L’avenir de la diplomatie française vis-à-vis de l’Iran

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Dans le cadre de ses analyses des grandes questions géopolitiques du monde d’aujourd’hui, l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé le jeudi 16 mai 2013, un colloque sur la « L’avenir de la diplomatie française vis-à-vis de l’Iran » à l’Assemblée Nationale.

Ce colloque s’est proposé d’apporter des éclairages sur les relations diplomatiques, actuelles et à venir, entre la France et l’Iran. Ce colloque sera l’occasion de nourrir le débat et de réfléchir à un changement de la diplomatie française à l’égard de l’Iran.

Ont assisté à cet événement des professeurs, chercheurs de renom, experts et spécialistes de la région, des journalistes, ainsi que des membres des corps diplomatiques, dont Ses Excellences Messieurs les ambassadeurs : d’Angola, d’Azerbaïdjan, du Bangladesh , de Bolivie, de Malte, du Soudan et du Sénégal, les membres du corps diplomatiques des Ambassades d’Afrique du Sud, d’Albanie, de Bahreïn ,de Serbie , de Chine, de Corée, de Croatie, d’Egypte, de Géorgie, du Guatemala, d’Inde, de Indonésie, de Irak, de Iran, des Pays-Bas, de Roumanie , de Russie, de Slovaquie, et de Suède.

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Le colloque a été inauguré par le docteur Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris.Il a mis en avant l’idée que la normalisation des relations franco-iranienne était absolument nécessaire pour la stabilité de la région et du monde. Dotée de ressources formidables, l’Iran s’est efforcé de mener une politique étrangère de puissance régionale depuis 1997. Victime, dans le passé, d’agressions extérieures, la dernière, commise par l’Irak, l’issue de ces conflits laissa un goût amer aux Iraniens, notamment par le fait qu’aucune des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU ne cite nommément l’agresseur. Il a également rappelé que l’Iran est caractérisé par son nationalisme et occupe un rôle de leadership dans le monde musulman. Le docteur Rastbeen note que, sur le plan international, la politique extérieure de l’Iran est dominée par une hostilité mutuelle constante et durable entre l’Iran et les Etats-Unis depuis la révolution de 1979. Avec le temps, ces différends ont atteint une dimension mondiale.

Enfin, concernant la question nucléaire, l’Iran qui est membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a ratifié en 1970le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et soutient l’idée d’un Proche-Orient dénucléarisé. Il regrette que la France, depuis le début du mandat de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, ait adopté une politique de suivisme, alignée sur celle des Etats-Unis, alors qu’elle avait, dès 1956 et jusqu’alors, soutenu l’Iran dans le domaine de la recherche nucléaire. Et de conclure, la négociation est la seule voie possible pour résoudre les différends au niveau régional et mondial ainsi que garantir la stabilité et la prospérité de l’Iran. Une voie dans laquelle la France pourrait jouer un rôle majeur.

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À l’issue de ces propos, Zalmaï Haquani, ancien ambassadeur d’Afghanistan en France, a ouvert la première table ronde du colloque.

Following these remarks, Zalmaï Haquani, former Ambassador of Afghanistan to France, has inaugurated the first panel of the conference.

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Jacques Myard, Député des Yvelines, membre de la commission des Affaires étrangères et de la commission des Affaires européennes, Président du Cercle Nation et République, a ensuite pris le premier la parole pour évoquer les liens anciens qui unissent l’Iran et la France. Il rappelle que l’Iran, nation plurimillénaire, majoritairement chiite, la plus peuplée et éduquée de cette région du monde, est une puissance qui occupe une place à part sur l’échiquier du Moyen-Orient. Cependant ses ambitions en matière nucléaire qui lui valent l’application de sanctions internationales, son jeu dans l’équilibre instable d’une région confrontée aux bouleversements des révolutions arabes focalisent l’attention et concentrent les interrogations de la France et de la communauté internationale. Face à cette situation et les enjeux complexes qui en découlent, Jacques Myard exhorte la France à prendre en compte la place de l’Iran au Moyen-Orient et de poursuivre avec lui un dialogue franc mais vigilant.

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L’écrivain et journaliste Jean-Michel Vernochet a évoqué pour sa part les relations économiques et commerciales entre les deux pays.

Monsieur Vernochet s’est interrogé si la diplomatie française est souveraine, indépendante ou simplement autonome vis-à-vis de ses partenaires européens ou américains. Pour ce faire, il a analysé les liens historiques et Traités qui unissent la France à l’Union européenne et aux États-Unis, qu’ils soient bi ou multilatéraux, tel le Traité de Lisbonne ou l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord bientôt doublés d’un Traité de libre-échange Europe États-Unis en cours de négociation. Il a déduit que ces derniers contraignent et limitent l’exercice souverain de la diplomatie nationale, stricto sensu, d’intérêts nationaux primordiaux. Contraintes et limites qu’il a évaluées ici dans le cas des relations franco-iraniennes à travers un exemple économique et industriel singulièrement représentatif qui est le Groupe PSA Peugeot Citroën en Iran. En somme, Jean-Michel Vernochet a essayé de mettre en évidence le fait que les relations que Paris entretient avec Téhéran sont à la fois « dégradées » et « contradictoires ».

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L’Amiral Jean Dufourcq, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, Directeur de  recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, quant à lui, a défendu la thèse selon laquelle la question iranienne joue un rôle important dans la posture diplomatique française, de fait verrouillée par deux impératifs qui sont aussi des choix politiques : la solidarité des membres du Conseil de sécurité vis-à-vis de la prolifération nucléaire d’une part, et la dépendance à des engagements moraux vis-à-vis d’Israël et financiers vis-à-vis des puissances pétrolières du Golfe d’autre part. Jean Dufourcq estime que cette posture qu’il considère comme excessivement engagée, voire alignée, ne sert pas nécessairement tous les intérêts stratégiques de la France. Un rééquilibrage de la position française à l’égard de cette puissance d’Asie de l’Ouest, en coordination avec les deux autres puissances régionales que sont la Turquie et la Russie, serait tout à fait opportun. De même, un repositionnement stratégique encouragerait une posture nucléaire virtuelle à la japonaise et une normalisation dans la communauté internationale.

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Aymeri de Montesquiou, Sénateur du Gers et Président du groupe interparlementaire France-Iran, s’est quant à lui interrogé sur les résultats positifs qu’induit la politique d’ostracisme vis-à-vis de l’Iran. Il appelle à ce que le dialogue se poursuive entre les États, et non pas entre les régimes. Les intérêts économiques français vont dans le sens d’une autre orientation de la politique vis-à-vis de l’Iran, où la France perd des parts de marché, tout en maintenant bien sûr la vigilance sur la non prolifération basée sur les constats de l’AIEA, jusqu’à présent toujours interprétés et jamais reçus comme tels. Aymeri de Montesquiou remet en question la politique de sanctions internationales, où la France est en pointe, sa légalité étant contestée par des juristes, et sur le double standard de la communauté internationale, tolérant la possession de l’arme nucléaire par des pays ne respectant pas les résolutions de l’ONU – Inde, Israël, Pakistan – générant en Iran, pays au fort nationalisme, un sentiment d’injustice et un ressentiment de tous les Iraniens. Il estime que la France se caractérisait par une voix diplomatique originale, audacieuse et visionnaire, qu’elle devrait l’exprimer dans ses relations avec l’Iran, pays incontournable pour la paix dans la région.

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LeProfesseur François GÉRÉ, Fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique, a retracé la relation diplomatique entre l’Iran et la France, qui se caractérise selon lui par une forte ambiguïté que résument deux mots : Neauphle le Château et EURODIF. D’un côté, la reconnaissance d’avoir donné asile au père de la révolution iranienne, de l’autre, un interminable contentieux financier touchant à la coopération nucléaire. Jamais rompu, le dialogue entre la France et l’Iran prend en 2002 une nouvelle dimension sur fonds de crise nucléaire. La France avec le Royaume-Uni et l’Allemagne (E-3) engage une négociation avec l’Iran afin de résoudre le problème posé par l’enrichissement d’uranium sur le site de Natanz., Le manque de confiance entre Paris et Téhéran altère profondément les négociations. Les propos du Président Ahmadinejad concernant Israël et l’holocauste des Juifs enveniment les relations. À partir de 2007, la situation s’aggrave et la diplomatie française en proie au néo-conservatisme prend une position en flèche, cherchant même à dissuader les premières initiatives apaisantes du Président Obama à l’égard de Téhéran début 2009.Depuis la situation stagne. Le Quai d’Orsay reste convaincu que Téhéran cherche gagner du temps pour se rapprocher du seuil nucléaire militaire.

Pour trouver une issue, François Géré considère qu’il convient de transformer les données de la négociation. D’abord, changer les équipes diplomatiques qui se sont trop longtemps affrontées. Ensuite, établir un calendrier synchronisé de « désescalade mutuelle »  équilibrée à la fois en valeur négative (sanctions allégées, réduction des activités d’enrichissement) et positif (l’Iran accepte de mettre en œuvre le protocole additionnel, la France participe aux transferts de technologies avancées dont l’Iran souhaite faire l’acquisition, etc.) permettant à chacune des parties de gagner quelque chose. Enfin, insérer la négociation dans un environnement de sécurité pour l’Iran, ce qui suppose un dialogue sur la Syrie et sur des mesures de confiance régionale afin de stopper et réduire la course aux armements.

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David Mascré, chargé de cours en géopolitique dans l’enseignement supérieur, s’est attaché à replacer l’Iran dans son contexte géographique et politique. Il rappelle en premier lieu que l’Iran dispose aujourd’hui de sérieux atouts géopolitiques et géoéconomiques à faire valoir dans la compétition économique mondiale : 2e pays producteur de pétrole de l’Opep, détenteur des 2e réserves mondiales de gaz, etc. En deuxième lieu, il évoque sa position géographique, qui en fait un partenaire important dans l’acheminement des ressources énergétiques des pays riverains de la mer caspienne. En troisième lieu, il décrit une structure politique pérenne, qui fait de l’Iran, un îlot de stabilité dans une région en proie depuis plusieurs années désormais à la guerre, au chaos et à l’anarchie. Pourtant le pays reste isolé diplomatiquement et fragile économiquement, du fait de sa dépendance excessive de son revenu vis-à-vis du pétrole, de l’accès limité au marché des capitaux en raison notamment des lois Helms-Burton et d’Amato, ou encore de son isolement diplomatique.

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Monsieur Christophe Réveillard, responsable des recherches à la Sorbonne et au CNRS a présidé la deuxième table ronde.

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Le Général (2S) Henri PARIS, Président de Démocraties, a ouvert la seconde table ronde du colloque sur le thème de la stratégie du nucléaire iranien. La question de l’obtention par l’Iran d’une capacité militaire nucléaire est sujette à controverse, a déclaré le Général pour introduire son propos. Il rappelle que les officiels iraniens nient rechercher cette capacité et affirment s’en tenir aux termes du Traité de non-prolifération qu’ils ont signé et ratifié. Le TNP autorise l’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. Les Étasuniens, se fondant sur leurs systèmes de renseignement, énoncent que l’enrichissement auxquels se livrent les Iraniens est à but militaire. En se refusant à toute inspection in situ, d’organismes comme l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA), les Iraniens prêtent le flanc à tous les soupçons. Henri Paris souligne qu’à bien remarquer, il en fut de même pour l’Irak jusqu’en 2003 lorsque toutes les inspections furent possibles et s’avérèrent négatives. Tout examen de la question doit donc prendre en compte cette réserve avancée par les Iraniens. En premier lieu, le Général Henri Paris a examiné la situation stratégique de l’Iran et ses menaces sur le détroit d’Ormuz pour contrer l’embargo mandaté par l’ONU aux Étasuniens. En second lieu, il a fait le point sur l’état des forces iraniennes avant d’en tirer les conclusions quant à la puissance dont ils ont besoin.

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LeRecteur Gérard-François DUMONT, Professeur à l’Université de la Sorbonne, s’est quant à lui intéressé à lanature géopolitique des relations entre la France et l’Iran. Il a ainsi souligné combien ces relations s’inscrivent dans une combinaison entre des facteurs de liens et des facteurs d’éloignement. C’est en étant capables de reconnaître objectivement leurs dissensions que la France et l’Iran doivent se fonder sur ce qui les rapproche pour travailler à améliorer leurs relations réciproques au service de la paix dans le monde et du développement humain.

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L’avant-dernier intervenant,Thierry COVILLE, Professeur d’économie à Novancia, a évoqué les relations économiques entre la France et l’Iran. Il a tout d’abord rappelé que les échanges commerciaux entre la France et l’Iran ont très fortement reculé ces dernières années. Ce recul s’explique essentiellement par l’impact des sanctions financières mises en place dans le cadre du dossier du nucléaire iranien. Puis, il s’est interrogé l’efficacité de cette politique des sanctions avant de conclure qu’elle était plus que discutable. Il s’est enfin essayé à analyser la logique diplomatique qui a conduit les autorités françaises à privilégier cet instrument (les sanctions) dans leurs relations diplomatiques avec l’Iran.

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Enfin, Adnan AZZAM, Co-fondateur du Parti du peuple syrien et témoin oculaire des deux années de guerre en Syrie, est revenu sur les événements qui se déroule actuellement en Syrie et sur la diplomatie française envers les relations irano-syriennes. Il s’est dit convaincu que la communauté internationale gagnerait en agissant pour que les ingérences dans les affaires syriennes qui font couler trop de sang cessent immédiatement et que toutes les sanctions soient levées. Il estime que la France, dont la tradition diplomatique est de reconnaître les États et non les régimes, a tout intérêt à restituer les relations diplomatiques entre les deux gouvernements légaux, à diffuser ses valeurs universelles notamment la laïcité et à sortir la France d’une politique totalement contradictoire.

Adnan Azzan a appelé les amis de la Syrie à trouver au plus vite une solution pour la paix et le dialogue en Syrie, pour faire cesser les flots de sang. Et de rappeler que l’Iran a déployé beaucoup d’efforts dans ce sens en organisant des rencontres à Téhéran avec de nombreux partis politiques et des personnalités syriennes. L’Iran maintient de bonnes relations avec le gouvernement légal ainsi qu’avec l’opposition. À ce titre, la France pourrait, en changeant sa politique sur le dossier syrien participer aux côtés de l’Iran à la reconstruction économique et politique de la Syrie de demain.

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Mohamed TROUDI,chercheur associé en relations internationales et stratégiques à l’Académie de Géopolitique de Paris, prend la parole pour conclure ce colloque, riche de ses interventions et des questions et remarques formulées par la salle.

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