La Turquie et le Djihad Syrien: Financement du terrorisme ou Realpolitik?

Résumé : Est-ce que la Turquie finance le terrorisme enraciné en Syrie, ou est-ce que l’intervention turque en Syrie relève de véritables soucis géopolitiques ou religieux turcs ? Depuis toujours, voire depuis l’Empire ottoman qui à présent fait mine de reprendre vie, l’Occident se méfie de la Turquie. Où en est-on aujourd’hui ?

Summary : Is Turkey financing the terrorism rooted in Syria, or is the Turkish intervention in Syrie a manifestation of genuine Turkish geopolitical or religious concerns? Since always, indeed since the Ottoman Empire that seems to be reviving, the West has distrusted Turkey. What is the situation today?
« La Turquie et le Djihad Syrien: Financement du terrorisme ou Realpolitik? »

Sinan BAYKENT, politologue

Aux yeux de l’Occident, la Turquie joue un rôle ambigu vis-à-vis le djihad syrien. Alors que certains affirment que la Turquie tolère Daech dans son entreprise meurtrière, d’autres vont jusqu’à prétendre que le gouvernement turc finance directement certains groupes djihadistes présents en Syrie.

En effet, plusieurs associations de la société civile turque apportent un soutien financier et logistique aux groupes islamistes tels que l’Ahrar al-Sham ou encore le Front al-Nosra. Mais qu’en est-il du raisonnement qui motive cette tolérance du gouvernement turc ? Ce soutient non-négligeable apporté aux groupes islamistes fait-il partie d’une politique conjoncturelle à fortes connotations sunnites ? Ou bien est-ce plutôt une politique rationnelle faisant l’unanimité aux sommets de l’Etat ? Quelle est la position officielle turque vis-à-vis de Daech? Quelles sont les raisons qui poussent les Occidentaux à présumer qu’il existe un lien entre la Turquie et Daech? Les questions sont nombreuses.

Lors de notre exposé, nous démontrerons en quoi la politique syrienne de la Turquie était vouée à l’échec dès le départ et surtout pourquoi tant d’interrogations ont surgi suite à son application pratique.

La Turquie a bel et bien financé le djihad islamiste syrien et ce, notamment par le biais de nombreuses associations. Depuis 2011, le nombre de ces associations à titre caritatif a considérablement augmenté et certaines d’entre elles sont aujourd’hui quasiment devenues des holdings. Ainsi, elles accomplissent une double mission : collecter des fonds pour l’aide humanitaire destinés à la Syrie ou aux refugiés syriens présents en Turquie et recruter les volontaires djihadistes, puis organiser leur départ vers la Syrie ou dans certains cas l’Irak.

Au début, la collecte de fonds et le recrutement se faisaient essentiellement en faveur de l’Armée Libre Syrienne (ALS). Cependant, au fur et à mesure que celle-ci a perdu du poids, la majorité de ces activités se sont ralliées aux démarches de l’Ahrar al-Sham. En effet, l’Ahrar al-Sham est un groupe salafiste directement créé par une triple entente, à savoir la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Ce groupe contrôle une importante partie de la Syrie, surtout les régions proches d’Alep et fait alliance avec le Front al-Nosra, notamment sous le toit de Jaish al-Fatah.

Outre les associations civiles, les médias pro-Erdoğan font également l’éloge de certains groupes syriens, dont l’Ahrar al-Sham et al-Nosra. Les médias recourent souvent à des interviews avec leurs porte-paroles ou de leurs figures emblématiques. Cela a un effet considérable sur la jeunesse islamiste turque qui voit à travers ce prisme le djihad syrien comme une source de fierté musulmane, voire nationale. Par exemple, de nombreuses organisations de jeunesse organisent des défilés après les prières du Vendredi pour afficher leur soutien aux djihadistes syriens. Dans les medias-sociaux, les comptes en turc des leaders djihadistes font un véritable carton ; celui de Muhaysini (le cadi officiel du Jaish al-Fatah), par exemple, a dernièrement dépassé la limite des 10.000 abonnés. Cet intérêt quasi-populaire émanant du peuple turc a surtout incité al-Nosra (qui fait partie du réseau global d’Al-Qaeda) à adopter une approche plus souple vis-à-vis de la population et l’Etat turcs. Alors que la Turquie fut une cible pour Al-Qaeda en 2002, dorénavant elle est plus une alliée épisodique.

Néanmoins, suite aux récents développements positifs dans les relations bilatérales entre la Turquie et la Russie, la politique syrienne de la Turquie a commencé à évoluer. Prise en panique par la lente formation d’un Etat kurde sponsorisé par le PKK au Nord de la Syrie, la Turquie y est intervenue militairement. Il est intéressant de noter que le soutien à la Turquie fut apporté non pas par Ahrar al-Sham mais bel et bien par l’ALS. Ahrar est considéré comme une organisation terroriste par la Russie, alors que l’ALS, en raison de sa composition plutôt orientée vers les Frères Musulmans, apparaît certainement plus sympathique aux yeux des Russes.

La Turquie se trouve aujourd’hui face à un choix stratégique : soit elle va empêcher la création d’un Etat kurde au nord de la Syrie et se mettre d’accord

Article précédentLes financements saoudiens des médias, des ONG et des partis politiques dans le monde arabe en vue d’imposer le Wahhabisme.
Article suivantLe « nouveau terrorisme » sous le prisme des « Nouvelles guerres »

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.