Les armes de destruction massive syriennes : composantes de la guerre froide, danger dans la guerre civile

Nicolas TENEZ

Docteur en Science Politique attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’université Toulouse Capitole, membre du Groupe de Recherche Sécurité et Gouvernance. Publication sur les arsenaux non-conventionnels dans le monde, les boucliers antimissiles israélo-américains, les «printemps arabes».

3eme trimestre 2012

La Syrie, connue dès La Guerre Froide pour posséder un arsenal biochimique et des velléités de développer un programme atomique, est confrontée à la pire guerre civile de son histoire. La question se pose, après les efforts de contre-prolifération de son ennemi israélien, sur ses capaci­tés et son intention d’employer ses potentialités non-conventionnelles pour protéger la dynastie vacillante des Assad.

Syria, known, from the Cold War time, to possess an arsenal of biochemical weapons and for its incli­nation to develop a nuclear program, is facing the worst civil war in its history. The question is, after Israel’s efforts against proliferation, on syrian capabilities and its intention to use nonconventional potential to protect the shaky Assad dynasty.

En relations internationales, la convergence des variables Grand Moyen Orient[1] d’un côté, et prolifération des armes de destruction massives (ADM) de l’autre, génèrent souvent des analyses anxiogènes. Depuis 1948, la poudrière du Moyen-Orient s’est complexifiée avec le conflit israélo-palestinien, la Guerre Froide et la guerre contre le terrorisme. Dans ce contexte, plusieurs pays de le région (Algérie, Egypte, Israël, Irak, Iran, Libye et Pakistan) ont développé des programmes de recherche en armes NBC. Ce continuum incite la Syrie à entamer les siens. En effet, la Syrie s’est dotée, grâce au reverse engineering russe, iranien, nord-coréen et chinois notamment, d’un arsenal non conventionnel composé des missiles balistiques et d’infrastructures permettant de développer des ADM.

L’ONU reconnaît les ADM comme des armes «conçues pour tuer une grande quantité de personnes, en visant aussi bien les civils que les militaires. Ces armes ne sont en général pas utilisées sur un objectif très précis, mais plutôt sur une zone étendue d’un rayon dépassant le kilomètre, avec des effets dévastateurs sur les personnes, l’infras­tructure et l’environnement»[2]. Elles rassemblent les armes chimiques (sarin, tabun, ypérite, VX, défoliants, poisons), les armes bactériologiques (catégories A [variole, pestes, anthrax, toxines botuliques, fièvres virales hémorragiques, tularémie]; et B [ricine, bruxellose, fièvre du queensland, gangrène gazeuse, morve et entérotoxine B staphylococcique][3] et les engins nucléaires (bombe A, H et à neutron) et radiolo-giques (c’est-à-dire avec des substances radioactives). Elles ne peuvent être étudiées sans leurs vecteurs principaux que sont les missiles balistiques.

Cependant, si les ADM sont conçues par essence contre des armées étatiques, elles peuvent aussi être déployées contre des forces d’oppositions intérieures. Pour rappel, dans les années 1980 et en 1991, l’Irak en use contre les rebelles chiites et kurdes. Or, depuis le 15 mars 2011, la Syrie connaît une guerre civile sans précédent, opposant les partisans du triumvirat Assef Chawkat, Maher et Bachar El-Assad et leurs alliés druzes, alaouites et chrétiens, à une coalition composée d’opposants politiques majoritairement sunnites, de déserteurs de l’armée et de djihadistes épaulés par l’Occident, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Fin juillet, près de 20 000 syriens étaient déjà tombés. S’interroger sur les rapports entre les ADM syriennes et la guerre civile qui l’affecte n’est pas donc pas hors sujet. Car quelques principaux foyers de contestation abritent une grande partie de l’infrastructure NBC (Homs, Hama, Damas et Dair Alzour), ce qui explique l’acharnement que déploient les forces gouvernementales à les défendre. Le 17 juillet 2012, l’ancien ambassadeur syrien en Irak, Nawaf Farès, affirme qu’Assad n’hésitera pas à employer ses armes chimiques, afin de conserver son pouvoir. La propagande rappelle que le poison, l’arme de prédilection des haschischins[4] appartient à la culture nationale.

Cette crainte apparaît justifiée lorsqu’on constate que l’armée syrienne use de tous les expédients pour mâter la rébellion?

Dès lors, les forces gouvernementales peuvent-elles, se laisser tenter par cette solution extrême, et en ont-elles les moyens après des années d’embargo, d’inspections de l’AIEA et surtout les opérations de contre-prolifération israéliennes. Cet article analyse chronologiquement le développement des ADM syriennes, avant et pendant la Guerre contre le Terrorisme afin d’opérer une mise au point sur un arsenal réel ou supposé.

  1. Les ADM syriennes avant le 11 septembre : Un héritage de la guerre Froide

1.1 Des ADM pour se protéger d’un environnement de plus en plus hostile

La Syrie, devenue indépendante en 1945, prend dès 1956 le parti de Moscou face à Israël soutenu par Washington. Après une série de coups d’État, le pays majo­ritairement sunnite, voit l’alaouite Hafez El-Assad prendre le pouvoir. Face à l’en­nemi israélien. S’il confirme l’alliance avec le Kremlin, historiquement protecteur des chrétiens d’Orient, celui que Kissinger qualifie de « meilleur cerveau analytique du monde arabe »[5] pilote son pays avec ruse entre les deux blocs. Damas souhaite être indépendante dans certains de ses choix, ses relations à géométrie variable, avec son voisinage, le prouvent.

Au sud, Israël reste le principal ennemi. La Syrie demeure le seul État à avoir toujours été en guerre avec lui depuis 1948, refusant de signer la paix, au moins tant que le plateau du Golan, hauteurs stratégiques et aquifères, ne lui sera pas rétro­cédé. Les deux États s’affrontent à la fois en guerre ouverte (1948, 1967, 1973), en guerre d’attrition entre ces conflits, et par pays interposés (Guerres du Liban, aide au Hezbollah et au Hamas). Le pays du Cèdre devient le champ de bataille idéal entre Syriens et Israéliens qui en profitent pour se le partager, notamment lors des Accords de Taëf en 1989. L’État hébreu possède l’arme nucléaire et de quoi conce­voir des armes biochimiques, ce qui pousse la Syrie à persévérer dans ce domaine.

À l’Est, l’Irak, bien que dirigé par le parti Baas et soutenu notamment par l’URSS, demeure toutefois un frère ennemi. Damas, craignant un Irak trop entre­prenant, y interrompt ses relations diplomatiques dès septembre 1980. Un an et demi plus tard, elle interdit à l’Irak d’exporter son pétrole à travers ses propres ports, soit 40% de ses recettes, et soutient Téhéran contre Bagdad. L’Irak s’engage égale­ment dans la voie des ADM et utilise ses armes chimiques contre l’Iran. Craignant se subir le même sort, Damas s’y prépare et participe à l’opération Tempête du désert en 1991 contre Bagdad.

Au sud-ouest, l’allié égyptien est rapidement considéré comme une puissance militaire incapable de se battre efficacement contre Israël. Lorsque le Caire signe la paix et abandonne son programme dissuasif lors des accords de camp David en 1979, Damas réduit ses relations diplomatiques et se saisit de l’occasion pour deve­nir le leader du monde arabe, le pays devenant de facto le principal ennemi d’Israël. Au sud-est, la Jordanie, qui signe la paix avec Israël en 1994, est en mauvais termes avec la Syrie, dont la cellule locale du parti Bass tentera d’y fomenter des coups d’État. Ses forces militaires conventionnelles ne sont pas négligeables, mais elle n’est pas intéressée par les ADM. Au nord enfin, la Turquie, qui accueille sur son sol des forces américaines, dont des bombardiers nucléaires, est historiquement oppo­sée à la Syrie, sur la question Kurdes et le partage des eaux fluviales notamment. Toutefois, en 2003, la Turquie alliée d’Israël débute un rapprochement avec la Syrie pour gérer les problèmes communs, entente remise en cause par la dernière affaire de l’avion turc abattu par la DCA syrienne.

Washington entretient avec la Syrie des relations conjoncturelles, cherchant parfois à l’éloigner de Moscou. Les États-Unis (EU) s’efforcent de ménager cet allié de Moscou, parce que Damas demeure un intermédiaire de poids, apte à apporter des réponses à quelques-unes des questions d’orient compliquées. Si Hafez El-Assad renforce son alliance avec l’Union Soviétique en 1982, le rôle trouble de la Syrie au Liban et l’envoie de 30 000 soldats combattre l’Irak en 1991 explique la politique ambiguë de Washington à son égard. Au début de l’année 2000, le président Bachar El Assad, succédant à son père Hafez, est présentée comme sensible aux revendica­tions du printemps de Damas. Mais les espoirs s’étiolent rapidement. Bachar, bien qu’ayant timidement ouvert son pays, reprend les impératifs stratégiques de son père et reste soumis aux caciques du régime, à l’armée et au Moukhabarat.

I.2 Construire une infrastructure de recherche nucléaire sous l’égide de l’AIEA

Jusqu’à présent, l’Egypte devait, selon un accord tacite avec Moscou, dévelop­per une dissuasion nucléaire pour le monde arabe pro-soviétique. Damas amorce un programme nucléaire avec retard, en 1969, à la suite de la décision de l’Egypte de ralentir, puis geler le sien. À mesure que Sadate s’éloigne de l’URSS, Moscou se reporte sur la Syrie dans ce domaine en échange de la mise à disposition de la base navale de Lattaquié[6]. Mais il lui faut construire des infrastructures civiles et former des techniciens dont manque la Syrie. Aussi, afin d’obtenir une aide de l’AIEA, à la­quelle elle adhère le 6 juin 1963, Damas ratifie le Traité de Non Prolifération (TNP) le 5 mars 1970 (elle ne s’est pas à jour sur l’intégralité des protocoles annexes[7]). En juin 1976, pour diversifier ses approvisionnements, Assad passe un accord nucléaire avec la France en vue de la construction d’un réacteur expérimental[8]. Il est inauguré avec la Syrian Arab Republic Atomic Energy Commission (AECS à Kafar Soussa, Damas) en 1986 et soumis à l’inspection de l’AIEA. Le réacteur peut enrichir de l’uranium, mais le territoire en manque[9]. L’aide soviétique est alors sollicité.

En couverture du programme civil, la Syrie ne se prive pas de se constituer un arsenal balistique pour, à termes, vectoriser des têtes NRBC. L’Union sovié­tique y pourvoit en livrant des missiles de théâtre Frog dès la fin des années 1960, des Scud-B et des SS-21, puis elle reçoit des Scud-C nord-coréens et iraniens. Les Scud-B peuvent délivrer près d’une tonne de produits chimiques à 310 kilomètres, de quoi couvrir tout l’État hébreu. Les premiers sont tirés contre Israël au cours de la guerre du Kippour, mais à têtes conventionnelles. Il s’agit de prendre pour cible les aérodromes militaires sans qui la puissance conventionnelle israélienne serait compromise. En 1989, Pékin vend une vingtaine de missile M9 d’une portée de 800 kilomètres. Cependant, Damas est incapable, pour l’instant, de produire ses propres missiles et surtout de miniaturiser des têtes NRBC.

Mais l’effondrement du Pacte de Varsovie affecte grandement la Syrie puisque ce principal fournisseur réduit ses exportations. Dans les années 1990, contraire­ment aux scenarii apocalyptiques, l’heure est à la déprolifération: Afrique du Sud, Brésil et Argentine, Asie Centrale, Irak, etc. Seul la Corée du Nord confirme la règle par l’exception. Aussi, la Syrie décide de ne pas militariser son programme civil, pour éviter de subir le même sort que l’Irak. En 1991, des négociations sur un petit réacteur chinois débute, sous le contrôle de l’AIEA. Le Miniature Neutron Source reactor, finalement acquis en 1998 à Marj as-Sultan, (Der Al-Hadjar Nuclear Research Center à Damas)[10] est une copie des installations canadiennes Slowpoke, censé limiter les dérives militaires, car bridé à 30 kilowatts, même s’il fonctionne avec de l’uranium hautement enrichi[11]. Néanmoins, le fait qu’il ait été vendu aussi au Pakistan et à l’Iran, et qu’il soit aisé de le trafiquer, ne rassure pas Israël. De plus, en secret, Ibrahim Othman, chef de l’AECS, contacte dès 1992 son homologue nord-coréen, Chon Chibu, pour étudier la militarisation du programme. En 1993, le Center for Nonproliferation Studies de Monterey révèle que la Namibie livre à Damas de l’uranium. Enfin, en 1998, Israël informe qu’en plus de solliciter nombre de pays en la matière, la Syrie aurait accueilli ceux des techniciens irakiens au chô­mage forcé. Pire: Israël estime que le Pakistan ferait de la Syrie un intermédiaire pour exporter vers l’Iran[12]. Mais on soupçonne Israël et les néocons américains d’exa­gération en vue de légitimer une opération future, car tout semble à l’époque sous contrôle. Ainsi, une usine pilote de purification d’acide phosphorique est érigée en 1997 à Homs avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement et de l’AIEA.

Si les Israéliens s’inquiètent, c’est davantage à cause de l’impressionnant parc de missiles syriens. Et l’initiative ne peut que répondre à des ambitions non-conven­tionnelles ambitieuses. Mais la Syrie se concentre sur l’importation de technologies balistiques de partenaires désormais moins regardant que la Russie qu’elle modifie in situ. De fin 1990 à 1992, la Corée du Nord y livre 250 Scud-C. En 1999, Jane’s intelligence révèle que Damas conçoit avec Pyongyang une usine pour concevoir trois Scud par an, testés à 15 km au sud d’Homs et de Cerin. L’infrastructure balis­tique principale reste la base d’Alep avec 3 ou 4 brigades de 60 lanceurs mobiles. À Hama, on conçoit le carburant, tandis qu’à Damas seraient fabriqués 30 Scud-C par an. En foi de quoi, en octobre 2000, selon toute vraisemblance, la Syrie possède tou­jours 200 SS-21 (portée 100 km), 60 à 150 Scud-C (600 km) ainsi que 200 Scud-B, répartis sur 26 sites. Un nouveau Scud-D est testé le 23 septembre d’une portée de 700 km. Le commandant en chef de Tsahal précise en février 2000 que la Syrie possède « plus de 800 missiles balistiques de toutes sortes »[13], soit 26 lanceurs pour 3 à 400 Scud-B et C et des CSS-6 construit avec Pékin, Pyongyang et Téhéran.

I.3 Privilégier le biochimique dans l’urgence: une technologie mal maîtrisée ?

De l’avis d’experts israéliens, la Syrie possède dans les années 1990 l’arsenal chimique le plus important et le plus moderne de tout le Moyen-Orient. À l’ori­gine, le pays dépend d’approvisionnements étrangers comme lorsque l’Égypte et l’URSS, juste avant la guerre du Kippour, lui en fournissent en secret. Damas com­mence seulement à en concevoir dans les années 1980 sur les sites de Furqlus, Khan Abu Shamat[14], du Scientific Studies and Research Center de Damas, du Syrian Center for Marine Research de Lattaquié et de Cerin. Le pays comprend que cette «dissua­sion du pauvre» risquera moins de déclencher une action armée de ses ennemis. Toutefois, Damas signe, sans la ratifier, la Convention sur les armes bactériologiques et les toxines le 14 avril 1972[15]. D’ailleurs, les EU s’en accommodent pour ne pas empiéter comme en témoigne un rapport du Pentagone en novembre 1977 : « La Syrie se livre à la mise au point d’armes bactériologiques. Elle dispose probablement d’une infrastructure biotechnique adéquate à l’appui d’un programme de guerre bac­tériologique restreint, bien que les Syriens n’aient probablement pas amorcé de travaux d’armement ou d’essais liés à la guerre bactériologique. Sans aide étrangère importante, la Syrie ne pourra probablement pas procéder à la fabrication de quantités importantes d’armes bactériologiques avant plusieurs années »»[16].

En 1984, la Syrie accélère la production de VX et de sarin grâce à des firmes française (aide « pharmaceutique »» jusqu’en 1986 et d’une aide pour la « défense » jusqu’en 1992), suisse, australienne (jusqu’en 1991), italienne, britannique (jusqu’en 1992), néerlandaise, autrichienne et ouest-allemande pour les vectoriser sur des bombardiers Su-22, Su-24, Mig-23, dans des obus d’artillerie et conce­voir des combinaisons de protection[17]. En 1989, le Département d’État américain estime que l’arsenal syrien est plus important que celui de l’Irak. Seulement voilà, face au déclin soviétique, Damas s’est rapprochée des EU. Aussi l’ancien directeur de la CIA, William Webster affirme devant le Congrès que le programme syrien est « quite closely held». En 1990, Xintelligence assessment s’inquiète tout de même de

 

la militarisation de 500 kilos d’anthrax, de choléra et de toxine botulinique pour Scud-B et C[18].

Par ailleurs, face à la déprolifération nucléaire des années 1990, la Syrie privilé­gie en compensation le biochimique. Ainsi, en avril 1993, en pleine négociation sur la convention sur les armes chimiques (CAC), elle est prise en flagrant délit de col­laboration balistique avec la Chine pour transporter des charges biochimiques. Si le SVR russe soutient qu’il n’existe aucune information fiable prouvant l’existence d’armes bactériologiques offensives à cause du manque de savoir-faire local (afin de dissimuler l’aide russe), le service reconnaît que 100 à 200 Scud-B et 60 Scud-C et D seraient équipés de têtes chimiques. En 1995, le général Anatoly Kuntsevich, supervisant le désarmement chimique de la Russie, est démissionné en raison des suspicions pesant sur son éventuelle collaboration avec Damas autour du VX33 avec l’aide du responsable du département chimique, le général Pikalov[19]. En avril 1997, alors que la Syrie, refuse de signer la CAC, le quotidien Haaretz prétend que 120 missiles chimiques aurait été vendus par la Russie[20], ce qui fait dire au ministre des Affaires Étrangères israélien, David Levy, qu’il n’exclue pas de répliquer par la menace nucléaire.

Mais la Syrie maîtrise t-elle vraiment sa technologie? Le 7 août 1997, l’armée déploie des armes chimiques lors de manœuvres dissuasives près du Golan. La mau­vaise maîtrise du matériel cause la mort accidentelle de trois soldats[21]. Dix ans plus tard, le 26 juillet, une explosion de gaz moutarde survenue lors d’un exercice, tue 15 soldats, dont plusieurs ressortissants iraniens. En novembre 1997, l’US Arms Control and Disarmament Agency accuse le pays de menacer Israël avec 150 Scud et des milliers d’obus à têtes biochimiques[22]. En mai 1998 des Scud-C au VX sont testés. Le ministre syrien de la Défense, Mustapha Talas, s’en explique en 2000, déclarant qu’Israël possède des armes biochimiques, ce qui légitime le programme syrien et des autres pays de la région[23]. Début 2000, Damas produit quelques trente

 

charges biochimiques par an[24], à partir du travail de 26 sites[25]. C’est de l’un d’eux, à Alep, que le 1er juin, un Scud-B chargé de têtes chimiques est testé avec succès depuis Alep, et chute près de la frontière israélienne après un vol de 300 km, mais la précision est très aléatoire. On ne sait qui commande l’unité spéciale en armement biochimique, peut-être la garde prétorienne, dirigé par le frère cadet du président, Maher.

  1. de la guerre contre le terrorisme au « printemps arabes » : une déproliferation par la force

2.1 Des inquiétudes proliférantes sur le « chemin de Damas » : le biochimique comme couverture du programme nucléaire

Après l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush, la Syrie redevient un État paria, sans appartenir ni à la liste des Rogue States (pays accusés de développer des ADM et de soutenir le terrorisme), ni à celle des States of concern ni à l’axe du mal ni à celle des postes avancés de la tyrannie. À l’inverse, l’administration Obama le range dans la catégorie des pays soutenant le terrorisme, alors que curieusement, les relations entre Damas et Washington vont un temps s’améliorer. En mars 2003, l’Irak est occupée par la coalition. Mais l’invasion de la Syrie, présentée comme imminente par plusieurs spécialistes, n’aura jamais lieu. Mais l’adoption par l’ONU de la résolution 1559 en septembre 2004 exigeant un retrait syrien du Liban, puis l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri, le « 11 septembre liba­nais[26] », (résolution 1595 et 1757 de mai 2007) exacerbent les mauvaises relations[27]. Cependant, Damas n’est pas une menace obsessionnelle, comme l’Irak, pour les Américains. D’ailleurs, dès 2006 au moins, plusieurs prisons secrètes de la CIA sont aménagées sur le sol syrien, en échange de l’assouplissement de l’embargo. Au final, avec une économie sinistrée, le budget de la défense qui s’élevait à 2,9 milliards de dollars en 1999, s’effondre à 1,8 milliards de dollars avant la guerre civile[28].

Au fur et à mesure que les Républicains deviennent minoritaires au Congrès en novembre 2006, la Syrie brise peu à peu son isolement, surtout depuis la visite de la présidente de la Chambre des représentants américains, la démocrate Nancy Pelosi, à Damas en avril 2007. La Syrie revient peu à peu dans le concert des Nations comme éphémère allié de l’occident contre le terrorisme (comme d’ailleurs la Libye). Pour preuve, dès son arrivée à la Maison Blanche, sans doute pour ne pas fâcher Israël, Obama reconduit les sanctions de 2004, en précisant toutefois : « La Syrie, […] qui a fait des progrès, […] continue de soutenir des organisations terroristes et de chercher à détenir des ADM et des missiles et constitue toujours une menace inha­bituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des EU»[29]. Les rapports restent méfiants, car le retour de la Russie dans la région in­quiète. À l’automne 2007, une flotte russe opère des manœuvres en Méditerranée, au large de Lattaquié, reloué par les Russes qui y déchargent du matériel sensible. En 2008, Bachar el Assad assiste au 14 juillet à Paris dans le cadre des négociations sur le projet d’Union pour la Méditerranée et de promotion du nucléaire civile. Les ADM syriennes ne sont plus vraiment sujet de préoccupation. Le grand patron de la DCRI accueille même son homologue le général Ali Mamelouk, en novembre 2008, pour lutter contre les terroristes[30].

Pourtant, ce retour en grâce dissimule apparemment un double jeu syrien, la poursuite d’une prolifération mesurée. Tel-Aviv se rend compte que la Syrie reprend de l’ascendant dans la région après le retrait israélien du sud-Liban en 2000, y compris par les ADM. En 2002, l’administration Bush accuse la Syrie de se per­fectionner en anthrax, choléra, toxines botuliniques, peste, variole et ricin, grâce aux Russes[31]. Aussi, Israël se prépare à intervenir contre les infrastructures biochi­miques de son voisin et prépare depuis 17 ans, l’armée et la population à des chutes de missiles biochimiques provenant d’Iran et de Syrie comme lors de l’exercice Juniper Cobra durant l’été 2009. En effet, il est prévu qu’en cas de crise, la Syrie ne déploiera pas son armée conventionnelle mais uniquement des missiles biochi­miques et conventionnels, stratégie qui sera en partie effective durant la deuxième guerre du Liban.

Aussi, Israël projette déjà des frappes contre les infrastructures NBC syriennes. Mais il faut pour cela neutraliser les stations radars et la DCA, pas seulement en Syrie, mais au Liban. De juillet 2001 à juin 2006, des radars sont détruits dans la plaine de la Bekaa et à la frontière syrienne par Tsahal. À la mi 2003, Ariel Sharon accuse Damas de s’être servi dans les arsenaux irakiens, lors d’une opération super­visée par la sœur de Bachar, Bushra El-Assad, et son mari le général Assaf Chawkat, n° 2 du Mukhabarat. Assad s’en explique : « nous sommes un pays constamment exposé aux agressions israéliennes. […] Il n’est pas difficile d’obtenir des armes chimiques dans le monde et nous pouvons les obtenir en temps voulu »[32]. C’est pourquoi dans le rapport 2005, le Pentagone juge que la Syrie élabore une capacité bactériologique à caractère offensif, ce qui constituerait une violation de la CAB, si la Syrie était un État partie. En conséquence, par l’U.S. Executive Order 13382, Washington promulgue en novembre 2005 l’Iran and Syria Nonproliferation Act interdisant toute exportation de matériel et de matériaux à double usage[33].

Mais cette mesure n’est pas aussi contraignante que le retrait syrien du Liban en 2005. Pour Tel-Aviv, sans la ponction économique syrienne au Liban (trafic en tout genre), le perfectionnement des ADM syriennes est compromis. Isolée, la Syrie perfectionne sa technologie balistique[34] autour de la technologie Nodong, plus ambitieuse, avec le Hezbollah, la Corée du Nord, le Hamas et l’Iran. Mais le State Departement, en 2006, estime que la capacité intercontinentale de la Syrie ne sera pas atteinte avant au moins 2015[35]. Le missile le plus performant le M-600, sous sa forme locale (Fateh-110), n’a qu’une portée de 250 kms. Le 19 septembre 2007, l’US Congressional Research Service trouve un compromis : « La Syrie a acquis un arse­nal d’armes chimiques et des missiles sol-sol, aurait effectué des travaux de recherche dans le développement d’armes biologiques […] mais la Syrie a cherché à mettre en place des armes chimiques et ses capacités en matière de missiles comme une force d’égalisation pour lutter contre les capacités nucléaires d’Israël […]. La Syrie est signalée comme ayant trois installations de production d’armes chimiques, mais reste dépendante des sources extérieures […]. Peu d’informations sont disponibles sur le programme biologique »[36].

Israël ne s’en contente pas mais ne peut pour l’instant agir, car craignant à juste titre les systèmes antiaériens achetés à la Russie. Or, en février 2007, Zeev Schiff, spécialiste militaire s’inquiète du renforcement « spectaculaire » de l’armée syrienne, grâce au soutien iranien[37]. Le Premier ministre syrien Mohammad Naji Otri confirme l’axe balistique entre la Syrie, le Hezbollah, le Hamas et l’Iran. Le 17 février 2009, Jane’s Intelligence Review montre que le site chimique d’Al Safir est toujours actif et que Dair Alzour, détruit accueille un laboratoire bactériologique[38].

Côté atomique, comme en témoigne le rapport de l’US Congressional Research Service de 2007 : « Il y a eu peu de preuves de l’intention de la Syrie à acquérir des armes nucléaires »[39]. Officiellement, pour Washington, Damas ne suscite pas, sur ce sujet, beaucoup d’inquiétudes. Et pourtant, les Syriens vont surprendre la communauté internationale sur ce dossier. Après l’élimination de l’Irak, Damas se rapproche de Téhéran sur les dossiers kurdes et israéliens, mais également pour mutualiser leurs programmes d’ADM à partir de février 2004. De plus, les deux pays scellent en plus une alliance sur ce principe: l’Iran modernise l’armée syrienne, lui offre sa profon­deur stratégique, lui prête assistance en cas d’agression[40]. En juin 2004, l’inspection de l’AIEA cible déjà le site de Homs comme traitant du yellowcake. Mais l’atome crochu principal se matérialise autour d’un autre site atomique: Dair Alzour. C’est en janvier 2000 que débute sa construction avec la Corée du Nord, la Chine et la Russie, confirmée par les visites du ministre de la Défense russe Sergei Ivanov et le secrétaire Vladimir Rushailo, le 23 mai 2001[41]. Ce réacteur à graphite -gaz situé à 150 km de la frontière irakienne, est constitué d’un sarcophage cubique camouflé de 21 mètres de côté[42], et refroidit avec l’eau de l’Euphrate. De plus, Israël et les EU, soupçonne Damas de collaboration atomique avec Al-Qaida. El-Assad reconnaîtra après avoir reçu une proposition du père de la bombe pakistanaise Abdul Kader Khan en 2001 : « Nous ne savions pas si la lettre était authentique, ou si c’était un faux concocté par les Israéliens qui voulaient nous faire tomber dans un piège. […] Quoi qu’il en soit, nous avons décliné l’offre. […] Nous n’avions que faire d’armes nucléaires ou d’un réacteur nucléaire»[43]. D’ailleurs, il serait douteux que Damas réserve son nucléaire pour repousser une attaque israélienne, au risque de représailles similaires.

2.2 L’affaire AL Kibar : une doctrine Begin réussie sur de fausses informations ?

La passivité des services secrets occidentaux n’est qu’apparente. En réalité, la Syrie est d’autant sous surveillance qu’il s’agit de mesurer l’importance des ramifications de ses réseaux scientifiques. Dès le printemps 2004 la NSA informe l’unité 8200 du Mossad du nombre anormalement élevé d’appels téléphoniques entre Pyongyang et Dair Alzour. En juillet 2006, le patron du Mossad présente au conseiller américain à la Sécurité, Stephen Hadley, un dossier sur le complexe nucléaire afin d’inciter Washington à lancer une attaque depuis l’Irak ou la Turquie. Face aux réticences américaines et turques, Israël propose un raid aérien. Condoleezza Rice obtient que l’opération soit repoussée sine die, après que la CIA, peu enclin à agir sur seule incitation pressante du Mossad, en pleine réhabilitation de la Syrie, ait demandé d’ultimes vérifications sur cet éventuel entrepôt de matière fissile[44].

Fin 2006 à Londres, le Mossad parvient à espionner le portable d’un haut res­ponsable syrien[45]. En février 2007, la CIA auditionne l’iranien Ali-Reza Asgari, an­cien ministre adjoint à la défense au milieu des années 1990. Il confirme l’existence depuis 2005 d’un accord nucléaire entre l’Iran, Chon Chibu, expert nord-coréen et Ibrahim Othman (AECS). L’Iran paye à la Corée du Nord 1 milliard de dollars pour qu’elle installe de la technologie nucléaire en Syrie, en plus du Projet 111, destiné à équiper des missiles iraniens avec des ogives nucléaires miniaturisées. Dair Alzour devait être une copie de sauvegarde d’Arak [en Iran] dans le cas ou le réac­teur serait défaillant ou bombardé. Une sorte de prolifération mutualisée. Sur ces informations, des commandos héliportés, des satellites et des avions de reconnais­sance israéliens quadrillent Dair Alzour pour recueillir des échantillons radioactifs. Le 3 septembre 2007, un autre cargo, l’Al-Ahmad décharge à Tartous de l’uranium nord-coréen. Olmert décide alors de lancer l’opération Orchar. Préalablement, le commando d’élite Sayeret Matkal et une unité du Shaldag désignent les cibles au laser. Le 6 septembre 10 chasseurs F-15 Raam décollent de la base aérienne de Ramat David, près d’Haïfa et bombardent leur cible. Le raid est l’un des exemples réussis de la doctrine Begin, celle consistant à détruire toutes installations de re­cherche en armement NBC d’un État pouvant menacer Israël dans la région, et brillamment matérialisé contre l’Irak en 1981.

Mais les circonstances et les objectifs du raid ne sont pas clairs. Selon le Washington Post : « Il est difficile de croire que la Syrie, avec l’aide de la Corée du Nord, soit assez stupide pour croire qu’elle peut construire, impunément, un réacteur nucléaire. Il est donc plus logique de penser que c’est Israël qui a tort dans cette affaire, et qu’il a basé son raid sur de fausses informations »[46]. Pour Martin Van Creveld, il s’agissait plutôt de savoir si les dernières armes antiaériennes livrées à la Syrie étaient performantes, puisque l’Iran possède les mêmes protégeant ses sites stratégiques[47]. La frappe était juste destinée à démontrer qu’après la semi défaite au Liban en 2006, Israël garde l’initiative. Autrement dit, l’opération aurait été comme une répétition d’un raid contre l’Iran, Israël signifiant à Washington qu’en cas de refus de contraindre Téhéran, il serait obligé de passer à l’acte sans l’aval du Pentagone. Avant même qu’une commission d’enquête internationale ne soit décrétée, les Syriens entreprennent de faire disparaître toutes les traces de ruines. Damas ne de­mande pas de condamnations, ne réplique pas militairement, gêné d’avoir trompé la confiance de l’AIEA. L’opacité entretenue par le régime baasiste n’est peut-être pas destinée à masquer ces propres intentions, mais bien celles de ces partenaires nord-coréens et iraniens, ces derniers ayant peut-être profité du retour en grâce de la Syrie début 2007. De plus, l’Iran, et de la Corée du Nord s’abstiennent de porter assistance à leur allié[48]. Damas ne peut faire qu’amende honorable en échange de l’abandon des rétorsions à son égard. Le président Assad ne livre la version officielle qu’en janvier 2008 : « Je puis vous assurer qu’il ne s’agissait pas d’une infrastructure nucléaire. [.] Nous n’avons pas voulu fournir à Israël un prétexte pour déclencher une nouvelle guerre »[49]. Les particules d’uranium proviendrait selon lui des missiles israéliens à uranium appauvri.

Face à cette agression, le malaise saisit la communauté internationale, à commencer par les EU. Le 15 septembre, un expert présente le site comme « une installation de recherche agronomique que les Syriens auraient utilisé pour extraire de l’uranium à partir de phosphates »[50]. Il n’y aurait donc rien de militaire. Mais les experts américains du lInstitute for Science and International Security confirme que le complexe a une structure similaire à celle des centrales nucléaires nord-coréennes. Selon le Pentagone, « Le fait que les Syriens aient si rapidement et totalement gommé ces installations montre à quel point ils avaient intérêt à en effacer toute trace»[51]. Mais le 16 septembre, Michael Hayden, patron de la CIA, révèle alors que les documents collectés par le Mossad sur l’ordinateur syrien de Londres, prouve que le site aurait permis la construction de deux bombes par an. En foi de quoi, en avril 2008, à la Maison Blanche présente au Congrès les preuves accablant la Syrie[52]. Une partie de la vérité semble transpirer dans les Mémoires de GW Bush fin 2010 : Olmert lui aurait demandé la permission de bombarder le site ce que Bush aurait refusé[53]. Cette information est confirmée par un expert militaire franco-israélien, rencontré par l’auteur : Israël a agit sans l’aval des EU[54].

Si l’attaque israélienne n’est pas, contrairement à Osirak en 1981, condamnée par l’ONU, à l’inverse, la réaction de l’AIEA, la première concernée, surprend. Elle refuse d’être catégorique sur la finalité du réacteur détruit. L’agence de Vienne ne tolère pas qu’Israël ait agit à son insu, sans son autorisation, et sur la base de données contestables. Certes, l’agence a toujours été contesté pour avoir découvert sur le tard les programmes atomiques dit <clandestins’ de quelques pays en raison de manque d’investigations sérieuses. Aussi, l’agence tente d’apaiser la crise, après une inspection en juin 2008 affirmant : « avoir relevé la présence de ‘particules d’ura­nium naturel anthropogène’, un type d’uranium que l’on ne trouve pas dans ce genre de site »[55]. L’AIEA reconnaît Dair Alzour comme ayant abrité probablement un réac­teur nucléaire, consent que les particules retrouvées aux alentours des ruines sont de même nature qu’autour du MNSR. Mais elle accorde à la Syrie le bénéfice du doute sur les finalités dudit réacteur. Damas ne se saisit pas de cette occasion, et explique son refus des inspections par le fait que le site n’était qu’une base militaire[56] au même titre que les autres sites suspects et que donc, Damas peut légalement refuser leur accès. L’AIEA conteste cette interprétation du TNP, mais n’obtiendra jamais les informations demandées.

Toutefois, il convient de distinguer le discours de l’AIEA, officiel, et celui de son secrétaire général Mohamed El Baradei, officieux. Ce dernier, fâché de longue date avec les Américains et les Israéliens après l’affaire irakienne en 2003, annonce cinglant : « Ce qu’on fait les Israéliens constitue une violation du droit international. Si les Israéliens et les Américains avaient des informations sur une installation nucléaire clandestine, ils auraient dû nous aviser immédiatement»5. Le 17 juin 2008, Baradei persiste en estimant que la Syrie n’avait pas « les ressources humaines qui lui per­mettraient de mener un programme nucléaire d’envergure »[57]. Par la suite, après son inspection de juin sur le site, l’AIEA prélève des poussières radioactives révélant « un nombre significatif de particules d’uranium naturel anthropiques d’un type non inclus dans les stocks déclarés de la Syrie de matières nucléaires ». Pour signifier que la Syrie n’est pas punie, El Baradei, juste avant la fin de son mandat, autorise le 26 novembre 2008 la Syrie à recevoir de l’étranger une aide nucléaire civile après avoir affirmé que la présence d’uranium ne signifie pas que le site ait été un jour un réacteur nucléaire. En juin 2009, l’AIEA exige néanmoins que Damas lui per­mettent l’inspection de trois autres complexes stratégiques : Damas, Homs et Dair Alzour[58], mais sans mesure coercitif. Israël n’en a cure et poursuit l’assassinat d’ingé­nieurs atomistes syriens. Israël fait alors assassiner, le 1er août 2008, près de Tartous le général Mohammed Suleiman, accusé d’avoir importé des armes chimiques ira-kiennes[59].

En décembre 2009, Yuki Amano, qui lui succède reste mesuré sur cet épineux dossier. Le 6 mais 2010, pendant que Bassam Sabagh, représentant syrien à l’AIEA, discute de la réforme du TNP, l’agence note : « Les particules d’uranium d’origine anthropique d’un type non inclus dans l’inventaire déclaré de la Syrie ont été trouvés dans le RSNM en 2008 et en 2009. […] La Syrie a expliqué que les particules anthro­piques avaient pour origine les activités non déclarées effectuées par la RSNM, liées à la préparation de plusieurs dizaines de grammes de nitrate d’uranyle en utilisant du yellowcake produit à Homs »[60]. Si le yellowcake, cet uranium peu traité, est employé dans la préparation de combustible à destination des réacteurs civils, le fait qu’il puisse être enrichi a posteriori entretien encore la confusion. Aussi, le 3 septembre 2010, l’AIEA demande à la AECS des informations sur la quantité et le type de matières nucléaires utilisées des précisions sur les activités d’irradiation du RSNM, inspecté en novembre 2009 et mars 2010, sur les procédés utilisés, ainsi qu’un rap­port détaillé des mouvements au Département de gestion des déchets de l’AECS, et une explication sur les grandes quantités d’eau pompées à des fins de refroidisse­ment à Dair Alzour.

En réponse à une requête de l’AIEA, l’AECS botte en touche le 28 octobre 2010, en expliquant que le site de Homs n’est pas soumis à inspections (en contradiction avec les informations supra). Le 9 février 2011, Damas accepte le principe d’ouvrir les portes de Homs, mais reste évasif sur la date d’une visite, alors que l’AIEA pro­pose une nouvelle rencontre le 27 février. En avril 2011 était finalement prévue une ultime visite, décalée sine die par Damas, mais promise une fois la paix intérieure rétablie. En jeu, la ratification par la Syrie du protocole additionnel sur les inspec­tions (Code 3.1 of the Subsidiary Arrangements to its Safeguards Agreement). À mesure que Damas est discréditée par les violences internes au pays, l’AIEA éprouve moins de scrupules à enfreindre la bienséance diplomatique. Dans un dernier rapport, le plus complet depuis 40 ans, Dair Alzour est enfin décrit comme identique au réacteur nord-coréen de 25 mgw de Yongbyon et que Damas aurait du le déclarer « conformément aux articles 42 et 43 de son accord de garanties et à la rubrique 3.1 de la partie générale des arrangements subsidiaires à cet accord »[61]. L’agence refuse la thèse syrienne présentant le réacteur comme un site de fabrication de missiles, mais n’affirme aucunement qu’il pourrait servir à élaborer des armes nucléaires. Cela explique le vote mitigé du conseil de sécurité des Nations Unies condamnant le programme syrien, à 5 voix contre 17 abstentions.

conclusion sur un danger surévalué

Depuis des décennies, le potentiel nucléaire syrien est constamment exagéré. Embryonnaire, il est aujourd’hui encore moins un danger, qu’avant le raid israé­lien de 2007. Selon Tertrais, le pays ne dispose ni d’installation de retraitement, ni de fabrication de barres de combustible[62]. Le fait que les villes de Homs, Dair Alzour soient aujourd’hui foyers de révolte, ne permet certainement pas à Damas de poursuivre en toute quiétude ses recherches. Damas peut il est vrai profiter de la confusion pour les détruire ou les déménager, évitant ainsi de nouveaux contrôle de l’AIEA dans le sillage des avancées de la rébellion.

Reste l’arsenal biochimique, bien réel celui-là, quoique sans doute moins dan­gereux que présumée, à cause d’une mauvaise maîtrise nationale et de manque d’aide extérieure. aussi, lorsque le 23 juillet, le propre porte-parole du ministère des Affaires étrangères Jihad Makdessi précise, en respectant une certaine opacité « Le ministère souhaite réaffirmer la position de la Syrie selon laquelle les armes chimiques ou bactériologiques n’ont pas été utilisées et ne le seront jamais lors de la crise (…) et que ces armes, si elles existent, il est naturel qu’elles soient stockées et sécurisées »[63], les experts ne savent s’il s’agit d’avertissement réel pour que l’occident cesse de soutenir la rébellion, ou de simple fanfaronnade. Pour en être réduit à évoquer cette dernière alternative, Damas se trouve réellement le dos au mur, comme lorsqu’en décembre 1990, Saddam Hussein menaçait du feu nucléaire la coalition.

La solidité du régime bassiste face à une contestation armée de plus de 18 mois, témoigne de l’homogénéité d’une nation pluriethnique et pluriconfessionnelle. Soutenue par la Russie, l’Iran, Chine et Venezuela, l’armée syrienne soutenue par les milices chabbiha se révèle d’une autre trempe que celle de ces voisins, et capable d’atrocités pour protéger cet État policier. C’est pourquoi, a l’inverse de la Tunisie et de la Libye, dépourvue d’ADM, le cas syrien, associé aux armes chimiques, devrait être étudié avec plus de circonspection. En octobre 2011, l’implosion de la Libye généra le pillage, par les rebelles, des arsenaux militaires, avec la conséquence que l’on connaît au Sahara notamment. Bien que cela ne soit pas automatique, il est possible que quelques stocks syriens d’armes chimiques, puissent échoir à la rébellion, ou pire, au Hamas et au Hezbollah, que soutient la Syrie. Telle est l’inquiétude du ministre de la défense israélienne le 18 juillet qui cependant exagère ce danger : « La Syrie possède le plus grand arsenal d’armes chimiques au monde »[64], oubliant par exemple la Russie et les États-Unis. Le 20 juillet, il promet même une sorte dOrchar bis pour éviter ce scénario. Pour l’instant, le danger évoqué par certains spécialistes, de transfert d’ADM syriennes vers le Hamas et le Hezbollah, milices soutenus par Damas au Liban et à Gaza, dans une stratégie de contournement, ne s’est pas, pour l’instant, matérialisé.

 

[1]Concept forgé par le think-tank American Enterprise Institute en février 2003. Ce zonage, très critiquée pour ces amalgames huntingtoniens, inclut les pays de la Ligue Arabe, plus Israël, l’Iran, l’Afghanistan, la Turquie et le Pakistan, et dans certains travaux parfois les pays de l’Asie Centrale.

[2]http://www.un.org/fr/disarmament/wmd/index.shtml

[3]Patrick Berche, L’Histoire secrète des guerres biologiques, mensonges et crimes d’Etat, Robert Laffont, 2009, 390 pages. p. 76.

[4]Les nizârites, dès le XIe siècle, exercèrent en Perse et dans la Syrie actuelle, faisant disparaître leurs ennemis avec du poison.

[5]Ephraïm HalÉvy, Mémoires d’un homme de l’ombre, Les coulisses de la politique internationale au Moyen-Orient par l’ex-directeur du Mossad, Albin Michel, 2006, 352 pages, p. 169.

[6]Jacques Attali, Verbatim I, p. 529.

[7]Annexe 2.

[8]Dominique Lorentz, Affaires Atomiques, Les Arènes, 2001, p. 378.

[9]Israelvalley, 5 octobre 2007, « Un accord secret nucléaire aurait été signé entre Damas et Moscou ».

[10]Pour localiser les sites, se reporter à la carte de l’annexe 1.

[11]The Atomic Energy Commission of Syria, février 2011, «Self-evaluation of the development of the national nuclear infrastructure of Syria», Prof. I. Othman and Dr. H. Jouhara. 29 pages,

  1. 9.

[12]Bruno Tertrais, Le Marché noir de la Bombe, Buchet-Chastel, Paris, 2009, p.87.

[13]Centre Canadien de Renseignement de Sécurité, 23 mars 2001, « Rapport N° 2000/09 : Prolifération des missiles balistiques ».

[14]The CBW Conventions Bulletin (CBWCB), n°38, décembre 1997, p.21

[15]Rapport général, Assemblée parlementaire OTAN, Défense des démocraties : défense du territoire, non-prolifération et sécurité euro-atlantique, novembre 2004, rapporteur Pierre Lellouche.

[16]Service canadien de renseignement de sécurité, rapport n° 2000/05, « La prolifération des armes bactériologiques », 9 juin 2000.

[17]Service canadien de renseignement de sécurité, op.cit.

[18]Carnegie Endowment for InternationalPeace, 2006, « Chemical and Biological Weapons in the Middle East».

[19]Center for Strategic and International Studies, octobre 2000, « Syria and WMD », Anthony H. Cordesman

[20]Haaretz, 4 avril 1997, « 120 missiles syriens postés sur le frontière près du Golan seraient opérationnels».

[21]CBWCB, n°38, décembre 1997, p. 21.

[22]Canadian security intelligence service, rapport de juin 2000, « Biological weapons prolifération ».

[23]AFP, 6 décembre 1997. Canada aerospace &Defense Weekly, 2000.

[24]Joseph Morgenstern, Israel high-tech et investissement report, juillet 2002 Vol. 18, n° 7,

  1. 4.

[25]Carnegie Endowment for International Peace, 2006, « Chemical and Biological Weapons in the Middle East».

[26]Cercle Kulthure, 2 janvier 2006, « Le 11 septembre libanais ».

[27]Antoine Sfeir, Vers l’Orient compliqué, Grasset, Paris, 2007, 192 pages, p. 176.

[28]Pascal Boniface, L’année stratégique, Dalloz, 20011, p. 314.

[29]Le Figaro, 4 mai 2010, « USA:sanctions contre Damas renouvelées ».

[30]Le Canard Enchaîné, 10 décembre 2008, « Sarko sous-alimenté chaque jour en information terroristes ».

[31]Committee on foreign relations United States Senate. « Reducing the threat of chemical and biological Weapons », 107ème seconde session du Congrès, 19 mars 2002.

[32]Daily Telegraph, 6 janvier 2004,

[33]U.S. Department of State, juillet 2010, « Adhérence to and compliance with arms control, nonproliferation and disarmement agreement and commitments », 101 pages, page 24.

[34]Israelinfos.net, 11 juillet 2007.

[35]US Department ofState, Performance and Accountability Report, Fiscal Year 2006,

388 pages, p. 110.

[36]CBWCB, n° 78, février 2008, p. 36.

[37]Le Figaro, 30 avril 2010, « Israël/Syrie: si attaque, l’Iran ripostera ».

[38]CBWCB, n° 85, octobre 2009, p. 22.

[39]CBWCB, n° 78, février 2008, p. 36.

[40]Bruno Tertrais, op.cit.,p. 136.

[41]Le Monde, 18 juin 2008, « Une filière nucléaire secrète nord-coréenne en Syrie ».

[42]Jeune Afrique, du 30 septembre au 6 octobre 2007, « Un raid off the record ». François, Soudan.

[43]Bruno Tertrais, Ibid.

[44]Israelvalley, 7 octobre 2007, « Pendant longtemps les USA et Israël n’étaient pas d’accord sur l’attaque aérienne en Syrie ».

[45]Der Spiegel, 11 février 2009, « The Story of ‘Operation Orchard: How Israel Destroyed Syria’s Al Kibar Nuclear Reactor».

[46]Washinton Post, 23 octobre 2007.

[47]Le Monde, 1er novembre 2007, « Faut-il bombarder l’Iran ? », Martin Van Creveld.

[48]IsraelMagazine, 28 janvier 2008, « Assad attend le moment opportun », Ehud Yaari.

[49]Jeune Afrique, du 6 au 12 janvier 2008, « Syrie : Assad n’a ‘pas d’ambitions nucléaires’ ».

  1. 21.

[50]L’Orient, 24 septembre 2007.

[51]Israelinfos.com. 25 octobre 2007, « Plus de nucléaire syrien? »

[52]Bruno Tertrais, Le marché noir de la bombe, Paris, Buchet Castel, 2009, 260 pages, p. 133.

[53]George W. Bush, Decision Points, Crown Publishers, 2010, 497 pages.

[54]Entretien réalisé par l’auteur, à Toulouse, le 12 juillet 2012.

[55]Le Monde, 6 juin 2009, « L’AIEA ne relève aucun progrès dans les dossiers iranien et syrien ».

[56]The Guardian, 28 avril 2008, «US claims North Korea helped build Syria reactor plant»

[57]Le Monde, 18 juin 2008, « Une filière nucléaire secrète nord-coréenne en Syrie ».

[58]AIEA, Safeguards and Verification, Safeguards Statement for 2008 and Background to the Safeguards Statement, paragraphe 36 à 41.

[59]CBWCB, n° 81, mars 2009, p.3.

[60]AIEA, Board of Governors GOV/2010/63, 23 novembre 2010, op.cit, p.3.

[61]AIEA, Conseil des gouverneurs GOV/2011/30, 24 mai 2011, « Mise en oeuvre de l’accord de garanties TNP en République arabe syrienne », Rapport du Directeur général, 9 pages, p. 5.

[62]Bruno Tertrais, op.cit, p. 136.

[63]Le Monde, 23 juillet 2012, « La Syrie brandit la menace des armes chimiques en cas d' »agression » des Occidentaux ».

[64]Le Monde, 21 juillet 2012, « Les stocks syriens d’armes chimiques sous surveillance ».

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