Le Mercenariat moderne et la privatisation de la guerre

Yacine Hichem TEKFA

Octobre 2005

Longue tradition qui consiste à recruter des aventuriers pour une mission militaire à l’étranger, le mercenariat se structure, désormais autour de véritables entreprises privées de sécurité et de multinationales militaires. Assurer la sécurité, porter une assistance militaire et vendre des conseils stratégiques est le nouveau concept du mercenariat qui consiste à recourir aux prestataires civils pour mener des opérations et des tâches militaires sous contrat et très souvent de façon non officielle.

Le recours à des soldats « privés », terme qui remplace souvent celui de mercenaire, jugé galvaudé, présente pour l’Etat, deux avantages majeurs. Il s’exonère ainsi de tout contrôle démocratique, sans risque de froisser l’opinion publique. « Consommables et jetables ». Dans cet univers en mutation, les soldats de fortune d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec les « affreux » des années 1960, proscrits et hors-la-loi. Ils ont donné naissance à de véritables empires de la guerre privée, qui concluent des contrats en bonne et due forme avec des Etats ou d’autres firmes, agissant comme les bras armés des multinationales. Il semble que la guerre en Irak soit le terrain favorisé de la première guerre privée, un paradigme du mercenariat entrepreunarial. L’idée de la privatisation de la guerre, sans doute n’est pas récente, et constitue un domaine très ancien, fructueux et qui devient aujourd’hui un secteur défini avec ses règles de lobbying. L’industrie militaire privée affiche un revenu mondial d’environ 100 milliards de dollars dont les plus grandes sociétés sont américaines, dirigées par des Républicains et proches des néo-conservateurs de l’administration de Bush.

Le 18 mars 2005, Mme Shaista Shameem, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, présentait son rapport sur l’utilisation des mercenaires dans le cadre d’un débat sur le droit des peuples à l’autodétermination1. Le rapporteur dénonçait la prolifération des sociétés militaires privées qui opèrent à travers le monde et en particulier au Moyen-Orient. Le rapport stipule que l’utilisation de mercenaires est une violation des droits de l’homme et il est judicieux de définir le nouveau mercenariat dans ses diverses dimensions économique, politique et militaire. Cette activité connaît une mutation stratégique importante puisqu’elle devient une activité entrepreunariale, menée par des entreprises privées de sécurité qui vendent des conseils militaires et de la sécurité. L’ère des « soldats de fortunes », des « chiens de guerre » et celle des « affreux » est révolue. Les nouvelles structures privées agissent au profit des Etats impliqués dans des conflits armés et servent de subterfuge politique en cas d’échec et de perte des armées régulières. La privatisation de la guerre est une mutation stratégique du système unipolaire actuel qui ne réduit pas forcément la puissance étatique dans le champ international, au contraire, l’Etat américain renforce sa position en privatisant sa défense et en moralisant sa diplomatie.

L’administration Bush redessine la carte de ses approvisionnements pétroliers, en Irak comme en Afrique, sans la capacité de contrôler la prolifération des armes, sensé être un des principes de sa lutte contre le terrorisme.

La guerre en Irak menée par la coalition anglo-américaine a permis l’apparition de ce nouveau mercenariat. Cette activité se développe aujourd’hui sous un nouveau visage avec des objectifs économiques d’envergure. Elle remet en cause le rôle des Etats dans le contrôle des armées régulières, de leurs activités qui se perdent de plus en plus au profit des sociétés privées et du danger imminent de la prolifération des armes. Le Moyen-Orient espace privilégié des activités mercenaires menées par les nouvelles sociétés militaires privées (SMP)2, est désormais la région, qui abrite le plus grand nombre de ces compagnies militaires privées. Elles participent et gèrent la sécurité des monarchies du Golf, mènent des activités militaires en Irak, mènent des missions de renseignement et de surveillance, de sûreté des puits de forage et de raffineries de pétrole. Elle assure aussi la sécurité des représentations diplomatiques, des associations humanitaires et même celle des Nations unies etc.

Au nom de la démocratisation de l’espace moyen-oriental, conjuguée par la mondialisation des industries militaro-industrielles et la nécessité de la réaliser avec peu de dépenses publiques, la rationalisation des coûts d’intervention militaire, a ouvert le champ de la défense aux compagnies privées pour l’investir et répondre à l’équilibre privé / public du budget de l’armée américaine. Ainsi, la guerre est une aventure profitable aux compagnies de sécurité. Le rapport est asymétrique, car l’externalisation des forces déséquilibre le monopole étatique de la violence, redimensionne les disparités d’armement et leur rapports quantitatifs avec les Etats et attire la multiplication des acteurs de la violence politique.

Le recours américain au mercenariat demeure attaché à la question de réduction des dépenses publiques de sa défense3, mais les conséquences de la multiplication des acteurs privés de la guerre en Irak redimensionne l’aspect géostratégique de la région, en affaiblissant les Etats, brouillant la symétrie de la guerre (belligérance) et forcément le droit de la guerre. Le Moyen-Orient est aujourd’hui le laboratoire d’une démocratie imposée par la violence du privé sous-jacente à des politiques gouvernementales variables aux rythmes de leurs intérêts stratégiques. La guerre conçue comme une question symétrique entre Etats souverains dans le droit international perd l’apanage de son principe de la belligérance, puisque l’acteur privé de la guerre n’est toujours pas reconnu par le droit international. Cette asymétrie de la guerre non conventionnelle attribue une force coercitive aux entités non étatiques qui redessine le champ géostratégique international par la domination sécuritaire globale.

L’évolution du mercenariat, le marché des entrepreneurs de guerre

La guerre en Irak a offert une occasion inattendue aux sociétés militaires privées recrutant des mercenaires américains, britanniques, sud-africains, européens et qui appartiennent à diverses entreprises. Ils témoignent de la prolifération de ce nouveau mercenariat, puisque ils travaillent pour des sociétés transnationales qui transgressent toutes les frontières administratives et prouvent leurs capacités en matière de sécurité, font fructifier les affaires les plus juteuses dans les conflits armés. Ils sont présents en République Démocratique du Congo, en Angola, au Rwanda, au Tadjikistan, en Arménie, en Azerbaïdjan, en Afghanistan, en ex-Yougoslavie et à la frontière entre l’Inde et le Pakistan4. Les firmes privées d’assistance militaire et de sécurité sont composées d’anciens militaires et d’hommes de renseignement regroupés au sein de firmes dotées de structures similaires à celles des sociétés commerciales de droit privé. Opérant à partir d’une nation hôte compréhensive, ou d’un paradis fiscal, elles peuvent comporter des filiales disséminées sur l’ensemble du globe, comme n’importe quelle multinationale de type capitaliste. L’ère des affreux a connu une véritable restructuration nécessitant une adaptation aux stratégies et aux intérêts des Etats dans le système international.

L’histoire du mercenariat montre une évolution structurale dans l’exercice de ce « métier » confondue très souvent avec l’histoire des guerres. Néanmoins, ce « métier » demeure intrinsèque à l’apparition de l’armée de défense nationale au début du XVIIIe siècle. Différents types de mercenaires alors apparaissent à travers l’évolution géopolitique des Etats et l’expansion européenne du XIXe siècle. Nous pouvons ainsi distinguer trois catégories de mercenariat qui possèdent tous quelques caractéristiques communes. Tout d’abord, il est judicieux de définir le concept du mercenariat ou du mercenaire qui provient du latin mercis : marchandise. Le mercenaire loue son savoir-faire moyennant finance. Le mercenaire a un rôle d’appoint limité et une efficacité réduite, puisque l’histoire du mercenariat étale des échecs et des déroutes, dès lors que nous parlons de l’ancien mercenariat (traditionnel) dont les activistes sont motivés principalement par le profit et l’aventure. Appelés souvent « les chiens de guerre » ou les « affreux », ce type de mercenaire a connu une véritable progression dans les années 1960 et 1970 en Afrique, malgré la limitation de leur moyen d’action. Ils fléchissent par leur manque de moyens et par leur manque de stratégies. Leurs actions, cependant, sont aussi limitées voire déroutées par un renversement des situations. L’échec de Bob Denard dans son intervention au Comores en 1995, illustre que ce type de mercenariat est révolu, et le besoin de structurer ce métier de guerre, exige une approche plus organisationnelle.

Les causes de l’émergence du marché de la sécurité et de l’assistance militaire après la fin de la guerre froide sont dues à l’apothéose de l’économie dans les relations internationales. Les services attribués auparavant au renseignement militaire se sont transformés en soutien aux entreprises sous l’approche de l’intelligence économique. Ainsi, la politique étrangère a connu aussi une véritable mutation passant d’une politique qui vise à promouvoir les intérêts nationaux et définir l’identité nationale collective sur la scène internationale, à une diplomatie économique qui prime l’intérêt économique par la conquête des marchés et la reconstruction après des interventions militaires. Jan Coen disait en 1641 que « Le commerce ne peut pas exister sans la guerre, pas plus que la guerre sans le commercev ». Il est important de comprendre la mondialisation dans ses aspects les plus ténébreux dont la guerre économique que se livrent les pays développés afin de mieux préserver leurs systèmes économiques qui se fragilisent de plus en plus. Dans la mondialisation, la potentialité économique de chaque pays est analysée, la première cible demeure les pays émergents et les économies pétrolières, comme les pays moyen-orientaux, de l’Afrique, et des ex-républiques soviétiques. Toutefois, les gouvernements reconvertissent leurs services de renseignement au profit de l’intelligence économique et l’administration est contrainte de fournir un appui tactique aux entreprises à l’étranger afin de mieux cerner les marchés intérieurs disposant de ressources naturelles mais de potentiels productif et consommateur. L’émergence de l’aspect sécuritaire de l’économique, nous renvoie à vouloir comprendre le retour de ce type d’assistance militaire, ses causes ainsi que son impact sur la sécurité intérieure des Etats et le maintien de leur force coercitive. En outre, la deuxième cause repose sur la professionnalisation du service militaire et de la démobilisation mondiale des effectifs. Cette même restructuration au sein des armées nationales, reste relative à la diminution des budgets affectés à la défense nationale.

L’histoire du mercenariat évoque très souvent une présence de soldats étrangers ou de guerriers privés dans les armées régulières. Leur utilisation dans les conflits coloniaux et dans d’autres situations ayant servi les intérêts nationaux, leur disparition a été lente. La Légion étrangère française est par exemple une force mercenaire en ce sens qu’elle a été créée à l’origine pour protéger les possessions coloniales françaises et qu’elle existe toujours aujourd’hui. La Légion étrangère fut créée en 18315, le Tercio espagnol et le 32ème bataillon sud-africain sont des formes achevées de ces unités spéciales d’étrangers sous commandement régulier de l’état-major d’un pays. Des catégories similaires se développèrent en Europe, les Gardes suisses du souverain pontife, les Britanniques formèrent les Ghurkas et aux Etats-Unis, le colonel Chennault fut envoyé en 1937 accompagné de ses « tigres volants » au service de la Chine contre le Japon6. Une pratique qui prit une ampleur dans le continent européen, en tenant compte de la nature de la guerre, la qualité et le savoir-faire des soldats. Dans toute l’Europe, les dirigeants commencèrent à avoir recours au sectagium « argent de protection » : coût pour armer un soldat, des sommes utilisées pour engager des soldats7.La prolifération des forces militaires privées coïncide avec une instabilité croissante due à des changements politiques ou à des périodes de démantèlement des armées régulières – en particulier pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453), les Etats italiens faisaient la guerre par Condottieri interposés.8 Cette phase est la première dans la structuration de ce métier. En effet, le Condottieri est lié à l’Etat qui l’emploie par une Condotta : ce contrat (juridique) passé devant notaire stipule le montant de la Prestanza, somme avancée au capitaine pour rémunérer et équiper des hommes9. Le Condottiere pouvait aussi sous-traiter d’autres contrats et devenait à la tête d’une campagnia, une compagnie au sens commercial du terme. Le recrutement étant non soumis à une autorité étatique et centralisée, les mercenaires italiens proposaient leurs services en « lances libres » l’origine même du terme actuel « free-lance ». Un gagne -pain précaire sans aucune perspective professionnelle ni assurance d’être intégré dans l’armée régulière. L’aventure guerrière était très souvent attendue. A la recherche de nouvelles occasions guerrières afin de subvenir à leurs besoins en rançonnant les villages et modifiant le principe même de la doctrine du combat.

D’organisations temporaires – bandes de guerriers dont le principal but était de se protéger eux-mêmes et d’exploiter les populations locales, les sociétés libres évoluèrent vers un type d’organisations économico-militaires systématiquement à la solde d’une ou de plusieurs régions. Au fil du temps, les accords qu’elles signaient avec leurs employeurs devinrent beaucoup plus détaillés, spécifiant la durée et les termes de leur service, le nombre d’hommes et la rémunération. Cette dimension contractuelle entre un Etat hôte et un prestataire de sécurité et d’assistance militaire, va maintenir le mercenariat sous cet aspect en passant par une longue période d’évolution. Il connut une évolution dans les régiments français (suisse-allemand-irlandais-liégeois) qui formèrent le quart des effectifs de l’armée de Louis XV, passant par l’évolution du mercenariat sous son aspect structural sous les Britanniques à travers la compagnie des Indes et jusqu’aux années 1960, où la décolonisation de l’Afrique ouvre une nouvelle voie, celle des « Affreux ».

Pour comprendre la nécessité de l’approche organisationnelle du mercenariat, il faut revenir à l’histoire du recours aux mercenaires dans le maintien des colonies et la répression des rebellions anticoloniales. La tradition anglaise du mercenariat fait de la Grande Bretagne une nation qui a une longue expérience et la première à moderniser ce secteur10. Le mercenariat est un instrument bénéfique et un composant de la politique étrangère britannique, « Ces compagnies de sécurité ou d’évaluation des risques sont souvent dirigées par un amiral ou un général retraité qui a pris ses contacts avec les gouvernements étrangers quand  » il travaillait pour la Reine, Pour le gouvernement (anglais), ces activités ont l’avantage de pouvoir être niées en cas de problème 11 ». L’immense empire colonial anglais doit en effet beaucoup à l’action des mercenaires. La Compagnie des Indes à elle seule entretenait à son apogée plus de 190 000 hommes. Ces derniers furent très utiles au moment de la révolte des cipayes en 1857. Pour venir à bout des insurgés, les troupes anglaises font appel à des contingents de Sikhs et de Gurkhas, mis à disposition de la Couronne par le maharadjah du Népal12. Dans les années 1960, la Grande Bretagne développa le mercenariat à la gloire des SAS13, fondé par David Stirling, et qui proposa en 1967, la création de la Watchguard Organisation. Cette entreprise propose des services de protection des personnalités politiques d’Afrique (Sierra Leone, Zambie) au Moyen-Orient en protégeant les cheikhs d’Abu-Dhabi (EAU), et même à Mascate où il fallait éradiquer la guérilla marxiste du Dhofar14. En d’autre terme, la Watchguardorganization entraînait et déployait des mercenaires au gré des intérêts du Foreign Office. D’autres compagnies s’attribuaient le même rôle les Gurkhas Security Guards Limited (GSG), la Defense Systems Limited (DSL). Cette compagnie fondé en 1981 par un commandant du 22ème régiment SAS15 emploie plus de 5 000 personnes dans une trentaine de pays pour des missions de sécurité à usage de firmes privées et de différentes ambassades occidentales. Elles assurent aussi des opérations de soutien et de déminage au profit de l’ONU ainsi que pour la formation de forces militaires et policières dans quelques anciennes colonies de la Couronne : le Mozambique, le Sri Lanka, le Botswana, Singapour, le Sultanat de Brunei et la Papouasie Nouvelle Guinée.

Devant la difficulté de définir sur le plan juridique le mercenariat, il est autant difficile de cerner son évolution ainsi que son adaptation, en particulier, sa structure moderne, celle de l’action entreprenariale. Il existe des traités internationaux en vue de contrôler les activités des mercenaires :

Le mercenaire n’a le droit ni au statut de combattant, ni au statut de prisonnier de guerre. La convention de Genève de 1949 le définit ainsi, toute personne qui est :

  • – est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;
  • – qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie;
  • – n’est pas un ressortissant d’une partie au conflit ou un résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ;
  • – n’est pas un membre des forces armées d’un partie au conflit ; et n’a pas été envoyée en mission officielle par un Etat qui n’est pas partie au conflit en tant que membre des forces armées dudit Etat .

La convention des Nations unies de 1989 intègre la définition de 1949 dans son entier et augmente son champ d’application : le mercenaire est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour prendre part à un acte concerté de violence visant à :

  • renverser un gouvernement, ou de quelque autre manière, porter atteinte à l’ordre constitutionnel d’un Etat ; ou
  • porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un Etat ;
  • qui prend part à un tel acte essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel significatif et est poussé à agir par la promesse ou par le paiement d’une rémunération matérielle ;
  • qui n’est ni ressortissante ni résidente de l’Etat contre lequel un tel acte est dirigé ;
  • qui n’a pas été envoyée par un Etat en mission officielle ; et
  • qui n’est pas membre des forces armées de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a eu lieu.

Pour renforcer la législation internationale en matière d’interdiction de l’utilisation du mercenariat dans les conflits armés ou les situations troublées, la communauté internationales et certains Etats vont renforcer les conventions internationales et adopter des lois d’interdiction du mercenariat16. Devant l’accroissement du nombre des soldats de fortune et de leurs activités, notamment, leur caractère aggravant la violence et les troubles ainsi que le recours aux trafics illicites d’armes. Malgré le rôle ambivalent de certains Etats sur l’utilisation de ces soldats privés, les conventions internationales reconnaît et tente de définir l’ensemble composant l’activité mercenaire. les Protocoles additionnels I et II de la Convention de Genève (1949), la Convention de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) pour l’élimination des mercenaires en Afrique (1972) et la Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires (1989). Mais il faut attendre 1997 pour que le Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme définisse de façon clairvoyante la portée stratégique et politique de l’utilisation du mercenaire en tant que force paramilitaire coercitive. Le nouveau modèle de « chiens de guerre », a été défini en 1997, par le rapporteur spécial des Nations unies dans un rapport spécial : « Les activités des mercenaires ne font pas seulement que continuer à exister, elles changent de nature.

L’établissement de compagnies qui vendent du conseil militaire, de l’entraînement et des services de sécurité à des pays clients en échange d’argent ou de concessions minières et énergétiques (…) devient très répandu. (…) Selon ce nouveau concept, il apparaît que tout Etat possède la liberté d’acheter des services de sécurité sur le marché international auprès d’organisations composées de personnes de nationalités différentes, unies par leurs fonctions et leurs capacités à contrôler, punir et imposer un ordre voulu par le gouvernement qui les loue, sans considérer les coûts en vies humaines, en échange d’argent et d’une portion de ses ressources naturelles ». En 1999, aucun traité cité au préalable n’était appliqué, et la situation des droits de l’homme ainsi que la violation du principe de l’exercice de l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes, étaient toujours menacés par l’utilisation des mercenaires dans un cadre professionnelle plus élargi, organisé dans des firmes multinationales dans les cinq continents. Elles fusionnent et sont très souvent soutenues par des banques américaines au profit des sociétés d’industrie militaire. L’exemple concret de Carlucci qui siégeait aux côtés de James Baker, ancien Secrétaire d’Etat et chef d’Etat-Major de la Maison Blanche à deux reprises sous l’administration Reagan et Bush. Depuis 1990, président de Carlyle possède comme actif le groupe BDM International et Vinnel Corporation (depuis 1992) qui sont en contrat avec l’Arabie Saoudite pour la formation de l’Armée de terre et de l’air, de la Marine et de la Garde Nationale. Dans le même rapport, M. Enrique Bernales-Ballesteros indiquait qu’il existait certains « rapprochements troublants », « Les Etats-Unis ont leur Military Professional Resources Incorporated , la Grande Bretagne Defense Systems Limited, l’Afrique du Sud Executive Outcomes, la France sa COFRAS (…). Il décrit ainsi la COFRAS (filiale du groupe Défense Conseil International) comme entrant dans la catégorie des compagnies privées de mercenaires au même titre qu’Executive Outcomes ou DSL. Il rappelait, cependant, qu’il manquait toujours trois ratifications ou adhésions pour que la Convention contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires entre en vigueur. Il a rappelé son voyage au Royaume-Uni à l’invitation du Gouvernement britannique, ainsi que celui qu’il a effectué à Cuba pour enquêter, à la demande du gouvernement, sur la possibilité d’activités mercenaires à l’encontre d’installations touristiques à La Havane. Il ressort de la visite au Royaume-Uni que les autorités britanniques sont également préoccupées par le développement d’entreprises de sécurité et de conseil militaire qui profitent du vide juridique pour engager des mercenaires qui participent activement aux conflits armés et se livrent à des violations des droits de l’homme. Ces sociétés privées agissent dans des zones affaiblies par les conflits armés et les combats, et la fragilité de leurs structures et institutions ne leur permettent pas de renforcer leur souveraineté. Nous sommes restés depuis ce rapport sur la suggestion du gouvernement britannique portant sur la rigueur de définir le concept du mercenariat et de contourner le débat sur une éventuelle confusion catégorielle des différentes sociétés qui proposent les services de sécurité. Devant cette controverse juridique, la confusion de définir le mercenariat se perpétuait. . Qu’est ce qu’un mercenaire ? Est il un acteur qui se définit dans le contexte du combat (conflit) ou hors combat ? Quel serait l’avenir de cet acteur imprévisible, dévoué à la guerre et que deviendrait son activité commerciale militaire ou paramilitaire qui profite des situations ou participent à des situations humanitaires désastreuses ? La définition suivante est stipulée dans le droit international et consignée dans le Protocole additionnel I à l’article 47 de la Convention de Genève (1949) statut sur ce qu’est un mercenaire selon les critères suivants : (a) il est spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; (b) il prend de facto une part directe aux hostilités ; (c) il prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et auquel est effectivement promis, par une partie en conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ; (d) il n’est ni ressortissant d’une partie en conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ; (e) il n’est pas membre des forces armées d’une partie en conflit ; et (f) il n’a pas été envoyé par un Etat autre qu’une partie en conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat.

Les Etats-Unis, le berceau de la privatisation de la guerre

L’émergence aux Etats -Unis de ce secteur des Société Militaires Privées (SMP), développant ainsi le Corporate Warriors, sans pour autant remplacer l’Etat dans les conflits. Néanmoins, Les mercenaires appartenant aux types traditionnels restent actifs dans la plupart des conflits contemporains. Enrique Bernales Ballesteros alarme à cet égard la Communauté Internationale sur leur présence en République Démocratique du Congo, en Angola, au Rwanda, au Tadjikistan, en Arménie, en Azerbaïdjan, en Afghanistan, en ex­Yougoslavie et au Kashmire. Cependant, le rapporteur spécial de l’ONU sur la question des mercenaires s’inquiète surtout de la  » mutation stratégique  » inédite que connaissent actuellement les  » chiens de guerre « . En effet,  » c’est bien moins le mercenariat comme tel qui fut mis en échec qu’une certaine manière de l’exercer  » qui s’est considérablement marginalisée. La fin de la guerre froide voit se développer à nouveau le mercenariat mais sous une forme qui n’a connu son équivalent qu’aux temps des condottieres italiens.

Le mot mercenaire ne définit pas de façon suffisamment exhaustive et précise ce nouveau phénomène. La Defense Intelligence Agency et certains analystes américains parlent de transnational security corporations, mais le concept de sécurité, nous le verrons, ne permet pas d’appréhender toute l’étendue des activités couvertes : assistance militaire, formation, etc. Le plus souvent, les commentaires sur le sujet traitent des mercenaires avec le vocabulaire mythologique traditionnel : Dogs of War, Soldiers of Fortune, etc. en français, il existe peu de littérature, qui définit le nouveau mercenariat, nous retenons la définition de Philippe Chapleau, « Les sociétés privées exportatrices de services sécuritaires et/ou d’expertise militaire ». Elles sont engagées par des gouvernements, des organisations non gouvernementales, des organisations internationales telles que l’Onu, des associations humanitaires ou des compagnies privées par le biais de contrats en bonne et due forme, de manière parfaitement légale. Ces compagnies affirment généralement travailler uniquement au profit de gouvernements légaux mais certaines consultations ont échoué, du fait des firmes, à cause de la trop grande instabilité de certains régimes politique. Leurs clients sont des agences fédérales de maintien de l’ordre, le Département de la Défense, le Département d’Etat (…), des sociétés multinationales, et des nations amies du monde entier. Le montant des honoraires est souvent très élevé mais il s’agit d’Etats souverains ou d’organisations légales dépensant leur propre argent. L’échelle des salaires est en dehors des normes, ce qui attire des experts et des officiers en retraite. Il est important de signaler que les montants des gros contrats ne sont pas communiqués. Aux Etats-Unis, « Toute demande de prestation de défense soumise par des individus étrangers ne sera fournie qu’après autorisation en bonne et due forme du Département d’Etat ». leur expertise en conseil consiste à « appliquer des solutions sur mesure pour nos clients afin de les maintenir au niveau de préparation nécessaire pour faire face aux défis actuels du maintien de l’ordre, de la sécurité nationale, et de la défense ».

Comme dans la plupart des entreprises, ces firmes disposent de sites Internet, de services de communication et de documentations à destination de la presse et des clients potentiels. La présentation de leurs missions précédentes, et du terrain de leur expérience, la composition de leurs membres, etc. ainsi nous pouvons lire dans le site de la compagnie américaine Black waters fondée en 1997 : « train hard or don’t train at all ». Black waters est de plus en plus présente au Moyen -Orient, sa vision consiste à intégrer la ligne droite du discours de la diplomatie américaine. Elle propose de rétablir la paix et la démocratie dans le monde. La liberté ainsi que la démocratie ont besoin de solutions de sécurité innovantes et flexibles partout dans le monde17. Cela constitue une rupture en comparaison de la clandestinité et de la discrétion qui prévalait par le passé chez les mercenaires traditionnels. Leurs domaines d’activités et des services contractuels sont très diversifiés : soutien logistique, maintien de l’ordre, expertise et conseil militaire, formation militaire des personnels (Terre, Air, Mer quel que soit l’arme et la spécialité), renseignement, opérations spéciales et sécurité des personnes et des biens. Pour se faire, elles disposent de réserves d’hommes plus ou moins importantes (plus de 8000 hommes), de matériels performants et de cadres expérimentés provenant des unités d’élite et des institutions militaires les plus prestigieuses au monde. Par ailleurs, l’aspect officiel de ce secteur réside dans l’investissement d’un officiel dans l’entreprise ou sa présence en tant que dirigeant. Des exemples reviennent le plus souvent aux Etats-Unis sur les liens entre les néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises d’exploitation pétrolières, notamment le Groupe Carlyle. Enron, Halliburton Energy Services (qu’a présidé Dick Cheney) et Unocal (dont Hamed Karzai fut l’un des conseillers), les liens aussi entre les néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises sous-traitantes de l’armée (KCB- Halliburton) la plus importante des SMP basée en Irak. Elles recrutent très souvent dans les pays où les sociétés de sécurités existent. Pour la plupart du temps, ils sont européens (France – Grande Bretagne- Espagne), sud-africains, israéliens, etc. ils sont nommés « conseiller militaire ou de sécurité », ils rejettent l’appellation de mercenaire et estiment que leurs activités sont légales puisqu’elles sont menées au profit des Etats, ou d’organisation publiques et/ou internationales. Il faut retenir donc que la démocratie et la lutte contre le terrorisme sont deux domaines réservés aux multinationales (SMP) et plus à la souveraineté des Etats. Nous retiendrons l’exemple d’une chimère d’Etat-mercenaire du colonel Jean Schramme consistant à fonder à Bukavu, en République démocratique du Congo un Etat dans l’Etat. Ce qui rend le monopole de l’emploi de la force et de la coercition sur une échelle étatique avec plusieurs structures public-privé et plus à l’Etats seul.

Cette nouvelle dimension des forces de coercition redimensionne les rapports entre les Etats et impliquent le jeu de la mondialisation. Le marché de la sécurité et de l’assistance militaire se déploie en force occupante perçu comme un nouveau colonialisme. Lorsqu’un marché aussi fructueux déstabilise des Etats entiers, la sécurité n’est plus une question nationale, au contraire, elle est ouverte à tout ce qui intègre le marché des commerciaux militaires. Ces acteurs paramilitaires américains sont confrontés aujourd’hui, à la plus importante mission de leur tremplin dans ce métier, leur guerre privatisée en Irak. il existe aujourd’hui un militaire privé des soixante sociétés militaires privées pour dix soldats conventionnels (GI).18 Des supplétifs de luxe que le Washington Post estimait en 2004 à plus de « 20.000 spécialiste de la sécurité, des Américains, des Irakiens et des étrangers, se trouvaient en Irak », et que leur nombre allait bientôt dépasser les 30.000, intégrés dans plus de 180 structures de sécurité privées19.

Le 06 avril 2004, une image encore très violente fait le tour du monde parvenant de Felloujah, montrait quatre cadavres de civils américains lynchés20. En fait, il s’agissait de quatre mercenaires appartenant à la firme Black Water. Cette image reflète dorénavant que la guerre du futur, sera une guerre en freelance, flexible et qui peut atteindre n’importe quelle zone du monde. Cette liberté d’action contre toute insurrection et contre les aspirations d’un peuple souverain est condamnée par le droit international, mais la multiplication des sociétés privées américaines de sécurité. Cette liberté n’est pas conditionnée ni règlementée et très souvent elle est abusive. La question de la torture des prisonniers dans les prisons, internement sans jugements, transfert des prisonniers, le viol, les exécutions sommaires et clandestines sont appliquées dans la plus grande clandestinité et confusion, ce qui constituerait la stratégie punitive américaine contre le terrorisme. Une radicalisation de l’externalisation des forces militaires puisque le droit de la guerre est complètement ignoré par les SMP.

L’externalisation des forces militaires en Irak a démontré le premier pas vers la privatisation de la guerre, de ses dangers et conséquences sur les Droits de l’homme, et la souveraineté des peuples. Des questions de fond doivent se poser quant au caractère entreprenarial de la sécurité et de l’assistance militaire. La guerre devient un outil commercial au bénéfice des grandes sociétés et des multinationales, l’absence de guerre ne signifie plus un état de paix, au contraire, la guerre privatisée peut toucher n’importe quelle société et décliner son système politique, limiter sa force coercitive et détruire sa population. La guerre privatisée que l’Irak subit aujourd’hui est sans aucun doute l’annonce au monde entier la nouvelle guerre du privé qui est permanente, flexible, et rapide à déclencher.

* Yacine Hichem TEKFA est chercheur en sciences politiques à l’Université de la Sorbonne Nouvelle et membre associé à L’Institut International d’Etudes Stratégiques-Paris

Note

  1. On lira avec profit le rapport spécial présenté par Mme Shaista Shammem,

débattu à la 61ème session du 14 mars au 22 avril 2005. A/60/263. www.ohchr.org/french/issues/mercenaries.

  1. MPS Miltary private Companies
  2. Makki Sami, « les Sociétés militaires privées dans le chaos irakien », Le Monde diplomatique, novembre 2004
  3. rapport spécial de l’ONU, Mr Bernales Ballesteros, Nations Unies

1997.

  1. Jan Coen, gouverneur de la Compagnie des Indes orientales.
  2. Fondée par le roi Louis Philippe (Loi du 9 mars 1831 » composée principalement d’étranger, elle ne pourra être employée que hors du territoire continental du Royaume. Sa première mission fut la conquête de l’Algérie. En 1835, la Légion soutint la reine Isabelle d’Espagne contre les rebelles carlistes. Voir,legionetrangere.fr
  3. Boucheron Patrick, « Machiavel et la fin des mercenaires », in, l’Histoire, N°267, 2002, pp. 28-31.
  1. Peter Warren Singer, « Un métier vieux comme le monde » in, Le Monde Diplomatique, novembre 2004.
  2. De véritables chefs de guerres placés à la tête de troupes mercenaires. Cf. Chapleau Philippe, Sociétés militaries privées, , p. 29.
  3. Boucheron Patrick, « Machiavel et la fin des mercenaires », in, l’Histoire, N°267, 2002, pp. 28-31.
  1. Stromberg Joseph, Mercenaries, Guerrillas, Militias and the Defense of Minimal States and Free Societies, 217.
  2. , p.218. Cf. Chapleau Philippe, Sociétés Militaires Privées, Enquêtes sur les soldats sans armées, Monaco : Editions du Rocher, 2005, pp.31-37.
  3. Janince E Thomson, mercenaries, Pirates and Sovereigns, Princeton University Press, 1994, p.85.
  4. Special Air Service, unité de parachutistes fondée en 1941.
  5. En 1965 éclate une rébellion à forte connotation marxiste-léniniste au Dhofar, province de l’ouest d’Oman. Elle s’étend rapidement, profitant du caractère particulièrement rétrograde du souverain. Ce dernier sera renversé par son fils Qabous en 1970, avec l’aide des Britanniques. Il fallait une intervention des soldats britanniques et un contingent iranien pour venir à bout de l’insurrection, en 1975.
  6. Alastair Morisson, est président directeur général de l’entreprise allemande d’armement Heckler & Koch.
  7. La France a adopté en 2003 la loi sur la répression du mercenariat,
  8.  » from a clear vision developed from an understanding of the need for innovative, flexible training an d security solution to support freedom and democracy every where »
  9. Philippe Chapleau, op.cit., p.49.
  10. , p. voir la page 291, la liste des principales sociétés militaires privées en activité.
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