Le Kosovo et le rôle du facteur démographique sur les évolutions

Laurent Chalard

Docteur de l’université Paris-TV Sorbonne

2eme trimestre 2011

GéOPOLITIQUES

Le parlement du Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance en fé­vrier 2008, neuf ans après la guerre entre l’OTAN et la Serbie, qui avait mis fin de facto au contrôle serbe sur la province[1]. Pour comprendre comment la situation géopolitique a ainsi évolué, inscrivons-nous dans une démarche de démographie politique, discipline inventée par Gérard-François Dumont[2], et, plus précisément, examinons comment s’exercent les lois de la géopolitique des populations dont le professeur à la Sorbonne a fait la démonstration et proposé la formulation théo­rique. Cet article vise à montrer comment la démographie a joué un rôle dans l’évolution politique du Kosovo, en concourant à modifier sensiblement le rapport de force entre les différentes populations qui le composent.

L’existence, sur le site Internet de l’Institut statistique du Kosovo, de données statistiques rétrospectives concernant son évolution démographique[3] permet de disposer de chiffres relativement fiables pour conduire une analyse précise. Cette dernière atteste que le processus d’indépendance du Kosovo, même s’il s’inscrit dans des paramètres géopolitiques multiples, s’est trouvé facilité par un changement progressif de sa population au cours des décennies que les données disponibles permettent d’analyser. Les données permettent de distinguer, depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, trois périodes successives, 1948-1961, 1961-1981 et depuis 1981.

Première période : une répartition ethnique apparemment stable

Au début du xxe siècle, le Kosovo est l’un des derniers territoires des Balkans contrôlés par l’Empire ottoman. Rappelons que ce territoire s’est trouvé revendiqué par les Serbes car il fut, aux XIIIe et XIVe siècles, le cœur du royaume de Serbie fondé par la dynastie des Nemanjic, période qui vit la réalisation de nombreux monu­ments religieux (orthodoxes) et où se situait la patriarchie de Pec, autorité suprême de l’Église nationale serbe. Après la colonisation par les Ottomans à compter de 1459, l’élément serbe se serait affaibli sous l’effet des persécutions infligées par le pouvoir ottoman, notamment après la grande migration serbe de 1690 vers des régions danubiennes, mais serait resté majoritaire, selon des historiens serbes. Puis, comme c’est la Serbie qui reconquiert le Kosovo sur l’Empire ottoman lors de la première guerre balkanique (1912), la Conférence des ambassadeurs de Londres décide de le placer sous la souveraineté de la Serbie en 1913. Jusqu’à cette date, nous ne disposons pas de données statistiques fiables car, pendant la période otto­mane, les statistiques démographiques concernent uniquement la religion, et les différentes estimations données par les observateurs occidentaux sont alors contra­dictoires[4]. Elles ne sont donc pas évoquées ici. Suite à l’alliance en 1918 de la Serbie avec les Croates et les Slovènes, peuples qui faisaient partie de l’Empire austro-hongrois, le Kosovo devient territoire d’un nouvel État, la Yougoslavie, qui, comme son nom l’indique, se veut regrouper les « Slaves du Sud ». Les deux premiers re­censements conduits dans l’Entre-deux-guerres, en 1921 et en 1931, par le nouvel État yougoslave ne donnent pas d’indication sur l’ethnicité, mais seulement sur la population totale, la religion et la langue maternelle. Selon ces recensements, les populations musulmanes et de langue albanaise apparaissent largement majoritaires au Kosovo, y représentant respectivement 75 % et 66 % de la population. Mais ces deux critères sont imparfaits et ne permettent pas de faire des comparaisons perti­nentes avec les recensements suivants, fondés sur le même critère.

Le premier recensement prenant en compte l’ethnicité se déroule après la Seconde Guerre mondiale, en 1948, dans le contexte d’un État yougoslave devenu communiste. Le principe de définition de l’ethnicité se fonde sur la libre déclara­tion du citoyen lors du recensement ou des parents si les enfants ont moins de dix ans. Le recensement de 1948 dénombre 733 034 habitants au Kosovo, dont une majorité d’Albanais, soit 68 %. Les Serbes comptent pour 24,1 % de la population et les autres ethnies (dont les deux principales sont les Roms et les Turcs) pour 7,9 %.
Treize ans plus tard, le recensement de 1961, en dénombrant 963 988 habi­tants, indique une population du Kosovo supérieure de 230 000 personnes par rap­port à 1948. La répartition ethnique apparaît comparable, avec 67,1 % d’Albanais et 23,5 % de Serbes. Le nombre d’Albanais est supérieur de 148 000 et celui des Serbes de 50 000 par rapport au recensement de 1948, soit, dans les deux cas, une hausse de près de 30 %, tandis que les autres ethnies comptent 32 000 personnes en plus. Parmi ces dernières, se constate une forte variation des Turcs, population vestige de l’Empire ottoman, soit 7 % en 1961 contre 4,2 % en 1953 et 0,2 % de la population totale en 1948. En réalité, leur pourcentage varie évidemment en fonc­tion du nombre d’habitants choisissant de se déclarer Albanais : la distinction entre les deux ethnies qui ont la même religion, l’islam, n’est pas évidente. Ces résultats du recensement de 1961 laissent penser au premier abord que la dynamique de croissance démographique des différentes ethnies est semblable entre 1948 et 1961.

Cependant, l’étude du mouvement naturel donne une image légèrement dif­férente, mettant en évidence des écarts entre ethnies. Certes, pour le début de la période 1948-1961, l’analyse de la répartition des naissances par origine en 1948 ne présente guère d’intérêt. En effet, l’Office statistique du Kosovo, en reconstituant les naissances pour la période 1948-1955 pour suppléer à l’absence de données de l’état civil, a décidé arbitrairement d’attribuer le même pourcentage de naissances pour chaque ethnie que son pourcentage dans la population totale au recensement de 1948, soit 68 % pour les Albanais et 24,1 % pour les Serbes. Une telle méthode ne permet pas de prendre en compte les différences probables de natalité entre les ethnies.

Pour la période suivante, 1956-1961, des données issues de l’état civil existent. Toutefois, pour les années 1956-1958, elles sont difficilement interprétables du fait de variations annuelles assez importantes et qui incitent à s’interroger sur la fiabilité des résultats. Les données des années 1959-1961 apparaissent plus cohérentes et donc plus fiables. Ainsi, pour l’année 1961, les naissances albanaises contribuent pour près de 74 % aux naissances totales, contre seulement 17,5 % pour les Serbes, la part des autres ethnies étant de 8,7 %. Donc, le chiffre des naissances serbes est inférieur à son poids démographique relatif dans la population totale du Kosovo, ce qui témoigne d’une natalité plus faible. En effet, en 1961, le taux de natalité est de 31,3 %o chez les Serbes contre 46,3 %o chez les Albanais. Cet écart est le produit d’une fécondité plus importante chez les seconds, qui sont encore dans la première étape de la transition démographique[5], alors que les premiers sont déjà dans la seconde étape[6]. D’ailleurs, le différentiel des taux de mortalité, qui est de 14,1 % chez les Albanais contre 8,5 % chez les Serbes, confirme cette situation. En consé­quence, l’accroissement naturel en 1961 chez les Albanais du Kosovo est de 3,22 % contre 2,28 % chez les Serbes du Kosovo. L’écart de 51 811 personnes entre le solde naturel (+ 282 765) et la croissance totale (+ 230 954) entre les deux recensements laisse penser à l’existence d’un déficit migratoire, qui concerne toutes les ethnies et donc ne modifie pas la répartition de la population.

Finalement, pour la période 1948-1961, les revendications politiques albanaises sont peu importantes, car le rapport démographique entre les ethnies ne se modifie guère en leur faveur, tandis que Tito dirige le pays d’une main de fer.

Deuxième période : nette progression du poids démographique relatif de la population albanaise

La période 1961-1981 est considérée comme mieux connue statistiquement. En effet, les deux recensements aux bornes de cette période sont d’une relative bonne qualité, et le mouvement naturel est bien tenu, à l’exception de la période 1965-1969, où la répartition des naissances par origine n’est pas précisée.

La croissance démographique du Kosovo s’accélère entre 1961 et 1981, la po­pulation passant de 964 000 personnes à 1 584 400, soit une hausse de 64 % en vingt ans. La province se situe au milieu de la transition démographique, avec un fort taux d’accroissement naturel (en moyenne de 2,5 % par an), la natalité demeu­rant élevée alors que la mortalité baisse nettement. Cependant, l’évolution appa­raît totalement dissemblable selon les origines ethniques. La population albanaise double presque, passant de 646 000 personnes à 1 226 000, et voit sa part dans la population totale du Kosovo progresser sensiblement, de 67,1 % à 77,4 %. Cette évolution montre la rapidité des changements démographiques, quand les écarts des dynamiques naturelle et migratoire sont importants.

La catégorie « autres ethnies » suit une évolution semblable, mais légèrement moins prononcée, qui lui permet de maintenir son poids dans la population totale (9,4 %). Néanmoins, l’évolution est fortement dissemblable selon ses composantes, en fonction des choix d’identification de la population, plus que de variations su­bites. Les Turcs diminuent de moitié, probablement car ils se déclarent dans la population albanaise[7], alors que la population rom progresse fortement (multipliée par dix), en partie artificiellement, car cette ethnie apparaissait sous-déclarée en 1961 par rapport aux recensements précédents.

En revanche, la population serbe se distingue, avec une diminution de 20 000 per­sonnes, soit une évolution inverse à celle des autres groupes ethniques. Le nombre de Serbes a atteint son maximum en 1971 : 228 264[8], avant de commencer à baisser sensiblement. En conséquence, leur part dans la population totale du Kosovo se réduit de moitié, ne représentant plus que 13,2 % en 1981, en raison d’une dyna­mique naturelle moins favorable et surtout d’un déficit migratoire conséquent.

Concernant le mouvement naturel, le nombre total de naissances au Kosovo est de 48 100 en 1981 contre 40 500 en 1961, mais les évolutions sont fortement divergentes selon les ethnies. En effet, les naissances albanaises passent de 29 900 à 41 200, résultat d’une natalité et d’une fécondité élevées. Elles constituent, en 1981, 85,8 % des naissances, ce qui inscrit déjà les changements de répartition de population futurs. En 1981, le taux de natalité des Albanais est moindre qu’en 1961 mais reste élevé, à 33,6 %%, alors que celui des Serbes n’est déjà plus que de 17,5 %%, un niveau alors proche des taux des pays d’Europe méridionale.

L’évolution des naissances serbes est totalement inverse de celle des Albanais, avec une forte diminution, passant de 7 100 en 1961 à 3 675 en 1981. Elles ne regroupent plus que 7,6 % des naissances du Kosovo en 1981, pourcentage syno­nyme d’une marginalisation à terme. Cette baisse est liée à la réduction sensible de la fécondité, mais aussi et surtout à une forte émigration vers la Serbie. Les naissances dans la catégorie « autres ethnies » régressent aussi légèrement, pour les mêmes raisons.

Les taux de mortalité 1981 des deux principales ethnies étant proches (6,1 et 6,9 %%), le taux d’accroissement naturel des Albanais (2,76 %) est beaucoup plus important que celui des Serbes (1,06 %). Les Albanais contribuent donc à 88 % de l’accroissement naturel, contre seulement 5,8 % pour les Serbes. En 1981, la géo­politique des populations du Kosovo se trouve nettement modifiée, d’autant plus que les dynamiques migratoires entre ethnies sont également opposées. En effet, contrairement à la période 1948-1961, le déficit migratoire « apparent » du Kosovo sur l’ensemble de la période (— 87 503 personnes) peut être uniquement attribué aux Serbes, dont l’écart entre croissance naturelle (+ 73 505) et croissance totale (— 17 218) conduit à un déficit migratoire « apparent » considérable de — 91 723 personnes, soit près de 40 % de la population serbe de 1961. Les personnes qui partent, en particulier vers les grandes villes de Serbie (Belgrade, Nis), sont plutôt des jeunes. Compte tenu de leur âge, leur émigration hors du Kosovo a donc bien évidemment des conséquences sur l’évolution des naissances serbes au Kosovo, qui se trouvent orientées à la baisse.

Cette évolution démographique dissemblable selon les ethnies peut être un des facteurs explicatifs des évolutions politiques. Dans un premier temps, en 1966, dans un contexte de légère libéralisation du régime politique de Tito, le gouverne­ment de Belgrade, qui prend conscience de l’impossibilité d’assimiler totalement les Albanais, minore sa politique répressive. En 1974, la Constitution yougoslave donne une autonomie à la province, néanmoins en dessous des souhaits des na­tionalistes albanais qui avaient demandé, en 1968, le statut de république fédérée. Après 1981, notamment au vu de leur poids démographique accru, les Albanais revendiquent à nouveau une république fédérée. Suite aux émeutes survenues en mars-avril, la répression de l’État yougoslave, dont les instances gouvernementales sont dominées par les Serbes, provoque au moins neuf morts, selon un bilan officiel.

autres ethnies

Depuis 1981, une domination ethnique devenue écrasante

La période 1981-2006 correspond à une période de troubles pour le Kosovo, ce qui entraîne une détérioration de l’information démographique. Après le recen­sement de 1981, qui peut être considéré comme fiable, le recensement de 1991 est partiellement boycotté par les Albanais. Ses résultats sont donc à prendre avec prudence. Cependant, l’Institut statistique du Kosovo considère qu’ils ont une fia­bilité supérieure à 90 % et sont d’ailleurs dans la lignée de ceux de 1981. Depuis, il n’y a pas eu de recensements du fait du statut particulier de cette province. Cette dernière n’a pas été recensée lors du dernier recensement serbe en avril 2002, car elle n’était plus administrée par les autorités serbes. Ensuite, l’Institut de statistique donne une estimation de la population en 2006, et les autres sources internationales fournissent des chiffres voisins[9].

Selon ces données, entre 1981 et 2006, la croissance démographique du Kosovo se ralentit du fait de l’entrée dans la seconde étape de la transition démographique, la natalité baissant sensiblement, mais surtout d’un solde migratoire fortement né­gatif. À nouveau, la progression des Albanais est sensible. Leur population aug­mente de 57 %, passant de 1,2 à 1,9 million, et représente, en 2006, 92 % de la population, grâce à un solde naturel demeuré élevé. À l’inverse, la population serbe diminue de près de moitié. Elle voit sa part réduite à un modeste 5 % de la popu­lation, à seulement 111 300 personnes (d’autres estimations parlent de 120 000). Ce recul n’est pas lié au solde naturel qui demeure positif, bien que plus faible que celui des Albanais, mais à un déficit migratoire important au profit de la Serbie.
Cette tendance concerne encore plus intensément la catégorie « autres ethnies » dont le nombre diminue de 90 000 personnes, soit une division par presque trois. Elles ne représentent plus que 2,7 % de la population en 2006, en raison d’un dé­ficit migratoire important.

L’étude du solde migratoire et du solde naturel du Kosovo depuis 1980 per­met de distinguer deux périodes d’évolution, liées aux événements politiques. La première part des émeutes de 1981 jusqu’à une première proclamation d’indépen­dance en octobre 1991[10]. La seconde, de 1991 à 2006, correspond à la période de troubles et d’instabilité institutionnelle, suivie par le protectorat assumé par l’ONU à compter de juin 1999[11], qui conduit à la déclaration d’indépendance de la province le 18 février 2008.

Entre 1981 et 1990, le total des naissances enregistrées au Kosovo continue de progresser, leur nombre maximum (56 283) étant atteint en 1988, année qui cor­respond également au pic maximum des naissances albanaises (49 063). Le pour­centage de ces dernières est en progression de 1 point entre 1981 et 1991, alors que les naissances serbes diminuent en volume de 200 unités et de 1,3 point en pourcentage. Le taux de natalité des Albanais du Kosovo demeure sensiblement plus élevé que celui des Serbes, même s’il baisse.

Les naissances de la catégorie « autres » augmentent aussi. Toujours entre 1981 et

  • le facteur migratoire joue un rôle de plus en plus important dans l’évolution démographique globale. En effet, suite aux émeutes de 1981, de nombreux Serbes quittent la province car les tensions deviennent récurrentes. En 1982, des émeutes se produisent à Pristina, puis en 1986 différentes manifestations. Entre 1981 et
  • le déficit migratoire « apparent » des Serbes peut-être estimé à – 36 302 per­sonnes[12]. Alors que se déroulent ces évolutions démographiques défavorables pour les Serbes, en 1989, le régime de Belgrade se d Le pouvoir installe un état d’ur­gence partiel, révoque l’autonomie de la province et règne par la force. En 1991, après la dissolution du parlement du Kosovo par Belgrade, les Albanais proclament une république indépendante du Kosovo qui n’est reconnue ni par l’État yougos­lave ni par aucun autre pays.

Après 1990, du fait des troubles, la connaissance de l’évolution démographique du Kosovo devient de plus en plus difficile. Cependant, il est acquis que, en raison du contexte politique, l’émigration des Serbes du Kosovo se poursuit. À partir de 1996, l’UCK (Armée de libération du Kosovo) mène une guérilla contre l’armée de Belgrade, qui conduit à une répression de la part de cette dernière à partir du printemps 1998. Puis Milosevic tente de mettre en place une politique de nettoyage ethnique de la province, visant à chasser les Albanais. Finalement, suite aux frappes aériennes de l’OTAN du 24 mars au 10 juin 1999, les troupes de Belgrade évacuent la province. Les Albanais sont désormais politiquement dominants, dans une pro­vince placée sous tutelle internationale, les Serbes se maintenant seulement dans des enclaves.

Ces événements politiques ont des conséquences très importantes sur le mou­vement migratoire. Pendant les frappes de l’OTAN, un million de personnes, alba­naises ou autres, se sont réfugiées temporairement dans les pays voisins. Puis, après le retour au calme, les Kosovars d’origine albanaise retournent dans la province, alors que les autres populations déplacées, principalement les Serbes et les Roms, vers la Serbie et le Monténégro, soit environ 200 000 personnes[13], ne reviennent pas.

Aussi, en 2006, la population serbe est inférieure de 82 890 par rapport à 1991, ce qui correspond, le solde naturel demeurant positif, au départ d’environ 100 000 personnes, soit la moitié de la population serbe de 1991. Sur l’ensemble de la période 1981-2006, ce sont donc au moins 135 000 Serbes qui ont quitté la pro­vince, soit l’équivalent des deux tiers de la population du recensement de 1981 ! Le phénomène d’émigration touche aussi la catégorie « autres ethnies », y compris les Roms, dont les effectifs sont, en 2006, moindre de 109 234 personnes par rapport à 1991, soit un déficit migratoire d’au moins 120 000 personnes.

Quant aux différences du mouvement naturel selon les ethnies, elles jouent dé­sormais un rôle limité dans l’évolution globale. Entre 1990 et 1999, les données sur les naissances par ethnies ne sont pas utilisables, car l’Institut statistique national attribue arbitrairement la même répartition des naissances par ethnie que celle de l’année 1990, dernière année connue précisément. Néanmoins, le nombre total de naissances diminue sensiblement du fait de la fin de la transition démographique, qui se traduit par une forte baisse de la fécondité, mais aussi par une hausse de l’émigration, qui touche désormais l’ensemble de la population. À partir de 1999, la situation se complique encore plus car il n’existe plus de données concernant les naissances serbes. Seule information fiable, les naissances albanaises diminuent car le taux de natalité des Albanais se serait réduit fortement, comme en Albanie[14], à 17,1 %o en 2006 contre 28,4 %o en 1991.

Depuis 1961, le Kosovo suit un processus d’homogénéisation ethnique au pro­fit du groupe majoritaire sur le plan démographique, les Albanais, un processus qui s’est poursuivi à un rythme heurté, mais accentué par les événements géopolitiques, qu’il s’agisse de la politique du dernier régime yougoslave ou de conséquences indi­rectes de l’intervention de l’OTAN.

Le cas du Kosovo est particulièrement intéressant car il montre bien comment les évolutions démographiques peuvent avoir des conséquences géopolitiques ma­jeures, quand deux populations vivant sur un même territoire ont des dynamiques démographiques différentes. En l’occurrence, pour reprendre la terminologie des lois de la géopolitique des populations énoncées par Gérard-François Dumont dans son livre-somme[15], les populations albanaises répondent à la loi de la stimulation alors que les populations serbes répondent aux lois de la langueur et du repousse­ment, conduisant à l’application de la loi du différentiel. Le groupe politiquement dominé par la Serbie depuis sa reconquête du Kosovo sur l’Empire ottoman, donc pendant une très large partie du xxe siècle, a fini par prendre un poids démogra­phique tel qu’il a renversé à son profit la primauté politique.

[1]Cette déclaration d’indépendance a fait l’objet de vifs débats au sein des instances internationales. Plusieurs années après, la reconnaissance du nouvel État se trouve refusée non seulement par une partie des pays de l’ONU, mais également par plusieurs pays de l’Union européenne : Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie et Slovaquie. Leur refus tient notamment à la crainte d’ouvrir une boîte de Pandore à d’autres minorités aux velléités sécessionnistes en Europe et dans le monde, à l’exemple des Basques en Espagne.

[2]Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

[3]Statistical Office of Kosovo, Demographic Changes of the Kosovo Population 1948-2006, Pristina, 2008, 21 pages.

[4]Certains considéraient que les Serbes étaient majoritaires au XIXe siècle, alors que d’autres pensaient qu’ils ne constituaient que le tiers de la population.

[5]Cette phase correspond à une baisse de la mortalité, alors que la natalité demeure stable à un niveau élevé. Cf. Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Armand Colin, 2004.

[6]Cette phase correspond à une baisse de la natalité alors que la diminution de la mortalité se ralentit.

[7]Concernant les changements de nationalité déclarés selon les recensements, cf. Cattaruzza, Amaël, « Le recensement dans les Balkans, enjeu politique », Population & Avenir, n° 672, mars-avril 2005, www.population-demographie.org.

[8]Soit juste 1 000 personnes de plus qu’au recensement de 1961. Étant donné les risques d’erreurs, il est probable que le maximum de population serbe est atteint dès les années 1960.

[9]Existent également des données estimées pour 2004. Cf. Chantal Blayo, Christophe Bergouignan, Marine Llopart, Nicodème Okobo et Nancy Stiegler, « L’exceptionnelle situation démographique du Kosovo », Espace populations sociétés. [En ligne], 2004/3, mis en ligne le 26 janvier 2009. URL : http://eps.revues.org/index424.html.

[10]En octobre 1991, les partis albanais d’opposition, unis dans une Ligue démocratique du Kosovo, organisèrent un référendum sur l’indépendance et proclamèrent la province république souveraine, proclamation non reconnue par Belgrade.

[11]En application de la résolution 1244 des Nations unies.

[12]Soit une croissance naturelle de 20 694 personnes contre une diminution de la population de 15 608 personnes.

[13]Sardon, Jean-Paul, « L’évolution démographique des Balkans depuis la fin de la décennie 1980 », Population, 55, 4-5, 2000, p. 765-786.

[14]Chalard Laurent, « Le dépeuplement de l’Albanie », Le Courrier des pays de l’Est, n° 1061, mai-juin 2007.

[15]Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, op. cit.

Article précédentKosovo, enclaves : Quel État pour quel territoire ?
Article suivantBosnie : une indépendance justifiée ? Une unité durable ?

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.