L’économie tunisienne : de bonnes performances mais le plus dur reste à faire

Par : Thirry Coville

Economiste au Centre d’Observation économique de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris

Avril 2001

L’économie tunisienne est caractérisée depuis quelques années par un environnement macro­économique très favorable qui résulte d’une politique économique prudente et d’une libéralisation graduelle de l’économie. La croissance est restée forte en 2000 avec une hausse du PIB de 5 % contre 6.2 % en 1999. Cette performance a été obtenue en dépit d’une pluviométrie insuffisante qui a conduit à un recul de la production agricole l’année dernière (- 1 % en volume). On peut remarquer que la Tunisie bénéficie depuis quelques années d’une progression soutenue et régulière du PIB qui a enregistré une hausse moyenne de 6,1 % durant la période 1995-2000.

L’activité a été soutenue l’année dernière par une demande dynamique en provenance de la zone euro. Les exportations de produits manufacturés ont ainsi enregistré une accélération en 2000 (+10,6 %) par rapport à 1999 (+4,3 %). Les ventes à l’étranger des industries électriques se sont notamment révélées particulièrement dynamiques. Les exportations tunisiennes ont été également soutenues par la politique de change de la banque centrale. Face à l’affaiblissement de l’euro sur les marchés de change, les autorités monétaires ont pratiqué une politique de change visant à une légère dépréciation du dinar par rapport à l’euro en 2000 (la monnaie tunisienne se dépréciant 1,6 % par rapport à la monnaie unique en 2000), ce qui a conduit à une très nette dépréciation du dinar par rapport au dollar durant la même période (-11,1 %). Au total, le taux de change effectif du dinar en termes réels s’est déprécié de 1 % en 2000 par rapport à 1999. De plus, les recettes liées au tourisme ont continué de progresser de manière soutenue en 2000 (+6,6 % sur 11 mois en glissement annuel) quoique à un rythme très ralenti par rapport à 1999 (+14,4 %). Par ailleurs, la consommation des ménages est restée dynamique avec une hausse en volume de 5,4 % en 2000, soit un rythme proche de celui de 1999 (+5,9 %). La consommation des ménages tunisiens est portée par de fortes créations d’emplois (+2,6 % en moyenne annuelle durant la période 1996-2000).

Le dynamisme de l’économie s’accompagne d’une stabilité de l’environnement macro­économique. L’inflation reste modérée avec une hausse de 3 % des prix en 2000, soit un rythme proche de celui de 1999 (+2,7 %). Ces bons résultats en termes d’inflation sont liés à une politique monétaire restrictive, la Banque Centrale de Tunisie qui avait assoupli sa politique monétaire début 1999, a, depuis, maintenu ses taux directeurs stables. La politique monétaire est donc restée relativement restrictive avec un taux du marché monétaire proche de 2,9 % en termes réels en 2000. La Tunisie bénéficie du fait qu’elle n’a pas libéralisé les mouvements de capitaux à court terme, ce qui lui permet d’avoir une politique monétaire qui se concentre sur l’environnement économique interne. De plus, du fait de rentrées fiscales supplémentaires liées à des opérations de privatisation, le déficit public a été ramené de 2,3 % du PIB en 1999 à 1,6 % du PIB en 2000. Le seul véritable point noir dans l’environnement macro-économique tunisien est le déficit quasiment structurel des échanges extérieurs. La situation dans ce domaine s’est même aggravée en 2000, le déficit de la balance courante passant de 2,5 % du PIB en 1999 à 3,2 % du PIB en 2000. Cette détérioration s’explique notamment par l’augmentation des importations de produits agricoles (du fait de la sécheresse), la hausse du prix de pétrole (la Tunisie étant importateur net d’hydrocarbures) et par la moindre croissance des recettes touristiques.

Pour 2001, les performances d’ensemble de l’économie tunisienne devraient se maintenir. L’activité devrait rester bien orientée. Cependant, il est probable que la croissance sera affectée par la modération de la demande en provenance d’Europe. Par ailleurs, la politique macro-économique devrait garder son caractère prudent, ce qui devrait permettre à l’inflation de rester faible.

Toutefois, cette situation économique enviable ne doit pas faire oublier que des incertitudes subsistent dans le domaine des réformes structurelles. Le gouvernement tunisien s’est engagé depuis quelques années dans un processus de libéralisation graduelle de son économie. Cette politique a en fait reposé sur la mise en place progressive d’une situation de libre-échange avec la signature d’un Accord d’Association avec l’Union européenne en 1995. Cet accord prévoit une très forte libéralisation du commerce extérieur, une coopération accrue dans les domaines financiers et techniques, et une collaboration étroite dans de nombreux domaines culturels et politiques. Cet accord conduira à la mise en place d’une zone de libre-échange dans douze ans. Ceci signifie notamment que la Tunisie devra supprimer durant cette période toutes ses barrières tarifaires et non tarifaires. D’ailleurs, un certain nombre de restrictions quantitatives et de tarifs sur les importations ont été supprimés dès la signature de l’accord. Cet accord de libre-échange implique aussi d’éliminer les pratiques qui conduisent à des distorsions dans les échanges entre les deux zones. Ceci signifie pour la Tunisie la fin des monopoles, des subventions publiques ou de l’appui accordé aux entreprises publiques.

La Tunisie s’est clairement engagée dans la mise en place de cet accord en commençant à démanteler son dispositif de protection tarifaire, en lançant des privatisations, en ouvrant l’économie à l’investissement étranger, et en lançant des grandes réformes structurelles : mise à niveau de l’industrie pour améliorer sa compétitivité, restructuration du système bancaire, début de refonte du système fiscal, etc. Pour l’instant, cette libéralisation graduelle de l’économie s’est accompagnée d’une grande stabilité de l’environnement macro-économique et d’une activité soutenue. Néanmoins, la poursuite de la politique de libéralisation économique va exiger d’amples réformes structurelles qui seront difficiles à mettre en place tout en portant en elles les germes de possibles tensions sociales. On abordera dans cet article deux grands chantiers qui sont la mise à niveau de l’industrie et les réformes fiscales.

La mise à niveau de l’industrie.

Ayant été la première des pays du Maghreb à présenter sa candidature à être admise, la Tunisie s’est lancée dans cette politique de mise à niveau de son industrie. Huit cent entreprises se sont engagées dans ce programme et, à la fin de 1999, près de trois cent cinquante l’avaient réalisée. Parallèlement, un programme de privatisations a été lancé en 1999-2000 avec la privatisation de trois grandes cimenteries. Par ailleurs, la Tunisie veut améliorer la compétitivité de son économie en diminuant ses barrières à l’importation. On a déjà mentionné l’accord de libre-échange signé avec l’UE mais il existe également des accords similaires passés avec l’Algérie, le Maroc, l’Egypte et d’autres pays arabes. Enfin, la Tunisie a légèrement baissé le niveau moyen de ses droits de douane (qui demeurent toutefois très élevés). Toutefois, ce processus de mise à niveau est-il réaliste ? Que veut dire exactement mise à niveau ? Cette statement renvoie-t-elle à des critères bien définis ou à un système de conditionnalités inspiré par celles du FMI ? A ces interrogations de fond, on répond par les méthodes habituelles : modernisation des outils de production, réduction des masses salariales, informatisation de la gestion, etc. Or, de telles mesures conduiraient dans un premier temps à des licenciements. Or, la Tunisie a un taux de chômage déjà élevé situé à 15,5 % en 2000 qui frappe particulièrement les jeunes (le taux de chômage est de 31 % pour les 20-24 ans). Une augmentation du chômage pourrait donc conduire à de fortes tensions sociales. L’argument généralement employé face à ce type de critique est d’avancer que ces réformes permettront justement le développement d’un secteur privé compétitif propre à créer des emplois. Or, une telle évolution n’est pas, dans le cas, certaine pour plusieurs raisons. L’objectif est en effet de créer un secteur privé capable de supporter la concurrence des pays européens. Or, cela est-il possible ? Supposons que l’objectif soit donc la mise au niveau des entreprises européennes. Il en résulterait que la majorité des entreprises tunisiennes seraient incapables d’y parvenir, même en opérant des regroupements, même en dix ou quinze ans et qu’elles seraient « liquidées ». Cela se constate déjà. Et même si l’on fait l’hypothèse qu’au jour de leur entrée dans la zone de libre-échange, les entreprises tunisiennes auront réalisé le tour de force d’être au niveau des entreprises européennes de 1995 (date du début de l’accord), ces dernières auront à ce moment là évolué vers la post-industrialisation et vécu des dérégulations qui ont mis à mal certaines activités (construction maritime, métallurgie lourde, BTP, etc.) mais qui ont permis à d’autres (industries de pointe, services) de se développer. En outre, les entreprise européennes, contrairement aux entreprises tunisiennes, bénéficient d’un espace multinational européen (qui déborde les limites de l’UE) et non européen. La mise à niveau risque donc de ressembler à une course où la ligne d’arrivée est sans arrêt reculée, ce qui peut conduire à l’épuisement progressif du coureur …

La restructuration du système fiscal

Les droits de douane représentant un poste important des recettes budgétaires de l’Etat (20 % environ à la signature de l’accord de libre-échange en 1995), leur réduction progressive va poser la question de leur remplacement par d’autres recettes. Ces recettes sont d’autant plus nécessaires que la libéralisation du système économique va conduire à une hausse globale des dépenses budgétaires : hausse des dépenses de transfert (allocation chômage, préretraites, extension de la couverture médicale de base, etc.) et des dépenses d’investissement (notamment pour moderniser l’appareil administratif). Il est donc indispensable que le gouvernement tunisien engage une remise à plat du système fiscal. Ces réformes ont déjà été engagées puisqu’un nouveau code fiscal visant notamment à obtenir une plus grande transparence des transactions fiscales sera mis en place dès 2002. Mais des réformes plus approfondies seront nécessaires. Le Fonds Monétaire International a ainsi suggéré plusieurs pistes : élargissement de la base imposable, suppression des subventions sur les produits alimentaires (à destination principalement de la classe moyenne), diminution de la masse salariale de la fonction publique, etc. Or, il faut noter que si de telles mesures semblent aller dans le sens d’une refonte et d’une modernisation du système fiscal, leur mise en œuvre peut aussi conduire à remettre en cause le consensus social et politique dans le pays. En clair et en simplifiant à l’extrême, la population ou une partie d’entre elle a pu accepter une certaine limitation de ses libertés politiques en échange d’avantages fiscaux. Une mise à plat du système fiscal menacerait donc éventuellement cet équilibre.

On voit bien que ce qui est maintenant en jeu est la capacité du système politique et économique et social tunisien à supporter une poursuite de la libéralisation économique. Dans tous les cas, une poursuite du processus actuel exigera sans doute une définition peut-être plus précise des objectifs économiques que le gouvernement entend atteindre.

Article précédentRecomposition géostratégique au Moyen-Orient
Article suivantMaroc – Entre continuité & changement

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.