il avait votées, après que l’ONU, en soi, eut fait preuve de son impéritie sur le terrain.

Dans le souci de faire accepter par la Russie l’élargissement de l’OTAN, Washington accepta, par les accords signés à Paris le 27 mai 1997, que la Russie soit, elle aussi, partie prenante au règlement balkanique. Ce faisant, le rôle de l’Eu­rope institutionnelle s’amoindrissait d’autant. Les accords, sur une base principale, organisaient une coopération entre l’OTAN et la Russie. L’absence de l’Europe dans la crise balkanique ou ses velléités, traduites par des échecs, s’expliquent dans une rigoureuse logique. L’Europe n’a rien fait parce qu’elle n’existait qu’à l’état de schéma virtuel, sans aucun moyen. À sa charge, elle tergiversait, de plus, à se les donner, ces
moyens !

Autre raison, et non des moindres, à l’inexistence de toute prévention de la série de guerres qui ont secoué les Balkans, s’ajoutait la méconnaissance globale du problème par les Américains détenant la toute-puissance impériale dans la région. Alors, les conflits armés se sont enchaînés. Quant aux Européens, ils n’avaient qu’à contempler le désastre. Ils auraient pu en tirer une leçon, mais fallait-il encore qu’ils le veuillent !

La question primordiale et vitale était de déterminer s’il s’agissait de la préven­tion ou de la gestion d’une crise que la communauté internationale n’a pas su parer, au risque d’une dégénérescence aboutissant à un conflit armé, dont on ne peut plus prévoir l’ampleur et l’extension.

De prime abord, faut-il encore s’entendre sur ce que l’on entend par com­munauté internationale et la définir. En effet, les 192 États représentés à l’ONU ne constituent certainement pas la communauté internationale engagée dans les Balkans. Se sont retrouvés impliqués dans les affaires balkaniques six États : États-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie, Allemagne et Russie. Quatre de ces États sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui en compte un cinquième, la Chine, géographiquement, politiquement et économiquement pas toujours intéressée par les Balkans, encore que l’Histoire porte la trace d’une étroite alliance sino-albanaise du temps de la guerre froide. L’Allemagne et l’Italie s’ins­crivent dans un rapport de voisinage historique ancien et récent avec les Balkans, et peuvent très légitimement revendiquer un rôle dans la région en s’appuyant sur des moyens bien réels. Donc, la communauté internationale, apte à agir dans les Balkans, compte moins d’une dizaine d’États, faute de l’Union européenne.

Que l’ONU, par la voix de son Conseil de sécurité, ne puisse avoir une action autre que de donner de la voix, sous forme d’une résolution, suivie d’effet ou non, est un point acquis depuis plus d’un demi-siècle. L’ONU, contrairement à sa charte fondatrice, ne dispose pas de force armée ni d’un état-major, autrement, en ce qui concerne seulement ce dernier, qu’en filigrane. En revanche, le Conseil de sécurité peut mandater un État ou un groupe d’États pour faire appliquer une résolution. Il est évident que l’entité étatique mandatée est censée mener son mandat jusqu’au ré­sultat choisi ou jusqu’au temps prescrit. L’État ou les États peuvent aussi se passer d’un mandat de l’ONU, en excipant de l’article 51 de la charte. C’est ce qui s’est produit, entre autres, lors de l’attaque par les Américains et leurs alliés contre l’Irak en 2003.

La prévention d’une crise est une opération préférable à sa gestion. Mais qui va prévenir et comment ? Si le problème est de déterminer les acteurs de la prévention, il y a renvoi immédiat sur le problème précédent déjà traité de la communauté internationale. Les modalités d’action comprennent des pressions diplomatiques mais aussi coercitives sous formes économique ou militaire, au moins leurs me­naces. Alors, qui dit prévention sous-entend ingérence et droit d’ingérence. Or, ce droit n’existe pas ! L’expression est une invention à l’état pur. Cette prétention à couvrir d’un manteau légal une intervention militaire est une voie ouverte à tous les débordements et surtout un prétexte offert à toutes les agressions. Finalement, en septembre 1939, que faisait le IIIe Reich, sinon utiliser le droit d’ingérence, en envahissant la Pologne pour trouver une solution au problème de Dantzig ?

Les constantes balkaniques

Se retrouvent des constantes immuables. L’Allemagne éternelle, alliée de la Croatie au long des âges, quels que soient leurs régimes sociopolitiques respectifs et à travers la tradition héritée des Habsbourg, reconnaît l’indépendance croate auto-proclamée, sans attendre l’assentiment des autres membres de l’UE.

Ce sera le signal des guerres balkaniques. De fait, la situation, à l’origine, est encore dominée par la question de la négociation du traité de Maastricht, signé le 7 février 1992. La France délaisse la charte sociale, tandis que le Royaume-Uni dépasse ses réticences et s’aligne sur l’Allemagne. La France a agi ainsi, y voyant avec perspicacité un moyen d’échange vis-à-vis d’un abandon des réserves allemandes, surtout à l’égard du projet d’union monétaire européenne.

L’indépendance croate entraîne la poursuite du conflit serbo-croate et l’écla­tement de la Yougoslavie. L’extension du conflit à la Bosnie en 1992 est dans une suite logique inéluctable. Aux protagonistes locaux se mêlent différents interve­nants. Puisque les racines du conflit sont aussi bien ethniques que religieuses, se précipitent dans l’embrasement, à titre de volontaires étrangers, tous ceux qui, de par la terre, estiment avoir des intérêts matériels ou moraux dans le conflit. Les États musulmans ne sont pas en reste.

Les Européens, sur le fond, sont divisés. L’intrusion des volontaires musul­mans et du soutien des États musulmans aux Bosniaques ne leur plaît guère. Si les Allemands n’oublient pas leurs affinités croates, les Français ne peuvent gommer leur vieille amitié serbe de la Première Guerre mondiale, pas plus que la construction de la Yougoslavie selon une formule bien jacobine, de même que la Tchécoslovaquie. En somme, les Français tiennent encore à ce qui reste de l’héritage de Versailles de 1919. Les Allemands sont naturellement contre.

Cela explique que, au-delà des compromis sur l’autel de l’Europe, Français et Allemands soient bien décidés à ne pas agir en toute limpidité, car manœuvrer, réellement sans ambages, reviendrait à s’opposer mutuellement et ouvertement. Ensuite, comment réduire l’influence américaine qui draine derrière elle des isla­mistes en rupture de ban dont les États musulmans sont trop heureux de se débar­rasser ?

Ce n’est pas, certes, la reconnaissance allemande des indépendances croate et slovène, intervenues après le déclenchement du conflit ouvert en juin 1991, qui a provoqué les guerres balkaniques à leur début. Cependant, elle les a encouragées et, à partir de là, il y avait une difficulté extrême à toute solution de compromis, alors que cela était encore peut-être possible avant que les belligérants n’en arrivent au stade des atrocités.

Ces guerres balkaniques, aussi, confortaient une vision allemande sur sa réuni­fication pure et simple, par dissolution de l’Allemagne de l’Est. Ce n’était pas rien : une frontière internationalement reconnue disparaissait. Que l’article 1er du traité d’Helsinki de 1975, proclamant l’intangibilité des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale, s’évanouisse, en mêlant la disparition de la frontière interalle­mande avec celle des frontières inter-yougoslaves, n’était pas en défaveur d’une thèse allemande. Elle se posait en opposition à une velléité française recherchant une unité allemande dans un cadre européen schématisé par le concept de confédé­ration européenne, qu’avait avancé en vain le président Mitterrand.

L’alignement des États-Unis sur l’Allemagne et, même plus, leur tendance à précéder les Allemands sont motivés en tout premier lieu par leur ignorance des Balkans. Les problèmes ethniques, à l’époque, les dépassaient, ainsi que la nature exacte des islamistes. A joué, certainement, à égalité, un agacement permanent à l’égard des thèses françaises. Cependant, bien au-dessus de toutes ces considéra­tions, prédominait le concept de suprématie américaine qui ne pouvait accepter qu’un problème puisse se régler sur le théâtre européen sans la prépondérance amé­ricaine. L’UE n’avait pas sa place dans ce schéma.

L’absence d’intervention de l’Europe en tant que telle, dans le conflit balka­nique, s’explique, de plus, ainsi mieux par les divergences étatiques européennes que par un manque de structures communes, qui aurait pu être pallié par une simple alliance.

La communauté internationale susceptible d’intervenir dans les Balkans se ré­sumait aux seules parties prenantes allemandes et françaises au premier chef, aux­quelles pouvaient s’adjoindre les Britanniques. L’ONU s’est distinguée par un échec retentissant. Face au vide, les Américains se sont précipités, trouvant une excellente couverture à l’expansion de leur influence en poussant en avant l’OTAN. C’est ainsi qu’ont été conclus les accords de Dayton en 1995. L’Union européenne y a brillé par son absence, ce qui n’est pas passé inaperçu, surtout des États balkaniques inté­ressés au premier chef. Rien d’étonnant, alors, que ces mêmes États balkaniques se soient tournés vers les Américains à la recherche d’une protection, quitte à la payer d’une inféodation complète. L’UE vers laquelle ils se ruaient n’était pour eux qu’une cour des miracles, une corne d’abondance apte à subventionner tous les errements conduisant à la prospérité mythique d’une économie de marché.

Les Européens, en réalité et de fait, ont principalement limité l’aire d’action de leurs troupes à des actions humanitaires. Or, il pouvait en être autrement. Des États comme la France et l’Allemagne possédaient des forces militaires en capacité d’imposer une volonté politique. C’est cette volonté politique qui a fait défaut aussi bien dans le but poursuivi que dans la mise sur pied d’une coalition comprenant quelques contingents interarmes, face à un adversaire qui n’avait d’autre ressource que de s’effacer.

Les Américains ont parachevé leur démonstration de puissance lors du conflit du Kosovo.

Aucun conflit, dégénérant en guerre, n’éclate ex nihilo, pas plus que ses suites. La prévision peut être faite par utilisation de la prospective. Le coup de tonnerre dans un ciel calme ne surprend que ceux qui n’ont pas voulu voir venir l’orage. Les guerres balkaniques de la fin du xxe siècle n’échappent pas à la règle, d’autant plus que la question des Balkans était pendante depuis le xixe siècle. Au début du xxe siècle, la question balkanique a servi de prétexte au déclenchement de la Première Guerre mondiale. En effet, il s’agit bien d’un prétexte que l’assassinat d’un archiduc à Sarajevo, ville bosniaque totalement ignorée alors ! Si l’on devait engager une guerre mondiale à la suite de tout assassinat politique, la planète serait radicalement dépeuplée. La Seconde Guerre mondiale a éclaté sans que les Balkans soient en cause. En revanche, durant la guerre froide, les deux camps craignaient bien que l’implosion de la Yougoslavie, consécutive à la mort de Tito, n’enclenche la transition d’un affrontement mondial putatif en guerre nucléaire généralisée. Cela n’eut pas lieu parce que l’implosion yougoslave attendra dix ans après la mort de Tito, réfrénée par cette même guerre froide, par la volonté des deux camps de ne pas tolérer d’instabilité en Europe, quelle qu’en soit la raison, même au prix de l’acceptation d’une dictature. L’implosion yougoslave ne pouvait plus servir de prétexte ou de cause à une guerre, mais elle ne s’en produisit pas moins ainsi qu’elle était prévue et crainte depuis des décennies. Mais, au lieu d’une guerre mondiale, le conflit en resta à une guerre régionale, très simplement parce que l’un des deux blocs avait disparu. L’Europe en gestation, directement intéressée, resta impassible, faute d’exister réellement tant au plan politique que militaire.

La diversité nationale et ethnique de la région balkanique est exemplaire. Sur un espace assez étroit coexistent très mal sept ethnies principales : grecque, albanaise, roumaine, slave, magyare, tsigane et turque. Toutes parlent des langues différentes et pratiquent des religions diverses. Tout aurait dû les unir et tout les oppose. Le fédéralisme aurait été à même d’apporter une solution au moins partielle, que ce soit celui des Habsbourg ou de Tito. Ces constructions ont volé en éclats. Et l’Eu­rope, qui se veut unie et unifiante, s’est révélée incapable de maintenir la seule fédération qui ait réussi à se former dans cette mosaïque balkanique des peuples et d’ethnies après l’essai partiel historique conçu par les Autrichiens et avant eux par les Ottomans.

 

Les Balkans face à leurs mafias

En 2011, le retour à la paix, à une paix précaire certes, a été réalisé dans les Balkans. Le dernier conflit, celui du Kosovo, a trouvé sa solution dans une indépen­dance tant recherchée. La minorité serbe est la grande vaincue ainsi que la Serbie, encore une fois amputée. Le Kosovo, ainsi que prévu, n’a pas les moyens de son indépendance, qui n’est ainsi qu’une fiction. Le pays vit des prébendes de l’Union européenne, des pays membres et des États-Unis.

Les investisseurs ne se précipitent pas. Les Balkans jouissent de la détestable réputation d’abriter des repaires multiples de mafias locales. Déjà durant la guerre du Kosovo, l’aide humanitaire, fournie par les ONG, ne parvenait à destination qu’après péage levé par les divers groupes mafieux. L’Albanie a essaimé son système mafieux dans le monde, particulièrement en Europe occidentale. Selon un rapport établi en décembre 2010 par une commission parlementaire du Conseil de l’Eu­rope, Hashim Thaci, Premier ministre sortant du Kosovo et dirigeant prééminent des Kosovars albanais durant la guerre d’indépendance, est le parrain d’un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers exécutés pour les besoins de la cause. Le rap­port met également en question la rectitude de la gestion des autorités internatio­nales – ONU, OTAN, UE – en charge du Kosovo.

La situation, ailleurs, dans les Balkans, ne suscite que des comparaisons guère élogieuses.

La fin des guerres balkaniques a sonné le glas des économies centralement diri­gées. Le désordre et la fragmentation des intérêts, dominés par les mafias, ont im­médiatement altéré une économie de marché que les Occidentaux ont vainement essayé de mettre en place. Il s’ensuivit une chute du produit intérieur brut comme de la consommation, et l’apparition d’une hyperinflation. Les opinions publiques en vinrent à regretter les temps d’une économie planifiée et centralisée.

Les contrecoups de la crise financière et économique, née en 2008, ont encore noirci le tableau. La crise grecque a nécessairement porté la contagion.

La conclusion générale est donnée par le bilan que l’on peut tirer des résultats du traité de Maastricht, comparés non seulement aux actions entreprises par l’UE lors des guerres balkaniques, mais aussi à la teneur du projet de Constitution eu­ropéenne repoussé en 2005, puis repris sous une forme atténuée par le traité de Lisbonne conclu en 2007 et entré en vigueur en 2009.

L’Europe de la défense, quelle qu’en soit la forme, était mort-née durant les guerres balkaniques. Le traité de Maastricht avait essayé de lui donner une existence en projetant une ambition. Il n’en est rien sorti, sinon des amorces sans consistance. Circonstances atténuantes, le traité de Maastricht entre en vigueur en 1993, soit trois ans après le début de la crise balkanique que l’Europe de la défense ne pouvait prévenir par définition au titre de ce traité. Circonstance aggravante, les actions entreprises après 1993 sont insignifiantes.

Le Conseil européen d’Helsinki, en 1999, avait envisagé de créer un corps de réaction rapide, fort de 40 000 hommes, à l’horizon de 2003. Les faits n’ont pas suivi l’intention. Cet échec conduisit à ramener la prétention du Conseil européen, à Bruxelles en 2004, à former une quinzaine de groupements tactiques de quelque 1 500 combattants chacun. Deux sont en permanence opérationnels, en 2011, et ce depuis le 1er janvier 2007. Ils n’ont cependant jamais été testés. Faute d’un échec absolu, c’est la médiocrité ! L’enfer est pavé de bonnes intentions. En matière d’industrie de défense, de projet en projet, en 2011, on aboutit à l’existence d’une Agence européenne de défense. Là aussi, les résultats sont médiocres.

Les leçons que l’on pouvait tirer ont-elles porté leurs fruits ? Le traité de Lisbonne de 2007 est formel en son article 42. La mise en œuvre des forces, l’exé­cution de leurs tâches « reposent sur les capacités fournies par les États-membres ». Or, durant les guerres balkaniques, ces contributions ont été insuffisantes et aucun texte ne permettait d’enjoindre quoi que ce soit à un État. Le traité de Lisbonne n’a apporté aucune amélioration en la matière.

Bien plus, l’Europe peut se targuer de l’existence du Corps européen, précé­dé de la formation d’une brigade franco-allemande, créée bien avant le traité de Maastricht. Il s’agit d’une initiative franco-allemande. Les seuls États membres à avoir fourni des forces sont les Français et les Allemands d’abord, bientôt rejoints par les Belges, à raison d’une division par État partie prenante. Par la suite, les Espagnols et les Italiens ont renforcé le Corps européen, chacun avec une division. Cependant, quelle valeur opérationnelle peuvent avoir ces divisions espagnole et italienne, stationnant sur leur territoire national, alors que l’état-major du corps eu­ropéen est à Strasbourg, centre de gravité du corps ? Cette grande unité, alors qu’elle était encore franco-germano-belge au début des années 1990 et déclarée opéra­tionnelle, n’a jamais été engagées, en tant que telle, dans les Balkans. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu une absence notable de volonté politique européenne rencontrant l’impératif américain ne voulant pas d’une intrusion de l’Europe au détriment
de l’OTAN.

Ce même article 42 du traité de Lisbonne précise bien que la Politique euro­péenne de sécurité et de défense « respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique-Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) et est compatible avec la politique de sécurité et de défense commune arrêtée dans ce cadre ». La cause est ainsi entendue : l’OTAN prime, au détriment de toute identité européenne de défense.

Par ailleurs, le traité de Lisbonne rappelle opportunément, en son article 42 encore, qu’une capacité opérationnelle de l’Union vise à « assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la Charte des Nations unies ». On ne saurait mieux préciser par le rappel des missions et du rôle d’une force européenne même putative ou virtuelle que cette défense européenne ne peut se substituer à l’OTAN.

La défense européenne a reçu un coup sévère en 2010 de la part des Français. Ceux-ci sont revenus dans toutes les structures intégrées de l’OTAN qu’ils avaient quittées en 1966. Dès lors, comment plaider une défense européenne distincte de celle de l’OTAN ? Ce ne peut être que dans le cadre du pilier européen de l’OTAN, chargé de missions mineures et ayant reçu l’accord suprême otanien, c’est-à-dire américain. Indépendance et souveraineté européennes, où êtes-vous ?

L’Europe est structurellement en déshérence. En premier lieu, sur les 27 États, un n’a pas d’armée, Malte, et quatre autres sont neutres : l’Irlande, l’Autriche, la Suède et la Finlande. Pourtant, ils participent au processus de décision, pris à l’unanimité pour avoir sa pleine validité, ce qui équivaut à un droit de veto pour chaque État. À compter du 1er novembre 2014, entre en vigueur le système de la Coopération structurée permanente permettant à un groupe d’États de prendre une décision et de l’appliquer. Cependant, ce système est assujetti à la procédure dite de la « majorité qualifiée ». Celle-ci exige l’approbation de 55 % des États, soit 15, comprenant 65 % de la population. Existe une minorité de blocage au nombre de quatre États. La Coopération structurée permanente s’applique à tous les domaines, aussi bien à la constitution d’une force armée qu’à une coopération dans une in­dustrie de défense.

Il n’en demeure pas moins que réunir les impératifs nécessaires à l’adoption d’une mesure relevant de la défense s’apparente à l’acquisition de la quadrature du cercle.

Les guerres balkaniques, finalement, n’ont pas tué la défense européenne : elle était morte avant et n’est pas née après.

La raison est dans l’inexistence d’une volonté politique des États membres et dans une absence de clairvoyance pourtant aveuglante. L’Europe meurt de bouli­mie : comment obtenir un accord à 27 ou même à 15, intéressant la défense, sans opposition majeure ? Point essentiel, sur 27 États membres, ceux qui comptent en matière de défense sont ceux qui ont accepté de former le Corps européen, à savoir la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, avec le Royaume-Uni.

On pourrait y ajouter la Suède avec ses industries d’armement, mais elle s’est décla­rée neutre, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes que d’avoir une telle industrie axée fortement sur l’exportation, quand on est neutre. Ces États ont des forces armées et des industries de défense, de même qu’une tradition militaire. Les autres 21 États européens, au plan militaire, ne sont que des figurants.

De ces États aptes à former une défense européenne, il faut immédiatement détacher la Suède neutre et le Royaume-Uni, indéfectible allié des États-Unis, donc tourné vers le grand large et non vers le continent européen. Cependant, par-dessus tout, manque une volonté politique, apte non seulement à construire, mais aussi à dépasser les obstacles matériels.

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