LE « PACTE SASSOU N’GUESSO » ET LA THÉORIE DES ALLIANCES

Charles ZORGBIBE

Professeur a l’Université de Paris I Panthéon- Sorbonne, ancien recteur de l’Académie d’Aix -Marseille.

Octobre 2009

Le pacte panafricain de non-agression et de défense proposé par le prési­dent de la République du Congo et qui a été endossé par l’Union africaine à Abuja, le 31 janvier 2005, puis pris en compte et soutenu par le Conseil de Sécurité de l’Onu, réuni le 14 septembre au niveau des chefs d’État et de gouvernement, reflète l’aspiration à une consolidation institutionnelle de l’Afrique des États, à la réduc­tion des risques de déstabilisation politique qu’elle affronte. Dans le même temps, le pacte prend implicitement acte de l’échec, jusqu’ici, des ambitions panafricaines dans le champ de la défense commune et de la sécurité collective.

Avant d’ouvrir le dossier du maintien de la paix en Afrique, trois constats préa­lables peuvent être dressés sur la situation du continent dans le système internatio­nal au sortir de la guerre
froide :

  • La position stratégique de l’Afrique, tant vantée à l’époque du système bipo­laire, ne peut occulter la vulnérabilité de régimes politiques parfois peu enracinés, de nations parfois profondément divisées en ethnies rivales, même si un « vouloir-vivre ensemble » s’est tout de même dégagé par-delà le découpage artificiel des frontières, hérité de l’ère coloniale. Les tragédies se sont multipliées ces dernières décennies : l’Afrique devient le site par excellence des « États en collapsus », qu’il s’agisse de la disparition totale de l’appareil étatique, comme en Somalie ou au Liberia, ou de l’exacerbation de guerres civiles interethniques, comme au Rwanda.
  • Le jeu diplomatique africain se déploie non à l’échelle du continent, mais au sein des différentes « sous-régions ». Celles du Nord, du Centre, de l’Est, de l’Ouest, du Sud sont le théâtre d’un jeu égalitaire et fractionné, qui nous ramène à la diplomatie de l’équilibre de l’Europe (ou de l’Amérique latine) des XVIIIe et XIXe siècles, avec son ballet d’alliances et de contre-alliances. Cette situation ex­plique l’inefficacité relative de l’ancienne organisation continentale, l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

– La fin de la guerre froide enlève à l’Afrique son caractère d’enjeu géopoli­tique. Le grand vent des tensions Est-Ouest avait atteint le continent noir. Dès 1975, l’intervention cubaine en Angola avait montré que l’Afrique n’était plus une chasse gardée occidentale. Ces temps sont révolus : l’Afrique n’est plus le « continent convoité » décrit par l’historien Elikia Mbokolo. L’entente cordiale Washington-Moscou a permis d’apaiser les conflits locaux les plus anciens, de la Namibie à l’Érythrée. L’Afrique est si peu convoitée qu’elle a tendance à être marginalisée dans le système international : présence massive dans le groupe des « pays les moins avan­cés », effondrement des systèmes de santé, multiplication du nombre des réfugiés chassés par les guerres civiles ou les aléas climatiques.

Échecs et limites de l’OUA

Dans le champ de la défense et de la sécurité collective, on l’a dit, l’échec des am­bitions panafricaines était net. Depuis sa naissance, le 25 mai 1963 à Addis-Abeba, l’OUA, l’ancienne organisation régionale, avait pris un certain nombre d’initiatives, qui apparaissaient comme autant de « coquilles vides ». Sa « Commission de média­tion, de conciliation et d’arbitrage » ne fonctionna jamais, malgré le grand nombre de conflits armés en Afrique ; sa « Commission de défense » a présenté une cascade de projets, de la création d’une Académie militaire africaine à celle d’une « force africaine de défense » ou d’un « Haut commandement unifié pour l’Afrique », sans le moindre début de réalisation.

En revanche, l’adoption par le sommet du Caire, en juin 1993, d’un « Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique » révélait, à l’aube d’un nouveau système international, une vraie prise de conscience chez les chefs d’État africains, et leur volonté de rechercher pragmatiquement des moyens d’action efficaces (à preuve la mise en place, en 1996, au siège de l’OUA, d’un Centre de gestion des conflits, doté d’un bureau d’alerte rapide et d’une salle de suivi des opérations). Mais les limites du « mécanisme » apparurent : l’action de l’OUA se limitait à des missions de bons offices et d’observation ; le principe de non inter­vention dans les affaires intérieures pesait sur les velléités d’action de l’Organisation.

En fait, le maintien de la paix en Afrique restait l’affaire des organisations et pro­cédures sous-régionales : l’Afrique de l’Ouest avait été le laboratoire de ces systèmes de sécurité, avec « l’Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense » (Anad), conclu à Abidjan en 1977, puis le Protocole d’assistance mutuelle de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), signé en 1981 à Freetown. Les autres sous-régions avaient suivi : la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), l’Autorité intergouvernementale pour le déve­loppement (Igad) en Afrique orientale, et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) se dotèrent de « pactes de non-agression » ou d’orga­nismes chargés du maintien de la paix.

Le thème de la refondation de l’organisation panafricaine allait être introduit par surprise, lors du sommet extraordinaire de Syrte, en septembre 1999, par le chef d’État libyen, le colonel Kadhafi. L’observateur hésitait : assistait-on à une avancée institutionnelle décisive ou à une nouvelle chimère d’un leader libyen aux accents prophétiques ? Était-ce un retour du panafricanisme à la Nkrumah ou une nouvelle manifestation de l’impuissance du continent, un acte solennel qui resterait lettre morte ? Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’OUA (et nouveau premier ministre du Togo) craignait, de son côté, un changement qui se limiterait à la ter­minologie, au sigle de la nouvelle organisation…

Les deux chantiers de l’UA

En fait, le pari a été gagné. L’Union africaine est née le 26 mai 2001, un mois après la ratification de son Acte constitutif par les deux tiers des États concernés. La conférence des chefs d’État et de gouvernement de Lusaka, en juillet 2001, a été le dernier « sommet » de l’ancienne OUA, celle de Durban, en juillet 2002, le pre­mier sommet de la nouvelle Union africaine. Un double constat s’impose : les chefs d’État ont choisi le pragmatisme, un fédéralisme « fonctionnel » à l’européenne ; et ils ont ouvert deux grands chantiers, celui du nouveau partenariat pour le dévelop­pement de l’Afrique, celui de la sécurité africaine.

Ici s’insère l’initiative du président Sassou N’Guesso, qui a proposé aux autres chefs d’État africains une double innovation :

– conclure, pour la première fois dans l’histoire panafricaine, une alliance clas­sique, un pacte contre l’agression, aux dimensions du continent ;

– doter ce pacte des instruments de gestion des crises et de prévention des conflits qui lui donneraient un second trait, caractéristique de l’après-guerre froide, celui d’un pacte de stabilité, d’un traité de diplomatie préventive.

Le pacte panafricain est, en première analyse, une alliance classique, c’est-à-dire un accord centré sur l’engagement d’assistance entre États partenaires, « le traité par lequel deux (ou plusieurs) puissances s’engagent à se porter mutuellement secours », selon la définition d’Henri Capitant. L’Afrique ne s’est jamais dotée d’une telle alliance continentale, alors que les États du continent américain étaient unis, dès le 2 sep­tembre 1947, par le traité interaméricain de Rio, et les États arabes par le traité de défense commune interarabe du 13 janvier 1950.

La fonction explicite de l’alliance est de dissuader l’agresseur éventuel. Une dé­finition précise des actes d’hostilité qui font naître l’obligation d’assistance semble donc nécessaire. Précision difficile, il est vrai, malgré les multiples tentatives de définition de l’agression. La résolution 3314 du 14 décembre 1974 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui semblait constituer une étape historique, comporte une large part de flou : l’agression est « l’emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte » ; mais si l’emploi de la force armée en premier constitue une présomption d’agression, cette présomption peut être écartée par une prise en compte des circonstances concrètes. Le Conseil de sécurité se voit donc finalement reconnaître un large pouvoir d’appréciation sur la question essentielle de la détermination de l’agresseur dans chaque conflit concret !

La définition de l’agression

Il resterait à conclure, avec Charles de Visscher, que « l’agression n’est pas un concept que l’on puisse enfermer dans les termes d’une définition juridique quelle qu’elle soit ; par ses aspects politiques et militaires, par l’appréciation objective des mobiles qu’elle exige, sa détermination dans un cas concret reste strictement individualisée ». Le défi a pourtant été relevé par le pacte panafricain, avec une définition plus ample : l’agression « signifie l’emploi par un Etat, un groupe d’Etats ou toute entité étrangère ou extérieure de la force armée ou de tout autre acte hostile », la menace pouvant peser sur l’intégrité territoriale, mais aussi sur l’indépendance politique, voire la sécurité des populations – cette sécurité étant qualifiée d’« humaine », par allusion à la doctrine diplomatique canadienne du même nom.

En pratique, deux dangers différents sont pris en considération par la quasi-totalité des traités d’alliance multilatéraux : l’agression à force ouverte, l’attaque armée, d’une part ; la menace, d’autre part. Et l’engagement des alliés est différent d’une hypothèse à l’autre : l’obligation de porter assistance à l’État victime de l’at­taque armée s’allège en une simple obligation de consultation face à la menace.

Le traité interaméricain de Rio du 2 septembre 1947 a ouvert la voie : son article 3 traite de l’attaque armée au sens strict (attaque non provoquée, invasion armée d’un territoire… ou acte qualifié comme tel par le Conseil des ministres des affaires étrangères du continent américain), qui déclenche la cobélligérance des alliés par légitime défense collective ; son article 6 évoque « l’agression qui n’est pas une attaque armée », et qui peut consister, pour un État américain, en « une menace contre sa sécurité, son intégrité ou son indépendance » ; il y a alors simplement lieu à consultation.

Dix-huit mois plus tard, la distinction est reprise par les rédacteurs du Pacte atlantique : les parties « se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’in­tégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera me­nacée » ; mais si une « attaque armée » survient contre l’un des partenaires, ses alliés l’assisteront « dans l’exercice du droit de légitime défense individuelle ou collective ».

Les deux mêmes dangers, et leurs traitements spécifiques, sont inscrits dans la plupart des traités d’alliance qui ont suivi. Seule varie la terminologie : on envisa­gera l’attaque armée, l’agression armée, le conflit, les hostilités, la guerre ; on évo­quera la menace d’agression, la menace contre la paix, contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance,  le trouble des relations internationales…

Cette fois encore, les auteurs du pacte panafricain ont choisi l’angle le plus large. La définition retenue est une longue énumération, qui ne laisse aucun acte hostile dans l’ombre : l’invasion ou l’attaque d’un territoire -en fait, il y a ici répétition, puisque l’atteinte à l’intégrité territoriale avait été visée à l’alinéa précédent -, mais aussi le simple bombardement, le blocus, le soutien à des groupes armés… Et la distinction entre deux sortes de répliques n’est pas prévue.

La subversion extérieure

L’agression doit-elle venir de l’extérieur ? L’hypothèse d’un soulèvement inté­rieur semble avoir été retenue, à mots très couverts, dans une première version du traité atlantique, qui mentionnait « l’éventualité de tout autre fait ou situation met­tant en péril la paix ». Cette formulation avait suscité les réserves de Paul Ramadier, alors ministre français de la défense : « La formule du projet est équivoque ; elle semble ressusciter au profit de la coalition atlantique un droit d’intervention analogue à celui qu’a pratiqué la Sainte-Alliance et auquel on opposerait une doctrine de Monroe euro­péenne ». Mais le commentaire du ministre devient, lui-même, équivoque lorsqu’il reconnaît que le traité trouve une de ses principales raisons d’être dans. la menace de subversion communiste. Le secrétaire d’État américain Dean Acheson propose alors un compromis : une menace intérieure n’est à considérer que si l’action sub­versive est « inspirée et soutenue de l’extérieur, comme c’est le cas en Grèce en ce mo­ment » (mars 1949).

Ce scénario est explicitement repris par divers traités : le pacte de Manille ou de l’Asie du Sud-Est (8 septembre 1954) mentionne « les activités subversives dirigées de l’extérieur » contre l’intégrité territoriale et la stabilité politique des partenaires, et contre l’alliance États-Unis-Japon de 1951 sous la forme d’« émeutes et troubles intérieurs (…) causés à l’instigation ou par suite de l’intervention d’une ou de plusieurs puissances étrangères ».

En fait, c’est l’« agression indirecte », ce thème sulfureux de la guerre froide, qui est ici définie. Thème sulfureux, car l’agression indirecte élargit le « fait-condition » à même de déclencher le mécanisme de l’assistance mutuelle. Et l’élargissement est redoutable : l’utilisation sans rigueur du concept d’agression indirecte, la dénon­ciation opportune d’une mythique ingérence étrangère permettront de construire l’alibi qui légitimera l’intervention à force ouverte sur le territoire d’un État allié.

En Afrique, l’ingérence étrangère dans les conflits internes est loin d’être my­thique. A partir d’août 1998, lorsque le Rwanda et l’Ouganda veulent chasser Laurent-Désiré Kabila du pouvoir à Kinshasa, ils avancent par mouvements re­belles interposés, en fait des soldats congolais encadrés par des officiers rwandais et ougandais. Les groupes armés congolais peuvent être classés par leur degré d’al­légeance à des capitales étrangères : le Rassemblement congolais pour la démocra­tie est organiquement lié à Kigali et les régions qu’il contrôle (40 % du territoire national) sont soumises à une quasi-tutelle rwandaise ; l’Ouganda a préféré jouer avec les ambitions des hommes politiques congolais et pousser à la multiplication des mouvements rebelles.

Dans la grande guerre régionale qui s’engage alors, d’autres fractions rebelles – de l’Ouganda, du Burundi, voire de l’Angola jusqu’à la mort de Jonas Savimbi ­engagent leurs hommes au Congo-Kinshasa, tandis que l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe et même le Tchad appuient le gouvernement central. Même chassé-croisé en Afrique de l’Ouest entre pouvoirs reconnus et fractions insurgées, même « capillarité » entre conflits, du Libéria à la Côte d’Ivoire ou à la Guinée… La pro­hibition de ces « interventions » est la première raison d’être du pacte panafricain.

Le risque de « Sainte Alliance »

L’interprétation du consentement de l’assisté peut accentuer la « dérive » d’un ensemble interétatique et faciliter l’apparition d’une « Sainte Alliance », si le consen­tement est réduit à l’acquiescement de certains secteurs de l’appareil d’État ou de l’opinion publique, ou si on lui substitue l’intervention de plein droit de l’alliance face à un péril imaginaire.

On mesure combien une telle dérive peut dénaturer le concept d’alliance. Toute alliance sécrète, certes, une interdépendance plus ou moins poussée entre ses membres. Chacun des États alliés est influencé, dans ses décisions, par l’atti­tude de ses partenaires ou de l’ensemble que constitue l’alliance. Mais cette « inté­gration » n’altère pas, normalement, la nature d’entités politiques souveraines des associés : elle porte sur le champ diplomatique et contribue au rapprochement des politiques étrangères. La pathologie des alliances commence lorsque l’intégration se fait contraignante, lorsque la pesée de l’alliance, en fait de l’allié dominant, est sensible sur la politique intérieure des États membres.

Ici intervient donc la fonction implicite de « police interne » de l’alliance, qui serait de discipliner les États alliés, de « limiter » leur souveraineté. Reconnaissons que cette dérive a peu concerné l’Afrique : un élément en ce sens a longtemps été l’absence d’une puissance africaine dominante, mais aussi ce jeu égalitaire et frac­tionné que nous évoquions : l’Afrique pourrait même servir de modèle.

Au sein de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, le Niger avait suggéré trois précautions pour éviter les dérives de l’intervention à force ouverte des alliés, qui pourraient être retenus par le droit général de la sécurité internationale : seule une agression extérieure caractérisée pourrait justifier une telle intervention ; les forces alliées seraient alors placées sous le commandement du pays menacé, le­quel serait seul habilité à prendre la décision définitive d’intervention.

La reprise de cette « triple précaution » dans le pacte panafricain aurait été particulièrement heureuse. Reste le « verrou » apposé par l’article 1d qui, en toute logique, devrait prohiber tout détournement de l’intervention des alliés : sera consi­dérée comme agression l’utilisation nocive de forces stationnées sur le territoire d’un État membre, même si, à l’origine, ce stationnement se faisait en accord avec l’État du territoire.

Quelle institutionnalisation ?

Ultime question liée à la mise en place du pacte panafricain : l’institutionna­lisation de l’alliance continentale est-elle souhaitable ? Les alliances multilatérales contemporaines ne sont plus conçues comme de simples engagements d’assistance, sans assise organique ni structure militaire commune susceptible d’assurer la mise en oeuvre des obligations du traité.

Il y a ici rupture avec ces alliances du XIXe siècle dont la terminologie même (« traité de contre-assurance ») évoquait plus la police souscrite auprès d’une mu­tuelle de chefs d’État que l’architecture complexe de la sécurité collective. La pro­jection des obligations nées du traité en une organisation politico-militaire com­mune s’opère, sous l’aiguillon de la nécessité, dans les grandes alliances du temps de guerre, mais c’est l’expérience du traité de Bruxelles du 17 mars 1948, avec l’état-major interallié de Fontainebleau, et celle du Pacte atlantique, qui seront décisives.

Plusieurs formules sont envisageables pour une institutionnalisation du pacte panafricain : l’« échelle » va du simple organe ministériel de concertation politique à la mise en contact des états-majors nationaux au sein de comités militaires du pacte, à la mise en place de commandements unifiés, voire à la création de forces armées intégrées. Cette ultime perspective figure dans le pacte : la création d’une armée africaine unifiée, dans la phase finale de l’intégration politique du continent – avec à moyen terme la création et la mise en œuvre d’une Force africaine en attente (article 4d)

Alliance non institutionnelle ou organisation militaire ? En 1966, la France a tranché avec éclat ce dilemme en se retirant de l’organisation atlantique intégrée. Mais le problème se pose sous toutes les latitudes. Ainsi, le projet d’accord d’« assis­tance en matière de défense », élaboré en 1977 à Abidjan par les États d’Afrique oc­cidentale, échoue-t-il en 1979, à Nouakchott, du fait de divergences sur la structure même de l’alliance projetée : le Sénégal estimait que, pour devenir opérationnel, l’accord devait être complété par l’établissement d’un état-major intégré ; le Mali s’en tenait à la lettre de l’accord, à l’engagement d’assistance face à une éventuelle agression.

Les auteurs du pacte panafricain ont eu la sagesse de choisir une institution­nalisation à travers le comité d’état-major, prévu par le protocole de création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, lequel apparaît comme « l’opé­rateur principal », chargé de la mise en œuvre des interventions communes, après la prise de décision souveraine des États-membres. D’autres institutions panafricaines interviendront dans ce processus, dont le Centre d’études et de recherches sur le terrorisme, déjà créé et installé à Alger.

 

Diplomatie préventive « à l’africaine »

Resterait, pour l’avenir, à approfondir le thème d’une diplomatie préventive « à l’africaine ».

La fin de la guerre froide a signifié le retour des guerres concrètes, réelles, « de chair et de sang » – au moins dans le sanctuaire européen, car lesdites guerres n’avaient jamais cessé dans le tiers-monde, particulièrement en Afrique. Mais les conflits internes, les guerres locales, les contentieux frontaliers qui continuent d’embraser le continent noir ne sont plus, comme pendant la guerre froide, les re­flets de l’intervention des principales puissances ou de la confrontation Est-Ouest. Leurs racines sont le plus souvent locales, et la recherche de solutions africaines s’impose d’autant.

Ces diverses évolutions ont une même conséquence : la préoccupation de pré­vention des conflits s’affirme, substituée à celle, plus classique, de défense commune et de réponse à l’agression. La sécurité ne résulterait plus du jeu des alliances diri­gées contre un ennemi virtuel, mais d’une mobilisation commune des États dans un même système régional ou continental, aux valeurs communes, d’un « dialogue encadré » entre protagonistes potentiels à partir de normes et de procédures accep­tées dans ladite région.

Eviter qu’un différend ne surgisse entre les parties, empêcher qu’un différend existant ne dégénère en conflit ouvert et, si !e conflit éclate, faire en sorte qu’il s’étende le moins possible… Une sorte de continuum existe entre les diverses si­tuations concernées par la diplomatie préventive, voire entre les diverses formes de prévention et de maintien ou de rétablissement de la paix.

 

Prévention précoce : l’intervention se produit dès l’identification d’un conflit potentiel, alors que les perceptions respectives ne sont pas encore rigides et que la communication est encore possible entre les parties. Prévention ultime : le conflit ouvert est perçu comme imminent ; il importe de persuader les parties d’éviter une guerre probable, les mesures à prendre pouvant déjà relever de la coercition, telles que les sanctions économiques ou l’embargo.

S’agissant de l’Afrique, la frontière est mince entre la prévention ultime et la gestion des conflits armés – et celle-ci devrait en finir avec les « zones grises » entre maintien de la paix et imposition de la paix.

A la lumière du contre-exemple yougoslave, il importerait d’identifier le type d’intervention à mener, de définir un mandat militaire précis, de proposer une nouvelle typologie des opérations en distinguant clairement les étages que sont le maintien de la paix traditionnel, la restauration de la paix et l’imposition de la paix. Le premier cas suppose l’accord des parties pour une solution négociée et l’ob­tention préalable d’un cessez-le-feu ; il entraîne la simple « interposition » d’une force de maintien de la paix, active mais impartiale, sans adversaire déclaré. Dans le second, l’esprit reste l’impartialité active, mais dans un environnement hostile, d’affrontement armé interne ou de guerre civile : une frontière est alors franchie, celle de l’usage de la force et du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Le troisième cas, l’imposition de la paix, suppose un adversaire déclaré et le franchis­sement d’une autre frontière, celle de l’impartialité.

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