L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde : vers une guerre de mille ans pour la Mecque?

Jean-Maxime CORNEILLE
Spécialiste du monde arabe et des implications géopolitiques
de l’histoire pétrolière
En examinant tout d’abord la rivalité entre les Saouds et l’Iran à travers une nouvelle guerre par
procuration, l’on s’apercevra que se trouvent des deux côtés le même type d’extrémisme, historiquement
installés tous deux par les anglo-américains et favorables aux intérêts d’Israël. La création
préalable d’un État défaillant au Yemen, rendra possible ensuite une vision manichéenne du
conflit et l’oubli d’une troisième voie religieuse saine, qui était précisément de nature à empêcher
la balkanisation du Moyen-Orient.
En revanche les indices d’une recomposition du Moyen-Orient, passant par le lâchage de l’Arabie
Saoudite au Yémen, ne peuvent se comprendre sans envisager le sabotage connexe des ÉtatsUnis
: l’influence sioniste et néoconservatrice est en train d’ourdir délibérément la fin des ÉtatsUnis
et ceci n’a rien de positif. Il s’agira alors d’écouter les observateurs initiés pour comprendre
ce qui doit être sauvé face à cette dangereuse évolution, qui joue délibérément la stratégie du pire
au Moyen-Orient…
Examining first of all the rivalry between Saudis and Iranians across a new “war by power of attorney”,
one perceives that on both sides are to be found the same types of extremism, historically installed by
the Anglo-Americans and favorable to the interests of Israel. The prior creation of a lame-duck State in
Yemen shall thereafter render possible a Manichean vision of the conflict, and the losing from sight
of a healthy religious path, which was precisely of a nature as to prevent the Balkanization of the
Middle-East.
On the other hand, indications of recomposition in the Middle-East, transiting by abandoning Saudi
Arabia in Yemen, cannot be understood without contemplating interrelated United-States sabotage:
the Zionist and neo-conservative influence is deliberately warping the end of the United-States, and
that promises no good.
This then means listening to observers initiated to comprehend that which must be saved in the face of
this dangerous evolution that for now is deliberately playing the strategy of the worst in the MiddleEast.
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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Il est bien difficile de comprendre la situation yéménite si l’on
ne raisonne qu’à cinq ans. Or la leçon majeure de l’histoire pétrolière est qu’il faut
plutôt penser l’évolution des évènements « à cinquante ans »…
Cette évolution ne devient d’ailleurs compréhensible qu’en conservant à l’esprit
deux dynamiques fondamentales de notre monde actuel. Premièrement, l’histoire
du capitalisme « moderne », qui n’est rien d’autre que l’histoire de la captation
monopolistique des matières premières stratégiques partout dans le monde, par des
intérêts privés agissant bien souvent sous couvert étatique. Deuxièmement, l’histoire
connexe et parallèle des déstabilisations d’État, afin avant tout de faciliter cette
captation monopolistique des ressources, tout en garantissant des troubles internes
au sein des États-«cibles » sur le temps long, ce qui permet de pérenniser les mêmes
rapports de domination internationaux…
Afin d’éclaircir la situation au Yemen, et de tenter d’identifier les intérêts et dynamiques
en jeu, nous évoquerons dans un premier temps la rivalité entre l’Arabie
Saoudite et l’Iran, à travers une nouvelle guerre par procuration : ceci impliquera
d’étudier le sens de la glorification des conflits inutiles, que les médias « modernes »
n’aident pas à clarifier… car tout est fait pour oublier que dans l’histoire pétrolière
ces deux pays (Arabie et Iran) furent avant tout des otages, non des États souverains.
Puis nous verrons que la vision manichéenne du monde, depuis surtout les
attentats du 11 Septembre 2001, conduit à créer des pôles d’instabilités localisés et
contaminant des zones entières du globe. La question du seul but à terme devra être
posée : celui d’une situation de guerre perpétuelle au Moyen-Orient, après avoir
ruiné artificiellement toute possibilité de syncrétisme religieux empêchant de fait
des guerres religieuses.
Dans notre se seconde partie, nous aborderons les indices conduisant à voir
dans les évènements actuels au Yémen, le « lâchage » en cours de l’Arabie Saoudite.
Un changement dont nous ne mesurons pas encore les conséquences… surtout
parce qu’il est assorti d’une démolition parallèle des États-Unis. Ainsi nous verrons
dans un premier temps les indices de ce qui nous apparaît constituer un net renversement
des alliances américaines, en faveur de l’Iran et contre les Saouds. Puis
nous nous attacherons à comprendre ensuite que ce renversement d’alliance est
en fait associé à un changement de nature des États-Unis d’Amérique. Car cette
double dynamique conjointe conduit à un renouvellement du vieil « Arc de Crise »
britannique, incitant les différents belligérants à s’épuiser mutuellement, quels que
soient les changements apparents des gouvernements. Mais l’évolution au sein
des États-Unis conduira aussi à se demander si c’est bien encore Washington qui
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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décide, ou bien plutôt New-York (les milieux financiers) et surtout Tel-Aviv. Or
dans cette dynamique du pire,nous verrons que personne n’a rien à gagner, sauf
à servir la pire vision du monde possible qui n’attirera que du malheur partout, y
compris pour Israël.
La conclusion permettra de comprendre l’enjeu majeur, qui sera celui de la balkanisation
globale du Moyen-Orient : nous envisageons même à ce titre une possible
situation « à l’irlandaise » pour la Mecque, qui permettrait de perpétuer une
guerre interne à l’Islam (entre chiites et sunnites), potentiellement pour mille ans…
I. La rivalité Saoud-Iran à travers une nouvelle guerre par procuration…
Comprendre la situation au Yemen nécessite de prendre du recul, au-delà du
conflit allégué et médiatiquement « présenté » comme confrontant avant tout « des
sunnites d’un côté, des chiites de l’autre»: si nous pesons bien les choses, et à condition
de n’avoir pas oublié l’Histoire « réelle » (tant de l’Arabie Saoudite que de l’Iran),
nous nous apercevons que se trouvent des deux côtés le même type d’extrémisme,
s’exprimant dans le contexte d’un État défaillant, le Yemen.
Deux points doivent alors être développés ici : d’une part la glorification des
conflits inutiles, et d’autre part l’exportation d’une vision manichéenne du monde
comme vecteur de guerre perpétuelle.
A. La glorification des conflits inutiles
Au Yémen, nous avons d’un côté « l’intrus » iranien : les vieux briscards de la
révolution iranienne désireux de pousser leurs feux… par le biais de milices chiites
supplétives (« proxy fighters »). Mais il faut d’abord bien garder à l’esprit que le Shah
d’Iran (comme Mossadegh avant lui1
), fut renversé par une collusion pétrolière
anglo-américaine qui mit à sa place le régime le plus obscurantiste possible en Iran
(1979)2
, grâce à nombre de complicités naïves partout en Occident3
. Cependant
après trente ans d’exercice du pouvoir et dix ans de menaces israéliennes, l’Iran a
retrouvé une certaine sagesse qui n’est certainement pas celle des Saouds…
1. « Iran: la CIA a bien renversé Mossadegh » (Le Figaro, 19 août 2013).
2. Nous n’aurons malheureusement la confirmation de ce point que plus tard, l’époque étant encore
à la désinformation hollywoodienne : « «Argo» : Hollywood et la CIA au secours des prisonniers de la
révolution islamique » (Le Monde, 6 novembre 2012).
3. Pour un exemple remarquable, passé inaperçu : « J’ai été agent de la Révolution iranienne » (Eva
Darlan, actrice française, Paris Match, 29 décembre 2014).
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De l’autre côté l’Arabie Saoudite4 : une faction sunnite de l’Islam qui n’est
en fait qu’une variation sur le thème du même extrémisme qui a historiquement
amené la révolution en Iran : le wahhabisme. Le contexte saoudien est d’autant plus
intéressant que le jeune et nouveau souverain saoudien Salmane vient de réaliser
une petite révolution de palais au bénéfice du clan Soudeiri, connu pour être le
plus fanatique, et dont nous connaissons déjà le prince Bandar aux bien troubles
liaisons…
Ainsi nous trouvons une confluence de deux extrémismes (Iran et Saouds), qui
furent historiquement des opérations de déstabilisation anglo-américaines nourries
afin de brider tant l’Iran que l’Arabie… Or il se trouve que par un « heureux »
hasard, ces deux extrémismes se rejoignent présentement au Yemen dans le cadre
de la grande « guerre mondiale contre le terrorisme » (« Global War on Terror »). Il
est cependant bon de rappeler que cette expression est et a toujours été par définition
un oxymore : on ne fait pas la guerre contre des terroristes… on mène des
opérations de contre-terrorisme, qui relèvent des Services spéciaux, de la contre-influence
d’une part, et d’autre part de ce qu’en France on appelle les Renseignements
Généraux (le suivi continu au plus près des populations, qui permet la contre-influence
si nécessaire). Les opérations de police à proprement parler ne surviennent
qu’en fin de course, et les opérations militaires antiterroristes relèvent non pas de la
règle mais de l’exception : dans tous les cas, les interventions viriles et l’usage de la
force ne surviennent qu’in fine seulement.
Un autre point d’arrière-plan mental concernant les États-Unis d’Amérique : la
culture des « Gun & God » (« Dieu et les armes ») : la conquête de l’Ouest américain
s’est globalement faite suivant une « philosophie » simple : « si ça bouge on tire, si ça
ne bouge pas on enterre ». Voilà comment les États-Unis sont historiquement devenus
une grande nation « craignant Dieu », en massacrant la nation amérindienne.
Ainsi, le fanatisme religieux historiquement britannique (et sous-tendu par une
vision messianiste de l’histoire d’inspiration éminemment juive), a conduit à une
histoire peu reluisante mais qui a ensuite été mythifiée : les « Gun and God » ont
donné des le genre cinématographique des « westerns » avec d’un côté les « gentils »
cow-boys, et de l’autre les « méchants » indiens…
Mais rappelons-nous la leçon intemporelle des « Règlement de comptes à OK
Corral »5 : le mercredi 26 Octobre 1881 à Tombstone (Arizona), eut lieu à 15h00
4. « Saudi Arabia is training tribal fighters in Yemen as proxy battle with Iran heats up » (Business
Insider, 29 avril 2015),
5. « Gunfight at the O.K. Corral »,western américain de John Sturges (1957), inspiré de faits réels.
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une fusillade qui dura trente secondes tout au plus. Tous les protagonistes s’entretuèrent
ou décédèrent des suites de leurs blessures : ainsi il n’y eut pas de gagnants,
uniquement des perdants. Pourtant, l’image d’Epinal du Western nous en est restée
dans une vision fantasmée, faite de fictions enjolivées, de récits héroïques…
Hollywood a déformé cet incident au-delà de tout semblant de réalité.
Or la réalité concrète, c’est qu’« Œil pour œil et le monde deviendra aveugle »
(Gandhi) : le vrai conflit c’est l’horreur et le chaos, mais il permet aussi d’entretenir
une vision mythifiée des enjeux a posteriori, et de nourrir une propagande qui après
coup, permettra aux sunnites comme aux chiites de nourrir leur conflit ancestral.
Nous avons déjà vécu cela en Europe, entre la France et l’Allemagne ou mieux, dans
les Balkans : « les morts mettent plusieurs générations à pardonner »…
Rajouter ensuite le contexte de zones qui n’ont pas connu d’État réellement
stable durant des centaines d’années voire des millénaires… Ainsi le sujet n’est pas
celui de savoir qui sont les « bons » ou les « méchants» : l’observateur averti reste
perplexe face à ces logiques de conflit sans fin et un seul mot serait alors adapté :
« Vendetta », assorties de son lot de razzia, les veilles pratiques locales d’une société
sans État stable…
Aussi longtemps que l’on associera « les armes et Dieu », ceci perdurera : il
serait pourtant grand temps de trouver Dieu ailleurs que dans la poudre à canon…
Mais la leçon est surtout que cette logique de « God & Gun », ne peut fonctionner
qu’au service d’une vision étatiste, d’un projet de civilisation en fait : il s’agit de
domestiquer la violence afin de la convertir en protection, permettant seulement
dans un second temps de bâtir durablement… Voilà ici le rappel de la grande leçon
de la présence française en Afrique du Nord : toute civilisation est par définition
fragile, il faut deux mille ans pour la bâtir, quinze jours pour la perdre. Pourtant
la France avait réussi dans cette entreprise : du Maroc à la Syrie, du Rwanda au
Sénégal, et l’on vit par exemple des troupes coloniales noires se comporter de façon
exemplaire en Syrie face aux troubles fomentés contre le Mandat français par les
britanniques (après la Première guerre mondiale), pour des raisons avant tout pétrolières…

Mais depuis, tout à été fait oublier cette expérience de civilisation réelle que fut
l’Empire français, héritier en ce sens des légions romaines : « par le glaive » certes,
mais surtout « par le soc ». Les leçons intemporelles de Lyautey ou de Gallieni ont
totalement été oubliées par les américains, mais il faut surtout se demander si le but
n’est pas justement, la guerre perpétuelle plutôt que la civilisation…
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Car si cette situation au Yemen ne doit pas durer, elle peut durer, comme nous
allons le voir… Et alors il est impossible de comprendre la situation si l’on réduit
l’analyse au seul Yemen…
B. La vision manichéenne du monde : la guerre perpétuelle comme but ?
Le problème est que les États-Unis sont devenus les « cow-boys » du monde
entier, répandant6
partout la bonne parole « par la poudre et par Dieu » : Edward
Saïd rappelait en 2003 qu’aucun empire n’a jamais prétendu combattre pour le
mal7
… Mais ce qui est pire, c’est que les États-Unis laissent partout des situations
encore plus confuses après-coup, créant sans cesse des États défaillants sans avoir la
moindre idée de comment arrêter ensuite ces guerres qui prospèrent en l’absence
d’État stable. La seule solution trouvée, c’est de les terminer à grands coup de dollars,
or la conséquence indubitable (des Balkans à l’Afghanistan…), est alors que
les mafias remplacent partout les États…
La bonne question ici, serait de savoir si tout ceci est une logique américaine ou
bien une logique mondialiste, et quel en est alors le but final.
Car pour l’instant la démolition du Yemen est permise grâce au bras armé amé-
ricain, ou bien armant un supplétif comme l’Arabie Saoudite : l’Arabie Saoudite
mène en effet aujourd’hui au Yemen une guerre « à l’américaine », c’est-à-dire une
guerre de destruction délibérée des infrastructures civiles qui ne peut qu’engendrer
le chaos par la suite. Or c’est de ce chaos que se nourrit le mondialisme
ensuite : les États défaillants peuvent ensuite se voir imposer absolument toutes
les mesures possibles, n’ayant plus les moyens réels de leur propre souveraineté. Et
si en plus ils sont intérieurement déchirés par des guerres intestines, plus aucun
espoir n’est alors permis pour la population, et c’est un cycle de guerre potentiellement
interminable qui s’amorce…
Cependant il faut bien comprendre ce contexte yéménite réel qui est imparfaitement
rendu par les médias occidentaux fonctionnant de façon binaire (« gentils
» et « méchants »). Là encore, il est bon de se demander quelle stratégie sur le
long-terme cela sert-il.
Ainsi durant la guerre du Sa’dah (2004 – 2011), de nombreux efforts médiatiques
ont été menés afin de faire absolument passer les milices Houthistes et le
6. Le terme anglais serait « pervasive » : à la vois permanent et invasif, « qui se fait sentir partout ».
7. « Preface to Orientalism. » (Edward Said, Al-Ahram, 7–13 Août2003).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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courant Zaydite au sein du Yémen, comme devant être nécessairement considérés
comme « la main de l’Iran » au Yemen8
.
Or de même qu’en Amérique Latine (mais aussi en Afrique ou ailleurs…),
nous avons déjà connu bon nombre de chefs charismatiques suspicieux face aux
menées anglo-américaines, artificiellement « repeints en rouge » (« red-hairing »)
afin de les faire passer pour communistes puisque n’étant pas absolument convertis
au merveilleux capitalisme « moderne » anglo-américain… De même ici, nous
devons nous méfier de toute présentation médiatique raisonnant en termes de
« bons » et de « méchants ».
Car dans le contexte hystérique de l’après 11 Septembre 2001, et surtout
après 2004-2005 jusqu’aux aux soi-disant « printemps arabes » (2011, il est bon
de remarquer le parallèle avec les dates de la guerre du Sa’dah), tout à été fait
pour présenter les milices yéménites zaydites et Houthistes comme des « alliés
de l’Iran ». Or la réalité concrète sur le terrain était plutôt celle d’un syncrétisme
religieux entre chiisme et sunnisme au sein du zaydisme, en tout cas à des relations
poreuses entre les deux communautés, des mariages mixtes, en tout cas tout autre
chose qu’une lutte inéluctable9
.
Nous disons que ce point était à la fois du plus grand intérêt pour le dialogue
interne au monde musulman, et qu’en même temps il est une des causes lourdes
de la démolition actuelle du Yemen : il faut rappeler que la démolition artificielle
de la Yougoslavie par l’OTAN a été motivée par le fait d’empêcher toute possibilité
de « troisième voie » viable entre capitalisme et communisme. Or à cette
logique de « balkanisation » au Yemen s’ajoute une volonté délibérée et actée par
les milieux sionistes, de ruiner toute possibilité d’une entente pacifique entre les
différents courants religieux musulmans : il s’agit bien de créer les conditions,
au Yemen, en Syrie comme dans tout le Moyen-Orient, d’une fracture multiple
permettant de balkaniser toute la région à partir de critères tribaux et religieux10.
Partant de là, tout État montrant que ces luttes ne sont pas une fatalité, a
vocation à être démoli. La Syrie et le Yémen sont deux exemples de premier plan,
mais il faut bien comprendre que : de même que le morcellement artificiel des
8. Pour une rare analyse mesurée dans une source française, voir : « Retour des chiites sur la scène
yéménite » (Monde Diplomatique, Laurent Bonnefoy, novembre 2014).
9. Voir sur ce point l’intervention de Faiçal Jalloul au même colloque sur « Le Yemen en Guerre », et
l’article correspondant dans cette même revue.
10. Lire absolument sur ce point : « Le Plan Sioniste pour le Moyen-Orient » (Oded Yinon,
nouvellement disponible en français, Sigest, 2015).
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Balkans servait la suprématie de l’OTAN en Europe et l’absence de souveraineté
européenne réelle, de même cette situation yéménite sert un plan similaire : il
s’agit d’une volonté de balkanisation délibérée de tout le Moyen-Orient, qui servira
massivement au final à faciliter la domination sioniste locale bien plus que les
États-Unis en tant que nation.
En ce sens, nous allons évoquer plus loin la démolition de la nation américaine
par ses propres élites, et il nous faut comprendre alors une logique de la plus extrême
perversité : nous est proposée à présent comme solution la version « modernisée
» du « Gun & God » à l’américaine : « sécurité nationale », « liberté », « démocratie
». Sans jamais évoquer les bonnes questions : comment on est-on arrivé là ?
Cette dynamique est spécialement vraie depuis le 11 Septembre 2001, mais
correspond en fait à la réactualisation de la mise en garde formulée par le président
Eisenhower (1960) face aux menées internes au sein des États-Unis, alliant le
« MILIC » (Complexe Militaro-Industriel, CMI) et les intérêts les plus bellicistes
des États-Unis11 : spécialement la curieuse alliance messianiste entre les sionistes
et les chrétiens protestants américains nantis du même messianisme déviant. De
nombreux lanceurs d’alertes américains envisagent ou accusent directement des
intérêts en apparence américains, mais bien souvent traîtres et surtout sionistes,
allant au final contre la nation américaine.
Nous citerons ici les déclarations de Steven Kelley, ancien cocontractant privé
avec la CIA, confirmant que les États-Unis « ont créé l’État islamique pour le bien
d’Israël », afin de nourrir une « guerre sans fin » au Moyen-Orient qui rendrait les
pays qui en sont victimes, incapables de résister à Israël. Le but étant également
« d’assurer un flux constant de commandes pour le CMI », « ce qui rapporte beaucoup
d’argent aux sénateurs qui poussent à ces guerres »12, tout en confirmant que de nombreux
combattants locaux sont directement stipendiés par le Pentagone (ce que l’on
savait en fait depuis quelques temps)… Des combattants qui grossissent ensuite
bien souvent les rangs des différentes factions locales et deviennent autant d’électrons
libres pour démolir plus encore la région13.
Ainsi la démolition délibérée du Yémen en frappant ses infrastructures civiles
(comme auparavant en Serbie, Irak, Libye, Syrie, la liste n’est pas exhaustive…),
11. Voir sur ce point le remarquable documentaire « Why we Fight » (Eugene Jarecki, 2005).
12. Ce que racontait le documentaire « Why we Fight », précité.
13. « ISIL completely fabricated enemy by US: Former CIA contractor » (28 août 2014, Press TV, repris
par des sources anglo-saxonnes).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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entraînera comme conséquence inéluctable le désespoir de la population, qui va
subir de plein fouet l’arme de la faim à laquelle la vulnérabilité du Yémen était
déjà grande. Viendra ensuite l’inévitable règne des mafias14 qui ne manqueront
plus jamais de chair à canon locale : ainsi « Daech » comme « Al Quaida » ne
sont d’ores et déjà qu’une mafia locale, vaguement colorée d’un Islam plus que
douteux.
On oublie que l’opération saoudienne fut annoncée depuis Washington : c’est
l’indice difficilement contestable de ce que l’opération était initialement cautionnée
par Washington15. Du reste les soldats américains avaient quitté le Yemen un mois
avant16, les journalistes pensant à un « coup dur pour Washington » qui se « servait
du pays comme base contre al-Quaida ». Nous y voyons plutôt un autre indice qu’il
s’agissait de laisser faire le « sale boulot » par l’allié saoudien…
Tout ceci nécessite de prendre comme tel le « conte de fées » (Storytelling)
raconté par les médias occidentaux quant au terrorisme local, au-delà des
retournements d’alliance que peu d’observateurs comprennent : lorsque
progressivement l’on est parvenu à faire passer Al-Qaida pour l’allié idéal face à
la Syrie (puis aujourd’hui à Daech), c’est une logique orwelienne qu’il faut bien
comprendre. La meilleure reconnaissance « officielle » de cette cause commune
entre Al-Quaida et les intérêts anglo-américains, provient du très influent Council
on Foreign Relations (CFR)17, vantant l’afflux des djihadistes apportant « discipline et
ferveur religieuse, l’expérience du combat en Irak, le financement par des sympathisants
sunnites dans le Golfe et, plus important encore, une efficacité meurtrière. En bref, l’ASL
a aujourd’hui besoin d’Al-Qaïda18 ».
Ces liaisons dangereuses sont également confirmées par la « lanceuse d’alerte »
Sibel Edmonds qui publie ses mémoires19 : son travail au FBI (lié à ses origines
iranienne) lui ayant permis d’établir sans doute possible le lien entre la terreur
d’un côté, la solution en terme d’influence anglo-américaine de l’autre. Ces élé-
14. Nous connaissons déjà le Captagon dans les Balkans, le Qat au Yémen, le Captagon a fait à
présent son apparition en Syrie et le Qat se répandra lui aussi…
15. « L’Arabie saoudite annonce avoir lancé une opération militaire au Yémen » (I-Télé, 26 mars 2015).
16. « Les soldats américains quittent le Yémen » (Le figaro, 22 mars 2015)
17. « Al-Qaeda’s Specter in Syria » (CFR, 6 août 2012), sous la plume de Mohamed Mahbub Husain,
musulman prétendument soufi ayant produit des écrits importants quant au fondamentalisme
sunnite et aux jeux d’intérêt au Moyen-Orient.
18. Rare article en français : « Bienvenue à l’émirat islamiste au Moyen Orient » (08 août 2012, JeanPaul
Baquiast, Mediapart)
19. « Classified Woman », 2012.
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ments n’ont quasiment reçu aucun écho dans nos médias occidentaux, pourtant
elle accusait directement l’Administration américaine de haute trahison et de dissimulation
[« cover-up »]20. Ce qui confirmerait donc cette idée tout à fait « orwellienne
»21 : « la “guerre contre la terreur” a changé, sans qu’un américain sur mille
ne s’en aperçoive : Al-Quaida est devenue l’alliée des États-Unis22 ! » On comprend
d’ailleurs pourquoi au passage les syriens surnommaient al-Quaida : « al-CIA »…
De fait Daech et al Quaida sont alliés sur le terrain contre le Yemen, et l’Arabie
Saoudite facilite délibérément les choses : l’exemple du bombardement systématique
des ports et aéroports sauf celui d’al Mukalla, où précisément les djihadistes
d’al Quaida avaient pris leurs quartiers. De même le bombardement délibéré par
l’Arabie Saoudite des mosquées de fiefs Houtistes. Rappelons encore que les Frères
musulmans sont illégaux en Arabie Saoudite, mais pas au Yemen aux yeux de la
même Arabie Saoudite… Ce qui fait que les Houthistes et Zaydites vont se retrouver
pris entre deux feux et radicalisés face aux Saoudiens et à leurs alliés, et
n’auront plus de choix autre qu’une radicalisation chiite pro-iranienne. De même
pour les populations qui ne sont jamais du côté des extrémistes, mais que l’on peut
les désespérer artificiellement de façon à ce qu’elles n’aient plus d’autre choix23…
Pire, la stratégie du pire devient bien réelle lorsque l’on a vu déployée sur
le terrain une arme nucléaire tactique, vraisemblablement une bombe à neutron
(rayonnement renforcé)24. Il fut dit alors qu’elle avait certainement été lancée depuis
un avion F-16 israélien maquillé aux couleurs saoudiennes, puisque les saoudiens
n’ont pas de F-16, alors qu’au moins deux furent abattus localement au Yemen.
Mais nous envisageons aussi une autre hypothèse qui aurait une toute autre signi-
20. Elle a d’ailleurs créé le groupe des «lanceurs d’alerte pour la sécurité nationale». Il est très
vraisemblable que si elle n’a pas été assassinée, c’est qu’il existe aux États-Unis la même lutte
d’influence au sein des milieux du renseignement qu’en France ou en Allemagne [voir aussi note n°188
page 41]. Aux États-Unis c’est une lutte qui date de la fracture entre F.D. Roosevelt, évoquée par
Eisenhower, puis postérieure à Kennedy.
21. Référence à l’épisode prémonitoire du livre « 1984 » (« Nous avons toujours été en guerre avec
l’Estasie »…) où les alliances sont renversées et toute information relative à la situation antérieure
effacée aux yeux du public…
22. « The “War On Terror” Has Changed, and Not One In 1,000 Americans Has Noticed » (Blog du
Washington Post, 31 July 31, 2012).
23. Voir notre intervention annexe au colloque sur Radio Sputnik.
24. « Saudis Have Israel Nuke Yemen for Them » (Gordon Duff and Jeff Smith, Jeff Smith étant
ancien inspecteur pour l’AIEA, Veterans Today, 21 mai 2015). Il faut avoir aussi en mémoire que
les États-Unis furent accusés d’avoir fait usage d’une bombe à Neutron sur l’aéroport de Bagdad en
2003 (« US accused of using neutron bombs », Al-Jazeera, 9 avril 2007).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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fication : celle d’une bombe iranienne déployée à l’occasion de cette « guerre par
procuration », et qui serait un message tout à fait direct adressé à Israël. Cette thèse
n’engage que nous, elle nécessitera évidemment une attention particulière pour être
confirmée dans le futur.
Notre dernier point d’arrière-plan est certainement une clé de compréhension
majeure pour comprendre la situation Yéménite : l’histoire des manipulations et
autres déstabilisations britanniques récurrentes au Moyen-Orient.
Pour un exemple récent, rappelons qu’en 2005, des S.A.S. (Forces Spéciales britanniques)
furent capturés par la police iraquienne de Bassorah (Irak) déguisés en
miliciens chiites, tirant sur des civils sunnites, et disposant d’un véhicule bourré
d’explosifs… le but de ce genre d’opération étant de dresser durablement sunnites
contre chiites… Or les vétérans de l’Empire français se souviennent de telles déstabilisations
qui peuvent être trouvées dans de rares sources françaises anciennes25.
Mais voici donc un exemple concret, actuel, de la façon dont sont démolis ces
états et leurs tissus sociaux : les populations prises en « feu croisé » entre tous les
extrémistes possibles, préalablement agités par de telles opérations noires (« barbouzeries
», dirait-on en français…).
Or il se trouve que les États-Unis ont repris à leur compte ce grand savoir-faire
britannique consistant à aiguillonner les « filières » terroristes selon leurs intérêts,
afin de servir leur politique séculaire de l’« Arc de crise » britannique. Concrètement
nous parlons ici de la Balkanisation de l’Eurasie, la « constante » de Mackinder26.
Ainsi, si l’on espère rechercher une cohérence dans les alliances des États-Unis,
elle est illisible : au Yemen dans la situation initiale au Yemen, les États-Unis étaient
les alliés des Saouds contre l’Iran, puis en sont venus à traiter localement les manifestations
les plus grossières d’al Quaida27 ou de Daech. Parallèlement l’Iran est au
côté de la Syrie28 dans la guerre inique que les États-Unis lui ont indirectement dé-
clarée (au côté des britanniques et des israéliens…) : une guerre hybride croissante
25. Pour un exemple : « L’Intelligence Service, machine de guerre au service de la City », J.M. Rochard,
Editions de France, 1941).
26. « The Geographical Pivot of History » (Sir Halford Mackinder,1904).
27. Par exemple, l’Armée américaine est parvenue à tuer Nasser Al-Wahishi, chef local d’al Quaida,
même si l’implication américaine n’est officiellement pas certaine («Yemeni al Qaeda chief killed in
U.S. bombing », Reuters, 16 juin 2015)
28. « Iran Spends Billions to Prop Up Assad » (Bloomberg, 9 juin 2015) évoquant des milliards de
dollars iraniens pour soutenir Bachar al-Assad (d’après l’ONU et d’autres experts. Estimation au-delà
des estimations américaines).
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
94
ayant évolué d’un printemps arabe à une démolition pure et simple grâce à des
combattants étrangers importés…. Pourtant les États-Unis combattent aux côtés de
l’Iran en Irak, un autre État défaillant ramené à l’âge de pierre, et devenu un désert
livré aux luttes intestines.
Ainsi la seule clé de lectureréellement tenable est celle d’une volonté délibérée de
balkanisation globale de la région, outre le contrôle traditionnel des pétroles29. Mais
parallèlement, deux types d’indices se dévoilent : d’une part le rapprochement des
États-Unis avec l’Iran (qui ne serait pas une mauvaise chose si les intentions étaient
claires…), d’autre part des scandales majeurs aux États-Unis qui n’annoncent rien
de bon pour la nation américaine…
Et à ce propos il faut faire une mention spéciale pour le film « Soldat Bleu »(Ralph
Nelson, 1970) : le premier western où la cavalerie américaine n’était pas montrée
sous un angle héroïque, mais au contraire comme des barbares lâches et sanguinaires
génocidant les amérindiens, femmes et enfants compris30. Or le contexte de ce film
antimilitariste était celui de la guerre du Viet Nam… et de scandales (Massacre de
M~
y Lai, 16 mars 1968) qui indignèrent l’opinion américaine…
« Soldat bleu » est ainsi un point de repère majeur pour comprendre la démolition
des États-Unis que nous sommes en train de vivre : de même que la guerre du
Viet Nam fut basée sur une arnaque financière peu connue et permit surtout un affaiblissement
majeur de la confiance des États-Unis en tant que nation31… de même
les scandales que nous vivons aujourd’hui même au Moyen-Orient vont contribuer
à l’affaissement final des États-Unis. Or il n’y a pas de quoi se réjouir, mais plutôt
en se rappelant du bon mot de Woody Allen (« J’aime beaucoup la cérémonie des
Oscars à Hollywood. C’est la plus grande fête juive du monde »), de se demander
quels intérêts pourraient alors bénéficier de l’affaiblissement des États-Unis…
II. Le Lâchage de l’Arabie Saoudite au Yémen… et le sabotage connexe
des États-Unis.
Il s’agira ici de comprendre les indices d’un lâchage prochain de l’Arabie
Saoudite par les anglo-américains qui la soutinrent historiquement, mais dans le
29. Voir sur ce point « Les projets secrets pour le Yémen » (F. William Engdahl, Voltaire.org, 27 mars
2011)
30. D’après les faits réels du massacre de Sand Creek (Colorado, 29 novembre 1864).
31. Voir sur ce point majeur : « Pétrole, une guerre d’un siècle », (W. Engdahl, Edit J.C. Godefroy,
2007, p.134).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
95
cadre d’un simple « changement dans la continuité » permettant de balkaniser à
peu de frais la région.
Ceci ne peut être compris sans envisager la nature néfaste des forces puissantes
pervertissant les États-Unis et oeuvrant pour la démolition du Moyen-Orient, et la
lutte d’influence au plus haut qui est féroce à l’heure actuelle pour tenter de sauver
la République américaine…
A. Le renversement des alliances en faveur de l’Iran contre les Saouds
Dans la situation Yéménite initiale (avril 2015), l’Arabie Saoudite a initialement
massé des troupes et des matériels, dont il est largement pourvu par le CMI
depuis des années…
La nouveauté majeure (mai 2015), c’est que l’assaut militaire saoudien a été
enrayé par une remarquable confluence des intérêts économiques et politiques
américains, russes et chinois, qui ont tempéré la tentative saoudienne comme cela
ne s’est jamais vu : tout s’est passé « en coulisses » selon les vieux principes de la
Realpolitik, et l’on a fait comprendre à l’Arabie saoudite en termes non équivoques,
qu’elle échouerait dans sa guerre contre les supplétifs iraniens au Yémen.
Cela ne veut pas dire que la guerre ne perdurera pas, mais surtout que des
indices majeurs d’un retournement majeur contre l’Arabie Saoudite se dévoilent,
au-delà de ce revers diplomatique contre Ryad : tout à coup les médias occidentaux
semblent découvrir que l’Arabie exécute des condamnés ou commet d’autres
atrocités au quotidien, qui étaient déjà racontées par le Renseignement français
en 1930, avant même l’établissement officiel de l’Arabie Saoudite32. De même
que l’«État Islamique » commence du reste exactement pareil que les Saouds wahhabites,
avec les mêmes exactions… Il est alors nécessaire de se rappeler que le
wahhabisme ne doit sa puissance qu’à son instrumentalisation historiquement
anglaise dans la conquête des pétroles de Mésopotamie contre les ottomans et les
allemands, et que l’Arabie saoudite a été soutenue aussi longtemps qu’elle était
« utile »…
D’autres indices affleurent, comme les fuites et désertions massives de soldats
saoudiens : notoirement incompétents, mais ils peuvent aussi y avoir été incités,
sentant le vent tourner ou même plus certainement attirés par de meilleurs salaires
en rejoignant d’autres factions… stipendiées par le Pentagone ? La palme du meilleur
indice revient an Nouvel Observateur : « [François] Hollande, l’ami normal des
32. « Le Turban Vert » (Xavier de Hautecloque, 1930, réédition Energeia, 2013).
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
96
parrains du djihadisme » (4 mai 2015). Les médias français redécouvrent la roue, des
faits connus depuis les années 1920, pourtant il y a ne serait-ce qu’un an, un tel titre
relevait du « conspirationnisme »…
Jusqu’ici, tempérer les saoudiens est indubitablement une bonne chose, cependant
ce fut après le déclenchement de l’opération et les plus gros dégâts faits par les
saoudiens, qui entretemps ont redoublé de vigueur et comprennent en fait qu’ils
se battent d’ores et déjà pour leur survie…Car entretemps la situation a évolué :
les États-Unis et l’Iran se sont enfin rapprochés avec la négociation d’un accord
nucléaire, après plus de trente cinq ans de froid « officiel ». La question est donc de
savoir qui, à présent, déstabilise le Moyen-Orient : quel est le sens de toute cette
affaire ?
On ne pèse pas encore ce que cela signifie, mais nous disons que les extrémismes
des deux bords vont servir de « carburant » pour alimenter le feu et pousser à la
balkanisation du Moye-Orient, qui peut aller très loin. Il faut surtout replacer cet
étonnant « chassé-croisé » entre les Sino-russes face aux anglo-américains d’une
part, l’Arabie Saoudite face à l’Iran d’autre part, et L’État Islamique en trouble fête :
Dans la situation initiale, « historique », l’Empire britannique puis les ÉtatsUnis
soutenaient l’Arabie Saoudite, et sabotèrent l’Iran du Shah…pour se plaindre
ensuite en apparence de la révolution iranienne qu’ils avaient pourtant eux-mêmes
créés… Sur la période récente (2001-2015), Israël mit la pression sur l’Iran, Israël et
l’Arabie Saoudite ayant d’ailleurs contribué à la puissance nucléaire Pakistanaise33…
Tandis que jusqu’à une date récente la Russie et la Chine ont soutenu l’Iran34 contre
la « Communauté Internationale » (c’est-à-dire avant tout la Grande-Bretagne, les
États-Unis et Israël, suivis par quelques autres).
Sauf qu’aujourd’hui, c’est un nouveau renversement d’alliance dans la grande
tradition britannique, que les États-Unis mènent en faveur de l’Iran. Peu de gens
en comprennent le sens, puisqu’il est double et qu’il faut avoir une longue mémoire
historique pour le comprendre :
Premièrement, il faut aussi rappeler par analogie le retournement britannique
de la Serbie (située sur la route du Bagdad-Bahn) avant 1914. Il est ainsi possible
33. Rappelons qu’au Pakistan d’Ali Bhutto avait été refusé l’atome civil… pour voir ensuite donner
l’atome militaire au général Zia juste après… Cette logique de tension n’a rien de sage, il s’agit plutôt
d’une stratégie de la tension délibérée contre l’Iran et l’Inde…
34. “Seized Chinese Arms Raise Concerns In Iran” (NY Times, 3 mars 2013).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
97
de voir les anglo-américains tenter de reprendre pied sur la route de la soie en Iran,
afin d’espérer pour jouer les trouble-fête dans le projet Sino-Russe.
Parallèlement, le second point s’inscrit dans la logique de « désordre maximum »
au Moyen-Orient : on ne se rend pas encore compte que la « mise en place » de
l’État Islamique se fait de l’exacte même façon que celle de l’Arabie Saoudite il y a
quatre-vingts ans, et annonce le sort futur des Saouds… Mais pour le comprendre,
il nous faut avoir en « arrière-plan mental » l’histoire de l’Empire britannique d’une
part, du Moyen-Orient d’autre part, qu’il est bon d’illustrer par l’exemple d’un
« changement dans la continuité » typiquement britannique : en 1958, l’Iraq de
Nuri al-Saïd vécut une révolution violente, une sorte de « printemps arabe » avant
l’heure lorsqu’un obscur groupe d’« officiers libres » lui succèda (général Kassem,
Colonel Aref), inspiré officiellement par Nasser.
À l’époque tout le monde croit que la rue s’est soulevée et que l’Irak va devenir
enfin progressiste, démocratique, etc… Mais ce sont les britanniques qui tirent leur
épingle du jeu, grâce à leur légendaire savoir-faire subversif : ainsi un spécialiste
britannique du Foreign Office révèlera à l’époque aux français, que « nous nous
faisions des illusions et qu’il ne s’agissait en Irak que “d’un changement de personnel
gouvernemental” »35.
C’était en effet une opération de contre-feu face aux nassériens, mais aussi
face aux américains (rivaux historiquement des britanniques dans la course aux
pétroles) : les lendemains qui chantent sont vite déçus, et vint surtout ensuite une
phase de « contrecoups » très significative, qui doit être comprise comme une « signature
» des déstabilisations artificielles dont les conséquences sont autres que
celles au début les plus apparentes. En effet, une fois le succès populaire oublié,
c’est dans un second temps que tous les éléments « moteurs » des révolutions (dans
leur aspect fondé, légitime, de contestation sociale par exemple…) sont ciblés : les
vrais réformistes finalement ralliés à ce mouvement de synthèse furent épurés, les
partis réformistes disloqués, en utilisant spécialement l’arme religieuse : ce fut en
effet la fin d’un certain libéralisme religieux en Irak et le début d’une propagande
coranique d’une vigueur auparavant inconnue.
Là encore, la mémoire de l’Empire français permet de suspecter une méthode
typiquement britannique d’après trois éléments :
35. Cité par Pierre ROSSI (Politique étrangère N°1 – 1961 – 26e année pp. 63-70), l’une des rares
sources françaises intéressantes entre 1958 et 1963, dont de larges pans sont ici commentés.
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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– l’exploitation d’une situation intenable où l’on use des hommes de paille jusqu’à
la corde (hier al-Nursi, aujourd’hui les Saouds, indéfendables dans leur jeu
trouble au soutiend es terroristes, mais agissant sur ordre…). Ce piège consistant
d’ailleurs à créer la détestation des dirigeants actuels pour ensuite créer
l’assentiment d’un peuple à un « printemps arabe » mené par un homme ou
parti nécessairement « providentiel » se retrouvera est également une constante
quasi-systématique de l’activisme subversif mondialiste.
– les réels mouvements réformistes (et souvent nationalistes) pris de vitesse ou
laissés en marge de cette révolution artificielle…qui sert ensuite à « brûler » ces
mêmes réformistes : achetés, évincés, mis en prison ou assassinés…
– l’utilisation délibérée des factions religieuses les plus obscurantistes pour
prendre les réformistes intelligents entre deux feux : entre le nouveau pouvoir
artificiel et la pression sociale religieuse qui nivellera l’intelligence par le bas : le
nationalisme progressiste cédant face à un Coran entre des mains extrémistes.
Ces développements étant du reste accompagnés d’assassinats ciblés contre les
meneurs incorruptibles afin de garantir un climat de peur…
Deux clés de compréhension sont donc nécessaires pour comprendre la situation,
nous l’avons vu : le lâchage des Saouds et le renversement des alliances angloaméricaines
d’une part, mais aussi le « conte de fée » (storytelling) du terrorisme
maniés par ces mêmes Saouds pour déstabiliser la région, nécessitant d’appeler la
pénétration iranienne dans cette même région. La situation est d’ailleurs bien ironique
comparée à l’absurde guerre « imposée » entre l’Iran et l’Irak (1980-88), et
pourtant il convient d’en voir une actualisation rampante dans la situation actuelle,
qui servira à épuiser les deux parties de nouveau.
Sauf qu’à travers l’intervention Sino-russe dans le conflit yéménite, il faut rajouter
un dernier élément de fond qui est majeur : le narratif sino-russe d’une nouvelle
route de la soie à travers l’Eurasie. C’est une promesse nouvelle jamais vue depuis
cent ans, à laquelle pourront être intégrés tous les pays qui le souhaitent, et impliquant
tous les investissements en infrastructures requis pour mettre en valeur le
monde. Ainsi plusieurs pays musulmans sont concernés (Asie Centrale, Turquie,
Pakistan), mais aussi ceux directement menacés au Moyen-Orient (Jordanie et
Égypte…), ont compris qu’il s’agissait de travailler de concert : un renversement
pacifique du monde semble possible.
En ce sens, c’est la réaffirmation des principes de base que la Chine a embrassé
en même temps que l’Amérique les perdait : les avantages « théorique » retirés du
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
99
capitalisme étant supérieurs à ceux de la guerre36. Il était d’ailleurs inconcevable
auparavant pour d’anciens pays communistes comme la Russie et la Chine d’exceller
sur le plan économique : c’est là la manifestation du « bridage par l’idéologie »
qu’ils ont subi face à un monde Anglo-Saxons triomphant37…
Mais plus important encore : c’est le changement complet de paradigme dans
la méthode de résolution des conflits, en même temps que la renaissance des vraies
constantes géopolitiques : la puissance emporte des responsabilités, non pas de dé-
molir les pays tiers à grand coups de « Gun & God », mais au contraire de veiller à
ce que des conflits sporadiques ne viennent pas miner l’entièreté du projet…
C’est la leçon qui semble avoir été retenu d’un précédent historique : la façon
dont le « modèle allemand » (pré-191438), fut démoli à partir des manipulations
britanniques dans les Balkans… Ce qui a permis de généraliser au monde le capitalisme
« moderne » à l’anglaise (« acheter pas cher pour vendre cher »), alors qu’il
est structurellement générateur de guerres et de crises… La grande leçon de cette
démolition du modèle allemand, c’est donc que l’hégémonie implique la prévention
des conflits.
Et la nouveauté c’est qu’une masse critique potentiellement inexpugnable (d’un
point de vue des intérêts anglo-américains) est susceptible de changer le monde à
présent : nourrie de l’expérience historique, elle peut ouvrir une vraie période de
développement à venir qui serait en quelque sorte la « revanche du modèle allemand
»… à condition de ne pas laisser s’embraser des zones entières (Syrie, Yemen)
ou de laisser se faire retourner des pièces du « grand échiquier » eurasiatiques (Iran)
en faveur des fauteurs de guerre anglo-américains ou israéliens, qui pourraient
36. Un parallèle qui ne manque pas de sel : la devise de l’armée Patton en Allemagne était :« don’t
add to the mess » (« ne pas rajouter des troubles aux troubles »). Une devise totalement oubliée des
États-Unis aujourd’hui, et ce sont les russes (avec la Chine en soutien) qui poussent aujourd’hui de
toutes leurs forces pour éviter un embrasement du monde…
37. Des indices notables montrent qu’après la Russie, la Chine se débarrasse à son tour du
communisme. Voir par exemple le dernier film de Jean-Jacques Annaud : « Le dernier loup (réalisé
avec le soutien des autorités chinoises, alors que ce même réalisateur avait été interdit de tournage en
Chine après avoir réalisé « Sept ans au Tibet », sur l’invasion communiste du Tibet) : y est montré
pour la première fois un commissaire politique détestable et l’absurdité des idées communisme
n’apportant que de la destruction au nom du progrès idéologique…
38. Modèle allemand, de racines américaines, le modèle d’économie physique américaine ayant
lui-même des racines européennes, notamment franco-italiennes. Il s’agissait avant tout de la
quintessence de l’idéalisme européen servi par une vision étatiste synchronisant les intérêts privés
plutôt que dominés par eux…
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
100
vouloir faire jouer à l’Iran un jeu bien spécifique, comme l’Angleterre aupravant
avec la Serbie de 1914…
Sauf qu’un dernier point doit être éclairci : l’ambiguïté du rôle américain
et la question de ces fauteurs de guerre localisés aux États-Unis, qui mettent
délibérément en danger le monde autant que la nation américaine…
B. Le changement de nature des États-Unis et la volonté de guerre perpétuelle
Ce n’est pas l’Amérique en tant que nation, mais ce sont les intérêts privés
américains qui ont nourri le développement de la Chine communiste (comme de
l’URSS auparavant) : par des transferts de technologies, des débouchés massifs sur
le marché américain (délocalisations…), et parallèlement à la création artificielle
de la faiblesse économique américaine. Aujourd’hui les États-Unis perdent à la fois
leur puissance et leur tissu économique, tout en prétendant encore à une hégémonie
militaire partout : c’est l’Empire romain et sa fin inévitable.
Mais nous oublions aujourd’hui que la jeune République américaine initiale
a été historiquement la « nation à abattre » depuis sa naissance, du point de vue
du capitalisme « moderne » épicentre alors à Londres… Précisément parce qu’elle
allait engendrer d’autres modèles économiques alternatifs comme le « modèle allemand
» : c’est là une histoire dramatiquement oubliée aujourd’hui parce que les
États-Unis ont été « retournés » puis démolis en 3 dates : 1804 (assassinat d’Alexander
Hamilton, créateur de la banque nationale par opposition à la banque privée
monopolisant la monnaie), 1913 (création de la FED, cartel de banques privées se
voyant octroyer le monopole de l’émission de monnaie), et 1957 (le tournant postindustriel
des États-Unis39)…
Au Yémen d’ailleurs, des indices graves et nouveaux du flottement de la puissance
américaine ont été constatés, spécialement l’évacuation des ressortissants
américains qui fut menée par les russes… ce que les citoyens américains n’ont pas
manqué de relever : « où était l’US Navy ? »40.
Le fait est qu’aujourd’hui les États-Unis sont gouvernés par des incompétents
et épaulés par des alliés immatures, injustement riches (comme les saoudiens ou les
Emirats Arabes Unis…) qui, de bluff en fanfaronnades, d’inadéquation en incompétence…
amènent le pire. Comparés aux dirigeants Sino-Russes, les États-Unis
39. Voir sur ce point « Pétrole une guerre d’un siècle » (W. Engdahl, précité).
40. « Les Américains coincés au Yémen portent plainte contre le Département d’État » (SputnikNews,
13 avril 2015)
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
101
sont gouvernés par des personnels mis en causes à un niveau criminel bien au-delà
de ce qui pourrait être reproché à Vladimir Poutine ou au Président Xi : les familles
Bush et Clinton en sont la caricature pathétique : une absence totale de vertus, ce
que l’on appelle des sycophantes, c’est-à-dire des flatteurs sans vertus gagnant les
faveurs d’un système qui conduit délibérément les USA à la ruine. Et la façon dont
sont cooptés et portés médiatiquement Jeb Bush comme Hillary Clinton en vue
de la prochaine élection, illustre à merveille une constante : pour qui le comprend
bien, le Système capitalisme « moderne » a besoin de ses Caligula ou Néron… Ils
ruineront la République américaine par leurs forfaitures, mais il faut bien garder
à l’esprit que les mêmes conséquences avec dix ans de décalage surviennent en
France : en 2003 nous nous moquions des guerres de Bush Jr, aujourd’hui nous les
faisons…
Nombre d’éminents lanceurs d’alertes américaine parmi les plus initiés aux
arcanes du pouvoir dénoncent tout cela. Parlons ici du Dr. Steve Pieczenik, quasiment
inconnu en France, qui est pourtant l’un des meilleurs connaisseurs de l’appareil
d’État américain : serviteur de cinq Président américains, juif de famille partiellement
catholique, il est avant tout un ardent patriote américain41, violemment
antisioniste et d’un courage rare puisqu’il dénonce les plus grosses manipulations
des sionistes42 et de leurs relais néoconservateurs au plus haut de l’Administration
américaine…
Ainsi en avril 2002, il annonçait que Ben Laden était « déjà mort depuis des
mois » (certainement en décembre 2001) du syndrome de Marfan (maladie géné-
tique), que le pouvoir américain l’annoncerait au moment politiquement opportun43.
Il confirme ceci en mai 201144 (après l’opération officielle anti Ben Laden),
évoquant un gros mensonge cautionné par Obama, en lien notamment avec
les amiraux McRaven, Mullen, les civils Leon Panetta et John Brennan (DCI,
Directeur de la CIA). Il rajoute que les attentats du 11 septembre 2001 ont été
organisés par le gouvernement américain lui-même, impliquant George W. Bush,
Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Condoleezza Rice, Stephen Hadley, Elliott
Abrams, Paul Wolfowitz et de multiples autres complicités. Pieczenik se déclarait
41. La comparaison serait pertinente avec les français juifs « napoléoniens » en France.
42. Par exemple Ron Dermer, né américain mais ambassadeur d’Israël aux États-Unis et grand ami
de Benyamin Netanyahou, incompétent mais militant aux États-Unis pour la stratégie du pire au
bénéfice d’Israël…
43. Alex Jones Show, 24 avril 2002.
44. Alex Jones Show, 3 mai 2011.
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
102
d’ailleurs prêt à témoigner devant une Commission ad hoc du Congrès et de donner
ses sources au plus haut de l’État américain.
Il faut bien comprendre que Pieczenik fut à la base expert en opérations psychologiques
(Psy-Ops) et contre-terrorisme, et sait de quoi il parle et sa carrière fut
exemplaire. Ainsi lorsqu’au-delà d’une incompétence jamais vue au sommet des
États-Unis, il évoque toute une coterie de sociopathes narcissiques et de menteurs
pathologiques non qualifiés pour gouverner l’Amérique… qu’il rajoute que le « sociopathe
Obama » a usé de tromperie pour être élu et continue de tromper le peuple
américain, risquant ainsi une révolution violente… Le propos n’est pas anodin.
Or, plus de treize années après ces prédictions du Dr Steve Pieczenik, Seymour
Hersh publie son rapport sur la mort de Ben Laden45 : le même journaliste lauréat
du prix Pulitzer, qui avait révélé le massacre de My Lai pendant la guerre du
Vietnam, et avait aidé à rendre public le scandale d’Abu Ghraib en Irak. Or cet
article est un « exocet » contestant la version officielle de la Maison Blanche et sa
vision propagandaire46, confirmant que l’administration Obama a menti sur de
nombreux points entourant le raid des Navy SEALs supposé avoir tué Oussama
Ben Laden… Les réactions fébriles de la Maison blanche, les mêmes d’ailleurs qui
s’étaient manifestées lors du retrait des premières photos grossièrement fausses de
Ben Laden Mort en 2011, nous semblent illustrer à merveille la fin des États-Unis
tels que nous les connaissons…
Un point parallèle doit être évoqué quant au programme américain d’assassinats
ciblés par drones : il est étonnant de voir la presse américaine retrouver son intré-
pidité et son lustre perdu depuis longtemps. Ainsi en est-il du New York Time47,
dénonçant le mensonge sous-jacent, la distorsion des faits et le contexte de trahisons
politiques au sein de l’Administration Obama.
Car il convient de rappeler que le « lauréat du Prix Nobel de la Paix Obama »,
a admis que sous son égide étaient tués des civils innocents grâce à un programme
45. « The Killing of Osama bin Laden » (Seymour Hersh, London Review of Books , 21 mai 2015).
Notons que c’est une source anglaise qui est utilisée comme vecteur, relayée par le Huffington
Post : « Seymour Hersh’s Bin Laden Raid Bombshell Draws White House, Media Pushback » (Michael
Calderone, 11 mai 2015 ; version française 12 mai 2015 : « Mort de Ben Laden : Qui est Seymour
Hersh, l’ancien journaliste star qui accuse Obama? »).
46. Dont Hollywood a produit une version mythifiée : « Zero Dark Thirty» (Kathryn Bigelow,
2012).
47. Trois articles de Scott Shane (« The Moral Case for Drones », NY Times, 14 juillet 2012),
« Election Spurred a Move to Codifu U.S.Drone Policy » (24 Novembre 2012), « Drone Strikes Reveal
Uncomfortable Truth: U.S. Is Often Unsure About Who Will Die » (23 avril 2015).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
103
non autorisé d’assassinats ciblés au Pakistan, au Yémen et en Somalie… L’illégalité
de ces procédés est totale, et se double d’une privatisation de l’usage de la force
prodigieusement néfaste pour les États-Unis en tant qu’État : c’est tout un ensemble
d’agents opérationnels sous-contractants de la CIA qui bénéficient de fonds publics
virtuellement illimités, et cette sous-traitance est menée à travers des sociétés
privées secrètes utilisant des soldats américains des Forces spéciales déguisés en
« contractors » civils puis réintégrés ensuite dans l’Armée : un mépris absolu des
lois de la guerre, et surtout un « business » qui en dit long sur la déliquescence des
institutions américaines.
Ces articles du NYT sont factuels : ils ne font que rapporter les déclarations et
évènements impulsés par la Maison Blanche, et l’interprétation des propos d’Obama
qui relèvent de l’aveu pur et simple : l’acquiescement de l’illégalité totale de ses décisions
qui tuent des civils. Pieczenik, docteur en psychiatrie conclue qu’« Obama, se
comporte comme tout bon sociopathe et tueur de masse, qui ne peut généralement pas se
retenir de confesser ses péchés », le Président allant jusqu’à évoquer sa « méfiance » face
à la tentation de puissance que les drones offrent aux décideurs : pour « résoudre les
problèmes de sécurité vexants »48…
Si ce n’est pas un aveu de culpabilité… Rappelons que Nixon et Clinton ont été
menacés d’impeachment pour moins que cela ! Mais tout ceci a été escamoté par
John Brennan sous la forme d’un déni stratégique, et servi il faut bien le dire par
une totale omerta médiatique.
Or le fait est que les États-Unis sont menacés, détournés par des dirigeants
corrompus, des représentants inertes et des institutions dysfonctionnelles. Il lui
reste encore les valeurs qui l’ont faite, mais un duel entre les meilleurs à la base
et les pires aux commandes rappelle réellement la fin de l’Empire romain. C’est
une pathocratie (gouvernement par des psychopathes) qui s’est installée sous nos
yeux : trois Administrations incompétentes fossoyeurs de l’Amérique se sont succé-
dées (depuis Clinton et Sandy Berger), avec tout une brochettes de néo-conservateurs
théoriciens de la « Suprématie » américaine (Stephen Hadley, Paul Wolfowitz,
Frank Fukuyama…), qui en sont en fait les fossoyeur pour le compte des intérêts
sionistes. Et aujourd’hui, Obama en tant que création de la CIA de bout en bout,
et d’autres enfants de chœur comme Brennan, affirmant que les programmes de
drones ne servent à « prévenir les complots opérationnels contre les États-Unis et contrer
les « réseaux terroristes » qui « ciblent les États-Unis ».
48. « Election Spurred a Move to Codifu U.S.Drone Policy » (NYT, 24 Novembre 2012, précité),
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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La réalité, c’est que la CIA et les intérêts privés gravitant autour d’elle, inutiles
et excessivement coûteuses, sont devenus un cancer rongeant la République américaine
: lorsque des civils n’ayant aucune expérience opérationnelle sont fascinés par
le pouvoir que donnent les technologies militaires de pointe et sont poussés au pire
par un Système qui s’en nourrit, la situation est dangereuse.
Pourtant face à eux il existe un parti interne de patriotes américains, spécialement
au sein de l’Armée, dénonçant ces saboteurs fauteurs de guerre qui amèneront
à la fois Guerre générale au Moyen-Orient et à la guerre civile aux États-Unis : « Le
temps est venu d’arrêter la CIA constamment inefficace et de permettre à l’Armée amé-
ricaine de travailler sans entrave par incompétence civile »49, d’autant plus que cette
guerre des drones n’amène que le ressentiment des populations, et ce n’est pas un
hasard si un attentat (fin 2014) toucha la base américaine d’Al-Anad, justement
connue pour ses drones50…
Le point nodal et l’enjeu le plus important de toute cette histoire en cours, dont
le Yemen n’est qu’une des pièces de puzzle, est illustré avec courage par S. Pieczenik,
qui rencontra en 1999 Shahabzada Yaqub-Kahn51, qu’il connaissait bien auparavant.
Celui-ci l’avait alors averti que l’ISI, la CIA, l’Arabie Saoudite, les Emirats
Arabes Unis et d’autres organismes (spécialement le Mossad), allaient être impliqués
dans « une tentative visant à “créer une perturbation mesurée [calibrée]” à la fois
aux États-Unis et au Moyen-Orient »52.
Pieczenik ne comprit pas tout de suite l’importance de ce qu’il lui avait été dit,
mais remarqua comme anormal l’afflux de cocontractants privés de la CIA amenés
au Pentagone. Puis survint le 11 Septembre, et Pieczenik (qui avait été impliqué
dans la campagne de Bush Jr) sut immédiatement quelles étaient les responsabilités.
Il resta à l’écart, emmagasinant suffisamment d’information par de nombreux collaborateurs
apeurés des néoconservateurs, pour rendre public dès avril 2002 le fait
que le 11 Septembre n’avait été qu’une mise en scène…
Aujourd’hui (2015), c’est cette même trahison secrète qui continue au plus haut
de l’appareil d’État américain, et une guerre contre une terreur artificielle qui va
49. S. Pieczenik, précité.
50. « Al Qaeda allies target U.S. forces in rocket attack on Yemen base » (CNN, 11 décembre 2014).
51. Ancien général de l’armée pakistanaise, impliqué dans le Renseignement (ISI), et un excellent
ambassadeur aux États-Unis. « Prince, Soldier, Statesman Sahabzada Yaqub Khan, Columnist M.
ZAFAR is inspired by Col Qayyum’s tribute to Lt Gen SAHABZADA YAQUB KHAN to add to it »
(Defence Journal, Pakistan, Octobre 2000).
52. Blog du Dr. Steve Pieczenik, 26 Novembre 2012, précité
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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amener la fin des États-Unis tels que nous les connaissons : par exemple il serait bon
de se demander si le jour même des attentats de Boston (15 avril 2013), n’aurait
pas été rendu un rapport bipartite du Congrès américain qui incriminait tous les
responsables américains pour crime de guerre, y compris Obama au même titre que
Bush Jr, dans le cadre de cette « guerre contre la Terreur »53 : c’est vrai qu’il aurait fait
« mauvais genre » de voir un prix Nobel de la paix conduit dans un procès du même
type que celui de Nuremberg contre les dignitaires nazis…
Or la menace pèsera avant tout contre le peuple américain : du Patriot act
(26 octobre 2001) au National Defense Authorization Act (31 décembre 2011),
l’inconstitutionnalité et le viol de la séparation des pouvoirs54 semblent pouvoir
aller jusqu’à une soviétisation totale des États-Unis. Le récent exercice « Jade
Helm 15 », manœuvre militaires sur le sol américain (9 états) supposée durer trois
mois (15 juillet-15 septembre 2015), habituant les américains à une présence militaire
dans la rue et ciblant l’éradication des militants locaux (« homeland eradication
of local militants »… Sic). Malgré les dénégations voulant faire passer toute question
honnête pour une « théorie de la conspiration »55, doutes soulevés sont nombreux56
quant à une intimidation bolchévique du peuple américain « par le choc et par la
peur ».
Et cette situation ne nous dit rien de bon pour la nation américaine57…
Conclusion
Ce qu’il se passe au Yemen et la mise en échec de l’Arabie, la nouvelle alliance
américano-iranienne… va amener un nouveau mouvement de balancier qui peut
être très néfaste pour le Moyen-Orient. Nous considérons ainsi que les Saouds vont
être inexorablement sacrifiés et remplacé par l’État Islamique, qu’il soit renommé
ou pas.
53. « The Unintended Consequences of the Boston Massacre » (Blog de S. Pieczenik, 16 avril 2013) ;
« U.S. Engaged in Torture After 9/11, Review Concludes » (Scott Shane, New York Time, 16 avril
2013).
54. « Homeland Battlefield Act Portion Found Inconstitutional by a Judge » (Michael McAuliff,
Huffington Post, 16 mai 2012)
55. « Conspiracy Theories Over Jade Helm Training Exercise Get Some Traction in Texas » (New York
Times, 8 mai 2015).
56. « Why Operation Jade Helm 15 is freaking out the Internet — and why it shouldn’t be » (The
Washington Post. 31 avril 2015).
57. Entrevue de S. Pieczenik au Alex Jones Show, 2 juin 2015.
« L’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde… » Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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Mais nous craignons en plus une situation « à l’irlandaise » pour la Mecque,
d’après des précédents ayant conduit la France à se méfier des manœuvres de déstabilisations
anglo-américaines…
Donner la Mecque aux Chiites semble bien improbable aujourd’hui, mais
au demeurant pas beaucoup plus que de la confier à une tribu bédouine anonyme
comme les Saouds, n’ayant absolument aucune légitimité religieuse sur ces lieux
saints.
Surtout, le précédent de la stratégie de contre-insurrection en Irlande du Nord,
nous conduit à envisager sérieusement cette hypothèse qui serait le début d’une
guerre de mille ans au sein de l’Islam…
En Irlande du Nord a en effet été mise en œuvre une stratégie de neutralisation
de la résistance irlandaise face à l’Armée britannique d’invasion : le Renseignement
britannique parvint à subvertir la raison centrale du conflit (l’occupation d’une
nation souveraine par une nation voisine en position d’agresseur) et de faire croire
que le conflit résultait plutôt avant tout de divisions ethniques et religieuses à l’inté-
rieur de la communauté de l’Ulster58. Le mode opératoire standard fut de créer des
institutions ad hoc, favorisant précisément ces divisions religieuses (des autorités
protestantes face à une population catholique…) puis de provoquer ensuite sciemment
des divisions dans la société nord-irlandaise afin de faire passer la guerre de
l’IRA contre une occupation étrangère, pour un conflit avant tout « religieux » 59. Le
but ultime étant de refuser aux insurgés de la première heure (l’IRA) toute occasion
de présenter leur résistance à l’occupation britannique comme un droit fondamental
(tel que défini par la convention de Genève), et de se voir reconnaître ainsi « de
droit » en tant que résistance « légitime ».
Au vu du précédent cité en Iraq plus haut (les SAS britanniques capturés par
la police irakienne), il apparaît tout à fait plausible qu’en Iraq ait pu précisément se
développer la même « stratégie de contre-insurrection » : de nombreux doutes ont été
émis quant aux origines réelles de ces actions, pointant notamment des escadrons
de la mort sous supervision américano-israélienne, travaillant à partir du Ministère
de l’intérieur iraquien60 : chose époustouflante à première vue, mais très commune
58. « Guerre spéciale en Europe: Le laboratoire irlandais » (Roger Faligot, Flammarion, 1992).
59. « In memoriam Paul Brennan, Mélanges » (Paul Brennan, Presses Universitaires du Septentrion,
2004, p.247) ; « Le conflit en Irlande du Nord » (Paul Brennan, Presses Sorbonne Nouvelle, 1985,
p.53). Remarquons l’homonymie avec l’actuel directeur de la CIA John Brennan.
60. « Iraq Begins to Rein In Paramilitary Force » (Washington Post, 14 mai 2006).
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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si l’on s’en réfère à la chronologie d’actions similaires depuis l’après-Seconde guerre
mondiale61.
Le but peut ainsi avoir été triple : diaboliser et démoraliser une « véritable »
résistance, dresser durablement les différentes communautés les unes contre les
autres, et légitimer la présence militaire anglo-américaine en Iraq.
La stratégie visible au Yemen illustre le règne à venir des forces supplétives :
l’Arabie Saoudite et ses sbires d’al Quaida remplacés par l’État Islamique, démolissant
toute la région de façon plus efficace que les forces américaines, qui ne servirent
qu’à créer les États défaillants incapables de résister à ces forces artificiellement
créées.
Au final, nous maintenons que le Yemen est la dernière victime en date
de la seule constante lisible dans la stratégie anglo-américaine et israélienne, est la
division maximum de toute la région en accord avec les visées historiques du sionisme62.
« Quo usque tandem, Catilina… ? »
61. Par exemple ce que l’on a appelé la « Stratégie de la tension » en Italie.
62. Cf : « Le Plan Sioniste pour le Moyen-Orient » (Oded Yinon, précité).

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