La nouvelle dynamique politique et religieuse en Irak

Par Mirella GALLETTI

Géostratégiques N°7 -Avril 2005

Les élections générales irakiennes du 30 janvier 2005 ont donné une grande émotion aux démocraties dans le monde entier qui pendant des décennies souhaitaient la liberté pour
le peuple irakien. Nous étions un petit groupe, isolé et éparpillé dans tous les continents. Trop de gens ont banqueté à la cour de Saddam Hussein. La gauche a donné son aval idéologique au Baath laïc et socialiste, allié de l’Union soviétique ; la droite s’est enrichie avec le pétrole, les guerres et les affaires. Pendant des décennies les deux ont été aveugles et sourds quand le peuple irakien devait voter à 99,9% pour le satrape de Takrit et maintenant ils se disputent afin de déterminer si les élections de janvier ont été libres ou non.
Le peuple irakien ne s’est pas effrayé des attentats des terroristes islamiques du Jordanien Abou Moussab al-Zarquaoui et des baathistes de l’ex-dictateur Saddam. Les communautés arabes chiites et kurdes ont voté en masse. La faible présence arabe sunnite était prévue. Les élections ont souligné la crise des grandes idéologies (socialisme, nationalisme, arabe du Baath, communiste, Islam radical). Les Irakiens ont voté contre le Baath, contre le monopole du pouvoir, contre le chaos et la violence, pour une transition pacifique. Et presque tous les partis ont une base ethnique ou religieuse comme élément constitutif.
Sur un total des 8.456.266 voix, les électeurs ont éliminé 99 listes électorales et seulement une douzaine a obtenu les sièges au parlement. Les Arabes sunnites ont jusqu’ici largement refusé de s’intégrer au processus en cours avec le boycott électoral, mais les partis les plus influents ont déclaré vouloir être présents dans le gouvernement.
Les chiites sont représentés par l’Alliance unifiée irakienne composée par les deux formations religieuses Conseil suprême de la révolution islamique en Irak ( CSRII) et al-Dawa avec des liens étroits avec l’Iran parrainés par le grand Ayatollah Ali Sistani ( 48,1%, 140 sièges) ; la liste des irakiens ( 13,8%, 40 sièges) du premier ministre sortant, le chiite laïc Iyad Allaoui qui a de bons liens avec les Arabes sunnites et avec la CIA, Cadres et élites nationaux indépendants, proche du courant du chef radical chiite Moqtada al-Sadr ( 3 sièges) ; l’organisation de l’action islamique en Irak-Direction centrale ( 2 sièges).
Les kurdes ont voté pour l’Alliance du Kurdistan (25,7%, 75 sièges) qui rassemble les deux principales formations kurdes, le parti démocratique du Kurdistan, (PDK de Massoud Barzani) et l’Union patriotique du Kurdistan( UPK de Jalal Talabani), et le groupe islamique du Kurdistan ( 2 sièges).
Les listes sunnites sont le parti des Irakiens ( 1,8%, 5 sièges) du président sortant Ghazi al-Yaouar sunnite qui est appuyé par les puissantes tribus Shammar ; Le mouvement de réconciliation et de libération (1 siège). Autres listes : Alliance du front turkmène (3 sièges) ; liste nationale de Mésopotamie( chrétienne, 1 siège) ; Union du peuple ( 2 sièges), communistes, est la seule formation ouverte à tout le peuple irakien ; Aliance nationale démocratique d’Abd Fayçal Ahmed (1siège).
Dans les provinces chiites, 70% de la population a voté grâce à l’organisation et à la mobilisation du clergé. A Nadjaf, Sistani conduira les jeux post-électoraux. Il a ordonné à ses partisans de ne pas user de réactions de manière à faire chuter le plan de al-Quaîda, disant à provoquer une guerre civile entre sunnites et chiites. Il a déjà démontré qu’il peut influencer le cours du nouvel Irak. Son impact sur les efforts américains de donner un nouveau cadre de l’Irak a été énorme. Sistani est né en 1929, près de Machhad et a étudié au centre religieux iranien de Qom. En 1952, il est allé à Nadjaf en Irak et depuis 1992 il est le dirigeant de ses écoles islamiques.
L’Alliance unifiée irakienne a mandat de gouverner le pays. Elle a déjà clarifié qu’elle ne veut pas fonder une théocratie en Irak sur le modèle iranien et elle a proposé comme Premier Ministre Ibrahim alJa’fari, un médecin, du parti al-Dawa, qui fut victime des épurations de Saddam. Après s’être échappé d’Iran en 1980 et s’être réfugié à Londres, modéré et susceptible de s’adapter, il est considéré parmi les plus populaires chefs de l’Irak. Il a dit « Nous ne pouvons pas envisager un gouvernement sans la participation des frères Kurdes, Sunnites et aussi les non-mususlmans. Nous allons coopérer avec eux’’.
Les élections ont représenté un compromis pour les millions d Kurdes qui dans la profondeur de leurs sentiments souhaitent l’indépendance mais, conscients qu’ils ne peuvent pas arriver en temps brefs à cet objectif, ont voté avec l’intention de soutenir un Irak unifié. De cette manière on met fin à une guerre civile, commencée en 1961 quand le mollah Mustafa Barzani conduisit la lutte du peuple kurde pour l’autonomie du Kurdistan irakien.
Les Kurdes représentent le deuxième bloc parlementaire, qui est le plus organisé, probablement le plus uni et, avec le plus haut pourcentage d’électeurs, 92% à Dehok. Ils auront un rôle décisif dans la formation du nouveau gouvernement.
LA SOCIÉTÉ IRAKIENNE
Considérée comme la porte orientale du Monde arabe, l’Irak est un des pays clé du Moyen –Orient pour sa position territoriale centrale, le nombre considérable de ses habitants ( 24 millions), les ressources hydrauliques des deux fleuves Tigre et Euphrate, les gisements du pétrole qui constituent un cinquième des ressources mondiales et un appareil bureaucratique considérable. L’Irak est le seul Etat du Moyen –Orient qui a du pétrole et de l’eau en grande quantité.
Le pays est caractérisé par une structure ethnique et religieuse complexe. De l’ordre de 55-60% de la population est arabe chiite et se trouve concentrée dans l’Irak du sud ; 25% est formé de Kurdes, la plupart sunnite, qui vivent au nord ; 16% de la population est arabe sunnite, a détenu traditionnellement le pouvoir politique, économique et militaire et est répartie entre Bagdad et Mossoul. Les chrétiens assyriens et chaldéens forment 3,6% de la population (650.000 à peu près en 2000). Des communautés plus réduites sont composées de Turkmènes, Sabéens, Yazidis, Mandéens. L’Irak avec le Liban est l’unique pays arabe où la communauté chrétienne est pour la plupart catholique et donc il est compréhensible que le Vatican suit avec une particulière attention les événements irakiens.
Selon le spécialiste Jean-Pierre Luizard, Kurdes, Arabe chiites et Arabes sunnites ne sont pas des minorités. Elles sont les trois éléments constitutifs de l’entité irakienne. Chaque communauté a une histoire distincte mais pas séparée des autres. Les plans politiques des trois communautés ne sont pas communautaires ou confessionnelles, leur vision historique dépasse les communautés dans lesquelles sont enracinées.1
Les Arabes sunnites ont représenté l’élite, à partir de l’empire ottoman jusqu’à aujourd’hui, ils vont au-delà de la condition de la minorité en ayant comme interlocuteur le Monde arabe et le panarabisme. Cet idéal unitaire a été instrumenté pour mettre en marge les Arabes chiites ne les considérant une minorité, pour légitimer le monopole du pouvoir de la part des Arabes sunnites. Les chiites au plan démographique, géographique et historique se considèrent comme le cœur de l’Irak et comme les champions de la spécificité irakienne. Ils demandent : la reconnaissance des droits de la majorité chiite, la préservation d’une identité irakienne séparée du Monde arabe, le maintien de liens étroits avec le monde chiite iranien. Les Arabes chiites furent exclus de facto de l’administration ottomane, c’est pourquoi un nombre réduit était dans l’administration et donc il ne pouvait pas accéder à des postes élevés dans l’Irak sous mandat ou indépendant. Les chiites affirmaient que « les impôts étaient pour les chiites, la mort aussi était pour les chiites, les postes sont pour les sunnites’’.
L’Irak ottoman était constitué par les trois provinces de Bagdad, Bassora et Mossoul. Les Anglais contribuèrent à encourager l’unitarisme étatique de l’Irak en renforçant son administration publique, son irrigation et son agriculture. Selon l’historien très connu Hanna Batatu, la présence anglaise peut être considérée comme déterminante pour l’unification de l’Irak dans les années 1920. les pressions de Londres furent décisives pour l’annexion du vilayet de Mossoul à ceux de Bagdad et Bassora.. la raison de cette annexion n’est pas seulement dans l’existence des puits de pétrole, elle se trouve aussi dans la présence de la population kurde sunnite qui, dans une certaine mesure, contrebalançait la forte majorité chiite des autres vilayets. Sans Mossoul, l’Irak aurait été un Etat dominé par les chiites. L’Irak avait besoin du vilayet pour son existence : le soutien militaire et diplomatique anglais avait comme objectif d’exclure la Turquie et contenir les Kurdes.22
DEMANDE DU PEUPLE KURDE EN IRAK
Ce n’est qu’en Irak que les Kurdes sont reconnus officiellement comme une minorité avec des droits. Cela est dû au fait que la fin de l’empire ottoman en 1918 au traité de Sèvres, la puissance mandataire anglaise était obligée de maintenir ouverte la possibilité d’une naissance de l’Etat kurde. Puis en 1925 la société des nations se décida à l’annexion du vilayet de Mossoul à l’Irak. Après l’ Organisation des Nations Unies est intervenue en faveur des Kurdes irakien avec la résolution 688( avril 1991) pour donner une légitimité à l’intervention du « droit d’ingérence humanitaire »et obligea Saddam à retirer son armée du Kurdistan. Depuis lors des Kurdes dépendant de la protection militaire américaine. La chute de Saddam Hussein (le 09 avril 2003) semble avoir ouvert une voie sans violence à la reconnaissance de la nation kurde dans le cadre de l’Etat.
En 1991, les Kurdes sont indépendants de facto m^me s’ils réaffirment officiellement qu’ils vivent dans la région autonome du Kurdistan irakien. Le 04 octobre 1991, l’Assemblée Nationale du Kurdistan irakien avait adopté une résolution sur les relations entre la région autonome du Kurdistan irakien et le gouvernement central qui doivent se fonder sur « la base d’une union fédérale dans un Irak sous régime d’une démocratie parlementaire’‘.
Les kurdes veulent consolider un contrôle sur le Kurdistan irakien qui est maintenu la seule région relativement tranquille, solidement contrôlée par les forces locales, où l’état d’urgence n’est pas en vigueur. Par contre, on a des rapports tendus entre les différentes communautés dans la région pétrolière de Kirkuk d’où 40% du pétrole irakien est extrait et qui renferme 6% des réserves pétrolières mondiales. L’irrédentisme kurde considère « Kirkuk est la Jérusalem du Kurdistan’´ et revendique les puits de pétrole indispensables pour l’économie du futur Etat kurde.
A partir des années 1970, cette région multiethnique a subi une arabisation forcée avec l’expulsion de ses habitants autochtones (kurdes, turkmène, chrétiens) remplacés par des Arabes irakien, égyptiens, palestiniens. Après la chute de Saddam, Kurdes et Turkmènes sont retournés en masse revendiquant leur propriétés et droits. Kirkuk représente ainsi une poudrière qui maintenant est sous le contrôle américain. Les Turkmènes demandent que Kirkuk est un statut spécial. Ils sont appuyés par la Turquie qui menace d’intervenir et le ministre turque des affaires étrangères Abdullah Gul a affirmé que « en cas de conflit à Kirkuk, la Turquie ne resterait pas indifférente’’. Les chefs kurdes ont averti Ankara que chaque intervention emmènera au désastre. L’amorce d’une solution juste de Kirkuk donnerait un espoir de réconciliation à un niveau national.
Les partis kurdes sont déterminés à réaliser leurs demandes. Leur pouvoir repose sur le soutien de la population kurde ; une bonne organisation de la milice qui compte au moins 80.000 peshmergas, la force militaire la plus nombreuse du pays ; l’alliance avec les Etats-Unis pendant trente ans. Les kurdes ont une classe dirigeante, un parlement, leur propre gouvernement élu, leur propre drapeau, leur force de sécurité, le contrôle de leur frontière avec la Turquie, plus d’une centaine de journaux et de revues, une dizaine de chaînes télévisées, leurs écoles et trois universités où l’enseignement est dispensé en kurde. Ils ne font pas une politique pankurde, ils jouissent d’un fort prestige moral comme victimes de Saddam.
L’équilibre entre les rêves d’indépendance et la nécessité d’assurer la continuité est un équilibre fragile. Les leaders kurdes ont toujours réaffirmé que la question kurde doit trouver une solution positive à l’intérieur de l’Irak. Ils ont consciences que l’éventuelle proclamation de l’indépendance du Kurdistan irakien comporterait l’invasion turque avec l’aide de la Syrie et de l’Iran.
Ils se considèrent assez fort pour obtenir le maximum d’autonomie de Bagdad et le plus grand territoire possible à incorporer dans la région autonome du Kurdistan irakien. Ils veulent consolider l’autonomie du Kurdistan irakien avec une forte présence dans le conseil du gouvernement transitoire et déjà dans les années de l’opposition à Saddam ils ont fait des alliances avec les forces politiques de l’opposition. Celle –ci est une opportunité historique qui ne peuvent pas manquer.
Les Kurdes craignent que leur position de force actuelle puisse trouver une fin et que les changements dans le pays se fassent à leur détriment. La meilleur assurance pour les Kurdes est de d’avoir un rôle central dans le nouveau gouvernement irakien. Dans le gouvernement par intérim, comme kurdes, se trouvent un vice-président (Rowsh Nuri Shaways, PDK), un vice premier ministre (Barham Salih, UPK), le ministre des Affaires étrangères Hoshar Zebari, qui pendant les années 80 était le représentant deBarzani à Londres et après à Washington. Fouad Massum, UPK, a été le premier chef du gouvernement du Kurdistan irakien en 1992-1993 ila une très bonne connaissance de la langue arabe et de la philosophie islamique, ayant étudié à l’université al-Azhar. Il représente le pont entre les Kurdes et les Arabes. Il a été le président de la commission pour rétablir la nouvelle constitution irakienne par intérim et maintenant il est le président de l’Assemblée nationale irakienne. L’indépendant Bakhtiar Amin est ministre des droits de l’homme.3
En mars 2004, la nouvelle constitution irakienne par intérim a été approuvée. Elle renferme des importants compromis, en particulier entre les Chiites Favorables à un Etat centralisé avec une empreinte religieuse et les Kurdes qui optent pour un Etat sécularisé et fédéral. La rédaction reconnaît l’Islam comme religion d’Etat mais pas comme la première source de la jurisprudence ainsi que les conservateurs l’avaient demandé. La région kurde qui était déjà autonome continue à être «un Etat dans l’Etat’’, et à garder ses tribunaux et ses milices. La demande kurde de contrôler les ressources naturelles du Kurdistan n’a pas été accueillie et surtout le vilayet de Kirkuk, avec son pétrole, reste exclu d’un statut à part, dans une confédération régionale.
Il est prévu que trois des 18 vilayets peuvent bloquer l’adoption d’une constitution permanente. En pratique les trois province de Dehok, Erbil et Sulaimaniya ont le droit de veto. Les Kurdes considèrent dans cette clause la garantie que la majorité chiite ne puisse pas légiférer sans le consensus des autres forces.
L’objet est une forte région kurde intégrée dans la fédération post-Saddam, Nashirwan Mustafa, dirigeant de l’UPK s’est exprimé : «Nous voulons influencer le Kurdistan de Bagdad et pas des montagnes’’. Il faut détruire la culture de la cruauté et de la violence. Pour reformer la société irakienne il faut édifier des institutions démocratiques.
On a vu le passage d’une lutte armée à la relance de la diplomatie et de l’économie. Dans les deux dernières années, 20.000 Arabes ont émigré au Kurdistan à la recherche d’un travail. Cette fois les Kurdes sont à Bagdad avec un grand pouvoir ; ils ont une stratégie commune qui leur donne une influence sans précédents dans la formation d’un nouveau gouvernement. À quelqu’un cela semble un excès de pouvoir par rapport à la population.
La coalition kurde demande la charge du Président de la République pour Jalal Talabani, des garanties pour un Etat sécularisé, une Constitution qui instaure un Etat fédéral en Irak et l’indépendance de facto des provinces kurdes qui devraient comprendre aussi la province de Kirkuk.
La charge présidentielle donne un grand pouvoir pour la désignation des membres clés du nouveau gouvernement. De cette façon la position des Kurdes est renforcée dans le Moyen-Orient. La perspective qu’un Kurde occupe la plus haute charge de l’Etat n’était pas réalisable jusqu’à présent. En outre Massoud Barzani deviendra le président de la région kurde unifiée.
Les gouvernements des pays voisins surveillent les Kurdes en observant l’utilisation effective des pouvoirs autonomistes.
LES PERSPECTIVES DU NOUVEL IRAK
Le partage du pouvoir entre chiites et kurdes ouvre une nouvelle phase de l’histoire irakienne. Le seul précédent remonte à 1936 lorsque avec un coup d’Etat du général kurde Bekir Sidqi qui obtint le pouvoir. Son gouvernement sunnite avec des fortes composantes kurdes et chiites, était réformiste et contraire au panarabisme. Il fut défini «gouvernement turc-kurde-chiite»4 et dura moins d’une année.
L’Irak semble donc être déterminé par quatre facteurs : la communauté arabe sunnite a été au pouvoir pendant cinq siècles et a fondé sa légitimité sur l’intégrité de l’Etat et sur le panarabisme ; Kurdes sunnites et Arabes chiites représentent un défi à l’intégrité de l’Etat ; les Etats de la région , en particulier la Turquie, l’Iran et la Syrie, influencent les développements irakiens mais ils sont divisés entre eux dans les stratégies à suivre : les Etats-Unis et aussi l’Europe ont un grand rôle à jouer dans la région.

L’insécurité est très élevée dans quatre des dix huit provinces. Puisque Saddam savait qu’il ne pouvait pas vaincre les Etats-Unis dans une guerre conventionnelle, il a engagé une guérilla. Les terroristes sont un fils de la mixture homicide créé par la confluence des baathistes , des criminels, de droit commun, des combattants provenant des pays arabes et islamiques liés à al-Qaïda qui veulent surtout défier les EtatsUnis. Il s’agit de 40.000 terroristes qui arrivent à un nombre de 200.000 en considérant ceux qui sont à temps partiel et ceux qui donnent un support logistique. Leurs attentats ont comme objectif de terroriser la population civile et la nouvelle armée irakienne. Ils veulent prévenir la formation d’une force de sécurité motivée et bien structurée.
Pour juguler une instabilité interne, la vieille classe dirigeante sunnite devrait s’intégrer avec la nouvelle émergence chiite. Le nouveau gouvernement doit améliorer la vie de la population. La santé, l’eau, l’électricité et l’instruction doivent reprendre leur fonctionnement. Le Parlement national devra élaborer une nouvelle Constitution dans dix mois. Il doit élire le nouveau président et deux vice-présidents qui auront une position de pouvoir plus de forme que de réalité, puis le Parlement devra approuver le Premier ministre qui, de facto, représente le poste le plus puissant. Il est nommé par le président et les deux vice-présidents.
Le parlement devra faire ses choix qui détermineront le futur de l’Irak : fédération ou bien Etat fortement centralisé, rôle de l’Islam, qui contrôlera Kirkuk et son pétrole, comme intégrer les Arabes sunnites dans les institutions, les relations avec les Etats-Unis. Le sujet central consiste à déterminer combien d’autonomie pourrait avoir le gouvernement régional kurde sur son territoire et comment réintégrer les Kurdes dans la vie nationale. Le compromis entre les différentes forces favorise la modération. Il sera très difficile de revenir en arrière. Si on n’embrasse pas la voie du rapprochement national le pays va vers la désastre.
L’Irak a besoin d’un gouvernement central qui contrôle et répartisse les ressources pétrolières et hydrauliques. La politique hydraulique du régime baathiste a été désastreuse et conduit le pays à la catastrophe écologique.
Dans le Moyen–Orient, le pétrole est considéré un patrimoine national. C’est pourquoi la privatisation de l’industrie pétrolière risque d’augmenter le ressentiment de la population, en confirmant que le pétrole a été la cause de l’intervention américaine.
On peut prévoir que la démocratie et le terrorisme cohabitent pour longtemps, perpétuant l’anarchie et la dépendance aux troupes américaines. Washington a vaincu dans la guerre conventionnelle contre l’armée de Saddam Hussein mais doit combattre dans une guerre de nouveau type contre une pluralité d’ennemis. Le conflit a causé 1500 morts américains, exigé la présence de 55.000 militaires américains et coûté des milliards de dollars. Depuis les élections beaucoup d’Irakiens opposés à la stratégie américaine vont reconsidérer leur position.
Une de très grandes ironies de l’histoire est que Washington a renversé Saddam Hussein et a appuyé les élections voulues très fortement par les Chiites. Le suffrage populaire a amené au gouvernement les Chiites liés à Téhéran. Kurdes et Chiites irakiens se sont unis par d’étroites relations avec l’Iran qu’à partir des années 1970, lorsque Téhéran avait fourni une aide fréquente à l’opposition irakienne ainsi qu’un accueil à presque de million de réfugiés kurdes et chiites. Cette relation préférentielle des nouveaux gouvernants de Bagdad avec Washington, et aussi les relations avec le Monde arabe qui a soutenu Saddam, a la seule exception de la Syrie.
D’autre part l’Iran et la Syrie sont menacés par George W. Bush en tant que «axe du mal’’’ et maintenant donnent appui aux insurgés. Avec les troupes engagées en Irak, Washington est immobilisés et ne peut pas ouvrir un autre front de guerre contre Damas et Téhéran. Les deux pays moyen-orientaux et la Turquie ont toujours affirmé l’intégrité territoriale de l’Irak, par crainte d’une sécession kurde. Les pays limitrophes envisagent le chaos et la libanisation de la région.
Si on analyse le présent, il semble que le projet de balkanisation du Moyen-Orient élaboré par Oded Yinon en 1982 va se réaliser. L’israélien prévoit la fragmentation des Etats arabes qui seront remplacés par des micro-Etats formés sur des bases ethno-religieuses (Kurdes, Druzes, Coptes, etc.) avec Israel comme le référent de la coexistence entre les différentes communautés. Mais si d’un côté le dessein est fonctionnel pour les sionistes, de l’autre il va démolir les dernières 85 années d’histoire arabe.
L’Irak actuel est faible et fragmenté, le pays aura besoin de plusieurs années pour obtenir la recomposition de son tissu social et économique et se retrouver une puissance arabe et régionale.
Mirella GALLETTI
professeur de Peuple transnationaux de l’Asie occidentale , Université de Milano Bicocca. Auteur de plusieurs articles et ouvrages consacrés au Kurdistan. » Western Images of the Woman’s Role in Kurdish
Society’’, in Shahrzad Mojab (edited by), Women of a
Non-State Nation: the Kurds (Mazda Publishers, 2001)
Le relazioni tra Italia e Kurdistan (Instituto per l’Oriente, 1991), Incontri con la società del Kurdistan
(Name, 2002), Mirella Galletti con contribute di
Alessandro Mengozzi, Crstiani del Kurdistan: assiri, caldei, siro-cattolici e siro-ortodossi ( Jouvence,2003) Storia dei curdi ( Jouvence,2004)
NOTES
(1) Pierre-Jean Luizard, «The Iraqi Question from the
Inside», Middle East Report, vol. 25, n. 193, MarchApril 1995, pp. 18-22. Voir aussi de Hosham Dawod,»Société et pouvoirs en Irak. Une approche anthropologique», in Hosham Dawod et Hamit Bozarslan (éds), La société irakienne. Communautés, pouvoirs et violence, Paris, Éditions Karthala, 2003, pp.9-30.
(2) Hanna Batatu, The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, 1978.
(3) La femme de Bakhtiar Amin est Safiya al-Suhail, arabe chiite, indépendante, maintenant ambassadeur irakien au Caire. Son pére cheikh Talib al-Suhail était chef de la puissante tribu arabe chiite de Bani Tamim de l’Irak central, avec un million de membres. A cause de son opposition à Saddam il fut assassiné à Beirut en 1994. Elle publie la revue «al-Manar al-arabi». En février 2005 elle a affirmé de vouloir concourir à la présidence de la république.
(4) Michael Eppel, «The Hikmat Sulayman-Bakir Sidqi
Government in Iraq, 1936-37, and the Palestine question», in Middle Eastern Studies, vol. 24, n. 1, 1988, p. 26. Sur Bakir Sidqi voir Mirella Galletti, «La politica italiana verso assiri e curdi (1920-1943)», Storia contemporanea, vol. XXV, n. 3, 1994, pp. 391-419; et la traduction anglaise «Italian Policy Towards Assyrians and Kurds (1920-1943)», Journal of the Assyrian Academic Society, vol. IX, n. 2, 1995, pp. 3-24.

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