La paix en Ukraine passe par la nouvelle route de la soie

Christine BIERRE

Rédactrice- en-chef de Nouvelle Solidarité, collaboratrice de Jacques Cheminade et représentante de l’Institut schiller.

Décembre 2014

Mettre fin à la crise ukrainienne implique aussi un changement fondamental de l’ordre écono­mique qui a conduit le monde au bord du gouffre en 2007 et l’une des pistes les plus crédibles est illustrée par la proposition chinoise de Xi Jinping consistant à recréer, en version moderne, les anciennes routes de la soie reliant la Chine à l’Europe, en passant par la Russie, l’Asie centrale, l’Asie de l’ouest, en rétablissant les routes continentales, mais avec des corridors d’infrastructures modernes de transports, communications, canalisations, projets d’aménagement d’eau et d’éner­gie. Entretemps, la politique de sanctions d’Obama et des Occidentaux à l’encontre la Russie a renforcé ce dessein, obligeant la Russie à aller beaucoup plus loin dans sa collaboration avec le projet chinois et à renforcer ses propres initiatives en Eurasie, car il ne s’agit pas là d’un partenariat à deux, mais d’une politique asiatique, qui intéresse tous les pays de la région y compris le Japon. Pour pacifier les flux de l’économie mondiale, il est temps que les États quittent le système de financiarisation anglo-saxon et reprennent le contrôle des flux de financement pour les orienter vers ces grands projets créateurs d’avenir et d’un futur pour les peuples.

Je voudrais évoquer le très grand projet de nouvelle route de la soie proposé par le Président chinois Xi Jingping, en ce moment dramatique de l’his­toire où l’on pourrait croire autrement qu’il n’y a aucune alternative à une nouvelle guerre mondiale. Or, la paix en Ukraine passe par la nouvelle route de la soie. Cela veut dire qu’il n’y pas de sortie possible à cette crise, sans un changement profond de l’ordre mondial.

Changement politique d’abord, car la crise ukrainienne n’est que l’aboutisse­ment de la politique adoptée par les puissances dites « victorieuses » de la guerre froide – Royaume Uni et États-Unis en particulier – visant à réduire la Russie à sa plus minime expression et à tout faire pour « empêcher l’émergence d’une nou­velle grande puissance rivale », comme l’écrivent explicitement les néoconservateurs américains du Project for a New American Century dans un document publié en 2000 intitulé : RebuildingAmerica’s defenses (Reconstruire les défenses des États-Unis).

Si tout cela n’était pas remis en cause, ces groupes conduiront la communauté internationale vers une escalade militaire, au seuil même du nucléaire, pour obliger ces nouvelles puissances à capituler.

Mettre fin à la crise ukrainienne implique aussi un changement fondamental de l’ordre économique qui a conduit le monde au bord du gouffre en 2007. La faillite de l’Ukraine illustre l’effet néfaste des politiques de pillage financier imposées par les puissances occidentales à ce pays, ainsi qu’au reste du monde, la financiarisation anglo-saxonne de l’économie. L’ouverture à l’Ouest de l’Ukraine en 1991, s’est tra­duite par une chute de sa capacité industrielle, de sa production de machines-outils, de sa recherche. L’accord de libre échange qu’elle vient de signer avec l’UE et dont les aspects économiques seront mis en œuvre en 2016, aggravera cette tendance faisant de l’Ukraine un simple exportateur des matières premières.

Comment pourra-t-elle dans ces conditions payer une dette extérieure de 140 milliards de dollars ? La crise ukrainienne a révélé que ni l’UE, ni la Russie, étaient à même, chacune de son côté, d’apporter ce type d’aide à l’Ukraine. La Russie est en meilleur état que l’UE, mais elle subit malgré tout l’impact de la crise occidentale et ses hommes d’affaires sont contaminés par l’économie de casino occidentale, comme le révèlent les énormes sommes d’argent russe placées dans les centres offshores.

Que faire ?

Résoudre la crise ukrainienne implique donc changer l’ordre du monde. Mais n’est-ce pas trop tard ? Ne sommes nous pas déjà dans une guerre mondiale larvée ?

Malgré les immenses dangers qui nous guettent, trois processus nous per­mettent d’être optimistes : 1) l’effondrement possible de l’économie transatlantique qui ouvre la voie à de vrais changements ; 2) la stratégie de nouvelle route de la soie de la Chine, rejointe désormais par les projets eurasiatiques de Vladimir Poutine, et par l’Inde de Narendra Modi ; 3) la révolte contre Obama qui s’est traduite ces derniers jours par une union sacrée autour de l’Argentine, attaquée par la justice américaine et les fonds vautours.

Propositions chinoises

Revenons d’abord sur les propositions chinoises. La proposition de Xi Jinping exposée dans un discours prononcé au Kazakhstan le 7 septembre dernier, consiste à recréer, en version moderne, les anciennes routes de la soie reliant la Chine à l’Europe, en passant par la Russie, l’Asie centrale, l’Asie de l’ouest.

Chacun connaît le rôle extrêmement bénéfique qu’ont joué ces anciennes routes de la soie à partir de 200 ans avant JC, dans la promotion des échanges commer­ciaux, scientifiques et culturels dans l’espace eurasiatique. Mais après le VIIe siècle, lorsque le pouvoir chinois s’est déplacé vers le Nord, les échanges se sont faits prin­cipalement par les routes maritimes.

Xi Jinping propose aujourd’hui de rétablir les routes continentales, mais avec des corridors d’infrastructures modernes de transports, communications, canalisa­tions, projets d’aménagement d’eau et d’énergie. Au-delà de simples routes, il s’agit de créer « une zone économique de la route de soie », comme l’a appelé Xi Jinping, permettant d’amener la prospérité à ces pays aujourd’hui enclavés et de créer avec l’Europe, le marché de développement économique le plus vaste du monde, de 3 milliards de personnes.

Ce projet de « nouvelle route de la soie », avait déjà été discuté par les autori­tés chinoises lors d’une très grande conférence internationale organisée à Pékin en 1996. À cette époque, la présidente de l’Institut Schiller que je représente, Helga Zepp-LaRouche, avait déjà apporté sa contribution à ce projet aussi Pont terrestre eurasiatique. Le 5 septembre 2014, au cours d’une conférence à Pékin sur le thème « Une ceinture, une route », le professeur Bao Shixiu de l’Académie des sciences militaires de l’APL, a confirmé le rôle « très important » joué dans l’élaboration de ce concept, par Madame LaRouche et son mari Lyndon LaRouche. Mais depuis son arrivé au pouvoir M. Xi Jinping en fait sa priorité et sa stratégie pour promou­voir la paix par le développement en Eurasie.

Le 13 septembre 2013, c’est à l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS) que Xi Jinping a présenté son projet, incitant celle-ci à ajouter la coopéra­tion économique à ses objectifs de lutte contre l’insécurité, pour éliminer le trafic de drogue qui infeste la région depuis l’Afghanistan et qui nourrit les groupes djihadistes.

En Europe

Par la suite, au mois de mars dernier, c’est à une Europe dévastée par la crise et le pessimisme, et secouée par les dangers de la crise ukrainienne, que le président chinois a proposé son projet de paix par le développement et par la culture. Six mois plus tard, le 17 octobre 2014, le Premier ministre chinois, Li Keqiang fit une proposition officielle en ce sens à l’Europe, lors du sommet de l’ASEM à Milan.

Je ne reviendrai pas sur tous les aspects de cette tournée, juste assez pour signaler une qualité nouvelle dans ce dialogue que nous devons regarder d’un œil nouveau. La caricature de la Chine en Empire s’étant enrichi sur le dos de sa main d’œuvre bon marché, et prête à faire main basse sur toutes les richesses du monde, a vécu. Nous avons vu un Xi Jinping, respectueux de la culture européenne, admiratif de la grande culture classique allemande, et faisant appel à Victor Hugo en France pour plaider pour un monde où l’harmonie se nourrit du multiple.

Nous avons vu un Xi Jinping arriver non en conquérant, mais en partenaire d’un développement mutuel. En France, en Allemagne, il s’est rendu aux points d’arrivée des anciennes et de nouvelles routes de la soie, montrant très concrète­ment comment cette stratégie peut se traduire par des échanges accrus, d’intérêt mutuel, entre l’Europe et la Chine.

En Allemagne, Xi Jinping s’est rendu à Duisburg, au cœur de la Ruhr, où arrive trois fois par semaine le train de Chine ramenant et repartant avec des marchan­dises. Les échanges y atteignent déjà un niveau assez important pour qu’il faille ou­vrir un Consulat de Chine sur place, et surtout, pour que des grandes compagnies chinoises (Hisense et Huawei), déménagent leurs sièges de Londres à Dùsseldorf. 8 200 entreprises allemandes travaillent déjà en Chine et 2000 entreprises chinoises sont installées dans ce pays.

En France, on le sait, il y eut pour18 milliards de contrats signés. Soulignons qu’il s’agit là, pour beaucoup, d’accords de partenariat. L’achat de 1 000 hélicop­tères à Airbus Hélicoptères se fait via un partenariat industriel. Partenariat aussi avec l’État français pour redresser PSA. La famille Peugeot perd un peu de contrôle, certes, mais l’accord donne à PSA en retour, un accès au vaste marché chinois et asiatique. Très important aussi la décision de la BPI et de la China Development Bank, d’accompagner un Sino-French fund de 400 millions de dollars de Cathay Capital, qui investira dans les entreprises à taille intermédiaire, en France, en Chine et même en Allemagne.

Notons aussi en France l’appel de Xi Jinping à nos meilleurs traditions his­toriques, coïncidant avec des moments forts dans nos relations avec la Chine : la France de de Gaulle, premier pays avancé à ouvrir des relations avec la Chine, il y a 50 ans ; la France du XVIIe siècle où à partir de Lyon sont partis les missions de jésuites scientifiques, organisées par Colbert et par Leibniz, pour enseigner les sciences aux empereurs de Chine. Ce fut la contribution française au grand dessein proposé par Leibniz à Pierre Le Grand et à l’empereur Kangxi, de promouvoir les échanges entre les pays les plus développés aux deux extrêmes de l’Eurasie, pour assurer la prospérité de l’ensemble, et de la Russie entre les deux.

Depuis, la Chine a proposé au mois de mai de relier les capitales africaines par TGV et de lancer une ligne à partir de la Chine pouvant passer par le tunnel sous le détroit de Béring, construite conjointement avec la Russie. Le professeur Wang Mengshu, de l’Académie chinoise d’ingénierie, résume les trois autres axes ferroviaires prioritaires de son pays : 1/ une ligne eurasiatique se divisant en deux branches, l’une passant par le Kazakhstan et l’autre par la Russie ; 2/ une autre ligne vers l’Allemagne, traversant le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Iran et la Turquie ; 3/ et une ligne trans-asiatique, allant de Kunming à Singapour.

Perspective sino-russe pour l’Asie

Entretemps, la politique de sanctions d’Obama à l’encontre la Russie a ren­forcé ce dessein, obligeant la Russie à aller beaucoup plus loin dans sa collaboration avec le projet chinois et à renforcer ses propres initiatives en Eurasie : construction d’un réseau de gazoducs, modernisation du Transsibérien et de la magistrale Baïkal-Amour. Le méga-contrat gazier signé à Shanghai en mai 2014, par la Russie et la Chine pour l’achat de 38 milliards de mètres cubes de gaz, a été une grande percée aussi de ce point de vue.

Plus intéressant, il ne s’agit pas là d’un partenariat à deux, mais d’une politique asiatique, qui intéresse tous les pays de la région y compris le Japon. Ce dernier, au grand dam d’Obama, négocie discrètement des contrats avec la Russie. Au len­demain de la signature du contrat gazier, le Président chinois a pris la présidence tournante de la CICA, une organisation qui rassemble 28 pays asiatiques, et qui exclue les États-Unis, et a annoncé sa volonté de créer une nouvelle architecture économique asiatique, thème qu’ils ont aussi avancé avec Vladimir Poutine.

Très important pour assurer le financement de ces très grands projets dans un univers en crise, où les banques ne prêtent plus aux activités économiques, est le concept « d’approche intégrale » promue par le PDG de Rosneft, et proche collabo­rateur de Vladimir Poutine, Igor Setchine : il s’agit de promouvoir des programmes d’investissements conjoints sur toute la chaîne technologique – l’exploitation, l’in­frastructure, le raffinage et le transport des hydrocarbures.

Le méga-contrat gazier avec la Chine est de ce type, puisque les deux pays déve­lopperont ensemble les champs gaziers et les pipelines de part et d’autres du terri­toire.

Quels financements ?

Venons en maintenant à la question des financements. La Chine a proposé le 30 juillet la création d’une Banque asiatique du développement des infrastructures (AIIB) pour financer les grands projets en Asie Pacifique, dans un contexte où les fonds de la Banque mondiale et de la banque de développement asiatique sont loin de satisfaire l’appétit de développement, a expliqué Jin Liqun du ministère chinois des Finances. Ce projet, discuté de longue date avec les partenaires asiatiques, est aussi ouvert, il faut le souligner, aux États-Unis et à l’UE.

C’est une très bonne chose. Mais est-ce que tout ceci peut fonctionner au sein de l’ordre financier et monétaire actuel dont les centres sont la City de Londres et Wall Street ? Non. Cet ordre est tout d’abord au bord de l’effondrement, comme l’était l’URSS à la veille de la chute du mur, et même s’il arrivait, par quelque cir­constance à survivre, il est fondamentalement hostile aux grands projets industriels et infrastructurels à long terme.

Il est donc temps que les États reprennent le contrôle des flux de financement pour les orienter vers ces grands projets créateurs d’avenir et d’un futur pour les peuples. De ce point de vue, nous notons avec grand intérêt les initiatives de Serguei Glazyev, conseiller auprès de Vladimir Poutine, pour « dé-offshoriser » les capitaux russes, pour ramener ces quelques 500 milliards de dollars, en Russie où ils pourront reconstruire le base industrielle d’une Russie que l’oligarchie occidentale a voulu reléguer à un pays exportateur de matières premières.

Quant à l’UE, elle ne pourra rien faire de significatif, au-delà des contrats signés au compte goûte, si elle ne change pas. Il faut déclarer forfait à un système de l’Euro conçu uniquement pour les plus grands profits des banques et qui a décimé ses capacités industrielles et ses emplois, pour retrouver une Eurasie gaullienne, de l’Atlantique à la mer de Chine, où chaque nation retrouvera sa souveraineté, au sein d’une Europe des patries et des projets d’ampleur continentale.

Pour répondre enfin à la petite crainte que peut provoquer, en Europe, le nombre de la population et l’immensité de l’espace chinois, lesquels pourraient engloutir les pays européens dans un ensemble eurasiatique, je voudrais conclure avec cette belle citation très poétique de Xi Jinping, exprimée lors des commémorations du 60ème anniversaire du jour où, avec l’Inde et la Birmanie, la Chine avait proposé les cinq principes de la coexistence pacifique : « Le ciel, la terre et le monde sont assez grands pour assurer la prospérité à tous les pays », a-t-il dit. « Tout comme l’eau qui monte soulève tous les bateaux et que plus d’eau dans les tributaires crée une rivière plus grande, tous bénéficieront d’un développement de tous ».

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