Le PétroLe et La GéoGraPhie des ConfLits

André PERTUZIO
Consultant pétrolier international et ancien conseiller juridique pour l’Énergie à la Banque mondiale.

1er trimestre 2013
Depuis longtemps, les sociétés pétrolières ont été considérées comme des fauteurs de trouble ou de guerres nationales ou internationales Quoique cette opinion soit quelque peu exagérée il est certain que l’on trouve souvent le pétrole comme cause ou élément de conflits ou de guerre partout où se trouvent d’importantes réserves particulièrement dans les pays politiquement ou économiquement en voie de développement ou fragilisés par des fractures internes. Le pétrole est aussi souvent un moyen de permettre la poursuite de tels conflits ou guerres comme par exemple au Biafra, en Angola ou au Soudan entre autres.
Le 29 Juin 1932, les armées de la Bolivie et du Paraguay se ruaient l’une contre l’autre. Il s’agissait alors de la possession du territoire du Chaco, zone désertique de 165 000 km2 couvrant la partie orientale de la Bolivie et la partie occidentale du Paraguay. Cette région était disputée par les deux pays et cette guerre sanglante dura jusqu’en 1936 avec des fortunes diverses et prit fin à l’initiative de la S.D.N. Ce conflit armé a pris naissance lorsque les pétroliers américains, l’Esso Bolivie, avaient trouvé du pétrole dans le Chaco alors que le Paraguay avait, lui, offert une partie de ce territoire en garantie à des créanciers britanniques. Ainsi ce pays fut soutenu par les pétroliers anglais et argentins tandis que la Bolivie reçut l’appui américain.
Finalement la S.D.N., qui avait échoué pendant 4 ans, réussit à mettre fin à la guerre qui avait coûté 60 000 morts aux boliviens et 40 000 aux paraguayens. En définitive, les compagnies pétrolières se partagèrent un maigre butin car les réserves du Chaco étaient peu importantes.
En ce qui concerne notre étude, cet évènement est emblématique d’une part d’évènements guerriers ou conflictuels dus à la géographie du pétrole, d’autre part d’une certaine légende de « l’or noir » où le monde journalistique évoque d’une manière rituelle la noirceur des compagnies pétrolières et leur culpabilité permanente dans ce genre de conflits entre Etats de ce que l’on appelait alors le tiers monde, peu structurés et aux frontières souvent artificielles et mal définies. Cette légende satanique s’est accréditée au fil des décennies, et elle ne fut pas toujours imaginaire.
Il est exact en effet que depuis la découverte du pétrole à Titusville, Pennsylvanie, par le Colonel Drake en 1858, les compagnies pétrolières ont proliféré et donné lieu à la construction d’énormes groupes pétroliers tels la Standard Oil de Rockefeller ou la Royal Dutch- Shell de Deterding, lesquelles ont régné sur la production et la vente du pétrole. Ce fut l’époque des Sept Sœurs, les sept plus grandes sociétés dont cinq américaines, une anglaise et une anglo-hollandaise dont la puissance fut à son acmé lors du fameux accord d’Achancarry (propriété écossaise de Sir Henry Deterding) en 1928. Cette toute puissance sera plus tard réduite par la prise en main du pétrole et de sa grande politique par les Etats compte tenu des exigences stratégiques des puissances dont la stabilité des approvisionnements mondiaux est essentielle. Le pétrole est en effet la matière énergétique indispensable car il est facile à transporter, à utiliser mais aussi parce qu’il est polyvalent et indispensable à l’économie et à la vie du monde. Ce sera vrai des Etats-Unis puis de la Grande Bretagne dont l’Amirauté acquerra en 1917 la majorité dans l’Anglo Persian devenue Anglo Iranian puis BP. Ce sera vrai enfin en France, pays dépendant des importations qui constituera en 1921 la Compagnie Française des Pétroles, future Total, pour exploiter la part française de 23,75% des pétroles irakiens après la Grande Guerre. L’Etat prendra en main l’industrie pétrolière en 1945 avec la création du Bureau de Recherche des Pétroles, future Elf-Aquitaine et de l’Institut Français du Pétrole, jusqu’aux privatisations après la création de l’Union Européenne et la suppression en 1993 des règles d’importation de pétrole.
Les Etats ont en fait repris la main dans la définition des politiques énergétiques conformes aux intérêts des pays. Du côté de la production, la création de l’OPEP (Organisation des Pays Producteurs de Pétrole) allait rogner la puissance des sociétés pétrolières dans l’établissement des prix du brut et dans les niveaux de production décidés aujourd’hui par l’OPEP qui représente environ 40% de la production mondiale.
On aurait cependant tort de penser que les compagnies internationales sont devenues des puissances secondaires. En fait, elles détiennent la technologie, le personnel qualifié ainsi que les capitaux et possibilités de financement car les pays producteurs vivent en général des revenus pétroliers et n’investissent que peu dans la recherche et l’exploitation.
C’est désormais un jeu Etats-Compagnies Pétrolières d’une part, pays producteurs ou susceptibles de l’être d’autre part avec toutes les sources de conflits que cela permet d’imaginer : « Ne nous leurrons pas en effet. Il est de fait qu’une partie de l’argent du pétrole est fréquemment utilisée pour financer des guerres dont l’enjeu est précisément le contrôle des ressources pétrolières. Le contrôle de l’argent du pétrole est en général de nature à exacerber la corruption, l’insécurité, l’instabilité politique et les dépenses improductives. Les trente dernières années de l’histoire africaine constituent l’illustration malheureuse de cette situation. Dans un article consacré à la rente pétrolière et la géopolitique des conflits, Philippe Copinschi montre l’omniprésence des ressources et des intérêts pétroliers dans les trente ans de guerre civile en Angola, dans les guerres civiles au Nigéria (Biafra), au Congo, au Soudan, au Tchad. Du fait même de l’argent qu’il dégage, le pétrole se trouve automatiquement inséré dans les luttes pour la conquête du pouvoir. Ainsi, en Octobre 2003, le Tchad a exporté sa première cargaison de pétrole brut qui, après avoir transité dans un oléoduc de 1 000 kilomètres, a été enlevée dans un tanker sur la côte camerounaise. Cette date marque l’aboutissement de trente ans de guerre civile, de conflits, d’hésitations et de négociations. Le Tchad est l’un des Etats les plus pauvres du monde, enclavé en plein milieu de l’Afrique. Les ressources pétrolières pourraient être, si elles sont bien gérées, une bénédiction plus qu’une malédiction »
C’est de la sorte que s’exprimait le Professeur Jean-Marie Chevalier dans son excellent ouvrage sur « Les Grandes Batailles de l’Energie », à quoi nous ajouterons deux des plus sanglantes guerres où les problèmes politiques, ethniques et pétroliers sont intimement liés.
Plusieurs exemples de ces circonstances parsèment l’histoire tout court et celle du pétrole. Relevons, entre autres, car exemplaires à cet effet la guerre du Biafra, celle d’Angola et celle du Soudan.
La guerre au Biafra
Le Nigéria, vaste pays d’un million de km2 et de 150 millions d’habitants a, comme la plupart des pays africains, des frontières artificielles tracées par les puissances coloniales et comporte une population de plusieurs ethnies dont les trois plus importantes sont les Haoussas, au nord, musulmans qui représentent environ 25% de la population, les Yarubas concentrés dans le sud-ouest, environ 22% et les Ibos environ 15 à 18%.Ceux-ci sont très majoritairement chrétiens. Instruits par les missionnaires, ils occupèrent rapidement la quasi-totalité des postes importants du pays. Il était inévitable qu’au cours de l’évolution politique depuis l’indépendance, que surviennent des conflits au niveau du gouvernement. Sans refaire l’histoire, retenons pour notre objet que la tension aboutit à la sécession au Biafra en Juillet 1967 suivie d’une guerre sanglante qui dégénéra en crise humanitaire sur fond de rivalités internationales entre pays partisans du gouvernement fédéral dont essentiellement le Royaume Uni qui l’aida puissamment et la France qui aida le Biafra. Ce dernier fut finalement vaincu et la paix rétablie le 12 Janvier 1970.
On notera avec intérêt que la région du Biafra renferme les deux tiers des réserves pétrolières du Nigéria, premier producteur africain avec environ 2 millions de barils/jour, pétrole acheminé à partir de Port Harcourt dont la reprise par les forces nigériennes dès Mai 1968 marqua le déclin de la puissance biafraise. La question du pétrole se pose donc naturellement : le Colonel Ojukwu aurait-il déclaré l’indépendance si le Biafra n’avait pas recélé cette richesse pétrolière et donc les revenus à en espérer ? Ces revenus convoités par les deux parties n’aidèrent-ils pas à la victoire ? La Shell, principale compagnie pétrolière alors n’agit-elle pas conformément aux desiderata de Londres ? Il est des évidences que l’on ne peut écarter. Notons que le pétrole aidera puissamment à la reconstruction du Biafra mais que les Ibos perdirent leur position dominante au Nigéria.
Les guerres d’angola
On retrouve des éléments analogues en Angola à ceci près que la guerre civile semble avoir eu des origines plus politiques qu’ethniques bien que le FPLA de Roberto Holden fut, au nord, soutenu par l’ethnie Bakongo, le MPLA d’Agostinho Neto au centre soutenu par l’ethnie Kimbundu alors que l’ethnie Owimbundu au sud soutenait Jones Sawimbi et l’Unita. A dire le vrai, cet épisode guerrier se greffe sur la guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, chacun soutenant son champion, Agostinho Neto désireux d’implanter un régime marxiste en Angola et y fondant une République populaire, alors que Jonas Saawimbi et l’Unita furentt considérés par les américains comme le porte drapeau de la liberté et encensés comme tels par le Président Reagan.
L’engagement militaire cubain (et soviétique)d’un côté, de l’Afrique du Sud de l’autre, furent des manifestations concrètes de cet état de choses. L’évolution des relations internationales due à la disparition de l’Union Soviétique et la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud amenèrent le MPLA à renoncer à la marxisation du pays ainsi qu’à la marginalisation de Jonas Sawimbi qui fut battu à l’élection présidentielle de 1992. Abandonné par ses sponsors il continua la guerre pour son propre compte et sa mort au combat en 2002 fut reçu comme un fait divers. Sic transit…..
La guerre fut en fait un affrontement international qui prit fin dès qu’elle n’apparut plus nécessaire aux puissances intéressées. En ce qui concerne le pétrole, s’il est évident qu’il ne fut pas à l’origine de cette guerre de 27 ans, il n’en est pas moins vrai qu’il y joua un rôle essentiel car l’un des objectifs poursuivis dans le cadre général d’une guerre idéolo-stratégique, précisément pour en assurer le contrôle. Les redevances pétrolières et leur flux financier en manquèrent pas en effet d’alimenter la machine de guerre d’Agostinho Neto puis de Dos Santos tandis que Sawimbi ne recueillit que des miettes assez importantes toutefois avec des revenus du commerce des diamants. Enfin, comme au Nigéria, les revenus pétroliers permirent la reconstruction d’un pays ravagé par la guerre. Depuis lors l’Angola a rejoint le Nigéria en production pétrolière et il est devenu le principal fournisseur de la Chine dévoreuse d’énergie, posant un problème géostratégique à terme.
Le soudan
Immense pays de 2 500 000 km2 et d’une population de 40 millions, le Soudan connaît depuis toujours une guerre larvée ou ouverte de caractère ethnique et religieux, arabo-musulmans au nord, chrétiens et animistes au sud, de façon simplifiée.
Devenu producteur pétrolier la rivalité s’intensifia d’autant plus que le sud, moins peuplé, en produit les trois quarts. En Avril 2011, la sécession était consommée sous la pression des puissances, particulièrement les Etats-Unis bien que le grand acheteur de pétrole du Soudan soit la Chine.
Quoiqu’il en soit, la situation est aujourd’hui tendue entre les deux pays pour le partage de la production d’autant plus que l’unique voie d’évacuation est celle de l’oléoduc qui est au nord et donc débouche sur la Mer Rouge tandis que le sud est enclavé. Plusieurs projets d’oléoducs vers le Kenya existent sous l’œil des puissances mondiales intéressées, notamment la Chine faisant du Soudan un enjeu pétrolier donc potentiellement conflictuel.
Le Moyen orient
Le Moyen Orient est et reste une des zones géographiques essentielle d’éventuels conflits guerriers en raison de ses tensions et divisions internes d’ordre principalement mais pas uniquement, religieux et parce que la région renferme approximativement 60% des réserves mondiales. Cette zone est dons une région particulièrement sensible où bien d’autres causes existent à l’état latent de conflits internes ou externes où les Etats-Unis exercent un contrôle de fait non seulement pour leur propre ravitaillement – ce qui est de moins en moins le cas – puisque les Etat Unis sont aujourd’hui pratiquement auto-suffisants, mais aussi pour la stabilité des approvisionnements mondiaux et leur poids stratégique. Il s’agit là d’une véritable poudrière toujours sous haute surveillance mais objet de trop de tentrations.
nouvelles régions potentiellement conflictuelles
Il s’agit notamment de l’Arctique où les Russes ont déjà affirmé leur présence en vue de forages profonds en mer sans que la délimitation de la zone par des frontières ait jamais été faite, mais où devraient s’appliquer les principes du droit international en la matière. Bien évidemment cette position russe suscite l’opposition de Washington et une situation conflictuelle n’est pas à écarter.
Ajoutons le problème qui a fait couler beaucoup d’encre sur l’incident des îles Diaoyu- Senkaku de souveraineté japonaise mais disputées par Pékin qui n’a pas hésité à envoyer des navires de guerre autour des îles où l’existence de gisements de pétrole semble probable.
Ainsi nous avons vu quelques exemples qui montrent que le pétrole n’est pas toujours le coupable mais que son existence joue souvent un rôle dans les décisions et les événements qui amènent des conflits guerriers. C’est ainsi, comme déjà relaté dans les colonnes de Géostratégiques, que l’invasion américaine de l’Irak en 2003 n’a pas été décidée par Washington pour le pétrole mais que ce dernier n’a pas été absent des éléments qui ont amené la prise de décision américaine. A cet égard la revue Time terminait un article sur la question de la manière suivante : « si vraiment, comme nos dirigeants l’affirment, le pétrole n’a rien à voir avec cette guerre, alors ce serait une grande première dans l’histoire » !
Il semble en effet que sur quelque zone de la planète où des gisements pétroliers existent ou sont possibles et dont les avancées technologiques permettent d’en d’envisager bien d’autres, bien que nécessitant des investissements très coûteux, l’existence de conflits potentiels est un fait dont il faut avoir conscience.
La quête permanente et de plus en plus prégnante de l’énergie indispensable à l’économie et à la vie des hommes est une de ces obligations de fait qui peut faire oublier bien souvent la morale et parfois le bon sens. Mais, comme dit le proverbe allemand « Not kennt kein Gebot » ( la nécessité ne connaît pas de loi).
Il reste à espérer que les hommes sauront préserver autant que faire se peut les fragile équilibres du monde.

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