Le Grand Jeu en Asie occidentale de l’AMÉRIQUE-MONDE

Jean-Michel Vernochet

La contestation, par les puissances émergentes, de l’hégémonie régionale des États-Unis de l’Asie mineure à l’Asie centrale

Ecrivain et journaliste, fondateur de l’Association « Terre Future »

Trimestre 2010

L’accord tripartite signé le lundi 17 MAI à Téhéran entre l’Iran, la Turquie et le Brésil, accord relatif à l’enrichissement d’uranium1 hors frontière, a été indéniablement, et au premier abord, un succès pour les cosignataires, notam­ment si on le juge à l’aune de la réaction du secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon, qui avait aussitôt formulé l’espoir que cet accord allait « ouvrir la porte à un règlement négocié de la crise ouverte par les ambitions nucléaires de l’Iran ». Quant à la Russie, la France et la Chine, toutes trois membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, leur première réaction avait été d’en sou­ligner le caractère « positif ». Trois pays ayant en commun d’être des riverains im­médiats d’un possible et nouveau champ de bataille. Tout spécialement dans le cas où des frappes sur les sites nucléaires iraniens interviendraient, comme une rumeur récurrente l’annonce périodiquement à grand renfort de tambours médiatiques. Une hypothèse « du pire », évoquée sans équivoque dès octobre 2007 par la voix autorisée du ministre français Bernard Kouchner des Affaires extérieures, et que les grands médias internationaux se sont employés à banaliser toutes ces dernières an­nées ; autrement dit, pour préparer les opinions à toute éventualité… Pour sa part, il a fallu hélas très rapidement déchanter…

Téhéran a cependant montré à cette occasion, et avec éclat, qu’il était loin d’être seul au sein de la communauté internationale, démentant ainsi les prétentions « occidentalistes » à parvenir, en sus d’un sévère blocus économique et financier, à un complet isolement diplomatique de la République islamique. Ce faisant, l’Iran montre à quel niveau de dynamisme et d’efficacité sa diplomatie est aujourd’hui parvenue, sachant qu’elle se déploie de la péninsule Arabique à l’Amérique latine via l’Afrique de l’Ouest.

Une attitude de « défi » à laquelle les Etats-Unis ne peuvent donc que vouloir mettre le holà car, à ce stade, c’est leur crédibilité qui commence à être en cause… une crédibilité qui relève dans ce cas du domaine des intérêts vitaux à défendre par tous les moyens. Ce faisant, Téhéran a donné à la Maison-Blanche une bonne rai­son et une belle occasion de rappeler qui est encore le vrai donneur d’ordres… Dès le lendemain de l’initiative tripartite, le Département d’Etat déposait au Conseil de sécurité (dont le Brésil et la Turquie sont actuellement membres non perma­nents) un projet de Résolution visant au renforcement des sanctions à l’encontre de la République islamique. Résolution définitivement adoptée le 9 juin suivant, à l’unanimité des cinq Etats titulaires du droit de veto. Résolution qui, bien que ne prévoyant pas de nouvelles sanctions économiques stricto censu, cautionne et légi­time les sanctions américaines et européennes adoptées simultanément (voir infra).

Précisons que les protagonistes de l’initiative tripartite sont deux pays dits « émergents », mais non des moindres : le Brésil, tête de file du Mercosur2, et la Turquie (pilier oriental de l’OTAN et, jusqu’à 2003, l’une des bases arrière avancées de la politique américaine au Proche-Orient3 ; en outre, allié stratégique de l’Etat hébreu). Or l’accord de Téhéran vient de remettre en cause le lien de vassalité qui unissait ou semblait unir jusqu’à présent les Etats-Unis et leurs alliés, commensaux et tributaires.

Ankara, à qui l’entrée dans l’Union européenne avait été promise par Washington en rétribution de sa loyauté envers l’Amérique-monde, a ainsi de facto trahi le camp atlantiste3 en s’associant au Brésil, pourtant également partenaire privilégié des Etats-Unis, cela en faveur de Téhéran. Cette « conjuration » à ciel ouvert avait en ef­fet très clairement pour objet de couper l’herbe sous le pied du Département d’Etat en proposant une solution originale à la crise du dossier nucléaire iranien.

La réaction de Washington, qui risquait à cette occasion de perdre la main, a peut-être révélé le fond de ses intentions, lesquelles ne sont pas de trouver une solution négociée mais de parvenir à un renoncement sans conditions de Téhéran à tout programme nucléaire non strictement soumis à un contrôle permanent inter­national. Soit créer une situation telle que le renversement du régime deviendrait inéluctable. C’est ce qui a été apparemment tenté en mai 2009, avec l’amorce d’une « Révolution verte », laquelle a cependant rapidement fait long feu, comme l’a montré l’absence totale de manifestations populaires spontanées lors de son anni­versaire en cette fin de printemps 2010.

On connaît les arguments ressassés à Washington, Londres et Tel-Aviv pour instruire le procès d’intention qui les opposent à Téhéran. Au-delà de la menace chimérique que ferait peser un Iran sanctuarisé, c’est-à-dire devenu inattaquable en vertu des postulats élémentaires de la dissuasion, l’argument plus vague mais rationnellement incontestable fait référence au danger que constituerait l’Iran nu­cléaire pour « nos intérêts »… entendons les intérêts occidentaux. Reste au demeu­rant que nul ne définit quels sont ces intérêts ni en quoi ils seraient menacés par un Iran ayant forcé l’entrée du club fermé des puissances nucléaires. Que l’on ne vienne pas non plus nous dire que l’Iran, ayant ouvert la boîte de Pandore de la prolifération, constituerait un précédent justifiant le passage à l’arme nucléaire d’un certain nombre ddémergents, au premier rang desquels la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et… le Brésil.

Situation qu’il faudrait sans doute éviter à tout prix, mais certainement pas au prix du Grand Guignol international auquel nous sommes contraints d’assister, spectacle outrancier qui crée un regain de tension dans une région qui n’en a pour­tant pas besoin. Ajoutons que l’incitation à la prolifération serait d’ailleurs plutôt à rechercher du côté de Washington, dont les errements de leur politique proche-orientale ne peuvent que constituer un facteur d’inquiétude pour des gouverne­ments peu soucieux de subir le sort réservé à l’Irak depuis 1991, quelles qu’aient été les erreurs ou les fautes de l’ex-pouvoir baasiste.

Concernant une menace directe de l’Iran contre ses voisins régionaux ou euro­péens, ou plus largement contre les « intérêts » occidentaux, rien ne laisse supposer, dans ses déclarations officielles (sauf dans celles qui ont été falsifiées à dessein), une quelconque intention de recourir à des armes de destruction massive. Notons a contrario que le professeur Martin Van Creveld, alors professeur d’histoire militaire à l’Université hébraïque de Jérusalem, personnalité de renommée mondiale, ne s’était pas privé de désigner les grandes capitales européennes comme cibles potentielles des missiles israéliens ! Ne déclarait-il pas en effet en avril 2002 à l’hebdomadaire hollandais Elsevier : « Nous possédons plusieurs centaines d’ogives atomiques et de missiles et pouvons atteindre nos cibles tous azimuts, et peut-être même Rome. La plupart des capitales européennes font partie des cibles potentielles de notre armée de l’air […]. Nous détenons la capacité d’entraîner le monde dans notre chute. Et je puis vous assurer que la chose arrivera avant que nous ne soyons défaits4. » Ce n’est donc pas un quelconque mollah atteint de démence, mais un expert faisant autorité dans le domaine géostratégique et ayant l’oreille des politiques de son pays, qui a proféré de telles insanités, des idées vraisemblablement partagées par quelques-uns…

Vu l’acharnement de Washington et les crispations qui entourent le traitement de ce dossier, l’évidence s’impose que le passage au nucléaire « militaire » par l’Iran – passage encore hypothétique et se comptant en années et non en mois – consti­tue un véritable casus belli pour la classe politique américaine. L’hypothèse retenue serait qu’actuellement Téhéran réunirait les conditions (matériaux fissiles suffisam­ment enrichis) de se doter de la « bombe » en un temps relativement court si les circonstances l’exigeaient. Une option apparemment retenue par le Japon, Etat considéré a priori comme non proliférant. Il n’en demeure pas moins que l’hypo­thétique « bombe iranienne », à l’état de projet, n’est jamais considérée dans les discours intransigeants des élites occidentalistes pour ce qu’elle est ou doit être, à savoir un outil politique à vocation dissuasive, comme l’a (explicitement) présentée le président français Jacques Chirac. Bref un instrument de souveraineté voire d’équilibre régional, comme a pu à son tour la définir Roland Dumas, ancien mi­nistre de François Mitterrand5.

Au lieu d’une vision nuancée, c’est par conséquent un procès d’intention qui est fait à la République islamique. Procès fondé sur un dossier en partie biaisé voire falsifié, travestissant le programme nucléaire civil et son éventuelle extension militaire – aussi critiquables ou opaques soient-il – en un instrument exclusif d’hé­gémonie, voire de terreur régionale.

Une démarche inappropriée de la part des autorités américaines, qui accroît les déséquilibres déjà à l’œuvre dans l’espace géopolitique de l’Asie mineure à l’Asie centrale, déséquilibres dont Washington est en grande partie responsable. Une po­litique de force de la part de Washington, visant exclusivement à limiter l’influence régionale de l’Iran, mais également – insistons sur ce point – à lui interdire toute politique de souveraineté adossée à une capacité de dissuasion stratégique l’auto­risant à prétendre, le cas échéant, pouvoir se dérober aux pressions amicales ou aux oukases anglo-américains. En cela, le cas iranien est l’idéal-type résumant la politique « asiatique » des Etats-Unis, de la Turquie au Pakistan, à qui il vient d’être demandé de revenir au statu ante quo en Afghanistan et d’y exercer, comme avant 2001, le pouvoir sous couvert de l’entité Taleb6.

Nul n’ignore que, par ailleurs, l’Iran détient de notables atouts géoéconomiques, en particulier énergétiques (l’Iran étant le détenteur en second des réserves gazières mondiales, soit 15 %), des ressources à terme vitales pour le consortium euratlan-tique. Or, dans le contexte mondial d’exacerbation de la course aux ressources, l’hégémonie nord-américain est, à n’en pas douter, destiné à se maintenir encore un certain temps sur un monde toujours unipolaire, en dépit du désir pressant des émergents de faire entendre leur voix.

Le nouvel ordre mondial étant ce qu’il est, et appelé à le rester pour le futur immédiat, c’est-à-dire placé sous la coupe d’une Amérique-monde en quête ina­chevée d’expansion (et les classes dirigeantes compradores du Nord étant ce qu’elles sont), il faut se résoudre à admettre que charbonnier ne sera plus jamais maître en sa demeure, à savoir que les Etats souverains, l’Iran au premier chef, seront en butte à toutes les pressions utiles ou nécessaires à ce qu’ils acceptent les lois intransgressibles du marché universel dont l’unification exige la fragmentation des nations en sous-ensembles communautaristes et la segmentation à l’infini des marchés intérieurs… ce qui suppose l’atomisation sociale et la disparition de toute culture traditionnelle au bénéfice de l’individu-roi, consommateur du berceau à la tombe

Dans un tel contexte géo-écopolitique, l’accord tripartite irano-turco-brésilien, au regard du rapport de force réel entre sphère occidentaliste et puissances émergentes, s’est très vite avéré n’avoir été qu’un coup d’épée dans l’eau puisque considéré comme nul et non avenu par le camp atlantiste, Etats-Unis/Union européenne. Il a cepen­dant l’immense mérite de révéler que le monde est travaillé par des poussées tec­toniques tendant à une redistribution multipolaire du pouvoir au niveau mondial. Or, comme nous l’avons déjà souligné, les Etats-Unis, qui ont fait du Rimland7, s’étendant des Balkans à l’Hindou Koush via le Caucase, l’axe de leur géopolitique asiatique, ne peuvent – structurellement – en aucun cas tolérer un quelconque par­tage de leur leadership « régional ». À ce seul titre, Persia delenda est !

Coup de semonce mais non pas coup d’arrêt, l’initiative turco-brésilienne est au final un paramètre nouveau, somme toute embarrassant pour la diplomatie améri­caine qui doit désormais l’intégrer à ses calculs et ses prévisions car la contestation du nouvel ordre mondial est sortie le 17 mai du mode déclaratoire pour entrer dans celui de l’action géopolitique, cela cinquante-cinq ans presque jour pour jour après la conférence de Bandung qui vit naître le Mouvement des non-alignés.

Notons précisément, à ce propos, que l’attitude de la Turquie et du Brésil est tout à fait inédite. Que, « défi » à la règle du jeu imposée outre-Atlantique, il s’agit d’une tentative originale de contournement de l’omniprésent soft power (pouvoir indirect) anglo-américain… Initiative de toute évidence vouée pour l’immédiat à rester lettre morte même si elle est appelée par la suite à faire école. À condition, bien sûr, qu’une guerre régionale (ou mondiale) ne vienne une fois de plus redistri­buer les cartes au profit du vainqueur. Mentionner une telle éventualité ne relève évidemment pas d’un « catastrophisme » outrancier, dans la mesure où le président russe Dimitri Medvedev (le 12 avril 2010 sur ABC News) déclarait qu’une attaque israélienne contre l’Iran pourrait déboucher sur un conflit nucléaire et sur une ca­tastrophe globale… « Si ce genre de conflit se produit, si une frappe contre l’Iran a lieu, nous devrons nous attendre à toute sorte de conséquences, dont le recours à l’arme nucléaire…, ce sera une catastrophe globale ! » Une thèse dont Fidel Castro – qu’on croirait à tort totalement hors jeu – se fait l’écho dans Connaître la vérité à temps, une lettre rendue publique le 28 juin 20108.

Remarquons encore que, si l’entente tripartite vient contrarier, à première vue, la politique anglo-américaine (et plus encore leurs alliés israéliens jusqu’au-bou-tistes du Likoud) d’un étranglement graduel de l’Iran au moyen de sanctions de plus en plus restrictives, cet accord a eu d’abord comme conséquence de stimu­ler l’agressivité diplomatique de Washington et a créé l’occasion de monter d’un cran dans le processus d’asphyxie de l’Iran national-théocratique, sous couvert d’un consensus international de façade.

Un « défi » auquel l’Administration américaine, qui s’était soigneusement pré­parée par des mois de tractations et de marchandages (voir infra), est parvenue à répondre en faisant adopter par les cinq membres permanents du Conseil de sé­curité, le mardi 18 mai, soit dès le lendemain de la signature à Téhéran de l’accord tripartite, le principe d’un nouveau train de sanctions contre l’Iran9. On ne peut qu’admirer la précision dans la succession calendaire des événements et en tirer toutes les conclusions utiles et nécessaires. Projet accepté par la Russie et la Chine, pourtant toutes deux soutiens tacites de Téhéran et qui généralement traînent les pieds lorsqu’il s’agit de sévir contre la mollahcratie.

Arrêtons-nous alors un instant sur le jeu de bascule que pratiquent Russes et Chinois vis-à-vis de la politique de rétorsion anglo-américaine appliquée à l’Iran. Tandis que diplomates russes et iraniens procèdent à des consultations portant sur l’extension d’une coopération bilatérale, « en premier lieu économique », comme l’a précisé le vice-ministre des Affaires étrangères russes, Alexeï Borodavkine, Moscou négocie âprement son ralliement aux sanctions exigées par Washington et Londres.

Parmi les multiples éléments pris en considération par Moscou pour son rallie­ment au vote de la Résolution 1929 du 9 juin 2010, notons, outre le contrôle – pri­mordial pour la Fédération de Russie – de la production afghane d’opium dont les produits dérivés lui occasionnent quelques 30 000 morts annuelles, la levée de sanc­tions contre quatre groupes russes réputés avoir commercé de façon « illégale » avec l’Iran et la Syrie après 1999. Selon le Washington Post du 22 mai 2010, l’Adminis­tration américaine, trois jours après l’annonce par la secrétaire d’Etat, Mme Hillary Clinton, selon laquelle la Russie acceptait d’avaliser le projet de Résolution, an­nonçait qu’elle abandonnait ses « poursuites » contre Rosoboronexport, épinglé en 2006 et 2008 pour des ventes illicites à l’Iran ; également concernés, l’Institut moscovite d’avionique ainsi que l’Université des sciences et techniques de la chimie pour transferts illégaux de techniques relatives au domaine balistique. Depuis jan­vier 2010, l’Administration américaine avait su donner des gages et opéré une levée préalable des sanctions frappant Glavkosmos et l’Université technologique de la Baltique pour leurs échanges avec l’Iran.

Mais, pour qu’un marchandage soit complet, il faut aussi que certaines portes restent entrouvertes, ainsi l’Administration américaine, dans la formulation de son projet de Résolution, a su maintenir un flou artistique quant à l’interdiction de la vente de systèmes de missiles hypersoniques sol-air russes S300 à l’Iran. Un marché représentant plusieurs centaines de millions de dollars, vraisemblablement en partie déjà payés, mais dont les livraisons ont été jusqu’à présent ajournées pour des « rai­sons techniques » sous la pression conjointe américano-israélienne. Avec un contrat passé en 2005 pour 30 à 40 systèmes d’armes (dont un aurait été livré en 2008 ?), ces matériels auraient la capacité de rendre l’Iran en grande partie imperméable à d’éventuelles frappes israélo-américaines… sachant que dix systèmes seulement suf­firaient en principe à assurer la couverture des sites stratégiques perses, notamment contre une aviation israélienne aux performances limitées par sa relative vétusté…

À Yincartade turco-brésilienne, Washington a donc répondu de manière ma­gistrale en ignorant l’accord tripartite signé la veille du dépôt de son propre projet d’aggravation des sanctions devant le Conseil de sécurité. Un camouflet pour la Turquie et le Brésil, renvoyés à leur « juste » place, à savoir celle que leur assignent les Anglo-Américains dans la conduite des affaires du monde… car aucune confu­sion n’est encore possible entre G20 et G8, dont les réunions, même si elles se suivent, comme à Toronto et à Huntsville, restent tout à fait distinctes !

Une audace que l’autre entente tripartite, anglo-américano-israélienne, n’a d’ailleurs pas tardé à faire payer à la Turquie : dans la nuit du 30 au 31 mai 2010, le bateau à vocation humanitaire Mavi Marmara était brutalement abordé par l’armée israélienne avec les résultats que l’on sait : 9 morts, une trentaine de blessés par arme à feu parmi les passagers. Peu après, le 18 juin, le PKK (Parti kurde de travailleurs) lançait une attaque contre un poste frontière turc au nord de l’Irak, occasionnant 8 morts et 14 blessés parmi les soldats. Evénement qui ne doit certainement rien au hasard lorsqu’on sait que le PKK est réputé bénéficier du soutien actif de conseillers israéliens et d’une certaine « tolérance » en Irak de la part des forces américaines.

Les observateurs les plus avertis ont vu dans ces événements non pas des déra­pages incontrôlés ou de simples accidents, mais un « signal fort », envoyé de façon préméditée par le « 51e Etat de l’Union » à l’attention des dirigeants turcs de l’AKP, le parti islamique néo-ottoman au pouvoir à Ankara. Une étape supplémentaire intervenant dans la dégradation constante des relations entre Tel-Aviv et Ankara, à laquelle on assiste depuis quelque mois et particulièrement depuis l’humiliation délibérée de l’ambassadeur turc le 11 janvier dernier par le vice-ministre des Affaires étrangères israélien.

Le coup de « bâton » ayant été donné et devant les vigoureuses réactions du gou­vernement turc, il fallait par compensation présenter à Ankara une « carotte » sus­ceptible de la ramener dans le giron occidentaliste en lui faisant oublier ses velléités de jeu personnel dans l’arène régionale de la Méditerranée orientale à la Caspienne via la mer Noire. Si bien que le 30 juin l’Union européenne relançait les négocia­tions d’adhésion de la Turquie en ouvrant à Bruxelles un nouveau chapitre relatif à la sécurité alimentaire, vétérinaire et phytosanitaire (le treizième depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2004 sur les trente-cinq prévus afin d’adapter la législation des candidats aux normes européennes).

À l’évidence, l’UE avait été mandatée par Washington pour « récupérer » Ankara. Le secrétaire américain à la Défense, M. Robert Gates, n’avait-il pas en effet dénoncé un peu auparavant « ceux qui en Europe poussent la Turquie vers l’Est en refusant de lui donner le lien organique avec l’Occident qu’elle recherche ». Autrement dit, son entrée dans une Union pourtant déjà incapable de se gérer à vingt-sept ! Autre coïncidence ou hasard calendaire, toujours le 30 juin 2010, la discrète rencontre ministérielle à Bruxelles entre représentants turc et israélien au moment même où Ankara demandait à Washington moins de laxisme à l’égard de la rébellion armée du PKK10.

Parallèlement, le 24 juin, à la suite des sanctions adoptées par le Conseil de sé­curité, le Congrès américain avait validé le durcissement de la politique américaine à l’encontre de l’Iran en adoptant un nouveau train de mesures coercitives, mesures adoptées à l’unanimité par le Sénat (99 pour, 0 contre)… Le chef de la majorité démocrate du Sénat, Harry Reid, résumait ainsi l’état d’esprit des parlementaires américains : « Notre objectif est de viser l’Iran là où cela fait le plus mal ! » Il s’agit en l’occurrence d’installer une pénurie énergétique (mortelle à terme) en interdisant toute entrée de produits pétroliers raffinés ou tout équipement destiné à rendre à l’Iran une quelconque capacité de raffinage. Quatrième producteur mondial de pétrole brut, l’Iran manque cependant de raffineries, certaines ayant d’ailleurs fait l’objet d’attentats ces dernières années (voir J.-M. Vernochet, « Iran : minorités na­tionales, forces centrifuges et fractures endogènes », in Maghreb-Machrek, octobre 2009) et, de fait, dépend fortement de ses importations pour la satisfaction de ses besoins intérieurs. Remarquons ici que la Résolution du Conseil de sécurité (votée à l’unanimité des cinq membres permanents, Turquie et Brésil ayant voté contre et le Liban s’étant abstenu) n’a eu pour objet que de servir de cache-sexe, autrement dit de cautionner les mesures autrement sévères prises par les Etats-Unis et l’UE.

Le républicain John McCain, challenger de Barak Obama à la présidence, avait pour sa part clairement explicité la portée d’un texte dont le but est de « forcer les entreprises partout dans le monde à faire un choix : voulez-vous travailler avec l’Iran, ou bien voulez-vous travailler avec les Etats-Unis ? Les deux ne sont pas compatibles », énonçant de cette façon que les rigueurs du nouvel ordre mondial ne s’adressent pas seulement aux récalcitrants arcboutés sur l’Etat-nation, fût-il is­lamique, mais à tous ceux qui se refusent à passer sous les fourches caudines du Marché unique universel, dont le chef d’orchestre est, évidemment, américain. C’était déjà la teneur du message envoyé au monde par le président Bush au lende­main du 11 Septembre : « Ceux qui ne sont pas avec nous, seront contre nous ».

Un message reçu cinq sur cinq à Bruxelles et anticipé par quelques géants eu­ropéens, tels l’Allemand Siemens ou le Français Total11. En janvier 2010, Siemens, prenant les devants, officialisait la rupture de ses liens commerciaux avec la République islamique d’Iran tout en honorant les commandes en cours… une dé­cision en réalité déjà effective depuis octobre 2009. Fin janvier, la chancelière alle­mande, Mme Angela Merkel, annonçait que l’Allemagne s’associerait pleinement à de nouvelles sanctions « dans tous les secteurs concernés ». Les sociétés allemandes avaient exporté vers l’Iran pour environ 3,3 milliards d’euros dans les premiers onze mois de l’année 2009, la part Siemens se montant alors à quelque 500 millions d’euros annuels. Conséquence, la position strictement atlantiste de Mme Merkel au détriment des intérêts immédiats de l’économie allemande a beaucoup contribué à l’affaiblissement de son crédit politique aujourd’hui déclinant.

Quant au pétrolier français Total, agissant également à rebours des intérêts nationaux auxquels devrait souscrire toute entreprise citoyenne, il a officialisé le 28 juin la cessation de ses livraisons d’hydrocarbures à l’Iran, rejoignant de cette manière ses consœurs British Petroleum et Royal Dutch Shell dans la cohorte des compagnies pétrolières boycottant la République islamique. Une déclaration de pure forme car la suspension effective, sine die, avait commencé depuis plusieurs se­maines avant même le vote de la 1509 et des oukases du Congrès américain… Une initiative en effet annoncée par le site du Financial Times avant toute déclaration du groupe lui-même en France.

Last but not least, depuis juin dernier, l’UE avait commencé d’interdire son espace aérien à la majorité des appareils Airbus et Boeing de la compagnie Iran Air. Un mois plus tard, Bruxelles ajoutait à sa liste d’interdiction les Airbus A-320, les Boeing B727 et B-747. Simultanément, le Royaume-Uni et l’Allemagne, à l’instar des Emirats arabes unis, prétendent, eu égard aux sanctions américaines, refuser tous ravitaillements en kérosène aux transporteurs civils iraniens, même si ceci in­tervient en violation des conventions internationales12.

 

Guerre de communiqués et gesticulations militaires

Mesures de confinement économique et financier (la plupart des transactions financières de l’Iran ont été rendues impossibles hors de ses frontières), auxquelles viennent s’ajouter d’autres mesures, actives celles-là (mesures actives : terme dési­gnant à l’origine les opérations de désinformation ne visant pas seulement les élites dirigeantes mais visant plus largement au conditionnement et à la manipulation des opinions publiques). Actions s’inscrivant dans le cadre d’une guerre psychologique qui ne dit pas son nom mais qu’a dénoncée à bon escient le gouvernement iranien le 28 juin 2010 alors que le directeur du Central Intelligence Service, Leon Panetta, estimait froidement sur la chaîne ABC que « Téhéran dispose maintenant de suffi­samment d’uranium enrichi pour la confection de deux armes nucléaires dans un délai de deux ans ».

Verdict qui tombe après que l’agence Guysen International News a diffusé le 24 juin une information donnée pour être d’origine iranienne (!) suivant laquelle « […] des avions israéliens auraient atterris sur l’aéroport saoudien de Tabouk les 18 et 19 juin dernier. […] C’est ce qu’a rapporté l’agence iranienne FARS dans un article intitulé Activité militaire douteuse du régime sioniste en Arabie saoudite ». Rumeur reprise ensuite par le Times de Londres qui n’hésite pas à annoncer que l’Arabie Saoudite aurait ouvert son espace aérien à l’aviation israélienne en prévi­sion d’une attaque contre l’Iran, une information bien entendu non confirmée à Tel-Aviv et démentie par Riyad.

Difficile ainsi de faire la part entre rumeurs et faits avérés. Toujours est-il que, parmi les faits documentés relevant (ou non) de l’intoxication et de la guerre psy­chologique, signalons que, pendant que l’Etat hébreu se livrait à des manœuvres d’envergure pour contrer une éventuelle attaque de son territoire par des missiles, les Etats-Unis complétaient leur dispositif offensif dans le Golfe et alentour13.

Toujours dans le contexte d’une guerre par médias interposés, d’après le quo­tidien londonien Al-Qods Al-Arabi, information encore reprise par Guysen News, un convoi composé de 11 frégates américaines dont une israélienne, le tout ac­compagnant le porte-avions à propulsion nucléaire USS Harry S Truman, aurait transité par le canal de Suez en direction de la mer Rouge. Enfin, l’Iran aurait mis en état d’alerte ses forces proches de la mer Caspienne en raison d’une « concen­tration de forces israélo-américaines en Azerbaïdjan » ! C’est en tout cas ce qu’a déclaré le 22 juin 2010 le général Mehdi Moini, commandant des Gardiens de la Révolution : « La mobilisation se justifie par la présence de forces américaines et israéliennes sur la frontière de l’Ouest. […] Ces renforts sont dépêchés dans la province d’Azerbaïdjan occidental car certains pays occidentaux attisent des conflits ethniques afin de déstabiliser cette région. » L’exécution le 20 juin 2010 d’Abdol-malek Rigi, chef du Jondallah, responsable de plusieurs attentats meurtriers contre les Gardiens de la Révolution au Baloutchistan iranien (cf.Maghreb-Machrek, op. cit. , octobre 2009), est à ce titre un signal fort envoyé par les autorités iraniennes à l’attention de toutes les autres minorités susceptibles de fomenter des troubles dans une conjoncture s’inscrivant dans une inexorable stratégie de tension.

C’est dans ce contexte que l’Etat hébreu aurait en effet, toujours selon la ru­meur, prépositionné une flotte aérienne d’attaque en Azerbaïdjan. Là encore, l’ex­trême prudence étant de rigueur, il faut noter l’inflation de rumeurs qui crée un climat propice à toute provocation ou tout accident accélérateur ou déclencheur d’une confrontation directe. En tout état de cause, l’utilisation de l’Azerbaïdjan comme base de lancement de raids aériens paraît assez improbable si l’on consi­dère l’actuel refroidissement des relations entre Bakou et Washington depuis avril, l’Azerbaïdjan ayant pris ombrage du rôle joué par le Département d’Etat dans le conflit du Haut-Karabakh, qui l’oppose à l’Arménie, et annulé en conséquence des manœuvres militaires conjointes avec la marine des Etats-Unis.

Faisant d’ailleurs écho, le même jour, aux déclarations du commandant des Pasdaran, le 22 juin donc, le Dr Uzi Arad, chef du Conseil de sécurité nationale israélien et proche conseiller du Premier ministre Benjamin Netanyahou, avait jeté sa part d’huile sur le feu en disant : « Le dernier volet des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies est insuffisant à contrarier les progrès iraniens en matière de fabrication de l’arme nucléaire. Une intervention militaire préventive pourrait être finalement nécessaire. » Aujourd’hui, c’est au tour de la CIA, par la voix de son directeur, d’enfoncer le clou…

Alors, gesticulations guerrières, guerre des mots et intoxication, ou préparation psychologique à ce que le camp belliciste s’acharne à présenter comme inéluctable : le recours à la force contre Téhéran ?

Nous ne conclurons pas ici sur les conséquences à terme du défi que la Turquie au premier chef, le Brésil ensuite ont lancé aux Etats-Unis et à ses commensaux britanniques et hébreux. De toute évidence, la Turquie n’avait pas envisagé que les choses iraient si loin, ni la vigueur de la réaction anglo-israélo-américaine. Chacun a priori s’attache aujourd’hui, de part et d’autre, à calmer le jeu et à replacer le contentieux dans le cadre formel des échanges diplomatiques. On a, de ce point de vue, cru voir s’amorcer ce retour à la normale avec l’entretien de Bruxelles entre ministres turc et israélien, la Turquie demandant des excuses israéliennes, l’indem­nisation des victimes après l’affaire du Mavi Marmara, le tout assorti d’une levée du blocus de Gaza. Il était loisible de penser que, dans le contexte du désaccord alors affiché entre Washington et Tel-Aviv, la Turquie aurait dû obtenir, au moins

 

partiellement, gain de cause : Tel-Aviv n’est-il pas déjà en train d’alléger le dispositif d’asphyxie de la bande de Gaza, dont le but avoué était de pousser la population à se soulever contre le gouvernement élu du Hamas ?

Un embargo qui non seulement s’est avéré être erroné mais, qui plus est, est devenu totalement contre-productif… Et, contre toute attente, Ankara s’est vu op­poser un refus cassant et intransigeant à sa demande d’excuses, qui auraient pu être simplement « formelles », et immédiatement après ce nouveau camouflet, la Maison-Blanche, en accueillant à bras ouverts le Premier ministre israélien, M. Benyamin Netanyahou, a offert au monde le spectacle d’une réconciliation de mauvaise au­gure en ce qu’elle cautionne la politique de coalition dominée par le Likoud ul­trasioniste au pouvoir à Tel-Aviv. Des démonstrations d’amitié qui suivent de peu le limogeage du général MacKrystal, chef des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan, pour des propos malvenus d’après boire, et son remplacement par le général David Petraeus14, déjà en charge du commandement central (United States Central Command) du front allant de la Mésopotamie au Waziristan (zones tribales du Pakistan).

La démarche turco-brésilienne a sans doute procédé d’une mauvaise évalua­tion du rapport de force réel existant toujours entre les Etats-Unis – maîtres du jeu planétaire jusqu’à plus ample informé – et le reste du monde, en dépit du fait incontestable que ce jeu se complexifie et se diversifie avec l’arrivée, sur la scène internationale, de puissances montantes qui à leur tour revendiquent une place à la table des « Grands ».

La punition n’a pas tardé et, au-delà de l’acte de guerre contre la Turquie auquel s’est livré en haute mer et en toute impunité l’Etat hébreu, les mesures de rétorsion économiques et commerciales ne devraient pas se faire attendre très longtemps. Prenons l’exemple de la France qui, après 2003 et sa sortie au Conseil de sécurité (intolérable du point de vue des partisans de l’annihilation de l’Irak), a souffert de la vindicte américaine au point d’amorcer dès 2004 son retour dans le giron atlan-tique15.

En résumé, l’initiative tripartite, opération éminemment louable du point de vue de la paix entre les nations, se sera révélée au final assez désastreuse parce que non seulement elle n’a pas permis de squeezer les Etats-Unis, mais elle leur a offert la possibilité de déplacer leurs pions plus vite que prévu sur le grand échiquier eu-rasiatique. Pire, l’initiative tripartite a fourni le prétexte et l’occasion aux Etats-Unis de faire preuve de cette capacité de rebond qu’exalte la culture du Nouveau Monde. De plus, elle a, d’une certaine façon, précipité les événements en créant l’urgence et en entamant la marge de manœuvre des Anglo-Américains jusqu’à les pousser, peu ou prou, au passage à l’acte.

Alors, quelles leçons tirer de cet accord turco-irano-brésilien qui a suscité le fugace espoir de voir s’engager une amorce de stabilisation régionale ? En premier lieu, que le rapport du fort au faible n’offre que peu d’échappatoires. La Fontaine nous l’a autrefois enseigné : la rhétorique du « loup » ne tient aucun compte ni de la raison ni du droit, a fortiori du droit international, ni de la justice… Que le discours du « fort » subvertit en soi les valeurs en principe fondatrices des relations entre les individus d’abord, entre les sociétés ensuite.

Nous avons là une sophistique consensuelle donnant une apparence de rationa­lité légaliste à l’expression de l’imperium hégémonique, verbalisme de chancellerie qui n’est au demeurant qu’une transposition du dialogue au bord du ruisseau des deux animaux de la fable. L’Iran est pareillement un coupable sui generis et doit par conséquent se soumettre inconditionnellement. S’il ne s’y résigne pas de son propre gré, il sera ramené manu militari dans le droit chemin démocratique et libéral. Ce cas de figure n’est pas nouveau et les historiens, s’ils cherchent un peu, trouveront de multiples précédents au cours du xxe siècle.

Nous voyons donc ici, à la croisée des chemins, à quel point, au xxie siècle, la ruse, enveloppée d’un brouillard verbal, prime sur l’immédiat exercice de la force brutale, mais l’annonce cependant tout comme la nuée porte l’orage. À ce titre, les « prophéties » du LiderMâximo cubain, même atteint par l’âge, renvoient étonnam­ment aux avertissements prodigués par la présidence russe.

La guerre, si elle a lieu, n’aura donc pas grand-chose à voir avec une quelconque fatalité plus ou moins inhérente à de supposées lois physiques de la nature géopoli­tique du monde. Elle sera déclenchée pour la simple et unique raison que des fac­tions influentes d’ultras, à Washington, Londres et Tel-Aviv, la veulent assidûment et la préparent avec ardeur.

Bien des naïfs (ou des rationalistes à tous crins, ou encore des esprits trop imbus d’eux-mêmes) croyaient en décembre 1990 que la guerre du Koweït serait évitée parce que des négociations allaient bon train entre Bagdad et Riyad ; parce que, éga­lement, le Raïs Saddam Hussein avait offert de se retirer si un certain délai lui était accordé, lui permettant de « sauver la face ». La guerre a eu lieu. Elle a eu lieu pour l’unique raison que l’« on » voulait qu’elle eût lieu. Or la situation d’aujourd’hui offre de nombreuses similitudes avec celle de décembre 1990. Il ne manque plus au tableau qu’un prétexte plausible, une provocation intervenant n’importe où dans le monde mais suffisamment spectacularisable pour frapper les opinions de sidé-ration, cela le temps nécessaire à lancer les premières frappes qui tétaniseront les oppositions en les prenant de court et enclencheront automatiquement l’escalade militaire.

Conflit dont il est à prévoir qu’il débordera rapidement hors du cadre régional, comme en a averti le président russe, Dimitri Medvedev. Un conflit qui constituera, d’une façon ou d’une autre, une issue à la crise systémique globale qui aujourd’hui commence à atteindre le statut d’idole du divin dollar16 : la guerre n’est-elle pas « le » moyen de régulation par excellence ?

Plus grave, nous devons nous garder, aujourd’hui plus que jamais, d’une appré­ciation fausse du rapport de force global qui est toujours en faveur des Etats-Unis, comme nous en administre la preuve le ralliement volens nolens de la Russie et de la Chine au durcissement des sanctions. Une attitude analogue à celle de ces navires qui fuient sous le vent pour tenter d’échapper à la tempête… Pour l’immédiat, les deux challengers eurasiatiques des Etats-Unis se trouvent littéralement aspirés par la volonté américaine de liquidation du régime iranien et d’inclusion dans sa sphère d’influence de tout l’espace géo-écopolitique des Balkans à l’Hindou Koush.

Les Etats-Unis – John Pitbull – n’en démordront pas, la chute du régime iranien n’est pas du domaine du négociable. Russes et Chinois le savent, et leur comporte­ment démontre qu’ils ne disposent pas de la monnaie d’échange susceptible d’inflé­chir le projet américain d’intégrer l’Iran à sa sphère d’influence (ambition dont le succès à terme n’est d’ailleurs pas assuré, comme les échecs des révolutions colorées géorgienne et ukrainienne en témoignent). De sorte que Moscou et Pékin peu­vent-elles tout au plus jouer le rôle de ralentisseurs d’un processus qu’elles savent quasi inéluctable. Finalement l’épisode de l’initiative tripartite aura le vrai mérite de mettre les choses au point et de nous donner un cliché exact de l’état des lieux géostratégique, c’est-à-dire en montrant le caractère (provisoirement) illusoire d’un rééquilibrage des pouvoirs dans un monde encore assez éloigné de la multipolarité.

Ce constat contredit – en dépit des différents conflits qui déchirent le Proche-Orient ces deux dernières décennies – l’idée que nous assisterions tendanciellement à un déclin de la puissance américaine, aujourd’hui affaiblie par les deux fronts déjà ouverts, l’irakien et l’afghan, aussi bien que par les conséquences économiques et sociales d’une crise financière qu’elle est pourtant encore loin d’avoir complète­ment surmontée. À cet égard, écartons définitivement l’idée – laquelle ressort de la méthode Coué, c’est-à-dire de l’autosuggestion – que, en raison de ses difficultés budgétaires, l’Etat fédéral américain n’aurait plus la capacité d’aller au bout de ses intentions belliqueuses. Une idée controuvée à l’heure de la guerre des drones de combat et des missiles de croisières hypersoniques à portée intercontinentale.

Au contraire, ce sont ces difficultés mêmes, ainsi que les menaces que font peser sur la suprématie du dollar les actuelles défaillances structurelles du système hyper-capitaliste ultralibéral, qui peuvent contraindre l’Etat fédéral à une fuite en avant, comme ce fut le cas dans les années ayant précédé la Seconde Guerre mondiale. Mais, à la différence du temps du président Roosevelt, dont les intentions véritables étaient masquées par un discours et des dispositions à caractère pacifiste (embargo sur les armes à destination de l’Europe), les discours du président Obama, se situant aujourd’hui en contradiction avec les faits les plus patents, ne parviennent plus à donner le change.

Enfin, last but not least, à l’appréciation erronée du poids relatif sur la scène internationale des « émergents » et de leur potentiel en matière de bargaining power (car il est nous est interdit de prendre nos désirs géopolitiques pour des réalités géostratégiques !), vient se surajouter une confiance excessive des dirigeants ira­niens dans leur capacité à dissuader les Israélo-Anglo-Américains de procéder à des frappes préventives. Ceux-ci seraient arrêtés dans leur élan guerrier par la crainte supposée d’un prix à payer trop élevé : les dirigeants iraniens croient en effet que l’importance des pertes qui seraient induites chez l’agresseur lui rendrait le coût du passage à l’acte tout à fait rédhibitoire…

Quant aux mesures que prendrait l’Iran en cas de frappes préventives, elles sont déjà partie prenante du script des opérations. Qu’une salve de missiles de croisière, avec ou sans tête nucléaire, tirée depuis les sous-marins vendus à l’Etat hébreu par l’Allemagne social-démocrate, touchent des centres vitaux iraniens, que la réplique en représailles de Téhéran sur des bases ou des navires américains détermine des pertes significatives dans le corps expéditionnaire coalisé (du même ordre que lors de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, laquelle fit 2 403 victimes, seuil psychologique comparable à celui atteint avec les destructions des tours jumelles, préalable à l’assaut lancé contre le bastion afghan), la presse occidentale se déchaî­nera alors, muselant une opinion publique occidentale tétanisée comme elle l’a été le 11 septembre 2001, et nous entrerons dans l’engrenage infernal de la guerre sans limites engagée par le président George Walker Bush contre les « ennemis » de l’Amérique.

Nous n’aborderons pas ici l’hypothèse vraisemblable de l’ouverture préalable d’un premier front au Liban, voire en Syrie, alliée de l’Iran, afin de réduire la pres­sion exercée par les tirs de missiles du Hezbollah sur le Nord d’Israël… Sans oublier le scénario de basse intensité comportant la fermeture du détroit d’Ormuz… Mais, à y regarder de plus près, celle-ci ne ferait que retarder l’échéance d’une campagne (déjà planifiée) de frappes massives destinées à donner toutes leurs chances aux forces intérieures œuvrant au renversement du régime. Le scénario « Ormuz » de­vant se révéler tout aussi impuissant à dissuader les attaquants potentiels… L’artère jugulaire d’Ormuz, par laquelle transite près de 30 % de la production mondiale des hydrocarbures nécessaires à faire tourner le moteur planétaire, fermée, un baril qui bondirait à 300 $ serait d’ailleurs une aubaine inespérée pour les Sept Sœurs (le cartel des grandes compagnies pétrolières), qui pourraient dès lors se lancer dans l’exploitation à haut coût des schistes et des sables bitumineux du Groenland et d’ailleurs, ou se lancer dans d’aventureuses campagnes de forages en eaux pro­fondes, comme dans le golfe du Mexique et avec le « succès » que l’on sait.

Sauf par conséquent à ce que l’initiative tripartite ne soit reprise par une large coalition conduite par la Russie et la Chine, ce qui semble peu probable dans la conjoncture présente, le scénario du pire, sous les deux versions qui viennent d’être évoquées – frappes préventives, représailles, fermeture d’Ormuz -, est en fait de plus en plus plausible. Et sauf une levée de bouclier internationale particulièrement nette et ferme, la guerre de Troie aura bien lieu, parce que les dieux assoiffés de puis­sance qui siègent dans l’île de Manhattan et règnent sur la Cité de Londres en ont décidé ainsi.

Notes

  1. L’accord intervenu le 17 mai à Téhéran entre l’Iran, le Brésil et la Turquie (signé par les ministres des Affaires étrangères des trois parties prenantes en présence des présidents iranien, Mahmoud Ahmadinejad, brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan) porte sur l’envoi en Turquie par l’Iran de 1 200 kilos d’uranium enrichi à 3,5 % pour y être ultérieurement échangé contre un combustible enrichi à 20 %, destiné à un réacteur de recherche médicale situé dans la capitale iranienne

 

  1. Le Marcosud, ou Mercosur, associe Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay au sein d’une zone de coopération soutenue par une volonté collective de rapprochement politique ou juridique, un projet donc assez éloigné de celui de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), simple zone de libre-échange sans tarif extérieur commun. Formé en 1991 avec la signature du traité d’Asunciôn, le Marcosud constitue le troisième marché intégré au monde après l’UE et l’ALENA.
  2. La première fois fut en 2003, lorsque Ankara refusa l’utilisation des bases américaines de son territoire – notamment Encirlik, où les Etats-Unis entreposent des têtes nucléaires, en violation du traité de non-prolifération – et l’utilisation de son espace aérien par les appareils de l’US Air Force, en soutien de l’assaut lancé depuis le Nord (et le Kurdistan) sur Bagdad.
  3. Elsevier, n° 17, 27 avril 2002, p. 52-53, repris le 21 septembre 2003 par le Guardian dans un article intitulé « The war game, a controversial view of the current crisis in the Middle East ».
  4. Au cours d’un entretien accordé à VInternationalHerald Tribune, au New York Times et au Nouvel Observateur, le 29 janvier 2008, l’ex-président français Jacques Chirac préconisait le recours au dialogue en vue de résoudre la « crise » iranienne, déclarant in fine que ce n’était pas tant le fait de posséder une « bombe nucléaire » qui serait « dangereux » : « Je dirais que ce n’est pas tellement dangereux, le fait d’avoir une bombe nucléaire – peut-être une deuxième un peu plus tard, bon… ça n’est pas très dangereux. Mais ce qui est très dangereux, c’est la prolifé.. Si l’Iran poursuit son chemin et maîtrise totalement la technique électronucléaire, le danger n’est pas dans la bombe qu’il va avoir et qui ne lui servira à rien… Il va l’envoyer où, cette bombe ? Sur Israël ? Elle n’aura pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran sera rasé. » On ne saurait mieux dire !

L’ancien ministre des Affaires Étrangères du président François Mitterrand, M. Roland Dumas, allait plus loin en déclarant quelques jours plus tard sur la chaîne radiophonique France Inter, le 5 février, que la détention par l’Iran de l’arme nucléaire serait « un facteur de rétablissement de l’équilibre et, qui dit l’équilibre dit le maintien de la paix… À l’inverse, si, dans une région du monde, un pays puissant, surarmé dispose de la bombe atomique, c’est lui qui fait la loi », souhaitant que « s’ouvre très rapidement une négociation générale avec l’Iran, ce qui suppose un accord, des contrôles, un climat autre que celui qui existe actuellement, qui est un climat de menaces ». Bien entendu, ces deux personnalités se sont empressées de démentir peu après leurs propos diamétralement opposés à la vulgate belliciste dominante !

  1. À la fin des années 1990, Islamabad avait en effet pris le contrôle de l’Afghanistan, disputé aux Seigneurs de la guerre, les Shah Massoud, les Dostom, les Hekmatyar, par le truchement des talibans, création de l’ISI, l’Inter-Services Intelligence, Etat dans l’Etat pakistanais, agissant à l’occasion en étroite coordination avec les services américains.
  2. Nicholas Spykman (1893-1943) a participé à l’élaboration de la doctrine du containment ou endiguement, l’un des piliers de la stratégie de contention des Etats-Unis appliquée au bloc communiste durant les années de guerre froide. Suivant une approche similaire à celle de MacKinder relative au heartland eurasiatique, Spykman construit une architectonie géopolitique à partir d’une zone pivot située en Europe orientale, dans les Balkans, où les

 

Etats-Unis ont d’ailleurs implanté l’une de leurs plus importantes bases, le camp Bondsteel. À ce titre, les pays bordant l’Eurasie au sud forment une ceinture que Spykman nomme rimland. Le sort du monde ne se jouant plus par rapport à Xheartlandproprement dit (dont l’axe se situe entre l’Afghanistan et le Tibet, comme « Toit du monde » !), mais en fonction du seul rimland, où se joue la confrontation des forces entre les puissances continentales russe ou chinoise, et la puissance maritime, la thalassocratie anglo-américaine. Spykman paraphrase alors Mackinder en énonçant : « Celui qui domine le rimland domine l’Eurasie, celui qui domine l’Eurasie détient le destin du monde. »

  1. Dans cette lettre ouverte, Fidel Castro n’exclut pas une guerre nucléaire générale faisant suite à une confrontation directe entre les Etats-Unis et l’Iran. Castro dénonce également la France et la Grande-Bretagne, alliés « enthousiastes » des Etats-Unis qui s’associent à sa volonté d’imposer toujours davantage de sanctions à l’Iran. « Je n’ai aucun doute qu’à partir du moment où les navires de guerre américains et israéliens tenteront d’inspecter le premier cargo iranien, ce sera exactement le commencement d’une guerre terrible », impliquant par contrecoup la Russie et la Chine. La Résolution du Conseil de sécurité votée le 9 juin autorise dorénavant le contrôle maritime et aérien des cargaisons iraniennes ; Téhéran avait aussitôt fait savoir qu’il ne se plierait pas à de telles dispositions.
  2. Les Etats-Unis parvenus à leurs fins et ayant convaincu la Chine et la Russie de soutenir au Conseil de sécurité des Nations unies leur projet de Résolution en faveur d’un quatrième train de sanctions contre l’Iran, la secrétaire d’Etat américaine, Mme Hillary Clinton, a déclaré lundi 24 mai à Pékin : « Le projet de Résolution sur lequel se sont mis d’accord tous les partenaires du groupe des 5 + 1 [constituait] un message clair à la direction iranienne : respectez vos obligations ou affrontez un isolement croissant et ses conséquences. […] La perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire nous inquiète tous. Et pour résoudre cette menace, ensemble nous avons mené une double approche : engagement et pression, visant à encourager la direction iranienne à changer de voie. » Les cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne + l’Allemagne) constituent le groupe de six grandes puissances chargées du dossier nucléaire iranien.
  3. En lutte ouverte contre le pouvoir central turc depuis 1984, le bilan du conflit avec le PKK s’établirait à 45 000 morts de tous bords dont 50 au cours du seul mois de juin 2010. Par conséquent, un sujet de préoccupation permanent pour Ankara, à telle enseigne que, le 30 juin, le vice-Premier ministre turc Cemil Ciçek a, une nouvelle fois, remis sur le tapis la question du « laxisme » américain à l’égard des rebelles du PKK… Parallèlement, le même jour, avait lieu à Bruxelles une rencontre discrète, sur l’initiative d’Ankara (?), entre le ministre israélien du Commerce, Benjamin Ben Eliezer, et Ahmet Davutoglu, ministre turc des Affaires étrangères, en vue de désamorcer l’actuelle crise bilatérale. Ce premier contact ministériel israélo-turc depuis le 31 mai, date de l’arraisonnement de la flottille internationale, a été établi sous couvert du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, en court-circuitant le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman.
  4. L’Allemagne est traditionnellement l’un des grands partenaires de l’Iran, Siemens en particulier étant présent en Perse depuis 1868, lorsque l’entreprise allemande s’employait à poser la première ligne télégraphique reliant Londres aux Indes. En 2008, les entreprises

 

allemandes avaient livré des produits pour une valeur de 3,9 milliards d’euros à l’Iran et seulement 3,3 en 2009.

  1. Selon le Washington Times du 7 juillet 2010, l’ambassadeur des Emirats arabes unis à Washington, Youssef Al Otaïba, a publiquement prôné le recours à la force dans le règlement du contentieux nucléaire iranien en cas d’échec des sanctions contre Téhéran. De la même manière que la France et l’Allemagne, dans ce cas précis, les EAU font passer leurs allégeances politiques avant leurs intérêts économiques, le commerce entre les Emirats et l’Iran se montant par an à quelques 12 milliards de Dollars.
  2. « Israël se prépare à la guerre », selon la plupart des médias arabes lors du lancement le 23 mai 2010 de manœuvres baptisées « Tournant 4 », vaste exercice (quatrième du genre depuis la guerre au Liban en 2006) destiné à contrer une éventuelle attaque de missiles de la part du Hezbollah ou de l’Iran.

Le dispositif naval américain aux abords du golfe Arabo-persique se composait encore récemment d’une flotte de combat tout à fait imposante :

Carrier Strike Group 10, headed by the USS Harry S. Truman aircraft carrier, sails out of the US Navy base at Norfolk, Virginia Friday, May 21. On arrival, it will raise the number of US carriers offIranian shores to two. Up until now, President Barack Obama kept just one aircraft carrier stationed offthe coast of Iran, the USS Dwight D. Eisenhower in the Arabian Sea, in pursuit of his policy of diplomatic engagement with Tehran. For the first time, too, the US force opposite Iran will be joined by a German warship, the frigate FGS Hessen, operating under American command. It is also the first time that Obama, since taking office 14 months ago, is sending military reinforcements to the Persian Gulf. Our military sources have learned that the USS Truman is just the first element of the new buildup of US resources around Iran. It will take place over the next three months, reachingpeak level in late July and early August. By then, the Pentagon plans to have at least 4 or 5 US aircraft carriers visible from Iranian shores. The USS Trumans accompanying Strike Group includes Carrier Air Wing Three (Battle AAxe) — which has 7squadrons — 4 of F/A-18 Super Hornet andF/A-18 Hornet bomber jets, as well as spy planes and early warning E-2 Hawkeyes that can operate in all weather conditions; the Electronic Attack Squadron 130 for disrupting enemy radar systems; and Squadron 7 of helicopters for anti-submarine combat (in its big naval exercise last week, iran exhibited the Velayat 89 long-range missile for striking US aircraft carriers and Israel warships from Iranian submarines.) Another four US warships will be making their way to the region to join the USS Truman and its Strike Group. They are the guided-missile cruiser USS Normandy andguided missile destroyers uss Winston s. Churchill, uss oscar Austin and uss Ross.

  1. New York Times du 25 mai 2010 : l’existence d’une directive « secrète » de septembre 2009 signée par le général David Petraeus, chef du commandement central américain, autorisant l’intensification des opérations militaires secrètes au Proche-Orient, en Asie centrale (mais aussi dans la Corne de l’Afrique). Le document de 17 pages, intitulé Joint Unconventional Warfare Task Force Execute order, autorise les unités spéciales à « pénétrer, perturber, vaincre ou détruire » toutes cibles en tous pays (y compris un pays allié comme l’Arabie Saoudite), et ce afin de « préparer l’environnement » à des offensives conventionnelles. En ce qui concerne plus particulièrement l’Iran, la directive autorise explicitement « des missions de reconnaissance pouvant ouvrir la voie à de possibles frappes militaires si les tensions relatives à ses ambitions nucléaires venaient à s’intensifier ».

Des missions (reconnaissance, renseignement, acquisition) qui de facto seront soumises au visa du Congrès américain parce que directement placées sous la juridiction de David Petraeus, chef de l’état-major général des forces américaines (United States Central Command) pour les théâtres d’opérations irakien et afghan (incidemment pakistanais). C’est à ce titre que David Petraeus a succédé, le 23 juin 2010, au général MacKrystal, relevé de ses fonctions à la tête des forces de « stabilisation » de l’OTAN (ISAF) en Afghanistan sous mandat des Nations Unies. Fonctions où il sera censé déguiser une défaite presque certaine en fausse victoire, grâce au Pakistan à qui il a été demandé de reprendre en main son « Golem », à savoir le mouvement Taleb, créé à dessein contre le régime communiste et son soutien soviétique.

  1. L’infléchissement de la politique française vers un retour dans le giron atlantique se fait sentir à partir du 2 septembre 2004 lorsque la France se rallie à la Résolution 1509 du Conseil de sécurité des Nations unies, laquelle préconise le retrait syrien du Liban. Six mois après l’adoption de la Résolution 1509, l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri est assassiné, le 15 février 2005. Le rapprochement de la France – son voyage à Canossa ! – et des Etats-Unis est complet lorsque le président Sarkozy revient officiellement en 2009 dans le commandement intégré de l’OTAN (dont de Gaulle avait retiré la France en 1966), ce qui était déjà un état de fait des troupes françaises combattant depuis août 2003 en Afghanistan, sous la bannière de l’OTAN et sous commandement américain.
  2. La problématique du refinancement du déficit public américain pèse lourdement sur l’évolution des cours du dollar. Des incertitudes qui hypothèquent l’avenir des obligations d’Etat (T-Bonds) à intérêt fixe, engendrant le risque, non négligeable, d’un krach

 

 

Addendum

 

Commentaires relatifs au « Grand Jeu en Asie occidentale de l’Amérique-monde »

Il est aussi opportun qu’urgent de tirer toutes les leçons que l’histoire nous prodigue en portant un regard résolument clinique sur les événements en cours. Aujourd’hui, à Washington, théoriciens de la guerre et idéologues de l’expansion savent pertinemment que la fenêtre de dominance ne restera pas éternellement ouverte pour les Etats-Unis, notamment en ce qui concerne le rimland eurasia-tique. L’accord tripartite, qui fait de ses alliés turc et brésilien des associés voire des partenaires de l’Iran dans le domaine du nucléaire civil, est à ce titre un avertisse­ment et un paramètre dont ils doivent tenir compte. Cela de la même façon que l’Organisation de coopération de Shanghai – quoique encore à l’état embryonnaire

 

– concrétise un certain rapprochement sino-russe… Une ébauche d’entente conti­nentale de la part des émergents (l’Iran y ayant été admis au statut d’observateur), qui en soi, de par son existence même, menace les positions et les intérêts actuels et à venir des Etats-Unis.

Dès lors que le jugement n’est plus obscurci par le réflexe de peur que suscite la seule évocation de l’arme nucléaire, la volonté américaine de brider – contre les termes mêmes du traité de non-prolifération – le programme iranien s’éclaire d’un jour nouveau. L’Iran, dont l’influence commence à s’étendre au-delà du Proche-Orient, en particulier en Afrique subsaharienne, devient chaque jour plus insuppor­table à Washington et plus encore à Tel-Aviv, dont il menace le monopole régional tout en critiquant violemment sa gestion du dossier palestinien. Surtout, si, de plus, l’Iran entend devenir à terme le chef de file d’une sorte de nouveau Mouvement des non-alignés en diffusant dans les pays du Sud les techniques du nucléaire civil (instrument de souveraineté énergétique), hors des circuits contrôlés par les Anglo-Américains et le club occidentaliste.

Parce que qui contrôle les sources d’énergie contrôle du même coup les peuples et les Etats… Pour l’Amérique qui voit loin, il importe de barrer impérativement la route à l’indépendance énergétique future des pays émergents. Une indépendance qui passe nécessairement par le nucléaire. De ce point de vue, la collusion entre l’Iran et le Brésil a certainement révélé l’un des pots aux roses, l’un des non-dits ma­jeurs du « contentieux » iranien.

Un dossier qui fait une large place aux risques de prolifération, mais, si « proli­fération » il y a, c’est celle d’une autonomie énergétique nucléaire du tiers-monde, laquelle à terme minerait en partie les fondements même de la puissance américaine fondée sur le contrôle des flux d’énergies fossiles. N’oublions pas que la pérennité du dollar est liée au fait que c’est la monnaie prévalant dans les transactions pétro­lières et gazières, et que c’est à ce titre qu’il a conservé jusqu’ici sa position de mon­naie de réserve. Une situation qui demain devra être plus ou moins reconduite avec les filières de l’atome… La grosse colère de Mme Clinton à l’encontre du président Lula da Sylva, à la suite de l’accord tripartite, étant de ce point de vue dictée par l’impérieuse obligation faite aux Etats-Unis d’interdire tout rapprochement et toute concertation entre les Etats du Sud hors de sa tutelle en matière de coopération énergétique.

 

Au demeurant, l’issue de la crise iranienne se jouera au final sur une partie de poker tricontinentale. L’Amérique abattant ses cartes avec un revolver sur la table, la Russie et la Chine, s’interrogeant avec anxiété sur la part de bluff que les gens de Washington et de Tel-Aviv (récemment rabibochés après des fâcheries en trompe l’œil, en dépit du mépris cyniquement affiché par les dirigeants israéliens à l’égard du droit et de la morale internationaux) font intervenir dans ce jeu délétère. Savants calculs et savants dosages, jeu de bascule pour Pékin et Moscou entre le ralliement affecté à la politique de garrottage de l’Iran poursuivie par Washington et l’aide discrète apportée au régime de Téhéran, entre autres sous forme d’armement. La Russie n’a-t-elle pas déclaré qu’elle ne renoncerait pas envers et contre tout à livrer des S-300 à l’Iran, redoutables missiles de défense anti-aérienne susceptibles d’en­traîner des pertes significatives chez d’éventuels assaillants ? Marchandages et, le cas échéant, chantages, le tout composant le subtil cocktail de mensonges et de bluff qui compose la matière des négociations entre puissances rivales et où double jeu et double langage sont de rigueur pour tout un chacun.

Ajoutons que Russes et Chinois partagent déjà des intérêts stratégiques sur l’Iran, notamment en raison d’une sorte de « condominium » dans le commerce gazier, lequel inclut l’Iran, les premiers se réservant le marché gazier européen, les seconds, l’Asie. Là également, les enjeux géostratégiques sont considérables : le pro­jet américain de gazoduc Nabucco se heurtant frontalement aux programmes russes North Stream et South Stream. La guerre économique faisant déjà rage, il est cer­tain que les Etats-Unis, même en se réservant la part du lion dans l’exploitation des réserves iraniennes, cela dans l’hypothèse d’un changement de régime, promettront de concéder de substantielles quotes-parts à leurs « partenaires » en échange de leur prudence ou de leur réserve à l’égard de la politique de changement de régime pour­suivie à l’égard de l’Iran théocratique.

Les choses ne sont évidemment pas jouées. Mais, insistons sur ce point, la sortie de la crise iranienne reste tributaire de facteurs échappant largement à la rationalité ordinaire. Etat de fait qui rend inutile toute tentative de se rassurer en tablant que les Kriegspiel d’écoles de guerre (laborieux calculs des forces en présence, simula­tions diverses ou savantes considérations sur la capacité des uns d’agir, des autres de subir) sont destinés à emporter le choix final en statuant sur le faisable et le non-faisable. Car les vrais critères de choix ressortent en définitive plus de la physique quantique, essentiellement probabiliste, que du logiquement prédictible. In fine, le passage à l’acte ou le dénouement miraculeux dépendent en effet de nanodéplace-ments de pouvoirs et d’influences entre les factions décisionnaires à Londres, New

 

York et Washington, Moscou et Pékin. Paradoxalement, mais de façon cohérente, ce ne sont d’ailleurs ni le Pentagone ni Langley (la CIA) qui actuellement seraient les plus favorables à une montée aux extrêmes.

De toute manière, la décision ultime ne sera pas « technique » mais « politique ». Reste que la guerre n’est pas encore tout à fait inéluctable (ainsi Curtis Le May n’est-il jamais parvenu à lancer la guerre nucléaire préventive contre l’Union sovié­tique, des frappes qu’il appelait pourtant de tous ses vœux), même si ce sont les plus acharnés, c’est-à-dire les plus « durs », qui finissent généralement par l’emporter…

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