Le Triangle nucléaire Europe Iran – Etats-Unis

le Professeur Pirouz MOJTAHED-ZADEH

Juillet 2005

Les ailes dures américaines et israéliennes affirment toujours qu’en cherchant à acquérir la technologie nucléaire, l’Iran veut développer des armes nucléaires et ce malgré ses énormes réserves en pétrole et en gaz. Même les plus avisés proclament que l’Iran peut facilement satisfaire ses besoins énergétiques, aujourd’hui comme dans un proche avenir, sans recourir aux sources nucléaires. Mais ils préfèrent ignorer que l’Iran paye déjà des sommes importantes pour s’approvisionner en carburant de Russie et continuer d’exporter son pétrole et son gaz pour gagner des devises.

La genèse d’une ambition nucléaire

D’abord, il est important de rappeler que l’histoire du nucléaire iranien est antérieure à l’avènement de l’actuel gouvernement islamique. Ce programme a été initié dans la moitié des années soixante-dix, quand le shah a révélé des projets d’acquisition de plusieurs centrales nucléaires en France, en Allemagne et aux Etats-Unis pour produire de l’électricité. Avec la bénédiction de Washington, l’Iran a décroché un contrat à une filiale de la compagnie allemande Siemens pour la construction de deux centrales d’une capacité de 1200 mégawatt à Bushehr, développés depuis par la Russie. En ce temps-là, les Etats-Unis ont encouragé l’Iran à élargir sa base énergétique hors hydrocarbures. Une étude de l’Institut de recherche de Stanford a conclu que l’Iran aurait besoin, pour le début des années 1990, d’une capacité électrique d’environ 20.000 mégawatts. Le premier noyau d’ingénieurs nucléaires iraniens a été formé au Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.). Dans cette perspective le projet définitif de l’accord nucléaire irano-américain est signé en juillet 1978 – quelques mois avant la révolution islamique.

L’accord stipulait, entre autres, la fourniture par les Américains de technologie et de matériel nucléaires ainsi qu’une aide en matière de prospection de gisements uranifères.

En second lieu, les besoins électriques actuels de l’Iran sont bien plus importantes que ce qui a été prévu. Avec une croissance annuelle de la demande en électricité de 6 à 8 % et d’une population estimée à 100 millions d’habitants d’ici à 2025, l’Iran ne peut pas compter exclusivement sur le pétrole et le gaz. L’industrie pétrolière, vieillissante par manque d’investissements étrangers imposé par les sanctions américaines, n’a même pas pu atteindre le niveau de production, 5,5 millions de barils par jour, atteint avant la Révolution. Sur les soixante gisements pétroliers principaux d’Iran, cinquante-sept ont besoin de réparations majeures, d’extension et de réinjection qui exigeraient 40 milliards de dollars sur 15 ans. Le niveau actuel de la production iranienne – 3,5 millions de barils par jour – correspond tout juste à la consommation intérieure, qui s’est accrue de plus de 280 % depuis 1979. Si cette tendance se confirme, l’Iran sera un importateur de pétrole d’ici 2010.Une catastrophe pour un pays dont 80 % des revenus en devises étrangères et 45 % du budget annuel proviennent de l’exportation de pétrole et de gaz (1).

Troisièmement, les adversaires du programme nucléaire iranien avancent souvent que l’Iran devra opter, par mesure d’efficacité économique, pour l’électricité des centrales à gaz. Un tel argument est également inadmissible. Les études des experts indiquent que la production d’électricité à partir de gaz (et de pétrole) est comparable à sa production avec l’énergie nucléaire -sans parler des effets nuisibles des émissions de carbone ou de la nécessité de préserver les réserves de gaz iranien pour placer l’Iran dans 20 ou 30 ans en tant qu’un des principaux fournisseurs de gaz pour l’Europe et l’Asie.

Quatrièmement, pourquoi l’Iran devrait-il épuiser ses sources non-renouvelables de pétrole et de gaz quand il peut, tout comme les Etats-Unis et la Russie, riches en énergies, recourir à l’énergie nucléaire renouvelable ?

Les réacteurs nucléaires ont leurs problèmes, et ils ne résoudront pas le manque chronique de l’Iran en électricité. Pourtant, ils représentent une première étape importante dans la diversification des sources énergétiques de l’Iran. Malheureusement, en raison de la crainte fortement démesurée d’une bombe iranienne, dans une atmosphère marquée par une forte iranophobie, l’axe américano-israélien a décidé de priver l’Iran de son droit légitime d’acquérir et d’user de l’énergie nucléaire et empêcher tout dialogue constructif avec Téhéran pour le décourager de développer sa technologie nucléaire. Dans ce sens, ils ont adopté comme stratégie de convaincre la communauté internationale du mauvais choix iranien, sans pour autant donner des preuves évidentes de son projet de produire des armes nucléaires. La violation par les Etats Unis des droits iraniens découlant du Traité de la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) a une longue histoire : des observateurs croient même que le « Président Clinton a violé les droits iraniens du TNP quand il a, entre autres, fait pression sur le Président Eltsine pour annuler la vente d’une usine russe d’enrichissement d’uranium à l’Iran » (2). Agissant au nom de l’Union européenne et pour l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les gouvernements de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne sont intervenus et ont déclaré que l’approche maladroite des Etats-Unis peut ne pas mener à une résolution pacifique de la crise ainsi née, et qu’ils adopteraient une nouvelle approche de dialogue avec l’Iran pour s’assurer que son programme nucléaire n’inclurait pas la fabrication d’armes. Ils ont transmis des messages promettant une coopération technique avec le programme nucléaire civil iranien en contrepartie d’une transparence totale dans ce domaine. Ce qui semble plus judicieux que l’approche coercitive des Américains qui cherchent à priver totalement l’Iran du savoir-faire nucléaire faisant fi de ses soucis énergétiques et sécuritaires.

L’Iran dans le projet américain du Grand Moyen-Orient

Accusant l’Iran de poursuivre un programme secret d’armes nucléaires, les Etats-Unis ont imposé aux fonctionnaires de l’AIEA une recherche étendue sur les emplacements suspectés en Iran. L’union européenne a également soutenu ces investigations et pendant que les Etats-Unis alléguaient que les Iraniens cachaient leurs installations de fabrication de(s) bombe(s) nucléaire(s) aux investigateurs de l’AIEA avant leur arrivée, l’UE défiait l’Iran de signer le protocole additionnel en 2003 donnant libre accès aux investigateurs internationaux à tous les sites dans le pays sans information ni permission préalables de l’Iran. Les Iraniens ont décidé de relever ce défi en signant le dit protocole, et les rapports des investigations suivantes de l’AIEA n’ont relevé aucune preuve évidente de production d’arme nucléaire de la part de l’Iran. Malgré le mécontentement des Etats-Unis pour les investigations impartiales de l’AIEA, les rapports et les menaces sur l’avenir de son directeur général le Dr El-Baradei, les rapports d’autres investigations tout au long des années 2003-2004 ont aussi blanchi l’Iran des fausses allégations. Non découragé par ces résultats, les Etats-Unis ont décidé d’intensifier leur campagne de diffamation contre l’Iran, mettant en cause sa fiabilité en raison d’une bourde commise lors dune vaine tentative de soustraction d’équipements de son industrie nucléaire qui ont été découvertes plus tard dans les provinces centrales. Sur cette question, non seulement Washington a décidé d’ignorer que les sites découverts étaient les parties intégrantes de ce qui a constitué le droit de l’Iran de développer des équipements d’énergie nucléaire, mais elle a également décidé d’ignorer le fait que les inspections de ces sites par l’AIEA n’ont fourni aucune preuve corroborant ses suspicions.

Par ailleurs, c’est sur la base de ces inspections et rapports effectués selon l’accord de Téhéran entre l’Iran et la troïka européenne, en 2003, que le conseil supérieur de l’AIEA a adopté des résolutions en 2004, dans lesquelles l’Iran s’engage pour un usage pacifique de l’énergie nucléaire (3).

Déçue par ces résultats de la médiation de l’AIEA, la machine de propagande américaine utilisa les médias occidentaux les plus influents pour cacher la vérité et conduire une campagne de désinformation réclamant la condamnation de l’Iran par le Conseil supérieur de l’AIEA à chaque fois qu’il y avait manque évident de preuves. Ces médias se désolent de tels sujets même quand l’AIEA se plaint que l’Iran n’a pas respecté les appels répétés du Conseil supérieur visant à suspendre, comme gage de confiance, toutes les activités d’enrichissement et de retraitement »(4).

Ils ignorent que l’Iran, comme toute autre nation signataire du TNP, ne peut pas être aux ordres des Etats-Unis, à travers leur représentation au Conseil supérieur de l’AIEA, afin de suspendre toutes ses activités d’enrichissement et de retraitements. Cette campagne de propagande a privé l’opinion publique internationale de savoir qu’en succombant à de telles demandes illégales, l’Iran aurait permis un dangereux précédent autorisant les grandes puissances à interférer dans les affaires internes des petites nations. En outre, l’Iran aurait abandonné sa propre indépendance s’agissant de l’utilisation de l’énergie nucléaire en devenant dépendant des autres pays pour son approvisionnement en énergie nucléaire. Tout cela mettrait en péril sa souveraineté nationale et son indépendance.

La Troïka européenne et l’asymétrie des négociations

Le fait que l’Iran ait accepté en novembre 2004 de suspendre temporairement ses activités d’enrichissement d’uranium constituait une mesure volontaire prise en accord avec les négociateurs de la troïka européenne afin de gagner la confiance de l’Union européenne et de l’AIEA. La troïka européenne a poursuivi les négociations dans une atmosphère quelque peu positive et malgré l’adoption d’une résolution négative par le Conseil supérieur de l’AIEA. Ses membres « ont essayé durement », selon les négociateurs iraniens, « de consulter la partie iranienne et s’abstenir de créer un grand fossé entre la résolution et l’Accord de Paris » (5).

Ces négociations se sont poursuivies avec l’espoir d’une issue honorable et pacifique jusqu’à la tournée européenne du Président américain du 20 au 23 février 2005 à la suite de laquelle le secrétaire d’Etat américain avait annoncé, le 10 mars 2005, la proximité des visions américaine et européenne sur la manière dont sont traitées les ambitions nucléaires de l’Iran. (6).

Durant cette tournée européenne, le Président Bush a donné des signaux d’apaisement sur ce dossier en exprimant son appui aux initiatives européennes tout en faisant des concessions à l’Iran en échange de sa coopération dans les négociations avec la troïka européenne.

Cette nouvelle offre a été rejetée par le Président iranien. Elle n’était pas suffisante à ses yeux, parce qu’elle était conditionnée, ce qui est inacceptable pour l’Iran, par l’abandon de son droit pour une industrie nucléaire.

Selon Golnaz Esfandiari, Radio Free Europe/Radio Liberty, sponsorisée par les Etats-Unis, avait déclaré en mars 2005 : « il y a environ une semaine ou deux, le négociateur iranien parlant de cette issue a employé cette phrase : « la nation ne nous permettra pas de faire une telle chose »… « des commentaires similaires sont apparus dans la presse disant que quiconque arrêterait définitivement la production d’uranium enrichi en Iran aurait commis une trahison » (7).

Contre l’offre de concessions modérées comme l’appui de la candidature de l’Iran à l’OMC et la levée des sanctions commerciales (ventes de pièces de rechange d’avions civils, etc.), le président des Etats-Unis a montré que son intérêt est de gagner le soutien de l’Union européenne afin d’envoyer le dossier du programme nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Washington veut obtenir une condamnation de l’Iran par le Conseil de sécurité sur la base des seules réclamations exagérées d’Israël. À cet effet, tout en admettant qu’ils ne détiennent aucune information détaillée au sujet des activités nucléaires iraniennes, les dirigeants américains continuent d’ignorer les informations fournies officiellement par l’AIEA qui blanchissent l’Iran de toute activité suspecte.

Les autorités américaines sont finalement parvenues, en mars 2005, à obliger les Européens à ignorer les efforts de l’Iran pour établir la confiance par la coopération avec l’AIEA, en signant le protocole additionnel pour des contrôles impromptus sur les sites nucléaires, et en mettant un arrêt volontaire au processus d’enrichissement de l’uranium comme mesure additionnelle dans le rétablissement de la confiance. En outre, face au durcissement de l’attitude américaine, l’Iran s’est préparé à donner n’importe quelle garantie dans le cadre du TNP pour montrer qu’il ne cherche pas à développer la bombe atomique. Il a demandé en retour des garanties aux gouvernements occidentaux pour reconnaître le droit d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire comme il est stipulé dans le TNP et de lui fournir des informations nécessaires. Ceci a naturellement été rejeté par Washington. Le département d’Etat américain a également rejeté, le 22 mars dernier, les recommandations du Dr El-Baradei proposant des garanties de sécurité à l’Iran. Les autorités américaines ont également rejeté la suggestion européenne de rejoindre les négociations avec l’Iran et montré ainsi qu’il ne sont pas intéressés par un règlement pacifique de la crise et cherche seulement des moyens de porter le dossier devant le Conseil de sécurité pour infliger davantage de sanctions inhumaines contre le peuple iranien.

Le 11 mars 2005, la troïka européenne avait annoncé qu’elle se joignait aux efforts américains pour soumettre le dossier iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. L’observateur peut comprendre par-là que cette annonce devra augmenter la pression sur l’Iran pour abandonner son droit à l’usage pacifique de l’énergie nucléaire. Quelle réponse aura l’observateur à propos de l’appui de l’Union européenne à la revendication illégitime d’Abu Dhabi sur les îles iraniennes et contre l’intégrité territoriale nationale de l’Iran. C’est également une mesure de pression sur l’Iran, afin de céder aux demandes américaines, car, les Européens ne se seraient-ils pas joints à cette demande illégale, et d’internationaliser cette question, en mai 2005, lorsque le Secrétaire général de l’ONU, ajouta au règlement de la revendication territoriale d’Abu Dhabi, le plan euro-américain du nucléaire iranien pour les soumettre conjointement au Conseil de sécurité ?

Il est notable que simultanément à ces développements, des membres pro-israéliens du congrès américain ont soutenu ouvertement les activités politiques de l’organisation anti-iranienne des moudjahiddins du peuple iranien (OMPI), à la mi-avril 2005 bien qu’elle fasse partie de l’une des 27 organisations terroristes à éradiquer dans le monde établie par le gouvernement américain.

Les ministres du conseil conjoint de l’Union européenne et du Conseil de coopération du Golfe (UE-CCG) ont publié de nouveau un communiqué, le 5 avril 2005, qui dans son paragraphe 6.1.4 légitime la revendication illégitime d’Abu Dhabi sur les îles iraniennes. Le ministre des affaires étrangères canadien a officiellement rencontré le chef d’un autre groupe de terroristes anti-iraniens qui était derrière les récents troubles des villes arabes de la province de Khûzistân : un petit groupe de terroriste créé par Saddam Hussein la première année de sa guerre contre l’Iran (1980) lors de l’occupation de l’ambassade iranienne à Londres.

Le département d’Etat américain s’est également exprimé dans les termes les plus virulents, en avril dernier, pour dénoncer la riposte iranienne au démantèlement du groupe terroriste au Khûzistân et en la présentant comme un acte irrespectueux envers les droits des peuples arabes.

De même, le commandement centrale de l’armée américaine a officiellement remplacé le nom historique du golfe Persique dans ses communications par une fausse dénomination qui a été fabriquée par Saddam Hussein pour des raisons racistes et anti-iraniennes et qui est maintenant promue par les cheiks d’Abu Dhabi et du Qatar, sachant bien que cette action illégale blessera les sentiments nationaux de tous les Iraniens. La question finale est de savoir si l’Union européenne considère tout cela, ainsi que ses efforts communs avec les Etats-Unis, pour soumettre le dossier iranien devant le Conseil de sécurité comme des solutions isolées et séparées l’une de l’autre, ou s’agit-il des facettes d’une même conspiration contre l’Iran comme pays et comme nation ? Traduit de l’anglais : Y.H. TEKFA

* Pirouz MOJTAHED-ZADEH, est Professeur de Géopolitique à l’Université de Tarbiat Modares à Téhéran, et directeur d’EUROSEVIC Fondation de

Londres.

Note

  1. Pirouz Mojtahed-Zadeh and co-editor Kaveh L. Afrasiabi, Iran Needs
    Nuclear Power, International Herald tribune, 14 Octobre 2003.
  2. Dr. James Gordon Prather, Nuclear weapons physicist, Badgering the
    NPT, Anti War, May 9, 2005, gprather@worldnetdaily.com
  3. The Echo of Iran, No. 188, March 6- April 15, 2005, page 11.

4 IAEA – Iran resolution, full text of resolution adopted by International Atomic Energy Agency on Iran, le 18 Septembre 2004.

  1. Dr. Hassan Rohani, Peaceful Nuclear Activity and Our Constructive
    Interaction with the World, National Interest, Vol. 1, No. 1, Tehran, Hiver

2005, p. 2.

  1. Golnaz Esfandiari, Reports say US-Europeans Agree on Joint Nuclear
    Strategy, Radio Free Europe/Radio Liberty, 11 mars 2005.
  2. Ibid.
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