LE PARTENARIAT EURO-MEDITERRANEEN Dix ans après, quel bilan politque ?

Professeur Amine AIT-CHAALAL

Juillet 2005
Le partenariat euro-méditerranéen (PEM) lancé il y a près de dix ans, en novembre 1995, à Barcelone1, était clairement une initiative intéressante, audacieuse et ambitieuse. Une initiative intéressante par le fait de rassembler, à l’origine, les quinze pays membres de l’Union européenne (UE) et douze pays méditerranéens au sein d’une dynamique commune et partagée. Ensuite, une initiative audacieuse car le partenariat visait à aborder de front trois catégories de questions (les aspects politique et de sécurité, économico-financier et socio-culturel) et de proposer ainsi une approche globale tant au niveau des pays concernés que des thématiques abordées. Enfin une initiative ambitieuse car le partenariat se fixait des objectifs vastes, dans un contexte marqué par une grande diversité de situations tant au Nord qu’au Sud de la Méditerranée2.

  1. Les faiblesses de départ du partenariat

Dix ans après son lancement, qu’en est-il ? Le bilan est mitigé. D’un côté, des réalisations concrètes ont été accomplies. De l’autre côté, de nombreuses faiblesses ont provoqué insatisfactions et déceptions. Ce constat

réaliste est d’ailleurs effectué avec franchise par tous les protagonistes et observateurs lucides du partenariat. En termes modérés et mesurés, les documents émanant de diverses instances, notamment communautaires, confirment ce constat3.

Pour des raisons de clarté et de cohérence, nous nous concentrerons sur les aspects relatifs au volet politique et de sécurité. Sur ce volet, les aspects de faiblesses priment sur ceux des réalisations. Cette situation n’est cependant pas la conséquence d’un fâcheux et regrettable concours de circonstances. Au-delà des évolutions parfois tragiques de l’actualité, cette situation résulte aussi largement d’une série de facteurs qui relèvent à la fois de la conception, de la mise en œuvre et des perspectives de ce partenariat de part et d’autre de la Méditerranée.

Tout d’abord un élément frappe, dès 1995, dans la conception de ce partenariat : sa significative hétérogénéité. En effet, face à l’ensemble relativement cohérent et structuré constitué par l’Union européenne, on a effectué de l’autre côté à un curieux « collage »: des pays maghrébins (Algérie, Maroc, Tunisie), des pays du Machrek (Egypte, Liban, Jordanie, Syrie), des pays membres du Conseil de l’Europe, Chypre et Malte, qui ont entre-temps adhéré à l’Union européenne et qui ont donc changé de statut, un pays membre de l’OTAN et du Conseil de l’Europe, la Turquie, qui est engagé dans une volonté d’intégration européenne, ainsi que l’Autorité palestinienne et Israël. La cohérence de cet « ensemble » paraît globalement fragile. Dès lors, intégrer dans cette catégorie fourre-tout des pays aussi variés, aux intérêts si différents, dont les objectifs sont multiples et non concordants et dont les perspectives d’évolution future vers l’Union européenne sont disparates, était probablement une tentative assez difficile. En tout état de cause, la cohérence intellectuelle et méthodologique de l’ensemble était discutable. L’élargissement de l’UE de 15 à 25 n’a pas densifié la cohérence de l’ensemble. De plus, l’intérêt dans les deux groupes n’était pas le même selon les pays.

Du côté de l’Union européenne, et sans tomber dans les clichés simplificateurs, il est raisonnable de dire que les pays ayant un ancrage méditerranéen sont plus sensibles à ce partenariat que les autres. Dès lors, l’intensité de l’implication est diverse, et, selon les Présidences, l’accent est plus ou moins concret quant à la volonté de faire avancer le partenariat. Que le partenariat ait été lancé à Barcelone ne relève pas de l’heureuse coïncidence. Cependant il ne serait pas rigoureux de dire que les pays non méditerranéens de l’UE se désintéressent de ces questions. Ne serait-ce que parce que, même si ces pays ne sont pas en bordure de la Méditerranée, ils ont parfois sur leur sol d’importantes communautés originaires du Sud de la Méditerranée et entretiennent par ailleurs des relations anciennes et structurées avec les pays méditerranéens.

De l’autre côté, au Sud, les motivations et les volontés sont diverses.

Certains pays, notamment au Maghreb, ont des relations fortes et solides avec l’UE. Pour d’autres, les relations sont plus récentes, notamment au Machrek. Trois pays, Chypre, Malte et la Turquie, sont dans une configuration différente, étant donné que la perspective était, pour les deux premiers, et reste pour la Turquie, celle de l’intégration à l’ensemble communautaire. De son côté, l’Autorité palestinienne doit une partie de sa capacité à fonctionner aux financements émanant de l’UE. Finalement les gouvernements successifs d’Israël n’ont jamais réellement considéré l’UE en tant qu’interlocuteur politique significatif, ceux-ci estimant que l’allié américain constitue leur partenaire géostratégique de référence. Dans ce contexte, la réelle discordance d’engagement et l’hétérogénéité importante étaient préjudiciables à la bonne marche opérationnelle du partenariat.

  1. Un manque de coordination

De plus, en 1995, au moment où le partenariat euro-méditerranéen est lancé, cela n’a pas été fait en coordination avec d’autres dynamiques de concertation « Nord-Sud », notamment celles qui avaient lieu dans le cadre de l’OTAN, de l’OSCE et de l’UEO. Ce manque de coordination était en soi assez curieux. Mais il était en plus contre-productif car il induisait une multiplicité d’instances de dialogue mais sans harmonie entre elles. De plus, le membership était à chaque fois différent d’une instance à l’autre.

Au moment du lancement du partenariat euro-méditerranéen, il existait donc plusieurs instances de dialogue au niveau méditerranéen. Trois peuvent être relevées :

  1. Le dialogue méditerranéen de l’Union de l’Europe occidentale (UEO)
  2. Le dialogue méditerranéen de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
  3. Le dialogue méditerranéen de l’Organisation de l’Atlantique Nord (OTAN)

Quel était le contenu de ces cadres de discussion en 1995 ?

  1. Le dialogue méditerranéen de l’Union de l’Europe occidentale, lancé
    en 1992, traitait des questions de sécurité et de défense. Ces discussions
    réunissaient les 10 pays membres de l’UEO (Allemagne, Belgique, Espagne,
    France, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), d’une
    part, six pays arabes (Algérie, Egypte, Jordanie, Mauritanie, Maroc, Tunisie) et
    Israël, d’autre part.
  2. Le dialogue méditerranéen de l’Organisation pour la sécurité et la

coopération en Europe prend la forme en 1994 d’un dialogue informel entre les membres de l’Organisation et des représentants de cinq pays arabes (Algérie, Egypte, Jordanie, Maroc et Tunisie) ainsi qu’Israël. Ces discussions et contacts se concentrent sur la dimension humaine de la sécurité et les questions de démocratie et de droit.

  1. Enfin, un dialogue méditerranéen existait depuis 1994 entre les pays membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et six partenaires dont cinq sont des pays arabes (Egypte, Jordanie, Mauritanie, Maroc et Tunisie) le sixième est Israël ; l’Algérie s’est jointe au dialogue en 2000. Ce dialogue se concentre principalement sur des questions de défense et de sécurité et vise notamment à créer des contextes de coopération entre les partenaires à propos de ces sujets.

Le problème lié à ces divers forums de dialogue était celui d’une dispersion amenant à traiter de questions similaires dans des contextes différents et donc avec des perspectives différentes et peut-être même discordantes et divergentes. Les risques de conflits d’intérêt et de priorités étaient donc réels. Il aurait probablement été judicieux d’envisager, au moment du lancement du PEM en 1995, une forme pragmatique de coordination entre ces multiples structures de concertation et d’ainsi bien organiser qui fait quoi, comment et avec qui.

  1. Le partenariat et le processus de paix au Proche-Orient

Mais une question a largement contribué à déstabiliser le partenariat, celle de la violente dégradation du processus de paix au Proche-Orient4. En effet, l’interaction entre le partenariat euro-méditerranéen et le processus de paix n’a pas été clairement établie. Le partenariat s’est en quelque sorte, dès ses débuts, tacitement mis en marge du processus de paix au niveau politique et le rôle de l’Union européenne n’a pas été à la hauteur de l’importance de ses engagements financiers. Cependant l’UE s’est progressivement mise en marche sur ce dossier, notamment avec la nomination de Miguel Angel Moratinos en tant que Représentant spécial de l’UE pour le processus de paix au Moyen-Orient en 19965, remplacé par le diplomate belge Marc Otte en 2003. Depuis 1999, l’action de Javier Solana, Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE6, a également été significative sur le dossier proche-oriental7. Ainsi Javier Solana a participé au nom de l’UE à la rédaction du Rapport Mitchell8 sur le processus de paix israélo-palestinien, publié le 30 avril 20019. Par ailleurs, il est un des principaux protagonistes au sein du Quatuor (« Quartet ») sur le Proche-Orient aux côtés des représentants des Etats-Unis, de l’Onu et de la Russie. Ce Quatuor est à l’origine de la « Feuille de route » (« Roadmap ») publiée le 30 avril 2003 et qui a pour but de relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens10. Malgré cela, l’UE, notamment du fait des fortes réticences américaines et israéliennes, n’a pas pu, su et/ou voulu s’affirmer comme un protagoniste politique important au Proche-Orient.

Sur ce dossier central de l’actualité internationale, l’UE s’est donc contentée d’un rôle politique relativement réduit. Ce constat est d’autant plus surprenant que l’UE aurait pu avoir une action bien plus déterminante, surtout si l’on se réfère à la proximité géographique, historique et culturelle avec cette région et aux enjeux humains, économiques et commerciaux pour l’Europe. Les causes de blocage sont multiples : elles sont historiques, structurelles et conjoncturelles.

Au niveau historique, les pays membres de l’Union ont (eu) des politiques parfois très différentes par rapport au Proche-Orient. Dès lors, effectuer la synthèse de 15 – et maintenant 25 – positions revient (trop) souvent à ne se mettre d’accord que sur le plus petit commun dénominateur, c’est-à-dire une position faible. Durant les années 1990, les errements des diplomaties européennes et de l’action – ou de l’inaction – de l’UE vis-à-vis des conflits balkaniques ont également illustré cette faiblesse. De la même façon que dans les Balkans, les traumatismes, culpabilités et solidarités multiples du passé (plus ou moins) proche agissent comme des variables rendant difficile l’élaboration d’une politique européenne forte par rapport au Proche-Orient.

Au niveau structurel, les acteurs de la PESC sont nombreux et disparates. Ils ne paraissent pas agir dans le cadre de structures bien coordonnées. Entre le Commissaire aux relations extérieures,  » Monsieur PESC « , la troïka (ancienne composition), les intervenants issus du Parlement européen, les actions de politique internationale du Président de la Commission et de divers autres protagonistes communautaires et issus des pays membres, la structuration de la PESC souffrait d’un certain manque de cohésion. Dans le cas du Proche-Orient il faut ajouter le rôle du représentant

spécial de l’UE pour la région et les actions sur le terrain des diplomaties européennes. Au niveau international, face à la relative cohérence de l’action diplomatique des Etats-Unis, l’UE paraît moins forte et cohérente. De plus, le mécanisme de rotation de la Présidence européenne tous les six mois affecte l’efficacité de la politique internationale de l’UE (notamment du fait des différences historiques de sensibilité évoquées précédemment).

Au niveau conjoncturel, la situation contemporaine au Proche-Orient présente des caractéristiques qui compliquent la mise en œuvre d’une politique européenne solide. Pour de nombreuses raisons, les Etats-Unis jouent depuis plusieurs décennies un rôle central dans la question proche-orientale. Ce rôle s’est accru avec la chute de l’Union soviétique fin 1991.

Alors que se présentait une possibilité réelle pour l’UE d’avoir un rôle substantiel dans la région, du fait de l’effacement de l’acteur soviétique et du lancement officiel du processus d’Oslo (avec la signature de la Déclaration de principes du 13/9/1993 entre Israéliens et Palestiniens), cette opportunité n’a pas été saisie. Une des explications réside dans la faiblesse européenne vis-à-vis des Balkans. Ainsi le déchaînement des conflits en Croatie et en Bosnie-Herzégovine (1991-1995), où l’UE n’a pas été en mesure d’agir et où elle a sous-traité les questions à l’ONU (avec des résultats fort peu convaincants d’ailleurs), n’a pas contribué à crédibiliser l’action extérieure de l’UE.

L’intervenant décisif a été incarné par les Etats-Unis via l’OTAN : opérations militaires sous coordination américaine en août-septembre 1995, accords de Dayton en novembre 1995, intervention au Kosovo en 1999. De plus, l’UE, focalisée sur les péripéties de l’adoption du traité de Maastricht et sur les modalités de son adaptation aux changements géopolitiques induits par la fin de la guerre froide en Europe, n’a pas su, pu ou voulu s’impliquer politiquement dans le règlement des questions israélo-palestiniennes. Elle s’est cantonnée dans un rôle – non négligeable – de pourvoyeur de fonds et de facilitateur socio-culturel, notamment dans le cadre du partenariat.

Soulignons cependant qu’à partir de la décennie 1970, quelques principes de base ont prévalu dans la position européenne: respect de la légalité internationale, sécurité pour les Etats de la région dans des frontières internationalement reconnues, reconnaissance de la légitimité des aspirations nationales étatiques du peuple palestinien, non reconnaissance des faits accomplis résultant de l’emploi de la force armée, soutien à un processus négocié, condamnation des violences. Par ailleurs, l’UE a déployé depuis plusieurs décennies des actions substantielles en vue de soutenir les initiatives favorisant la paix dans la région, en particulier en y apportant un important soutien financier et socio-culturel. Ces principes ont d’ailleurs été affirmés de manière très nette dans le cadre de la « Déclaration de Venise », publiée à l’issue du Conseil européen qui s’est tenu les 12 et 13 juin 1980 dans la cité italienne. Les onze points de la déclaration forment la charpente de la position de l’UE depuis lors.

Mais, malgré la clarté et l’équilibre qui caractérisaient la Déclaration de Venise, prenant en compte les aspirations légitimes de chacune des parties, conformément à la légalité internationale et soucieuse de favoriser une évolution pacifique de la situation, l’Europe communautaire est en fait globalement marginalisée par les autorités des Etats-Unis et d’Israël sur la scène politique proche-orientale. Du traité de paix séparé israélo-égyptien (1979) aux accords israélo-palestiniens signés à Washington en septembre 1993 en passant par la conférence de Madrid sur le Proche-Orient (1991), c’est le protagoniste américain qui occupe l’avant-scène, avec une volonté réelle, en coordination avec son partenaire et allié israélien, de garder l’Europe communautaire éloignée des rouages politiques proche-orientaux.

La signature, le 13 septembre 1993, en grande pompe, sur les pelouses de la Maison-Blanche sous l’égide du Président américain Bill Clinton (arrivé au pouvoir le 20 janvier précédent et qui n’était en réalité pas partie prenante au processus ayant mené à ce dénouement), de la déclaration de principes pour des arrangements intérimaires d’autogouvernement entre Israéliens et Le partenariat euro-mediterraneen Palestiniens semble lancer un nouveau processus au Proche-Orient. Le dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Yasser Arafat serre la main du Premier ministre israélien Itzhak Rabin et celle du ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès sous les regards du monde entier. Après plusieurs décennies de guerre, de confrontation, de violence et de victimes, la voie de la paix paraît enfin se dessiner à l’horizon. Mais l’Europe communautaire n’est qu’un protagoniste mineur de la cérémonie. A cet égard, il faut souligner le fait que l’Organisation des Nations unies est elle aussi marginalisée. Soucieuse de ne pas rester dans ce statut mineur, les instances européennes vont élaborer des modalités susceptibles de les (ré-) insérer dans le cadre proche-oriental. Cela prend notamment la forme du PEM.

La diversité des initiatives et la cacophonie des prises de position européennes depuis le 1 1/9/2001, et notamment par rapport à la guerre en Irak de 2003, laissent sceptique quant à la mise en œuvre à court terme d’une PESC cohérente, claire et crédible sur le dossier moyen-oriental. Tant que l’UE n’adopte pas des mécanismes convaincants d’élaboration de sa PESC et de sa mise en œuvre opérationnelle, ce scepticisme prévaudra sur sa capacité à s’imposer comme protagoniste politique international de premier rang. La cohérence et la solidité économiques, commerciales, financières et monétaires de l’UE se renforcent de façon tangible mais son impact politique demeure encore assez limité.

L’imprécision de départ entre le PEM et le processus de paix a, en fait, fortement affecté la dynamique politique et de sécurité du partenariat, en particulier à partir du moment où le processus de paix est entré dans une zone de grandes turbulences. Or on constate que le processus de paix a commencé à s’enliser à peu près au moment où le partenariat a été lancé. En effet le mois de novembre 1995 marque le lancement du partenariat mais aussi l’assassinat du Premier ministre israélien Rabin. L’évolution de la situation en Israël dans les mois qui suivent l’assassinat de I. Rabin mène à l’arrivée au pouvoir de la coalition de droite de B. Netanyahou en mai 1996. Le processus de paix connaît alors de graves remises en cause. Le partenariat est très affecté par cette situation défavorable. L’arrivée au pouvoir en Israël d’Ehud Barak en 1999 et la reprise d’une dynamique qui a semblé favorable à la négociation a donné un bref répit au partenariat euro-méditerranéen, notamment au projet de charte euro-méditerranéenne pour la paix et la sécurité. Le déclenchement de la seconde Intifada en septembre 2000, l’arrivée au pouvoir en Israël d’Ariel Sharon en février 2001 et la violente dégradation subséquente de la situation sur le terrain provoquent à nouveau un très sérieux blocage du partenariat. Les effets des tragiques événements du 11 septembre 2001 ainsi que la dégradation brutale de la situation entre Israéliens et Palestiniens ont contribué à (r)aviver les problèmes. Le conflit en Irak lancé par les autorités américaines en mars 2003 avec la participation de certains pays de l’Europe communautaire (notamment le Royaume-Uni ainsi que des membres intégrés en 2004) a contribué à déstabiliser encore plus une région qui était déjà très instable et dangereuse. L’UE n’a pas été en mesure de trouver un positionnement politique significatif durant cette période.

  1. Des divergences politiques substantielles

Cependant, au-delà de l’impact négatif de l’enlisement du processus de paix, il importe aussi de souligner que la question des divergences « politico-philosophiques » d’objectifs entre les partenaires constitue un autre obstacle et a contribué à déstabiliser le partenariat. Les diverses difficultés et défaillances repérées à l’origine se sont maintenues et ont contribué à cristalliser des divergences significatives entre les partenaires du Nord et du Sud. Ces différences et divergences politico-philosophiques portent notamment sur le fait qu’il n’est pas sérieusement envisageable de mettre en œuvre une coopération dans le domaine de la sécurité en Méditerranée tant que les problématiques israélo-palestiniennes et israélo-arabes ne sont pas résolues. Une autre divergence porte sur les questions des libertés fondamentales, des droits humains et de la démocratie. Ces questions sont vues avec suspicion et méfiance comme des tentatives d’ingérence européenne par les dirigeants de certains pays méditerranéens.

De plus, l’analyse de certains dirigeants des pays méditerranéens est que la volonté européenne est surtout focalisée sur la volonté de contrôle des flux migratoires et de gestion d’une question comme le fondamentalisme. L’accumulation de ces éléments a créé un climat parfois peu propice au bon développement de la dynamique euro-méditerranéenne sur le plan politique et de sécurité. En outre, il faut signaler que, pour certains pays arabes du partenariat, celui-ci est parfois vu comme un moyen de les obliger à dialoguer politiquement avec Israël alors qu’ils n’ont pas de relations avec Tel-Aviv. Ainsi

le caractère hétéroclite du groupe méditerranéen du partenariat semble incommoder les pays arabes qui en font partie et qui paraissent plutôt souhaiter une réactivation de la dynamique du dialogue euro-arabe.

Les effets des événements du 11 septembre 2001 ainsi que la dégradation brutale de la situation entre Israéliens et Palestiniens, en particulier les opérations militaires israéliennes d’avril 2002, ont contribué à intensifier les problèmes. Les conflits, sous égide américaine, en Afghanistan en 2002 puis surtout en Irak en 2003, et leurs suites, ont constitué de nouveaux facteurs de déstabilisation de la région et du PEM.

  1. Vers le redémarrage

Les différents protagonistes, officiels ou non, du PEM effectuent aujourd’hui des constats assez similaires sur les faiblesses et les espoirs déçus dix ans après son lancement. Cet accord sur le constat constitue en lui-même

un atout en vue de permettre un redémarrage fructueux et fécond. Dans ce cadre, il importe de souligner que des réalisations positives ont été engrangées depuis près de dix ans. Une des plus récentes est le lancement officiel le 20 avril 2005 de la « Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures » à Alexandrie11. Cette fondation est une institution commune du PEM, ayant comme priorité la promotion du pluralisme culturel. Son objectif est de rapprocher les habitants et les sociétés des deux rives de la Méditerranée, avec une attention particulière à l’égard des jeunes. Elle se donne ainsi pour mission de relier entre eux les projets émanant des sociétés civiles, notamment par l’établissement d’un « réseau de réseaux ». Cette fondation est vue avec faveur et intérêt par de nombreux protagonistes euro-méditerranéens, en particulier au niveau des sociétés civiles.

La mise en œuvre en 2004 d’une nouvelle politique de voisinage par les instances européennes est aussi conçue en interaction positive avec le PEM.

Celui-ci devrait être bénéficiaire de cette nouvelle politique. De façon générale, il apparaît aujourd’hui urgent que l’UE apporte un soutien ferme et déterminé en vue d’aboutir à une issue favorable du processus entre Israéliens et Palestiniens. Les responsables européens ont depuis longtemps établi le caractère central de cette question et la nécessité de lui apporter une attention particulièrement soutenue. Cela constitue probablement la condition sine qua non à toute avancée réellement décisive pour le partenariat. Il s’impose à cet égard pour les instances européennes de maintenant parvenir à en convaincre les autorités américaines afin qu’elle s’engagent de manière constructive et décisive sur ce dossier.

* Amine AIT-CHAALAL, Co-directeur, Centre d’études des crises et conflits internationaux (CECRI) – Université catholique de Louvain (UCL)

Note

1    D’où le fait qu’il est aussi connu sous le nom de « processus de Barcelone ».

2    A cet égard cf. le site web de la direction générale aux relations extérieures de la Commission européenne : http://europa.eu.int/comm/external relations/index.htm

et en particulier la section relative à la politique méditerranéenne et

moyen-orientale de l’UE :

http://europa.eu.int/comm/external relations/med mideast/intro/ index.htm

Cf également Bichara Khader (éd.), Le partenariat euro-méditerranéen vu du Sud, L’Harmattan, Paris, 2001 ; Marc Maresceau & Erwan Lannon (ed.), The EU’s Enlargement and Mediterranean Strategies, Palgrave, Londres, 2001 ainsi que les nombreuses contributions figurant sur le site

web du réseau d’instituts de recherches et de centres universitaires euro-méditerranéens Euromesco (Euro-Mediterranean Study Commission) :

http://www.euromesco.net/euromesco/francais.asp, et notamment le rapport publié dans la perspective du dixième anniversaire du partenariat : Barcelona plus. Vers une communauté euro-méditerranéenne d’Etats démocratiques (Avril 2005),

http://euromesco.net/imgupload/barcelonaplus fr.pdf

3    A cet égard, on pourra se référer avec profit aux denses « Conclusions

de la VIIème conférence euro-méditerranéenne des Ministres des Affaires étrangères (Luxembourg, 30-31mai 2005) ». En une vingtaine de pages, ce document effectue, d’un point de vue officiel, un passage en revue fort intéressant des réalisations et faiblesses du PEM. De plus, il recense les principaux textes préparés et publiés par diverses instances dans la perspective du 10ème anniversaire du partenariat. Les sections traitant des questions politiques et de sécurité occupent une large part de ces conclusions.

Cf. http://europa.eu.int/comm/external relations/euromed/publication/ 2005/report 90 en.pdf

Sur la question du Proche-Orient, cf notamment Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté 1956-2003, Folio, Paris, 2003; Bichara Khader, L’Europe et la Palestine : des croisades à nos jours, L’Harmattan, Paris, 1999; Henry Laurens, Le Grand Jeu. Orient arabe et rivalités internationales, Paris, Armand Colin, 1991; Bernard Reich (ed.), Arab-Israeli Conflict and Conciliation, Praeger, Westport, 1995 ; Mark Tessler, A History of the Israeli-Palestinian Conflict, Indiana University,

Bloomington, 1994.

Devenu ministre des Affaires étrangères du gouvernement espagnol de

José Luis Zapatero en 2004.

Souvent présenté comme « Monsieur PESC ».

A cet égard cf. le site web de l’UE relatif à la PESC : http://ue.eu.int/cms3 fo/showPage.asp?id=248&lang=FR&mode=g notamment la section sur l’action du Haut Commissaire Javier Solana : http://ue.eu.int/cms3 applications/applications/solana/index.asp? lang=FR&cmsid=256

ainsi que celle sur les déclarations dans le cadre de la PESC : http://ue.eu.int/cms3 applications/applications/newsRoom/loadBook. asp?BID=73&LANG=2&cmsid=257

Du nom du président de la commission, l’ancien sénateur américain George Mitchell.

Sur cette question, cf. le site web du Département d’Etat des Etats-Unis :

http://www.state.gov/p/nea/rls/rpt/3060.htm

10A ce sujet, cf. le site web de l’Onu : http://www.un.org/french/sg/pages/roadmap.html

11 Cf le site web : www.euromedalex.org

 

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