LE RENOUVEAU DU MERCENARIAT DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES

Général (cr) Henri PARIS

Mai 2007

DANS LES ANNEES 2000, en liaison avec la guerre d’Irak, le mercenariat ressurgit du fond des âges. Le mercenariat appartenait à une période historique révolue, croyait-on.

En 1975, en conséquence de leur échec militaire au Vietnam, les Etats-Unis adoptent et appliquent le concept d’une armée de métier, mais toujours compo­sée de nationaux. Les Britanniques les avaient précédés dans cette voie qui sera empruntée par les pays majeurs européens, dont la France en 1996. Il convient de souligner qu’une armée de métier ou professionnelle n’est pas une armée de mercenaires. En effet, la définition d’un mercenaire est qu’il s’agit d’un combattant non obligatoirement national, faisant acte de volontariat en signant un contrat en échange d’une solde dont le montant est largement supérieur à celle des volontaires nationaux et encore plus à celle des conscrits servant dans la même armée. La dé­finition mérite d’être complétée par une remarque : le mercenaire peut se trouver au service d’une institution totalement étrangère à la cause qu’il sert par les armes. Il est symptomatique que le terme de mercenaire, avec sa connotation péjorative, provient du latin mercis, marchandise. Le meilleur exemple d’une mercenariat flo­rissant est celui du condottiere de la Renaissance italienne servant indifféremment telle ou telle principauté italienne, au gré des contrats dont le montant est réglé par la loi de l’offre et de la demande. Le mercenaire est incorporé dans une unité, une compagnia, commandée par le condottiere qui traite en bloc, par le biais d’une pres-tenza, de l’engagement de son unité avec autorité délivrant la condotta, le contrat. Le mercenaire tient sa solde du condottiere. Cette organisation est spécifique et c’est elle qui est mise en œuvre en Irak comme en Afrique au début du XXIème siècle. En revanche, les mercenaires au service du roi de France souscrivaient un engagement individuel. Ils restaient ainsi sous le commandement d’officiers du roi qui n’aban­donnait pas son pouvoir régalien. Il en était de même dans la plupart des autres armées monarchiques européennes.

Les guerres de la Révolution et de l’Empire avaient amené la fin du mercenariat. Guibert, un théoricien militaire français de la fin du XVIIIème siècle, dans son Essai de tactique générale, qu’avait fiévreusement annoté l’élève-officier Bonaparte, pré­voyait l’avènement de guerres de masse se réclamant d’une idéologie, ce qui exigeait de fortes motivations et donc excluait des services mercenaires. Nicolas Machiavel, en son temps, celui de la Renaissance, ayant en vue les condottieri dans son ouvrage Le prince, déconseillait fortement l’utilisation des mercenaires car, écrivait-il, « ce sont des troupes indisciplinées et infidèles, à la recherche d’une rémunération ou de pillages, sans autres motivations. » Par ailleurs, ajoutait-il, en cas de défaite, elles ont tendance à passer aux côtés de l’adversaire et, en cas de succès, de vouloir dicter leur loi à l’autorité qui les emploie.

La réapparition du mercenariat se fait peu à peu au cours du XXème siècle. L’illustration en est fournie par les Tigres volants du colonel américain Chenault, dirigeant une flotte aérienne de transport, au service des Chinois contre les Japonais avant l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941 et l’intervention de mercenaires baptisés « Affreux » au service de Moïse Tshombé, promoteur de la sécession du Katanga, en 1960. Mais ces faits, ainsi que d’autres similaires, étaient marginaux et ne créèrent qu’une émotion assez vite dissipée.

La deuxième guerre d’Irak révéla brutalement à une opinion publique interna­tionale, d’abord étonnée puis parfois indignée, l’utilisation de troupes mercenaires par les Américains sous forme de Private military companies (PMC), des sociétés militaires privées (SMP). Le 31 mars 2004, quatre agents de sécurité employés par la PMC américaine Blackwater sont sauvagement assassinés par une foule en délire, à Falloujah, au nord-ouest de Bagdad. L’information, à l’origine, était tronquée en ne faisant mention que de citoyens américains censés œuvrer au sein d’une organisation humanitaire . Puis, la vérité fut mieux connue et la tension baissa. Parallèlement, l’existence de Blackwarter défraya la chronique : une SMP spécialisée dans la garde du corps de personnalités, dont celle de Paul Bremer, chef de l’administration inté­rimaire en Irak, employant en permanence 200 agents et des intérimaires. En mai 2004, l’opinion publique internationale déjà choquée par la révélation du camp de détention de Guantanamo à Cuba, où sont parqués illégalement des prisonniers, apprend que des traitements dégradants ont été infligés à des détenus dans la prison d’Abou Ghraïb, à Bagdad. Les fautifs seront poursuivis. Cependant, on apprend également que deux SMP américaines, Titan Corporation et Caci International, em­ployant l’une 11.000 agents et l’autre 9.400, spécialisées toutes deux dans la col­lecte du renseignement, mènent des interrogatoires en Irak, notamment à la prison d’Abou Ghraïb. Les deux SMP ont maintenu leurs activités.

Au total, quelque cinquante SMP employant de l’ordre de 30.000 contractors, contractuels civils, agents liés par contrat, sont présents en Irak en 2006, dont tren­te-cinq d’origine anglo-saxonne, en majorité des Américaines. La manne financière engrangée, par quelque 200 à 300 SMP sur près de cinquante théâtres d’opérations dans le monde atteint de l’ordre de 100 milliards de $ en 2006. Une partie de ces SMP est cotée en bourse.

Une caractéristique première demande à être soulignée. Le mercenariat du XXIème siècle n’est pas individualiste. Les SMP reprennent la tradition de ces condot­tieri, tant décriés par Machiavel et sont le pendant des compagnia employés par les Médicis ou par les républiques de Gênes ou de Venise.

S’ouvre donc une problématique : comment l’Etat peut-il abandonner l’exclusi­vité de l’une de ses fonctions régaliennes majeures ? Est-ce un effet d’un libéralisme échevelé et d’une mondialisation exacerbée que cette privatisation de la guerre ? Quelle est la portée du phénomène ?

A cet effet, l’approche porte en premier lieu sur les raisons de la réapparition du mercenariat, puis se penche sur le fonctionnement des SMP.

Les causes de la réapparition du mercenariat

Le néo-libéralisme, voulant le moins d’Etat possible, emporté par la mondialisa­tion, a atteint la sphère de la défense. L’Etat se dessaisit ainsi de l’un de ses pouvoirs régaliens essentiels, qui fonde la justification de son existence : l’organisation et la conduite des forces armées en vue de la défense suprême des citoyens. En effet, l’Etat avait souvent employé des mercenaires, mais il les recrutait individuellement pour les incorporer dans des unités dont il choisissait les chefs et qui restaient sous son commandement direct. Avec les SMP, on en revient à la compagnia gérée, ad­ministrée et commandée par un condottiere : l’Etat, sous-traite des pans entiers de son pouvoir régalien.

 

Ce n’est pas sans réticence que l’Etat américain, qui est l’élément moteur de la tendance, a admis son dessaisissement. Il a cherché d’abord à faire passer les contractors assassinés sauvagement le 31 mars 2004 à Falloujah en Irak pour d’innocents humanitaires. Puis, il a fallu se rendre à l’évidence et avouer qu’il s’agissait de mercenaires appartenant à une SMP. Dès lors, les raisons de la sauvagerie de l’assassinat apparaissaient plus clairement et trouvaient une sorte d’absolution aux yeux de l’opinion publique américaine et internationale. Cela se passe de commentaires qui seraient superflus pour jauger du degré négatif que revêt l’image de la SMP aux yeux de l’opinion publique.

 

La guerre froide terminée, la hantise de l’embrasement nucléaire va d’abord dis­paraître. Même, à l’Est comme à l’Ouest, on en arrive à penser que le temps des guer­res est clos. L’ère de la paix généralisée est d’actualité ! Aristide Briand ressuscité ! De là naît le concept de « zéro mort » dans la stratégie américaine, naissance concomi­tante aux concepts de maintien et de restauration de la paix, illustrés par le conflit des Balkans qui ruine l’illusion d’une paix désormais constante. Zéro mort comme concept, devenu mot d’ordre, est assez hypocrite car zéro s’adresse aux amis : c’est zéro mort pour les amis et le massacre pour les ennemis, ce qui a été parfaitement réalisé par les Américains lors de la première guerre du Golfe en 1991. Ce concept de zéro mort est tenace : s’il est à peu près respecté dans les Balkans, il ne l’est plus du tout lors de la deuxième guerre du Golfe de 2003. L’ennemi subit toujours le mas­sacre, mais les pertes amies s’alourdissent. Il est vrai que le concept est inepte : il est la transposition du concept de « la guerre fraîche et joyeuse » qui avait fait les beaux jours de l’avant-veille de 1914. Dans trois semaines, nous serons à Paris, hurlaient les Allemands en août 1914, tandis que les Français vociféraient qu’ils seraient à Berlin dans le même laps de temps. Ce concept de zéro mort n’est jamais que le vieux rêve – rêve éveillé et irréalisable – des stratèges espérant faire la guerre aux moindres frais et pour son camp, à frais nuls, naturellement ! Les pertes matérielles et humaines, c’est pour l’ennemi, jamais pour nous ! L’adoption du concept de zéro mort dénote une très sérieuse dose de confiance en ses capacités. La démesure a toujours conduit à l’échec et c’est bien ce que les Américains ont trouvé lors de la deuxième guerre d’Irak, initiée en mars 2003 et qui, au 31 décembre 2006, aboutit à quelque 3000 tués américains et plus de 30.000 blessés sans compter quelque 300.000 Irakiens de tous les camps tués et blessés. De plus, le pays est au bord de la guerre civile. Le mer-cenariat, sous forme des SMP, sera ainsi un avatar du concept de zéro mort, rendant la guerre admissible.

 

Les opinions publiques sont ainsi façonnées qu’elles n’admettent plus les pertes dans les rangs d’un contingent astreint à un service militaire. Ce refus est dû pour une très large part à l’incompréhension de ces guerres multiples et encore plus de leur finalité. Les difficultés de trouver des effectifs pour mener simultanément la guerre irakienne et éventuellement intervenir en Iran, tout en maintenant les contingents prépositionnés dans le reste du monde, ont fait émerger en 2006 aux Etats-Unis, l’idée d’en revenir à la conscription. Le rejet a été massif. Parmi les pays industrialisés et développés, le même état d’esprit a fait son chemin, à l’exception de l’Allemagne, viscéralement attachée à la conscription. Ce courant d’opinion explique, en partie, pourquoi la France a choisi, contrairement à une tradition de deux siècles, de passer à une armée professionnelle. Le terme de « professionnelle », d’après le gouvernement français, est moins porteur d’une charge négative que celui d’armée de métier, trop proche du mercenariat. A titre de justification, on peut toujours avancer que la perte de la vie au combat est inscrite comme risque, somme toute banal, dans le contrat d’un professionnel de la guerre, a fortiori d’un mercenaire. Les Parlements demandent des comptes à l’exécutif, qu’il s’agisse du pouvoir politique décidant d’une opération militaire ou du commandement militaire en charge de l’application de la décision politique. L’opinion publique exige aussi des comptes. Le système parlementaire, très dépendant de l’opinion publique, voire lui étant inféodé pour des raisons électorales, fait chorus. Afin d’éviter de rendre ces comptes, peu à peu prend corps une démarche consistant à faire appel à des sociétés militaires privées, qui prennent à leur charge l’administration et la gestion de la troupe mercenaire, débarrassant donc totalement de la question le donneur d’ordres. Le mercenaire a pour profession de tuer et de se faire tuer dans l’anonymat, sans risque de tapage médiatique. De plus, en cas de bles­sure ou de décès, il est exclu de payer une quelconque pension. En France, on oublie le troisième couplet de la Marseillaise qui dénonce les « cohortes étrangères » et les « phalanges mercenaires ». Il y a ainsi, pour des raisons de commodité, abandon progressif du monopole régalien de la Défense au profit de prestataires civils privés de services, relevant de la défense et de la sécurité des personnes et des biens au cours des conflits tels qu’ils éclatent au lendemain de l’effondrement soviétique.

 

L’abandon de ce monopole régalien n’est jamais aussi qu’un corollaire de plus de la baisse du sens civique qui affecte les sociétés occidentales. Le phénomène renvoie aux cités grecques antiques comme à la Rome impériale avec pour conséquence semblable l’apparition de l’armée de métier et du mercenariat qui en est, en quelque sorte, sa forme la plus accomplie.

 

Intervient également une autre raison due à la structure même des armées, modelée par le progrès scientifique et technique. L’armement et l’équipement des forces, d’une manière générale, deviennent de plus en plus performants et sophis­tiqués, au prix d’un coût de plus en plus élevé et d’une mise en œuvre stratégique et tactique de plus en plus complexe. A titre d’exemple, l’intrusion de la dimension spatiale affecte tous les domaines du champ de bataille en temps réel. Les armées des pays industrialisés et développés sont donc préparées en premier lieu à des combats de très haute intensité contre des forces équivalentes. Et si ces armées ont à faire face à des forces moins bien équipées parce que relevant d’un pays émergeant, voire du Tiers-Monde, voire encore d’une organisation non-nationale se rapportant à la nébuleuse terroriste, ces armées sont censées répondre à l’adage : qui peut le plus, peut le moins, ce qui n’est pas toujours vrai.

Or, de cet état de fait découlent plusieurs conséquences. Le coût des équipe­ments atteint des niveaux tels qu’il n’est plus question de lever des armées de mas­se, faute de pouvoir doter ces masses de l’armement sophistiqué normalement en service. L’instruction, la formation et l’entraînement des militaires deviennent de plus en plus onéreux, même en utilisant les simulateurs les plus modernes. Il y a donc une réticence du commandement à engager ces forces, hautement entraînées et disposant d’un armement très performant dans des combats de basse intensité, approchant de la guérilla, lorsque cela n’en est pas, très simplement. Les stratèges taxent ce genre de conflit de guerre asymétrique, marquée par une lutte entre une armée dotée d’un équipement sophistiqué et des forces disparates employant un armement léger et rustique. De plus, cet armement sophistiqué n’est pas obliga­toirement le mieux adapté à un conflit asymétrique, ne serait-ce que parce que ce conflit se déroule sur la durée, qui met à rude épreuve les équipements motorisés et mécanisés, tout comme l’informatique embarquée sur des véhicules terrestres, aériens et spatiaux, sans oublier les navires. Avec les coûts afférents ! En outre, les conflits de haute intensité n’emploient pas les mêmes stratégies et tactiques que la guérilla basée sur des actions de coup de mains et d’embuscades fomentées par des combattants qui se fondent dans la population. Cela amène à un usage dosé de la force afin d’éviter des dommages collatéraux parmi cette population qu’il faut em­pêcher de verser dans la guérilla. Dans un combat de haute intensité, en revanche, l’usage de la force est illimité. On ne peut mêler les deux systèmes de guerre, sous peine de s’attirer une réprobation internationale. C’est ce qui se produit pour l’ar­mée israélienne au Liban en juillet et août 2006.

 

Une guerre asymétrique est un véritable bourbier, dans laquelle s’engage et a du mal à se dépêtrer l’armée d’un Etat industrialisé et développé, pour peu que se pro­longe la durée du conflit, pour peu que les forces sophistiquées mais nécessairement peu nombreuses ne parviennent pas à emporter rapidement la décision. Le temps travaille contre la sophistication.

 

C’est ainsi qu’apparaissent deux solutions. La première, compliquée, vise à met­tre sur pied, aux côtés de l’armée de projection dotée de l’armement hautement sophistiqué, une force, armée à la légère, appelée à mener des combats de basse intensité dans une guerre asymétrique. En fait, il s’agit d’une deuxième catégorie d’armée. Le problème est celui de son recrutement, de son volume et de son entraî­nement. En étant permanente, une telle force oblige à faire appel à la conscription ou, pour réduire les coûts, à une force disponible mais non permanente, donc à une réserve. La force ne serait mobilisée qu’en cas de besoin. Reste cependant à régler l’administration et le système de mobilisation de la force de réserve, comme son entraînement, ce qui n’est pas simple et entraîne inévitablement des coûts. La deuxième solution est de s’appuyer sur une armée sophistiquée, tout en faisant lar­gement appel, à la demande, au mercenariat sous forme de SMP. A certains égards, cet appel ponctuel aux SMP est moins onéreux que l’entretien d’une force perma­nente ou non permanente, mise en œuvre épisodiquement, mais dont l’entretien a un coût, tandis que la SMP relève uniquement d’un contrat pour faire face à un besoin temporaire.

 

Un dernier élément va alimenter le recrutement des SMP. La diminution du format des armées consécutive à la fin des affrontements Est-Ouest et la baisse des effectifs à la suite de la sophistication croissante des forces, va pourvoir le marché d’une masse de combattants potentiels libérés de leurs obligations militaires. Ces effectifs vont donc être disponibles pour alimenter les SMP.

 

Très naturellement, les Etats-Unis se sont révélés l’Etat le plus en faveur de la deuxième solution. En effet, les Etats-Unis, dans la continuité allant de la guerre froide à tous les types de conflits, y compris ceux de basse et de très basse intensité, ont préparé prioritairement leurs forces aux conflits basés sur la réponse à la pire hypothèse : le conflit de haute intensité, ce qui explique, entre autres, la lutte menée contre la prolifération nucléaire.

 

De plus les Etats-Unis ont un système politique, social et sociétal qui admet le communautarisme. Les droits et devoirs régaliens de l’Etats sont beaucoup moins observés que dans un pays de tradition jacobine comme la France. C’est même une orientation intellectuelle qui est autant partagée par les Britanniques que par le monde anglo-saxon, pragmatique, mondialiste et recherchant une emprise étatique la plus faible possible. Le monde anglo-saxon aura donc une répugnance beau­coup plus faible que les Français à solliciter une SMP, à la condition qu’elle soit légalement déclarée et inscrite à un registre du commerce, voire cotée en bourse, comme n’importe quelle autre société cherchant, par ailleurs, à dégager du profit. Cela explique pourquoi les quatre cinquième des SMP sont anglo-saxonnes : les deux tiers étant américaines, les autres britanniques, australiennes, sud-africaines et quelques unes canadiennes. La France ne compte que peu de SMP et encore ne bénéficient-elles pas d’un engouement populaire, quand il ne s’agit pas d’une franche répulsion.

 

Les pays du tiers-monde et notamment ceux d’Afrique subsaharienne ne sont pas en reste, bien au contraire. En effet, ce sont des Etats très jeunes, sans beaucoup de fondement en matière de service public. Les droits et les devoirs de l’Etat régalien sont donc des concepts vides de sens concret pour bien des responsables gouverne­mentaux et plus généralement pour l’ensemble de la fonction publique.

 

Les gouvernants subsahariens ont ainsi tendance à utiliser des coopérants mili­taires occidentaux, mieux instruits. Cependant, ces coopérants restent sous la subor­dination de leur Etat d’appartenance, ce qui ne les rend pas d’une disponibilité to­tale. La tentation est alors très forte de faire appel à des mercenaires et à des SMP.

 

Un rapprochement peut être tenté entre les Etats africains du XXIème siècle et les républiques marchandes italiennes de la Renaissance. A travers les siècles, aucun des deux systèmes n’avait assimilé le concept d’Etat-nation et très naturellement des pouvoirs régaliens qui en découlent. C’est donc tout aussi naturellement qu’il est fait appel à une force militaire mercenaire, pour peu que le besoin apparaisse, plutôt que d’essayer de se doter d’une force nationale.

 

Cet état de fait n’empêche absolument pas des guerres larvées, des rébellions multiples et une instabilité chronique à l’échelle du sous-continent, quand il n’en est pas la cause directe. La faible technologie de l’armement employé ne limite pas plus l’atrocité des conflits. On massacre aussi bien avec une machette qu’avec une arme nucléaire, si ce n’est mieux. A preuve, le génocide rwandais, d’avril à juillet 1994, provoquant un million de victimes, en comparaison avec les bombardements nucléaires d’août 1945 sur le Japon causant au total 200.000 morts.

 

Plusieurs phases peuvent être remarquées dans l’histoire des SMP, comprise comme des entreprises de mercenariat.

 

La première remonte au Moyen-Age et à la Renaissance italienne. La seconde prend place avec les années 1960 et a été illustrée par les Affreux et les Chiens de guerre qui ont marqué la sécession du Katanga. C’est l’ère tourmentée de la décolo­nisation avec des personnages hauts en couleur comme David Stirling, Jean Schram et Bob Denard. Leur terrain de chasse sera, outre le Katanga et le Congo entre 1960 et 1964, le Yémen en 1963, le Biafra en 1968, l’Angola en 1975 et les Comores en 1968 et 1995. Ces équipées échoueront plus ou moins toutes, faute de moyens et de mercenaires correctement instruits et agissant en unités constituées et discipli­nées. A titre d’exemple, l’armement dont était dotée la troupe qu’avait emmenée avec lui Bob Denard aux Comores en 1995, comprenait des fusils de chasse ! Il est vrai que leurs adversaires n’étaient guère redoutables.

 

La troisième phase est celle qui débute avec le troisième millénaire et qui comp­te des SMP mettant en ligne des forces mercenaires, en nombre approprié, bien armées et bien commandées.

 

Le mode de fonctionnement des SMP

Le nombre des SMP, de deux à trois cents, ne peut qu’être évalué. En effet, si certaines sont très clairement identifiées, ne serait-ce que parce que, loin de se cacher, elles font de la publicité en leur faveur, d’autres préfèrent être discrètes. Par ailleurs, beaucoup de ces SMP ont une existence éphémère, le temps d’un contrat, quitte ensuite à disparaître et à ressusciter à l’occasion d’un nouveau contrat.

Le suivi des SMP est aussi délicat à réaliser, car nombre d’entre elles choisissent, pour domicilier leur siège, une société écran ou un paradis fiscal – Nassau, les îles Caïman, entre autres – où elles apparaissent sous un panonceau neutre, mention­nant une société de services sans plus, mais déchiffrable par les initiés.

Il est très difficile aussi d’identifier exactement une SMP. En effet, l’activité des SMP est disparate et variable. Certaines se spécialisent dans la sécurité des instal­lations. Erynis, une firme anglo-sud-africaine se consacre à la sécurité des oléo­ducs, des gazoducs et des plate-formes de forage de par le monde, aussi bien en Amérique latine, qu’en Afrique de l’ouest et qu’en Irak où elle emploie 14.000 ressortissants locaux, dont beaucoup de Kurdes, avec le soutien de 450 véhicules en 2004. Ce contrat a porté sur 100 millions de $. L’encadrement est fourni par des Occidentaux, spécialistes chevronnés en matière de sécurité et de combat. D’autres firmes sont spécialisées dans la sécurité et l’escorte des personnalités, des pétro-monarques du Golfe entre autres, comme des convois, qu’ils soient logistiques ou de transport de fonds. C’est le cas de Blackwater et de Watchgard Organization, des firmes américaines. Des SMP mènent des activités de renseignement, parfois de très haut niveau et cherchent évidemment à se fondre dans l’ombre. Pour finir, des SMP assurent l’instruction et la formation de la police comme des forces armées de plusieurs Etats du Tiers-Monde en Afrique subsaharienne notamment, quand elles ne sont pas impliquées directement dans des missions de combat. Des SMP ont un statut très officiel, en assurant par contrat la sécurité de représentations diplomati­ques, comme des organisations humanitaires et même du personnel en mission des Nations unies. D’autres SMP conduisent des opérations de déminage au profit de l’Onu comme d’un Etat.

 

Il peut paraître surprenant qu’une activité aussi sensible que le renseignement puisse être attribué à une SMP par dessaisissement de l’Etat. L’origine du phénomè­ne provient du soutien aux entreprises donné par des organismes privés spécialisés en intelligence économique ; d’aucuns pourraient employer le terme d’espionnage industriel. A la suite du processus de fusion-acquisition et de mondialisation, l’en­treprise atteint une taille telle que son intérêt se confond avec celui d’un ou de plusieurs Etats. La SMP de renseignement suit alors le mouvement. La guerre éco­nomique à laquelle se livrent de nombreux Etats promet à ces SMP un développe­ment durable. Les SMP sont ainsi en contact étroit avec l’entreprise qu’elles servent quand ce n’est pas avec les services de renseignement du ou des Etats dont relève la firme servie. La collecte du renseignement antiterroriste, après le 11 septembre 2001, est de nature à favoriser les SMP de renseignement dont les cotations à Wall Street comme à Londres, ont bondi de 50 % de 2004 à 2005.

 

En 2000, Tim Spicer, ancien officier britannique des forces spéciales, crée Aegis Defence Services qui entre en relations avec les services américains. Comme les Américains se méfient de leurs propres services de renseignement, qui les ont in­duits en erreur en Irak, en 2004, ils concluent un contrat de 293 millions de dollars pour rassembler, comparer et synthétiser le renseignement collecté par les SMP en Irak et sur l’Irak.

 

Sans abandonner l’Irak, en 2006, les Américains impriment un effort notable en direction du golfe de Guinée, ne serait-ce que faute de pouvoir y intervenir offi­ciellement à visage découvert.

 

Opérant à partir d’un Etat acceptant son activité ou d’un paradis fiscal voulant ignorer cette activité, nombre de ces SMP comportent des filiales implantées dans le monde entier, comme n’importe quelle multinationale.

 

La rétribution des SMP est faite par contrat, en fonction d’un montant finan­cier négocié, mais peut aussi comprendre une clause d’attribution d’une concession minière, pétrolière ou gazière. Ce dernier mode est particulièrement pratiqué en Afrique subsaharienne. Un exemple typique est fourni par la relation qu’avait entre­tenue Sandline International avec des intérêts miniers et pétroliers, représentés par Heritage Oil and Gas and Branch Energy devenue Diamond Works, au Sierra Leone, pays effectivement riche en diamants mais sans pétrole !

 

Les SMP, comme n’importe quelle société, fusionnent ou sont absorbées, et sont souvent soutenues par le système bancaire. Ainsi, l’ex-secrétaire d’Etat américain à la Défense, Franck Carlucci, devenu en 1990 président de Carlyle, a-t-il comme actif depuis 1992, les groupes BDM International et Vinnel Corporation, liés par contrat avec l’Arabie Saoudite aux fins de la formation de ses forces armées, aussi bien des armées de terre, de l’air et la marine que de la Garde nationale. Vinnel Corporation a été racheté par Northrop Grumman, en 2002, firme américaine bien connue dans les domaines aériens et spatiaux. Vinnel Corporation garde ses contacts avec l’Arabie Saoudite et a récupéré l’entraînement de la future armée irakienne en 2004. La société L3 Communications, spécialisée dans la sécurité des réseaux et des communications, a racheté en 2000 MPRI qui, en concentrant un nombre respec­table de généraux américains à la retraite, offre sur le marché une expertise militaire, stratégique et tactique, ainsi qu’un complexe d’interprétariat non négligeable, y compris aux yeux du Pentagone.

 

Les SMP, certaines agissant à visage découvert pour une partie de leur activité, n’hésitent pas à entretenir des services de communication et des sites Internet pour proposer leurs services. En revanche, le montant des contrats est rarement commu­niqué. Au niveau de la communication et de la publicité, le discours insiste sur le maintien de la paix et de la démocratie dans le monde. Liberté et démocratie ont besoin de sécurité dans le monde, affirme Blackwater en 2005, ce à quoi contribue grandement la firme, sans faire mention du massacre de ses agents à Falloujah, en 2004.

 

Il y a là, très distinctement, une rupture avec un passé où la discrétion était de rigueur. La privatisation de la guerre est entrée dans les mœurs. Mais pas de n’im­porte quelle guerre ! Des guerres de basse et de très basse intensité à la mesure des SMP ou encore une participation poussée dans un conflit affectant une forme de guérilla. Cependant, une guerre privée, une guerre opposant des SMP entre elles, n’a pas encore eu lieu, encore que cela reste dans l’ordre possible des choses.

 

Les SMP cherchent fiévreusement à se donner une image respectable, repous­sant l’appellation de mercenariat. Elles prétendent, surtout les SMP américaines, n’agir qu’en conformité avec des idéaux démocratiques, qu’au profit de gouver­nements légitimes et légaux. Dans cette finalité, ces SMP s’efforcent d’avoir une caution de l’ONU. La plus simple à avoir, et dont elles se targuent, est d’être au service de l’ONU, ce qui se produit.

 

Les SMP britanniques se sont réunies au sein d’une Association britannique de sécurité privée (BAPSC). Elles s’engagent « à respecter les droits de l’Homme et les objectifs de la politique étrangère britannique ». On ne peut être plus respectable !

 

Pourtant, les SMP ont été et sont tenus en suspicion, y compris par l’ONU qui n’est guère tendre à leur égard, non sans contradiction puisqu’elle les emploie.

 

En effet, dans le cadre des traités internationaux, l’article 47 et ses protocoles additionnels I et II de la Convention de Genève condamnent le principe même du mercenariat et est repris par la Convention de l’Organisation de l’unité afri­caine (OUA) de 1972, directement intéressée, ce que confirme la Convention des Nations unies contre le recrutement et l’utilisation des mercenaires datant de 1989. En 1997, Enrique Bernales-Ballestros, rapporteur spécial du Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme étudie le fonctionnement des SMP, note et dénonce leur activité, notamment celle des firmes américaines et britanni­ques. En outre, il rappelle la définition du mercenaire, consignée dans le protocole additionnel 1 de l’article 47 de la Convention de Genève de 1949 : à ces termes, le mercenaire est étranger au conflit et « prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel et auquel est effectivement promis, par une partie du conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle promise ou payée à des combattants ayant un rang ou une fonction analogues dans les forces ar­mées de cette partie ». En outre, « il n’est pas membre des forces armées d’une partie en conflit » et « n’a pas plus été envoyé par un Etat autre qu’une partie en conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat ».

 

La condamnation est formelle mais reste lettre morte. Il faut remarquer aussi que les protocoles additionnels de l’article 47 des Conventions de Genève de 1949 contiennent des approximations et des lacunes qui peuvent expliquer pourquoi les Etats-Unis et la France n’ont pas signé ces protocoles. Quant à la Convention des Nations unies de 1989 contre le recrutement, l’emploi, le financement et l’en­traînement de mercenaires, elle n’a été signée, en 2006, que par douze Etats, dont trois, la République démocratique du Congo, l’Angola et l’ex-Yougoslavie n’ont pas respecté leur signature.

 

Pourtant, le problème du mercenariat, s’il recueille l’assentiment tacite des Ango-Saxons, encourt la réprobation formelle d’autres pays. La République d’Afrique du Sud a fait paraître, dans son Journal officiel, le 20 mai 1998, une loi condamnant la pratique du mercenariat. C’est en vertu de cette loi qu’Executive Outcomes, SMP renommée de droit sud-africain, est dissoute. C’est encore en vertu de cette loi que M. Thatcher, le fils de l’ex-Premier ministre britannique a été poursuivi et condam­né en tant qu’entrepreneur de SMP. Dans le même registre, un Français, quelque peu aventurier, ancien militaire affecté à la garde présidentielle comorienne, devenu guide de chasse en Afrique du Sud, a été condamné pour avoir recruté, en 2002, une troupe au service du président ivoirien Laurent Gbagbo. En 2004, ce sera au tour d’un pilote sud-africain d’hélicoptère d’être condamné pour avoir rejoint une SMP toujours en Côte d’Ivoire. Cependant, l’Afrique du Sud agit plus pour des rai­sons politiques qu’éthiques ou morales, à la différence de la France qui a promulgué en 2003 une loi singulièrement contraignante.

 

L’indifférence ou l’assentiment dont témoignent les Anglo-Saxons à l’égard des SMP confortent ses dernières à installer leur siège social aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie en sus des paradis fiscaux.

 

Le mercenaire des SMP, s’il est reconnu par les Conventions de Genève, l’est en mal. Il n’est pas militaire et, qui plus est, n’est pas considéré statutairement comme belligérant. Il ne bénéficie donc pas de la protection attachée au statut de militaire. En fait, le mercenaire est qualifié d’aventurier, de hors la loi. Si, en tant qu’ONG, la Croix-Rouge fait appel à des SMP, paradoxe quelque peu hypocrite, elle les ignore totalement en dehors de la sécurité apportée. Le mercenaire, donc n’est pas justicia­ble d’un tribunal de guerre, de même qu’aucune règle disciplinaire ne s’applique à lui. Il est en dehors de toute capitulation et ne peut être reconnu comme prisonnier de guerre. Alors, qu’en faire en cas de reddition ? La tentation de l’abattre sans autre formalité est forte, d’autant plus que ne peut s’élever une quelconque protestation.

 

Le risque d’une blessure et même d’une invalidité ne peut être couvert que par un système d’assurance privée dont la souscription est réalisable, soit à titre personnel, soit par la SMP en tant que personne morale. L’opération entraîne une difficulté moindre auprès d’une compagnie d’assurance anglo-saxonne, notamment américaine, en raison d’une législation non-répressive vis-à-vis des SMP. Cependant demeure intégralement la faiblesse matérielle d’une garantie dont l’application est aléatoire sur un territoire en état de belligérance. De toute évidence, le champ d’ac­tivité d’une SMP se situe obligatoirement dans des pays en proie à un conflit, par exemple en 2006 en Irak ou en Afrique subsaharienne. Dans ces conditions, com­ment hospitaliser un blessé ou organiser son évacuation sanitaire sans recourir au service de santé d’une force armée auquel une SMP n’a pas accès de droit ? Se pose également le cas d’une pension éventuelle d’invalidité. Les dommages couverts ex­pliquent la hauteur des primes d’assurance et, par voie de conséquence, le refus fré­quent du recours à un système de garantie surtout en regard du caractère incertain de la couverture matérielle. Autre risque, la perte d’emploi due à un licenciement total ou partiel du personnel de la SMP qui cesse ou réduit son activité. Il est évi­dent qu’aucune assurance-chômage ne peut jouer, comme il est tout aussi évident qu’un mercenaire ne peut prétendre à une pension de retraite.

 

En revanche, pour l’utilisateur, le mercenaire d’une SMP est singulièrement intéressant. Il remplit son office et est ignoré par la suite.

 

Les candidats ne manquent pas : à haut risque, haute rémunération qui peut atteindre, en 2006 en Irak pour un expatrié occidental de 10 à 15.000 $ par mois, tandis qu’un agent recruté localement, réputé de moindre qualité, devra se conten­ter de 150 $ par mois ! Cette très forte rémunération ne dépend que de la loi de l’offre et de la demande. Or, cette demande, depuis les attentats du 11 septem­bre 2001, ne cesse de croître face à une augmentation exponentielle du sentiment d’insécurité nourri aussi par la croisade contre le terrorisme lancée par la Maison Blanche, comme par la perpétuation, voire l’accroissement des conflits larvés en Afrique subsaharienne et en Amérique latine.

 

Le recrutement des mercenaires ne pose donc aucun problème si ce n’est qu’il s’agit de faire appel à du personnel formé. Or, les chutes d’effectifs dans les armées occidentales ne parviennent plus à satisfaire une demande ouverte par les conflits en Irak et en Afrique de l’ouest.

 

En ce qui concerne l’encadrement, qu’il soit de haut ou de moyen niveau, les mises à la retraite obligatoire, en fonction des limites d’âge toujours très précoce dans les armées, fournissent au marché un personnel de qualité et en nombre suffi­sant. Cette situation est partagée par toutes les armées occidentales, mais les armées américaines, britanniques, et australiennes dans une moindre mesure, se sont fait une spécialité que de constituer une pépinière de cadres. Des réservoirs d’officiers supérieurs en retraite, même généraux, trouvent ainsi une seconde carrière. Ces cadres amènent également une capacité de réflexion à la disposition des parties en lutte, sans aucun souci idéologique.

 

Les cadres subalternes, officiers et sous-officiers, pour les mêmes raisons, offrent encore moins de difficultés pour approvisionner les SMP, si ce n’est que cette secon­de vie active est inévitablement assez courte. A moins que le personnel considéré ne cède à la tentation d’une rémunération plus forte que sa solde ou qu’il n’ait pas eu les satisfactions escomptées de carrière qui l’incite à quitter le service de son armée d’origine avant l’âge normal de la retraite ! En revanche, déjà en 2004, des tensions commençaient à se faire sentir au niveau du recrutement quantitatif des hommes du rang qu’il fallait diriger sur les SMP opérant en Irak. La grande déflation des ar­mées occidentales comme du pacte de Varsovie s’essoufflait ; la demande dépassait l’offre. Les SMP devaient recruter hors des armées. La sélection portait sur des critè­res simples : des individus suffisamment motivés, avec une puissance de caractère et un niveau culturel adéquat pour devenir des combattants performants dans le cadre d’un combat de basse intensité. L’instruction et la formation peuvent être assurées sans grande complication puisqu’elles n’ont trait qu’à des actes élémentaires sim­ples, impliquant en outre un armement individuel sans grande sophistication, dans un contexte de guérilla. Le bon sens et le moral priment toute autre considération. Il n’en demeure pas moins que le combattant déjà formé dans le cadre d’une armée organisée est plus recherché. Son niveau de rémunération s’en ressent.

 

En France, ce type d’activité est légalement condamné. N’est acceptée qu’une instruction et une formation relevant de la sécurité proprement dite visant essen­tiellement à recruter un garde du corps rapproché ou le personnel d’une société de vigiles ou encore s’occupant de la protection de transferts de fonds. C’est ce dont s’occupe, en 2004, la société Secopex en utilisant une infrastructure dans le département de l’Aude. Secopex a été fondée par David Hornus, un ancien de la Direction du renseignement militaire, aidé de deux anciens sous-officiers parachu­tistes. Secopex, en outre, offre du conseil militaire, et seulement du conseil, souli-gne-t-elle. Les étapes de l’instruction comportent des cours théoriques ainsi que la pratique des sports de combat et du tir au pistolet.

 

L’un des problèmes cruciaux qui se pose à l’ensemble des SMP est l’armement. C’est en partie à cause d’une lacune dans ce domaine que l’équipée de Bob Denard, dans les années 1990, s’est soldée par un fiasco. La législation américaine est extrê­mement souple quant à l’achat et à la détention d’une arme. Elle est même un mo­dèle du genre, mais elle s’applique à des armes de poing et pas à des armes de guerre. Or, si les SMP ont essentiellement besoin d’armes individuelles, plus rarement d’ar­mes collectives, par exemple d’une mitrailleuse, c’est bien d’armes de guerre dont il s’agit. De plus, pour assurer une logistique et une maintenance correctes, cet arme­ment ne peut être disparate. Il doit répondre non seulement à la même catégorie, mais être uniforme en provenant de la même fabrication. Le pistolet mitrailleur Kalachnikov est l’exemple-type d’une arme mondialement répandue. Des déroga­tions à toutes les législations sont toujours possibles, mais difficiles à obtenir pour de grandes quantités d’armes, ce qui intéresse les SMP. Aussi sont-elles obligées de s’adresser au négoce clandestin des armes. Il y a alors, inévitablement possibilité de confusion entre la SMP et la société de négoce des armes, puisqu’elles sont étroite­ment tributaires l’une de l’autre, d’une part, et du même client, d’autre part, à qui elles vendent leurs services comme l’armement. Aussi, très souvent, une société as­surant des ventes d’armes a-t-elle un volet SMP et la réciproque est également vraie. Les bénéfices sont d’autant plus forts, à la mesure d’une rentabilité accrue.

 

Les SMP, en tant qu’entreprises rassemblant des mercenaires, renouent avec un système qui a connu de beaux jours dans l’antiquité et quelques réussites épiso-diques et fractionnelles au XVIème siècle, mais circonscrit aux riches républiques aristocratiques et marchandes italiennes. A la même époque, les autres Etats ne rejettent pas le mercenariat mais l’asservissent par des engagements individuels ; ils n’abdiquent pas leur pouvoir régalien.

 

L’ère des condottieri se terminera avec celle des républiques italiennes précitées qui n’ont d’autre finalité que leurs succès marchands. Le mercenariat lui-même, en général, disparaît au fur et à mesure que se développe et se raffermit l’Etat-nation. Aucun de ces deux faits n’est dû à un quelconque hasard historique : il y a relation de cause à effet.

 

Le mercenariat, sous la forme de son employeur, l’entreprise privée de guerre, réapparaît avec la fin de la guerre froide et en conséquence des conditions qui mar­quent le XXIème siècle commençant. Il y a affaiblissement de l’Etat-nation. Mais surtout les situations telles qu’elles prévalent en Irak et encore plus en Afrique sub­saharienne au début du XXIème siècle, rappellent celles particulières de l’Italie du Nord au XVIème siècle, toutes choses étant égales par ailleurs.

 

Il y a tout autant inexistence d’un Etat fort et, plus encore, émiettement de la puissance étatique au profit d’une série d’intérêts particuliers qu’ils soient claniques ou ethniques ou religieux ou autres…

 

Ces circonstances semblables conduisent non seulement à la création mais au développement des condottieri modernes, les sociétés militaires privées sur des terres d’élection qui sont autant de bouillons de culture, le golfe de Guinée et l’Irak. Et ces bouillons de culture dégagent la même odeur : celle du pétrole.

 

Reste à jauger le sort du mercenaire employé d’une SMP. Certes, il est très cor­rectement rémunéré quand il a un emploi, ce qui ne manque pas en ce début du XXIème siècle. Pour embrasser ce métier, il faut être quelque peu aventurier et ne pas trop se préoccuper de l’avenir. En effet, tout a un temps. Le mercenaire aventurier, en fin de carrière, ne bénéficie pas de pension de retraite. Comme tout aventurier, il n’a aucune propension à l’épargne, le besoin le guette. Mais surtout, ayant vécu en marginal, il risque de le rester et de connaître alors une solitude morale dont il aura du mal à sortir.

 

* Président de Démocraties.

 

 

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