LA RUSSIE ÉNERGÉTIQUE

André PERTUZIO

Consultant pétrolier international et ancien conseiller juridique pour l’énergie à la Banque Mondiale.

Si André Siegfried disait en 1900 « L’ Angleterre est un bloc de charbon », on peut dire à juste titre aujourd’hui que la Russie est un bloc d’énergies fossiles. Ce pays est un véritable continent qui recèle des ressources énergétiques en très grandes quantités, déjà exploitées ou exploitables dans l’avenir. Elle est aussi la seule grande puissance industrielle à être totalement autosuffisante en énergie et, comme elle est un grand exportateur, elle joue un rôle majeur dans l’approvisionnement pétrolier et gazier de nombreux pays industrialisés, principalement en Europe et présente, en conséquence, une évidente dimension géostratégique.

Le Panorama énergétique

L’énergie n’est peut-être pas la vie mais elle est indispensable à l’homme et lui est, en quelque sorte, consubstantielle. Un pays ne se développe qu’en consommant de l’énergie et c’est cette consommation même qui indique son niveau de dévelop­pement.

Aujourd’hui, le monde consomme annuellement environ 11 milliards de tep (tonne d’une matière énergétique produisant la même quantité de calories qu’une tonne de pétrole, ainsi une tonne de charbon est en moyenne de 0,66 tep et 1 000m3 de gaz naturel représentent 0,9 tep), ce total se décomposant approximativement en 38% de pétrole, 26% de charbon et 24% de gaz naturel, soit 88% d’énergies fos­siles complétées par 12% d’électricité primaire de source hydraulique ou nucléaire.

De cette consommation mondiale, la Russie compte pour environ 8% ce qui lui assure la troisième place mondiale derrière les Etats-Unis 24% et la Chine 15%.

Le Pétrole

La production pétrolière avait atteint 560 millions de tonnes en 1987 et, à la suite de l’implosion de l’Union soviétique, était retombée à 360 millions en 1995 pour se redresser jusqu’à 470 millions aujourd’hui faisant de la Russie le deuxième producteur mondial après l’Arabie saoudite. 70% de cette production sont exportés et c’est ainsi que les pays d’Europe occidentale importent une part notable de pé­trole russe qui va de quelques 20% de sa consommation pétrolière pour l’Espagne à 45% pour l’Allemagne, la France se situant à environ 24%.

La part d’importation de pétrole russe est ainsi supérieure à celle du Moyen-Orient 31% contre 26% (Allemagne 6%) pour les six principaux importateurs européens. Avec le temps cependant, les importations de la Mer du Nord qui sont de 17% vont diminuer avec le déclin des productions de la Norvège et surtout du Royaume-Uni, ce qui rendra nécessaire des importations plus importantes du Moyen-Orient car l’Afrique sollicitée d’autre part par la Chine ne pourra vraisem­blablement voir augmenter ses exportations. Quant à la Russie, son propre dévelop­pement industriel lié à des réserves relativement modestes, 8 à 9 milliards de tonnes, soit 5% des réserves mondiales, elle ne pourra vraisemblablement pas non plus augmenter ses exportations. L’avenir de la production pétrolière de cet immense pays est cependant lié en grande partie aux investissements considérables qui sont nécessaires non seulement pour moderniser les installations existantes mais égale­ment pour entreprendre sur une grande échelle la recherche et le développement de nouveaux gisements.

Il est donc et sera plus encore à l’avenir de l’intérêt de la Russie à coopérer avec les sociétés internationales dont plusieurs d’ailleurs sont déjà présentes dans le pays. Toutefois, après la période Eltsine de privatisations « sauvages » qui fit l’immense fortune d’oligarques, la reprise en main des industries énergétiques par Vladimir Poutine, si elle n’a pas mis fin aux associations avec des sociétés étrangères ou na­tionalisé l’industrie du pétrole, a donné une part prépondérante à l’Etat dans ce secteur. C’est ainsi que l’entrée des grandes sociétés américaines dans le capital de Youkos et Sibneft n’a pas eu lieu et que, désormais, Rosneft, société liée à l’Etat et Lukoïl société privée, sont les principaux partenaires russes des sociétés étrangères opérant en Russie d’où Total n’est pas absente. Il faut à cet égard mentionner la très importante opération de BP en 2003 laquelle moyennant 7 milliards de dollars a constitué une « joint venture » avec la société privée TNP concernant notamment la production du Champ de Tioumen qui permet à BP d’augmenter sa production de 13%. Les relations avec BP devaient connaître par la suite des difficultés dues, entre autres, comme on le verra plus loin, à la construction de l’oléoduc BTC évitant le Russie par un consortium dont BP est l’opérateur.

En bref, la Russie est tiraillée entre sa politique de russification des industries énergétiques et la nécessité de coopérer avec les sociétés internationales, apporteurs de capitaux indispensables au développement des activités pétrolières et donc des réserves.

Le gaz naturel

Si la Russie est le second exportateur de pétrole, elle est le premier et incontour­nable exportateur de gaz naturel, véritable réservoir pour l’Europe. Les réserves de gaz russes sont en effet évaluées à plus de 47 trillions de m3 soit environ 43 milliards de tep et 26,7% des réserves mondiales et vraisemblablement destinées à augmen­ter.

La production annuelle de gaz naturel de la Russie est actuellement de 650 mil­liards de m3 et il faut tenir compte des productions des républiques d’Asie cen­trale, Turkménistan, Ouzbékistan et le Kazakhstan dont la production totale atteint 150 milliards de m3 et dont une bonne partie est achetée à bon prix par la Russie, elle-même grand consommateur de gaz (plus de 50% de sa consommation d’éner­gie). De la sorte, les exportations russes de gaz naturel sont aujourd’hui d’environ 280 milliards de m3/an dont environ 100 vers les pays européens où le pourcentage de gaz russe est de 45% en Allemagne, 30% en Italie et 23% en France de leur consommation.

Plus encore que le pétrole, le gaz naturel joue un rôle essentiel dans le dispo­sitif industriel, économique et stratégique russe. Non seulement la Russie entend garder le contrôle de ses ressources énergétiques mais le gaz naturel sert de vecteur politique pour asseoir l’influence et le poids économique et stratégique de la Russie.

Pour exploiter les ressources gazières de la Russie, Gazprom est l’instrument détenu à 51% par l’Etat et d’autres entités étatiques. Cette société contrôle au­jourd’hui 87% de la production russe de gaz naturel et elle est devenue l’une des 10 plus importantes sociétés énergétiques du monde. Gazprom a également entrepris de prendre des intérêts dans de nombreuses sociétés étrangères ou de s’associer pour des projets ponctuels avec certaines d’entre elles. Il en est ainsi notamment avec les sociétés gazières allemandes lesquelles, on le verra, sont associées au projet de gazo­duc Nordstream pour approvisionner directement l’Allemange à partir de la Russie.

Gazprom est indiscutablement un géant gazier dont la double mission est de contrôler la production et l’exploitation du gaz naturel russe et de s’implanter à l’étranger. Toutefois, la recherche et l’exploitation représentent d’énormes inves­tissements tels, par exemple, celles du gisement de Chtokman en mer de Barentz et celles des gisements des îles Sakhaline au nord du Japon en ce qui concerne Chtokman où l’investissement prévu pour la seule première phase est de 15 mil­liards de dollars pour produire à partir de 2013 11 milliards de m3 destinés à être acheminés vers Mourmansk ainsi qu’une usine de liquéfaction pour produire du GNL (Gaz Naturel Liquéfié) pour exporter 7,5 milliards de m3. Cette première phase sera menée à bien par une société comprenant Gazprom (51%), Total (25%) et Statoilhydro (24%). La deuxième phase est prévue pour 2038… Comme on le voit c’est un projet à longue échéance.

En ce qui concerne Sakhaline, ce sont des accords de partage de production qui ont été conclus avec Exxon Mobil pour un investissement de 20 milliards de dollars, l’autre avec une association Shell-Mitsubishi pour un investissement d’un montant analogue. Il s’agit dans les deux cas de produire du GNL pour l’expor­tation, l’Extrême-Orient étant fortement acheteur de gaz naturel dont il manque cruellement mais aussi pour le marché américain grand consommateur également. Ainsi l’ouverture de l’industrie gazière russe au capital étranger est devenu une né­cessité à la fois technique et financière mais, comme on l’a vu, Gazprom restera en contrôle et continuera de grandir en puissance.

La Russie est donc non seulement une grande puissance énergétique mais aussi un pays qui reprend une place importante dans l’économie et la politique inter­nationale. Elle est le seul des grands pays industriels à être autosuffisant en ma­tière d’énergie, et de plus grand exportateur alors que les Etats-Unis et la Chine doivent importer, respectivement, 60% et 50% de leur consommation pétrolière. Cela étant, le problème des investissements se pose avec acuité surtout si l’on songe que l’énergie représente les deux cinquième des exportations russes et plus de 10% du PIB. On voit ici l’importance du prix du pétrole brut – et donc du gaz naturel qui lui est lié. Une baisse de 1 dollar du baril représente en recettes pétrolières un montant annuel d’environ 2 milliards de dollars. Or, le brut étant redescendu de 140 à 40 dollars le baril, cela représente plus de 180 milliards de dollars de revenus annuels en moins !

Les Enjeux géostratégiques

Il est évident que l’importance pétrolière et surtout gazière de la Russie dans le monde ne pouvait pas ne pas entraîner de conséquences politiques et stratégiques. Les enjeux sont en effet ceux de la continuité et de la sécurité des approvisionne­ments en hydrocarbures surtout si l’on songe que les deux tiers des réserves pétro­lières se trouvent au Moyen-Orient zone, entre toutes, fragile.

Les Etats-Unis, la Chine, le Japon et tous les pays européens sont directement concernés. Le rôle des Etats-Unis est considérable d’une part en raison du volume de la consommation américaine mais aussi de leurs stratégies politique et écono­mique à l’échelle du monde car, si l’objectif de Washington est de contrôler les aires de production et surtout les voies d’acheminement des principales sources d’approvisionnement, il faut également le replacer dans le cadre de la politique internationale des Etats-Unis.

En dépit des amabilités entre chefs d’Etats, la Russie rendue à sa place de grande puissance par Poutine est considérée par les Etats-Unis comme un adversaire géo­politique concernant l’ensemble Eurasie. La politique de l’OTAN à cet égard lui donne un vif éclairage. Il n’est donc pas surprenant que l’importance prise par l’approvisionnement des pays européens en hydrocarbures par la Russie est un pro­blème géostratégique majeur et que l’amoindrissement sinon la disparition de la part russe de ces marchés est un souci permanent de Washington et de sa filiale de Bruxelles. Avant d’en arriver là, la rivalité, malgré des associations de sociétés pour la recherche et la production en Russie, se manifeste de plusieurs manières. Nous donnerons en exemple d’une part la « guerre des oléoducs » en Asie centrale, d’autre part, la « guerre des gazoducs » en Europe.

La Guerre des oléoducs en Asie centrale

Ce problème déjà fait l’objet d’une étude dans le numéro 12 (Avril 2006) de « Géostratégiques » auquel on pourra se reporter. Depuis lors la question est toujours posée de la même manière à ceci près que l’oléoduc de Kashagan au Kazakhstan vers la Chine a progressé et que lorsque ce champ sera mis en production en 2010, le problème se posera du remplissage effectif des tuyaux notamment le Caspian Pipeline Consortium (CPC) conçu pour transporter 565 000 barils/jour vers le port russe de Novorossisk sur la mer Noire et le « Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) » voulu par les Etats-Unis pour transporter le brut du Kazakhstan et de l’Azerbaïdjan vers la Méditerranée en évitant le territoire russe, tuyau d’une capacité de 1 million de barils/jour et opéré par BP. Il faut y ajouter les oléoducs qui transportent déjà le brut d’Azerbaïdjan de Bakou vers Soupsa en Géorgie et Novorossisk en Russie. Il est à noter aussi que le transport du brut du Kazakhstan vers Bakou se fait par bateau en l’absence de tuyaux sous la Caspienne, problème que nous allons revoir avec le transport du gaz naturel vers les pays européens.

La Guerre des gazoducs en Europe

Depuis 1970, y compris donc à l’ère soviétique, du gaz naturel en quantité importante est importé de Russie sans que le « guerre froide » y fasse obstacle. Aujourd’hui Gazprom vend aux pays d’Europe occidentale plus de 80 milliards de m3 de gaz naturel par an sur une consommation de 320 milliards soit 25%. L’Allemagne seule en absorbe près de 50% et des sociétés gazières et pétrolières de ce pays ont de nombreux intérêts croisés avec Gazprom. C’est ainsi que le projet de gazoduc « Nordstream » associe Gazprom pour 51% aux groupes allemands BASF1, EON et Gasunie (16,33% chacun). Ce gazoduc reliera directement la Russie à l’Allemagne en passant par la Baltique. Il aura une capacité de 27,5 milliards de m3/an destinée à être doublée en 2013. Sa longueur totale sera de plus de 2 000 kilomètres pour un investissement de 6,5 milliards d’euros. Sa mise en service est prévue en 2010 ou 2011. Ce gazoduc a été fortement critiqué à Bruxelles que les Allemands n’ont même pas consulté, conformément à leur habitude lorsqu’il s’agit de leurs intérêts. Comme on le sait, l’ancien chancelier Schroeder est le Président de la société Nordstream.

Continuant sur sa lancée, Gazprom est associée à l’ENI italienne pour construire un gazoduc dit « Southstream » de 900 km à terre qui transporterait le gaz naturel de Bulgarie où il arriverait par un gazoduc à construire sous la mer Noire, vers l’Autriche et l’Italie. La capacité de cet ouvrage serait de 30 milliards de m3/an. Gazprom a, à cet effet, signé des accords avec la Bulgarie et a pris une participation de 51% dans la société pétrolière d’état Serbe (NIS).

Rien ne semble devoir s’opposer à la mise en œuvre de Southstream malgré les efforts de l’Union européenne de Bruxelles pour s’opposer au projet russe et imposer le projet « Nabucco ». Ce dernier, qui groupe les sociétés OMV d’Au­triche, MOL de Hongrie, Botas de Turquie, Bulgargaz et Transgaz SA, acheteurs et distributeurs de gaz naturel, prévoit un gazoduc de Bakou en Azerbaïdjan à travers la Turquie vers la Bulgarie, qui amènerait le gaz naturel vers le cœur de l’Europe. Sa capacité serait de 31 milliards de m3 pour un investissement de 6,5 milliards de dollars US et serait terminé vers 2013.

Ce projet est évidemment conçu pour faire pièce à Southstream comme le dé­montre sa genèse : contrairement à la logique économique selon laquelle le produc­teur construit un tuyau pour vendre sa production à des acheteurs bien définis, il s’agit pour Nabucco d’un groupement d’utilisateurs qui projettent la construction d’un gazoduc sans savoir vraiment avec quoi l’alimenter : en effet, l’idée première de remplacer le gaz russe par celui de l’Azerbaïdjan, pour briser le monopole russe, ne tient pas compte du fait que l’Azerbaïdjan ne dispose pas de la capacité de pro­duction suffisante. Le gisement off-shore de Shah Deriz opéré par un consortium international à la tête duquel se trouve BP avait fait naître de grands espoirs. Mis en production à la fin de 2006, l’évaluation de ses réserves gazières varie de 100 à 600 milliards de m3 mais sa production est couramment de 7 milliards de m3 an­nuellement. Il semble donc très douteux que ce gisement puisse alimenter un tuyau d’une capacité de 30 milliards de m3, ce d’autant plus que Gazprom a déjà négocié un accord préalable avec GNKR, la société gazière azerbaïdjanaise pour acheter du gaz à partir de 2010, diminuant ainsi les éventuelles possibilités d’exportation via Nabucco qui semble devoir rester à l’état de projet. Il faudrait donc ajouter le gaz du Turkménistan et du Kazakhstan lesquels, ensemble, ont des réserves représentant 10% des réserves russes et qui, à l’heure actuelle, exportent leur gaz vers la Russie, ce qui permet à cette dernière d’exporter vers l’Europe son propre gaz sans mettre en danger ses besoins spécifiques et importants de gaz naturel.

Les Etats-Unis, au contraire, font pression pour la construction d’un gazoduc passant par la Caspienne qui permettrait au gaz du Turkménistan et du Kazakhstan de rejoindre le gazoduc projeté à Bakou. Les Russes bien entendu s’y opposent avec succès car la Caspienne n’ayant pas un statut de mer, il faut que ses cinq riverains soient d’accord pour y construire un tel tuyau.

L’Iran a saisi l’occasion de brouiller les cartes en proposant à Nabucco, déjà en difficulté avec l’accord Bulgarie-Gazprom, l’apport de gaz iranien (proposé d’ailleurs également à Southstream). Mais il est exclu que les sponsors et proprié­taires de Nabucco attachent leur fortune à l’Iran.

Les deux exemples ci-dessus résumés montrent assez bien la préoccupation de Washington de prévenir le déploiement de l’influence économique et politique de la Russie. Il est évident que le géopoliticien avisé qu’est Poutine a clairement dis­cerné l’outil de pouvoir et de pénétration que constitue Gazprom qui contrôle à la fois les aires de production et les voies d’acheminement gazières. Le bras de fer dont nous avons résumé les aspects du côté de la Caspienne et en Europe est sym­bolisé par le projet Nabucco comme énoncé ci-dessus mais il prend encore d’autres aspects, toujours dans le cadre de l’approvisionnement des pays européens en gaz naturel et l’objectif avoué de Washington et de Bruxelles est de tenter d’échapper à la dépendance des importations de Russie. C’est ainsi qu’a été répandu dans les medias le danger d’interruption des livraisons de gaz à la suite du conflit entre la Russie et l’Ukraine au cours duquel la société ukrainienne Naftogaz a détourné du gaz destiné aux acheteurs européens pour suppléer à l’interruption des fournitures à l’Ukraine dans le cadre du conflit avec Gazprom concernant le prix du gaz et les arriérés impayés de Naftogaz.

En fait, cette affaire a confirmé les dirigeants de l’Union européenne dans leur volonté de « contourner » la Russie autant que faire se peut. C’est ainsi que l’UE avait publié le 13 Novembre 2008 « Le plan européen pour la sécurité énergétique et l’action solidaire ». Ce document prévoyait de limiter la consommation de gaz naturel à 22% et l’ambition d’obtenir 20% de l’énergie nécessaire à partir de res­sources renouvelables.

La Russie a fortement réagi à cette expression de la volonté européenne de ré­duire sa dépendance du gaz russe et de l’emprise de Gazprom. Ses porte-parole ont souligné le caractère paranoïde de la position de l’UE et que les importations de gaz russe était la meilleure solution du point de vue pratique et financier. Il est certain, notamment, que les trois autres grands fournisseurs de gaz naturel aux p ays in­dustrialisés européens, la Norvège, l’Algérie et les Pays Bas ont des réserves dont l’ensemble atteint seulement 19% des réserves de la Russie et livrent 180 milliards de m3 aux pays européens. Il est non seulement douteux qu’ils puissent remplacer les 80 milliards de m3 russes mais il leur faudrait également modifier et coordonner leurs politiques de conservation des gisements, de production, d’exploitation etc. D’autre part, la réalité est que ce ne sont pas les Etats mais les sociétés gazières qui achètent le gaz et le vendent et que chaque pays a nécessairement sa propre poli­tique et ses propres besoins énergétiques tenant à plusieurs paramètres, notamment au fait que leurs économies sont hétérogènes. Il peut donc difficilement y avoir une politique énergétique unique pour l’ensemble des pays européens. L’Allemagne qui suit toujours son propre chemin en est un exemple. Ainsi M. Alexander Rair, chef du Centre russe et eurasien du Conseil allemand de politique étrangère a souligné que « l’Union Européenne ne parle pas avec une voix mais avec plusieurs ». De son côté, le Vice-président de Gazprom, Alexander Medvedev, remarquait que « Bien souvent nous avons reçu de nos partenaires européens des signaux contradictoires concernant la nécessité du gaz russe à l’Europe ». Il critiquait également le caractère théorique du Plan européen 20-20-20, soit 20% d’efficacité en plus, 20% de réduc­tion des émissions de CO2 et 20% de l’énergie de source renouvelable, ce qui aurait pour effet, dans la mesure où cela serait possible, d’augmenter la fiscalité gazière et demandait comment obliger les entreprises à utiliser des sources d’énergie plus chères.

En fait, l’avenir et les nécessités économiques diront si les pays européens auront ou non des besoins accrus de gaz russe. En tout état de cause, la Russie prépare déjà des productions de GNL à destination d’acheteurs outre-mer y compris les Etats-Unis et est entrée en discussion avec la Chine grand consommateur d’éner­gie à la fois pour le pétrole brut dont une bretelle de l’oléoduc vers le Pacifique sera construite en direction de la Chine, et naturellement le gaz naturel, celui de Sakhaline étant d’ores et déjà destiné au GNL.

L’Energie nucléaire

En dehors des hydrocarbures et du charbon, l’électricité primaire représente 11% de la consommation énergétique de la Russie qui est la cinquième grande puissance nucléaire du monde. La production d’électricité nucléaire était déjà im­portante du temps de l’Union soviétique et les pays de l’est européen tels la Lituanie et la Slovaquie qui sont, avec la France (78%), les pays d’Europe où la part du nu­cléaire dans la production d’électricité est la plus élevée. Pour la Russie, elle est de 16% avec 30 réacteurs et plus de 20 000 MWe installés.

Cette industrie nucléaire a, certes, subi pendant environ 25 ans un ralentis­sement notable dans le monde entier, voire dans de nombreux pays un véritable arrêt. Toutefois, on sent aujourd’hui un frémissement même dans des pays comme l’Allemagne où l’arrêt du développement nucléaire était chose décidée. En Russie l’industrie nucléaire marque depuis 2004 un important réveil notamment par une réorganisation du secteur nucléaire avec une agence fédérale pour l’Energie ato­mique « Rosatom » grand groupe public avec participations privées minoritaires, suivant l’exemple réussi de Gazprom. Il est prévu une augmentation rapide de la production d’électricité d’origine nucléaire aujourd’hui de 140 millions de MWh en la doublant d’ici 2020 avec la construction de 40 nouveaux réacteurs.

 

Ce développement de l’énergie nucléaire est considéré comme essentiel dans la stratégie industrielle de la Russie ainsi qu’énoncé par Vladimir Poutine dans une conférence de presse le 1er Février 2007. C’est dans le cadre de cette stratégie qu’opèrent Rosatom et TVEL, société dont les actions sont entièrement détenues par l’Etat qui est chargé notamment du cycle du combustible et qui couvre le secteur minier. La stratégie nucléaire russe en matière civile est une stratégie expansionniste car elle ne se limite pas aux besoins du pays mais a des ambitions à l’exportation. C’est ainsi que les perspectives pour TVEL seraient de fournir du combustible non seulement aux 40 centrales russes prévues mais à 100, soit 60 à l’étranger.

Si donc, en ce qui concerne le bilan énergétique russe, il s’agit de faire passer d’ici 2020 la part d’électricité nucléaire de 16 à 21%, il s’agit également d’une politique globale opérant non seulement comme facteur de développement écono­mique mais aussi comme vecteur d’influence politique.

L’exposé ci-dessus aura fait apparaître que la Russie, superpuissance énergétique, est redevenue un acteur majeur de la politique internationale et que les problèmes proprement pétroliers et gaziers devaient, outre leurs caractéristiques techniques, économiques et commerciales, être nécessairement replacés dans le cadre plus vaste de la géostratégie internationale, particulièrement les relations avec les pays eu­ropéens et surtout les Etats-Unis et leur volonté de « leadership » réaffirmée par le Président Obama et symbolisée par l’orientation de l’OTAN. Mais le « bloc » énergétique russe ne pourra, suivant le terme fautif mais d’usage courant, que rester incontournable. Nécessités industrielles et économiques obligent.

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