Les enjeux de l’islamisme au Maghreb : le cas algérien

Mohamed Fadhel TRQUDI

Chercheur en Relations Internationales, et vice-président du Centre d’Études et de Recherches Stratégiques du Monde Arabe Paris.

Octobre 2009

Rien n’est plus facile que de dénoncer un malfaiteur, rien n’est plus difficile que de le comprendre » Fédor Dostoïevski

Approche globale

Le monde arabe, notamment dans sa composante maghrébine, semble au­jourd’hui comme suspendu entre ses représentations mythiques et identitaires et les réalités socio-économiques et internationales. Sans poids ni influence sur les relations internationales, sans véritable moyen de pression depuis l’échec de l’utili­sation de l’arme du pétrole, déchiré par des rivalités internes, en proie à la montée de l’islamisme, le monde arabe se trouve aujourd’hui à un tournant de sa longue et féconde histoire. Les seules images que retient le monde aujourd’hui sont celles de la violence et de l’extrémisme religieux, se formant en luttes contre les régimes en place. L’Algérie n’a pas échappé à cette règle comme nombre d’autres pays arabes. Pourtant à en croire un des pères fondateurs de l’Algérie contemporaine, Houari Boumediene, l’islam est loin de constituer un recours ou une alternative de change­ment pour un peuple qui lutte pour sa survie.

Afin de bien cerner cette situation provoquée et aggravée par une politisation accrue de l’islam, il convient de faire le rappel historique dans lequel cette violence islamiste actuelle trouve son inspiration et tente de tirer sa légitimité. Comme les autres religions monothéistes, l’islam n’a pas échappé à la confusion qui régnait depuis les Romains, entre le spirituel et le temporel. Si le monde musulman est aujourd’hui partagé entre démocrates et islamistes virulents, ce n’est pas seulement sous l’effet de l’occidentalisation des uns et du rejet de ce même occident par les autres, mais aussi parce que le coran, comme tout texte sacré, fait l’objet de mul­tiples lectures plaçant la religion au cœur de la vie sociale. Dès lors les défenseurs d’un islam authentique se sont manifestés à toutes les époques depuis près de qua­torze siècles. Les divisions et les antagonismes des positions des uns et des autres étaient par conséquent inévitables.

Cette confrontation prend aujourd’hui la forme d’un conflit ouvert entre deux courants dans le monde islamique. L’un moderniste ayant pour ambition de confi­ner l’islam dans la stricte limite du spirituel par une politique excessive de contrôle voire d’appropriation de la religion. En face, un courant traditionaliste, accroché à l’interprétation des premiers compagnons du Prophète Mohammad, qui en consti­tuant le système de califat1, ont donné au pouvoir sa double dimension spirituelle et temporelle. En excluant toute lecture sauf celles des quatre écoles2 autorisées par la Sunn3, le courant traditionaliste alors dominant, a placé la religion au centre de la vie.

Source et évolution de l’islamisme algérien

L’islamisme a toujours existé dans le monde arabo-musulman. C’est l’utilisation de l’Islam comme idéologie politique dans les luttes de libération nationale par les élites nationalistes. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il devient refuge ostentatoire, l’expression des spoliés, des marginalisés et des «mal identifiés» voir incompris, mais il occupe en fait trois espaces, celui du mouvement social, le terrain politique (la stratégie révolutionnaire de l’Etat islamique) et celui de l’imaginaire (l’utopie politico-religieuse). L’islamisme fait rêver le jeune chômeur en lui propo­sant un système très simple dans lequel il y a une solution à tous les maux et où chacun trouvera sa place.

Le courant traditionaliste ne reconnaît de légitimité au pouvoir politique que s’il s’engage dans une finalité primordiale, celle d’une parfaite symbiose de la vie quo­tidienne de chaque musulman avec les prescriptions des textes religieux. Soucieux de retrouver et de revendiquer cette légitimité, certains responsables politiques se sont lancés consciemment ou pas dans une politique de contrôle de la religion en s’en accaparant. Ainsi d’un pays à l’autre, l’islam a été diversement utilisé. Pivot de la vie, l’islam va devenir objet et instrument de tous les différends. Les intérêts des uns et des autres, leurs ambitions comme leurs inhibitions, se définiront désormais par rapport à la religion. Dès lors que l’islam occupe une place prépondérante dans les sociétés maghrébines, les changements politiques, les querelles d’écoles se règle­ront désormais par référence à la seule source de vie: l’islam. Ces querelles, on les retrouve également dans la Charia4 puisque diversement interprétée par les moder­nistes et les traditionalistes.

Dans cet environnement aux dimensions infinies, des islamistes toujours plus purificateurs, ne cesseront de jalonner l’histoire de la religion musulmane à toutes les époques.

L’Algérie n’a pas échappé à la règle comme nombre d’autres pays arabes. En effet le réveil d’un islam vertueux s’est fait, soit en réaction à un courant novateur mettant en danger la perception d’un islam pieux, soit au nom d’un projet politique destiné à servir un islam authentique, c’est le cas de l’Algérie. Le penseur et socio­logue tunisien Ibn Khaldoun l’a relevé de son temps en considérant notamment que tout changement de dynastie dans le monde arabo-musulman, passait presque obligatoirement par la propagation d’une doctrine religieuse soutenue et conduite par un groupe dont les membres étaient eux-mêmes liés par un esprit de clan. C’est ce que Ibn Khaldoun appelle « Taâssub » ou dogme.

En vérité, la succession des royaumes, ne s’est jamais interrompue ni au Maghreb ni ailleurs en terre d’islam. Tous ceux qui ont accédé un jour au pouvoir (les Almohades, les Mourabitouns, les Sanhadjites voire les Hafsides… ) n’y sont parvenus que parce qu’un prédicateur a su rassembler autour de lui quelques tribus et s’est lancé à l’assaut de la citadelle d’un sultan qui a cessé d’incarner, pensent-ils, un islam authentique. Les tribus n’étant plus ce qu’elles étaient, la reconquête du pouvoir se fait par infiltration du pouvoir en place.

Pour mieux cerner ce phénomène du reste inattendu de l’irruption de la vio­lence islamiste sur la scène maghrébine, il faut revenir à la source dont il tire son idéologie. Ce sont les disciples de Hassan Al Banna, qui ont posé en Egypte au dé­but des années trente, les jalons de la gestation islamiste dont ils constituent à bien des égards, l’expression fondatrice. Les islamistes maghrébins notamment algériens, n’ont fait que reprendre le tronc commun de la dialectique islamiste posée par les « frères musulmans » même s’ils se sont à bien des égards, dissociés tactiquement d’abord, de manière doctorale ensuite.

La poussée islamiste en Algérie s’inscrit plus qu’on le pense davantage dans la continuité de l’histoire politique maghrébine. Les islamistes algériens n’ont acquis de part significative du marché politique que lorsque le modèle mis en oeuvre par les dirigeants nationalistes, a commencé à montrer ses limites. Leur émergence s’inscrit dans une logique qui non seulement ne contredit pas la dynamique nationaliste mais en la prolongeant sur le terrain culturel, aboutit au contraire à relancer le processus qui en constitue l’essence même, à savoir le distancement voir positionnement à l’égard de l’Occident.

La crise économique et la délégitimation des partis-Etat ont mis en faillite le système socialiste algérien, bien avant le camp soviétique. Dans le cas de l’Algérie, la faillite du développement socialisé entraîne la remise en cause complète de l’idée de modernité et de la croyance dans l’Etat, celui-ci étant assimilé par les petites gens à corruption, profit personnel et clientélisme.

Parallèlement à « l’époque développementaliste », la véritable dynamique interne qui traverse depuis le début du siècle la société maghrébine notamment algérienne est avant toute chose une dynamique de repositionnement par rapport à l’occident. Néanmoins un paradoxe subsiste, il tient en ce qu’en dépit de l’âpreté de la lutte politique pour l’indépendance, les modèles culturels occidentaux n’y furent aucu­nement remis en cause. Il n’y a pas eu de rupture de la dynamique coloniale mais seulement sa prise en charge et son extension par des éléments nationaux.

L’émergence des mouvements islamistes apparaît dès lors comme participant sur le terrain culturel de ce même besoin de distanciation voire de repositionne­ment à l’égard de l’occident notamment à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui le projet de « réislamisation » de la société algérienne, s’apparente à une affirmation d’identité propre. Cette « démocratisation » ou « popularisation » de la culture islamique de base à laquelle on assiste, selon l’expression d’Olivier Carré5, se définit par opposition aux modèles occidentaux envers lesquels les islamistes res­sentent de plus en plus une défiance certaine. Celle-ci se nourrit en outre d’un sen­timent d’insécurité face aux projets de l’occident comme sur le conflit israélo-arabe. En Algérie, la France est en première ligne des critiques des mouvements islamistes, non seulement parce qu’elle est perçue comme le principal soutien du régime en dépit de son apparente ouverture, mais également parce qu’elle représente un risque de perte de l’identité musulmane algérienne.

Je veux dire que les grands combats nationalistes des années cinquante se sont menés sur le champ de l’émotionnel, de l’identité culturelle et religieuse en rupture avec les modèles du colonisateur, et non sur celui de la rationalité des «lumières».

Si l’on dresse un rapide tour d’horizon des différents mouvements islamistes ma­ghrébins, l’on observe qu’il existe des facteurs de différenciation notable mise à part leur volonté commune de ramener la société maghrébine à un type d’organisation plus stricte, régi dans son système politique, dans ses structures et son code civil par la loi islamique (la charia), même si ce projet ne semble avoir aucune chance de voir le jour. Je pense même qu’utiliser l’islam comme un projet politique conduit inexorablement à l’échec.

Les facteurs qui expliquent la variété des situations au Maghreb, renvoient avant tout aux fonctions que remplit le discours islamiste. Manifestement, de tous les pays maghrébins la Tunisie est le seul auquel la greffe islamiste a eu plus de mal à s’accrocher, or il est vrai que sa petite taille géographique la rend plus maîtrisable. Par ailleurs, les choix politiques et sociaux suivis dès l’indépendance ont permis l’ou­verture de la Tunisie sur son environnement régional et international, ce qui a été une des raisons de la réussite de la Tunisie contemporaine. Ce faisant, la Tunisie s’est engagée très tôt au nom des idées progressistes dans la lutte contre les archaïsmes religieux du reste incompatibles avec les exigences de la vie moderne.

En Tunisie, pays d’accueil et de tolérance de longue date, il ne peut y avoir de place à des idées rétrogrades véhiculées par des gens égarés et violents. La Tunisie a toujours combattue les archaïsmes liés à l’Islam ou plutôt l’utilisation qui lui a été faite dans la société tunisienne. Le président Bourguiba n’a-t-il pas combattu le ma-raboutisme, l’obscurantisme et la violence au nom de l’Islam. Le président Ben Ali a perpétué l’héritage de son prédécesseur sur ce point précis de l’instrumentalisation de la religion en refusant que se développe en Tunisie des lectures extrêmes de l’Is­lam qui peuvent par ailleurs amener à sa propre négation (il faut pas perdre de vue l’exemple algérien ou près de 200.000 personnes sont mortes au nom de l’islam).

De son côté, le Maroc semble à priori aussi bien organisé pour combattre les mouvements fondamentalistes et relever le défi de la nouvelle invasion par l’isla­misme. En effet en jouant de son statut de « commandeur de croyants », le roi occupe et contrôle le champ religieux, ne laissant aucune liberté d’action pour des mouvements se réclamant d’obédience islamiste. A titre d’exemple, le mouvement du cheikh Abdessalem Yacine6, chef spirituel et fondateur du mouvement islamiste clandestin Al Adl wal Ihsan (justice et bienfaisance).

La relative réussite du cas marocain, s’explique outre le titre particulier dont jouit le roi, également par le fait que la monarchie marocaine s’est toujours appuyée sur les couches rurales de la population, les plus conservatrices et les plus pratiquantes. En dépit des violences islamistes qui ont marqué l’histoire très récente du Maroc, le roi a néanmoins réussit à baliser non seulement le champ politique via un contrôle plus rigoureux des associations et des journaux de sensibilité islamiste, mais également le champ religieux en limitant la prolifération des lieux de culte et en neutralisant les prêcheurs virulents, agissant dans la clandestinité, notamment ceux se réclamant du fondateur du premier mouvement islamiste, le cheikh Yacine. Il est parvenu, non sans contestation, à contenir les effets déstabilisants de la vague islamiste.

S’agissant de l’Algérie en revanche, le verrouillage de la vie politique longtemps imposé par les tenants de l’ex-parti unique et par le biais de circonstances locales, régionales et internationales, ont incité les islamistes algériens à brûler les étapes et à se positionner à la différence des autres mouvements islamistes maghrébins, en repreneurs du pouvoir.

En effet, divers traumatismes aussi violents qu’encombrants, et provoqués par cent trente ans de colonisation à la française7, ainsi huit années de guerre de li­bération nationale, continuent à hanter profondément une population qui à pré­sent reste constamment à la recherche de ses marques, et inéluctablement dans ses comptes hautement complexes. On comprend dès lors, l’impact quasi-immédiat des discours réducteurs et simplificateurs des partisans d’Abassi Madani et d’Ali Bel Hadj8, deux hommes emblématiques du fondamentalisme algérien. Il faut rappeler au passage que trente ans de régime unique ont préparé le terrain à l’éclosion de l’islamisme qui a, par ailleurs, longtemps servi d’idéologie à l’ancien parti unique le FLN « Front de libération nationale ». Le colonel Boumediene avait de son temps concédé aux oulémas9, les ministères clés de l’éducation nationale, de la justice et des affaires religieuses. Mieux encore on entendit lors du congrès du FLN en no­vembre 1989, des délégués réclamer l’abandon de la mixité et l’application de la loi islamique (charia).

Pourtant à en croire un, le même Houari Boumediene, l’islam est loin de consti­tuer un recours ou une alternative de changement pour un peuple qui lutte pour sa survie. Dans un de ces écrits, il dit: « Un peuple qui a faim n’a pas besoin d’écouter des versets. Cela dit avec toute la vénération pour le Coran que j’ai appris à l’âge de dix ans (…), les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples ignorants de savoir et les peuples malades d’hôpitaux », disait l’ex-président algérien Houari Boumediene. Seulement l’histoire et singulièrement celle de son peuple, devait lour­dement le contredire et de quelle manière. Les peuples musulmans, notamment du Maghreb, ont opéré depuis la fin des années soixante dix, un net retour aux sources de l’islam. Cette période était marquée par l’émergence d’une nouvelle forme d’op­position dont se réclament les mouvements islamistes, un phénomène aussi specta­culaire qu’inattendu. Ce faisant, les peuples du Maghreb se fient à ceux qui au nom de l’islam, leur promettent le bien-être collectif avec en prime la protection renforcée de l’identité arabo-musulmane, la dignité et en deuxième prime la conquête du pouvoir politique.

En Algérie, au Soudan, en Egypte, au Liban, au Pakistan, au Maroc, en Somalie et en Afghanistan, pour ne citer qu’eux, sans parler de l’Iran, un des rares pays musulmans où les religieux sont au pouvoir, déferle une vague fondamentaliste que l’occident diabolise à tort ou à raison, à mesure qu’elle menace inexorablement des régimes en place ou pire se rapproche de ses frontières. Un « péril vert » s’est dressé partout au Maghreb et ailleurs à la faveur de l’enlisement du conflit israélo-pales­tinien et aux politiques comprises comme impérialistes et anti-musulmane menées par les Etats-Unis et leurs alliées. Cette poussée islamiste est animée par quelques centres tout-puissants, pourvoyeurs à la fois d’idéologie, de finance et de stratégie d’action.

C’est dire combien la civilisation arabo-musulmane est prise entre la fidélité au passé que souhaitent faire revivre les fondamentalistes algériens et son nécessaire évolution technique et démocratique. Pour l’instant, c’est le passé que l’on invoque plus que les exigences du temps présent. C’est de toute évidence, le chemin suivi par les différentes tendances du fondamentalisme religieux en Algérie.

L’islamisme algérien se singularise par rapport aux mouvements islamistes ma­ghrébins à plus d’un titre : la brièveté de son histoire ; l’immédiateté du passage au politique ; l’absence d’une filiation doctrinale précise permettant de le rattacher à des courants spécifiques ; la capacité à opérer des parallèles avec plusieurs familles d’idées (références à Ibn Badis, le fondateur de l’Association des oulémas musulmans, crée en 1931 à Constantine ou encore à Hassan Al Banna fondateur en 1928 de l’As­sociation des frères musulmans Egyptiens) ; la rareté d’une production doctrinale autochtone de qualité ; la relative faiblesse de la culture religieuse des adeptes ; le fait qu’il soit plus qu’ailleurs le produit direct de la politique de l’Etat depuis l’indé­pendance.

Le FIS, l’AIS et le GLA : matrices de l’islamisme algérien

Le nationalisme algérien est apparu à une date relativement récente (1926­1954). Il est en fait la création de Messali Hadj et des militants du PPA (Parti du peuple algérien) et du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocra­tiques). Ils sont les premiers à avoir posé la question de l’indépendance comme so­lution définitive aux problèmes algériens. C’est l’influence communiste notamment sur « l’Etoile nord-africaine », l’ancêtre du PPA, qui est née il faut le rappeler dans la mouvance du Parti communiste français, à la fin des années 1920, qui va lancer le mouvement d’indépendance algérienne dans une logique purement stalinienne. En ce sens que les pères fondateurs des mouvements d’indépendance, vont donner à la perspective nationale algérienne, un contenu clairement étatiste et centralisateur, qui va de surcroît augmenter les contradictions multiples dont souffrait le pays.

En effet, dans un contexte de colonisation plus violente que dans les deux autres pays du Maghreb, dite de « colonisation de comptoir », la situation de l’Algérie et sa mémoire collective ont été marquées par une rupture avec le passé et ses nou­veaux entrepreneurs politiques et culturels ont essayé de construire une conscience nationale principalement basée sur la brève histoire de la période révolutionnaire.

Parmi les anciennes structures qui ont été ainsi affaiblies et contrôlées se trou­vent les institutions religieuses. Les oulémas, représentants de l’islam, sont deve­nus des fonctionnaires, ce faisant ils ont contribué à renforcer l’Etat et à suivre sa politique. N’ayant pas joué un rôle majeur dans le mouvement indépendant, le leadership religieux a été quelque peu marginalisé et même discrédité au bénéfice de l’armée qui détenait le pouvoir réel en Algérie depuis l’indépendance.

Cette main mise sur l’Etat et le contrôle qu’exerçaient ses appareils, n’ont pas empêché l’émergence d’une opposition ou plutôt d’oppositions vitales. Des forces de gauche, à la droite conservatrice et jusqu’aux groupes islamistes, des mouve­ments émergent avec la ferme volonté de changer, chacun à sa manière, la règle du jeu devenu inadaptée et obsolète à leurs yeux. Il faut dire que dès les premiers jours de l’indépendance, les autorités politiques algériennes, soucieuses de trouver une source de légitimation nationale, se sont accaparé l’islam. Ainsi d’un pays maghré­bin à un autre, l’islam a été diversement utilisé ou instrumentalisé.

Des trois Etats maghrébins, le Maroc a le plus utilisé l’islam pour asseoir le projet politique de la monarchie. En effet, pays fondamentalement traditionnel malgré l’évolution de l’élite et l’adoption d’une nouvelle constitution relativement moderne, le roi représente le seul grand dignitaire religieux. Il s’autoproclame Le représentant de Dieu sur terre, c’est à dire le commandant des croyants (Amir Al Mouminin).

En Algérie, la Constitution et la Charte nationales de 1976 à sa page 21, stipu­lent que « l’islam est la religion de l’Etat » et « le peuple algérien est musulman ». La constitution de 1976 notamment dans son article 107, précise que le président de la république doit être musulman et le drapeau est aux couleurs de l’Islam, le repos hebdomadaire est le vendredi et l’Etat veille au bon déroulement des principales cérémonies religieuses. Parlant de cette collision entre politique et islam dans le cas algérien, on a même avancé l’idée de l’existence d’un socialisme islamique en Algérie. C’est cette monopolisation du champ religieux par le politique, conjuguée à d’autres facteurs, qui explique peu ou prou la montée d’un islamisme opposant, militant et forcément politique. Ces forces d’opposition islamiste en Algérie, ont utilisés un large réseau des mosquées et de l’association Al-Qiyam al-Islmaiyya (les valeurs islamiques)10, comme tribune pour diffuser leur idéologie.

Le verrouillage de la vie politique algérienne depuis l’indépendance et le contrôle très étroit exercé par le parti unique sur la société civile et les diverses organisations, ont fait des mosquées, l’unique espace disons autorisé de critique et d’opposition politiques. Mis à part quelques partis qui ont choisi la clandestinité, tous les autres lieux d’expression politique étaient affiliés et contrôlés par le parti Etat, le FLN. Dès lors que l’Etat n’a pas desserré son étau, l’apparition de la contestation au sein des mosquées11 est vite passée d’une forme contestataire animé par des prédicateurs isolés et zélés, en une forme plus structurée disposant d’organisation et d’idéologie que l’on résume par l’islamisme jihadiste.

La loi relative à l’instauration du multipartisme, votée le 5 juillet 1989 a été le point de départ de naissance de plusieurs mouvements à caractère politique. C’est ainsi que le FIS (Front islamique du salut), voit le jour. Sa naissance a été proclamée le 10 mars 1989 à la mosquée Ben Badis à Alger, puis officiellement agréé par les au­torités en septembre 1989. Plusieurs imams indépendants non rémunérés par l’Etat se rallient au nouveau parti, avec Abassi Madani à sa tête aidé par son compagnon Ali Ben Hadj. Le FIS est par conséquent une alliance entre plusieurs associations religieuses contrôlant des mosquées et des structures caritatives et d’enseignement religieux implanté un peu partout sur le territoire national. Le FIS émerge rapide­ment comme le groupe islamiste le plus important notamment par son audience qui n’a cessé d’augmenter à cause notamment du déclin du FLN (Front de libéra­tion nationale) ex-parti unique algérien, responsable d’après une frange importante du peuple algérien, de la situation économique et sociale précaire du pays. Ni la reconnaissance du Hamas, parti rivalisant le FIS, ni la nouvelle loi électorale du 02 avril 1991 n’ont réussi diminuer sa popularité et à enrayer son avancée lors du premier tour des élections législatives de 1991.

Très vite, le FIS se développe en parti de masse avec une prétention hégémo­nique, d’autant que, dès le début, des conceptions divergentes sont apparues en son sein par rapport à la stratégie à adopter et que les appétits politiques des diffé­rents dirigeants les poussent à la surenchère. Cette situation favorise l’action de la Sécurité militaire, qui infiltre le FIS jusque dans ses structures dirigeantes.

Entre-temps, toute une nébuleuse d’islamistes radicaux gravite autour du FIS, tantôt le ralliant (lors de manifestations de rue par exemple), tantôt dénonçant ses prises de position et surtout son implication dans le jeu démocratique, consi­déré comme une compromission avec le pouvoir. En effet, l’aile la plus radicale du FIS, rejette toute idée de démocratie considérant que ce système de représentation parlementaire, démocratique et transparent, comme une malédiction exportée par l’occident pour éloigner davantage les musulmans du texte coranique et de ses pres­criptions, qui ont force de loi pour chaque musulman.

À côté de nombreux jeunes fraîchement recrutés, le FIS regroupe des centaines de guerriers, ceux qu’on appelle les « Afghans », des vétérans algériens de la guerre d’Afghanistan qui reviennent en héros, avec des conceptions très rigides sur l’appli­cation de la loi islamique et qui sont très souvent volontaires pour la lutte armée. Il y a également des islamistes, assez minoritaires, qui ne sont pas spécialement extrémistes, mais qui combattent le régime auquel ils n’accordent aucune crédibilité : ils sont d’avis que le processus démocratique est un leurre, que les militaires ne l’accepteront jamais et qu’il faut se préparer à la lutte armée pour changer de pou­voir. D’ailleurs, ils considéreront que la suite des événements leur a donné raison, ce qui justifiera leur choix de la confrontation armée avec le pouvoir à partir de janvier 1992.

Lors des premières élections pluralistes que connaît l’Algérie, en juin 1990, le FIS remporte la majorité des communes et des préfectures (wilayat). C’est un choc pour tout le monde. Le FIS lui-même n’y était pas préparé et se trouve empêtré dans des problèmes de gestion administrative. Parallèlement à l’euphorie de la vic­toire, se développent et s’intensifient les divergences au sein de la direction. C’est au moment de la grève totale du FIS en juin 1991 que les conflits au sein du conseil de consultation seront les plus forts et les services secrets sauront en tirer profit en les exacerbant. Cet épisode se soldera par l’éviction du gouvernement des ministres «réformateurs», une prise en main des décisions politiques par les futurs putschistes et une rude répression à l’encontre des partisans du FIS. La plupart des dirigeants du FIS seront mis en prison, dont ses deux principaux responsables, qui ne seront libérés qu’en 2003.

Mais les dirigeants militaires, espérant pouvoir « domestiquer » le FIS (tout en se préparant à l’écraser en cas d’échec), font tout pour que le parti participe aux élections législatives de décembre 1991. C’est Abdel Kader Hachani qui reprend en main le FIS et qui le mènera aux élections. Au lendemain du premier tour, lorsqu’il s’avérera que cette fois-ci encore, le FIS gagnerait et remporterait jusqu’aux deux tiers des sièges du Parlement, les militaires interrompent le processus et usurpent quasi directement le pouvoir. Le FIS n’est pas préparé à cette situation et ne semble pas, dans un premier temps, vouloir s’engager dans la lutte armée.

Une répression brutale fait éclater le parti, et les responsables politiques étant emprisonnés ou contraints à l’exil, les militants sont livrés à eux-mêmes. Toutefois, certains membres du FIS rejoignent dès juin 1991 et d’autres en janvier 1992, des groupes clandestins déjà existants et prêts à agir si la lutte armée devait se révéler nécessaire. Ainsi, dès janvier-février 1992, apparaissent des groupes armés islamistes opposés à la ligne du FIS, tant sur le plan de la stratégie que des méthodes à em­ployer, s’attaquant aux forces de l’ordre et aux casernes.

Le GIA (Groupe islamiste armé) s’est formé après l’annulation des élections législatives et la dissolution du Front islamique du salut en 1992. Constitué, à l’origine, par des membres du FIS, passés dans la clandestinité, et d’anciens com­battants du maquis en Afghanistan qui ont acquis les techniques de la guérilla dans les rangs de la résistance afghane contre la présence soviétique, il lui est attribué une grande partie des assassinats d’intellectuels algériens et d’étrangers. Il est consi­déré à tort ou à raison, comme le mouvement armé islamiste le plus important en Algérie. Mais il n’est pas le seul. Le FIS a lui aussi cherché à diversifier sa stratégie d’action en créant l’Armée islamique du salut (AIS), qui représente en somme l’aile militaire du parti dirigé par Medani Mezrag, marquant ainsi les divergences parfois profondes qui se manifestent entre ces deux pôles de la mouvance islamiste.

Entre 1992 et 1994 se constituent donc une variété de résistances armées, dont le GIA (Groupe islamique armé) – en réalité il serait plus exact de parler des « Groupes islamiques armés », car sous le sigle GIA se rassembleront une multi­tude de cellules qui ont en commun l’extrémisme religieux et l’opposition militaire violente au pouvoir en place. Paradoxalement, certains groupuscules étaient même des créations des services secrets de l’armée, appelés « DRS »12, tandis que d’autres sont fortement infiltrés par ces derniers. Il y a évidemment aussi dans tout ça, des groupes autonomes persuadés de la justesse de leur choix.

Cependant, à partir du printemps 1994, la situation va totalement changer. Des combattants islamistes inconnus font leur apparition dans plusieurs régions (sur­tout dans l’Algérois) et imposent une terreur qui ira de pair avec la reprise en main de ces régions par l’armée. C’est avec la prise de pouvoir par Djamel Zitouni en octobre 1994, que le GIA devient un véritable instrument de lutte contre-insurrec­tionnelle commandité par l’armée. Quand en 1994, l’AIS se constitue, elle sera une des cibles favorites du groupe islamique armée (GIA), qui cible, par des attentats à la bombe, nombre des partisans du FIS et de sa branche armée l’AIS.

À l’intérieur du pays, le GIA vise un certains nombre d’objectifs principaux : dé­courager en terrorisant les populations civiles soupçonnées d’avoir sympathisé avec le FIS ; discréditer le FIS au sein de la population algérienne et vis-à-vis de la com­munauté internationale ; instaurer la terreur au sein même des groupes armés et éliminer tout groupe à l’intérieur du GIA qui ne se laisse pas assujettir ; combattre tous ceux qui ne se rallient pas au GIA. La cause du GIA n’exclut pas l’extérieur voir la communauté internationale — et tout particulièrement de la France, qui a bien sûr un rôle principal dans le « dossier algérien ». Les tenants algériens de cette ligne se présentent comme les seuls garants de la démocratie voire des intérêts occiden­taux en Algérie, notamment des intérêts pétroliers et gaziers français menacés par les islamistes. Ce faisant, ce groupe « éradicateur » veut étouffer toute opposition ou voix discordante, notamment celles qui dénoncent les graves violations des droits de l’homme en Algérie.

En Algérie, le summum des violences sera atteint lors des massacres de l’été 1997 et de l’hiver 1998, revendiqués par le GIA. On laissait supposer alors que ces massacres se déroulaient sous les yeux des unités de l’armée restées passives. Des informations vont jusqu’à considérer que certains massacres ont carrément été planifiés par les tenants des « éradicateurs » de l’armée, dans le but notamment d’affaiblir le clan du président Liamine Zéroual. L’élection du président Bouteflika, va permettre d’entrevoir une sortie de crise par la promulgation de la loi dite de la « concorde civile ». Cette loi a été fortement contestée pour plusieurs raisons : certains y voient une amnistie pour des criminels ayant commis des atrocités, elle est pour d’autres une manière de réhabiliter les agissements des agents de l’armée ayant infiltré les groupes armés. Il est acquis que cette loi, s’est décidée dans une opacité totale et ne garantit aucunement la fin de la violence sans qu’un minimum de justice ne soit accordé aux victimes.

Du GSPC à Al Qaida au pays du Maghreb islamique (AQMI)

Créé en septembre 1998 par le jihadiste Hassan Hattab, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC – en arabe : Al Jamaa al Salafiya l’il Daawa wal Qital) est la plus grande organisation fondamentaliste armée en Algérie, remplaçant progressivement le GIA en Algérie. Hattab a fondé son organisation, après avoir fait sécession du GIA. Beaucoup d’hommes armés l’ont suivi car, selon eux, le GIA avait dévié des principes du jihad légal.

Hassan Hattab est né en 1967 près de la ville d’Alger qui reste l’un des prin­cipaux fiefs islamistes. Il a été partisan du FIS, très admiratif du numéro deux, Ali Bel Hadj. Après le coup d’arrêt du processus électoral en janvier 1992, suite à l’intervention de l’armée pour faire barrage à l’avancée des islamistes, Hattab a rejoint le premier noyau de l’action armée en Algérie, le Mouvement de l’Etat Islamique (Harakat ad Daoula al islamiyya). À cette époque quatre de ses frères l’avaient suivi dans les maquis. Tous sont morts entre 1993 et 1995, au cours de liquidations internes ou des affrontements avec les forces de sécurité. Il a rejoint le GIA en 1994. Al Charif Qossemi, le chef du GIA, lui a confié le commandement d’un groupe armé « Katiba Al Fath », puis il a reçu la charge du groupe « Katiba Jound Al itissam », avant de se faire nommer chef de la « deuxième région », située à l’est de la capitale.

Parmi les attaques attribuées à Hattab, on compte l’assassinat de l’ancien Premier ministre Kasdi Merbah, tombé dans une embuscade en 1993 dans la région de Bani Mourad. Après la mort de Qossemi, tué par les forces de sécurité, Djamel Zitouni a pris le commandement du GIA. Les relations se sont détériorées entre Zitouni et Hattab à cause de leur désaccord sur les méthodes de combat. Le conflit se précisa entre Hattab et le GIA sous le commandement d’Antar Zouabri, en 1996, en par­ticulier quand ce dernier a essayé de liquider Hattab en tentant de le faire tomber dans une embuscade.

Hattab affirme que la raison principale qui l’a poussé à quitter le GIA et à fon­der le GSPC est la déviance de Zouabri qui ne respectait pas les règles du « jihad légal », en s’en prenant arbitrairement aux civils non armés. Tous ceux qui l’ont suivi au GSPC répètent le même argument. Officiellement, le GSPC a été créé le 14 septembre 1998. Plusieurs membres éminents étaient candidats pour prendre le commandement, tel Abdel Aziz Aabi (alias Akacha el Para) tué en 2004, Amari Saïfi (alias Abdelrazzak el Para), dont on suppose qu’il est en détention actuellement.

Les 1300 membres armés du GSPC ont fini par désigner Hattab, comme leur chef. Il en est resté le chef jusqu’à l’annonce de sa « démission » en 2003. Le « Conseil » du groupe a alors nommé Nabil Sahraoui, appelé Moustafa Abou Ibrahim, comme nouveau chef. Après la mort de ce dernier, en 2004, Abdel Malek Droukdal a pris la suite.

D’abord cantonné dans une seule région du pays (la Kabylie), où il était relati­vement peu actif, il a acquis une notoriété internationale avec l’enlèvement d’une trentaine de touristes européens au Sahara, au premier semestre 2003. Depuis lors, il a multiplié attentats et actions armées dans le Nord du pays, ciblant principale­ment les forces de sécurité, puis des civils et des cibles étrangères, au point d’être considéré comme une menace majeure en Europe, par ses « réseaux dormants » prêts à perpétrer des attentats meurtriers. Une menace confirmée par le ralliement du GSPC à Al-Qaida en septembre 2006, et sa transformation, en janvier 2007, en « Organisation d’Al-Qaida au Pays du Maghreb islamique » (AQMI).

En effet c’est l’actuel chef du GSPC, Abdel Malek Droukdal (alias Abou Moussaab Abdel Aoudoud), qui avait annoncé son allégeance à Al Qaïda et ré­vélé ses contacts avec les responsables de l’organisation d’Oussama Ben Laden via Internet. Par ce même canal, on laisse supposer que c’est sur les ordres d’Oussama Ben Laden que le groupe salafiste a adopté l’appellation de l’organisation Al Qaida au pays du Maghreb islamique, ainsi voulait-il indiquer la véracité de la connexion très étroite entre les moujahidins algériens avec leurs frères d’Al Qaida. Ce groupe salafiste devait s’appeler au départ « Qaidate al-jihad fi bilad al-Barbares », allusion au groupe « Qaidate al-jihad fi bilad ar-Râfidane » en Irak dirigé par l’islamiste Abou Mossâab al-Zarkaoui, lui-même martyrisé en 2006 à Bakouba en Irak.

Cette transformation du GSPC, n’est pas un simple luxe sémantique, il s’agit bien d’une nouvelle mutation du mode opératoire du GSPC dans un environne­ment déterminé et visant expansion et prolifération des mouvements d’obédience islamiste dans l’ensemble du Maghreb.

On peut penser que désormais le GSPC est le représentant exclusif d’Al Qaîda, non pas uniquement dans la région du Maghreb, mais aussi dans la vaste bande du Sahel. La collusion définitivement établie entre le GSPC et Al Qaîda, est venue tout à coup compliquer les choses dans le Maghreb et la région du Sahel. Depuis qu’il a prêté allégeance à Al Qaîda, le GSPC tente de se donner une plus grande dimension et une envergure transnationale, afin, d’abord, de justifier sa connexion avec l’organisation de Ben Laden, de frapper ensuite, même symboliquement, des puissances comme les Etats-Unis et la France, et de se donner de l’aura dans le mar­ché surpeuplé des groupes djihadistes transnationaux.

Le groupe salafiste (GSPC), par la prédication et le combat doit devenir « l’os dans la gorge des croisés américains et français ». Cette formule de guerre lancée par le deuxième homme de l’organisation d’Al Qaîda, Aymane al-Zawahiri, constitue ce qu’il convient d’appeler en termes de guerre « la stratégie de la menace perma­nente ». Ceci est d’autant plus inquiétant que ce groupe dispose – selon les services de renseignements occidentaux – de nombreux relais et soutiens en Europe.

En s’alliant à l’organisation de Ben Laden, le groupe salafiste voulait devenir une organisation de portée internationale, aux pratiques opérationnelles importées. Quant à ces objectifs, ils peuvent se décliner comme suit :

  1. objectif national : continuer la lutte armée en vue de renverser le régime en Algérie, en d’autres termes vouloir réussir là où d’autres avant lui ont échoué no­tamment le FIS et le GIA
  2. objectif régional : ré-islamiser le Maghreb en menant le jihad contre des régimes considérés comme excessivement pro-occidentaux pour ne pas dire impies
  3. objectif international : se placer sur l’échiquier de la lutte internationale pour libérer partout dans le monde des musulmans opprimés, en somme islamiser le monde. On est bien dans une logique d’internationalisation ou de globalisation du conflit algérien, c’est à dire le passage d’une lutte longtemps restée localisée, en lutte globale adaptant stratégie et rhétorique.

Il ressort de cette analyse que la genèse des groupes armés se réclamant de l’Is­lam, leurs actions, leurs fondements idéologiques et leur impact dans la société algérienne, comportent encore aujourd’hui de nombreuses zones d’ombre en raison de la complexité de la situation, enracinée dans les mutations internes et interna­tionales proliférantes, sur fond de lutte de libération sanglante contre les coloni­sateurs, suivie de fluctuations profondes entre légalisation et répression des partis d’obédience islamiste.

Force est aussi d’observer, que le contrôle étatique de l’islam en tant que reli­gion, par les Etats au Maghreb et plus particulièrement en Algérie, conjugué aux autres facteurs exposés ci-dessus, expliquent la montée en puissance d’une forme d’opposition islamiste, qui se veut émancipatrice des énergies locales devant la dé­faillance des choix politiques et économiques post-indépendance.

Notes

  1. Mot d’origine arabe, calife ou khalife, vicaire du prophète Muhammad, souverain musulman désigné comme son successeur. A ce titre, il est investi du pouvoir spi­rituel et temporel. Rappelons qu’après la mort du prophète de l’islam Muhammad en 632, l’histoire de l’empire musulman s’est divisée en trois périodes :
  • celle des quatre premiers successeurs dits Khalifes parfaits ou légitimes à savoir: Abu Bakr, Umar, Uthman et Ali (632-660).
  • la période dite des khalifes Umayyades dont la capitale fut Damas (660-750)
  • la période dite des khalifes abbassides dont le plus célèbre fut Hârun-al-Rachid avec pour capitale Bagdad (750-1258)
  1. Les quatre écoles juridiques appelées également (madhab) en arabe, correspondent à quatre rites, fondées au huitième et neuvième siècle, proposant chacune son ap­plication des enseignements originels. Au Maghreb, c’est essentiellement l’école malékite qui est la plus suivie, fondé par le médinois Malek Ibn Anas ( mort en 795), elle est la plus ancienne école musulmane d’interprétation. Les trois autres rites sont le Chaféisme, rite officiel des Abbassides (dynastie de 37 califes arabes descendants d’Abbas, oncle du prophète Muhammad qui se substituèrent aux Umayyades et régnèrent à Bagdad de 750 à 1258). Le Hanafisme, rite le moins rigide de tous, présent notamment en Turquie et en Asie centrale du sud. Enfin le Hanbalisme, école la plus rigoureuse et la plus moraliste, puisque opposée à toute innovation. Son influence est limitée pour l’essentiel à la Péninsule arabique et constitue le rite officiel du régime wahhabite d’Arabie Séoudite.
  2. C’est la coutume ou traditions du prophète, relatées par ses compagnons pour ser­vir de modèle à la communauté des croyants. La Sunna est en outre une des sources du droit musulman.
  3. L’islam n’est pas seulement une doctrine religieuse, c’est également un ensemble de normes juridiques et éthiques qui fixent les règles de la vie collective et personnelle. Diverses écoles ont codifié ces règles pour aboutir à la loi islamique « la charia » ou la loi religieuse en Islam.
  4. Dans l’utopie islamique (Presse de la fondation nationale des sciences politiques)

 

  1. Né en 1928, n’avait guère fait parler de lui jusqu’en 1974, date à laquelle, il
    adressera à Hassan II une lettre ouverte lui reprochant ses déviances et l’appelle à
    une conduite exemplaire doublement imposée par son titre de commandeur des
    croyants et sa qualité de descendant du prophète. Traditionaliste jusqu’au boudd-
    hisme, il avait l’ambition de rétablir au Maroc, la tradition musulmane des pre-
    miers siècles de l’Hégire. Age d’or au cours duquel l’exégète (fakih), assurait le rôle
    de contestataire au pouvoir. Il rappelle que Malik Ibn Anas, fondateur d’une plus
    ancienne école d’interprétation, le malékisme, fut fouetté et torturé pour s’être
    acquitté de ce devoir face au calife abbasside El Mansour. Il refuse le pluralisme
    politique, comme il l’explique dans son livre « l’islam ou le déluge » et le considère
    comme une calamité, léguée par l’occident. A ses yeux, la solution consiste à re-
    mettre en selle le modèle ancien, avec une monarchie qui règne et des oulémas qui
    la guident et lui désignent le chemin à suivre.
  2. Rappelons que le système colonial pratiqué en Algérie, dit de colonisation de

« comptoir », avait pour finalité d’effacer la personnalité arabo-musulmane de ce pays considéré comme un département français et dépendant du ministère de l’intérieur. À titre de comparaison, la Tunisie et le Maroc étaient des protectorats, dépendant du ministère des affaires étrangères.

  1. Né en 1956 à Tunis, ce professeur de langue arabe se considère comme un résistant à l’Etat impie. Enfant pendant la guerre de libération, il fera très tôt sa propre lec­ture de la lutte de libération nationale « guerre sainte », « jihad ». Il reprochera plus tard au FLN, d’avoir conduit la guerre d’émancipation au nom d’un nationalisme laïc qu’il rejette. Dans un livre intitulé « maître mot sur le despotisme des gouver­nants », il livre les sources de son inspiration qui se résument à deux personnages : Ibn Taymiyya, qui a développé une lecture violente des textes coraniques notam­ment sur l’institution des décrets religieux « Fatwa » et Abdelatif Soltani dont il loue, je cite « la résistance héroïque face aux exactions du pouvoir »
  2. Mot d’origine arabe, il a été francisé et utilisé pour désigner les savants musulmans.
  3. Association fondée en 1963, elle a compté dans ses rangs des personnes comme Sahnoun, Soltani et surtout Abbasi Madani, des prédicateurs qui vont parler d’eux et occuper la scène algérienne dès 1990. Cette association a plusieurs revendica­tions: la moralisation de la vie publique, l’application stricte de la charia (loi isla­mique), l’arabisation et la révision du Code de statut personnel visant principale­ment la population féminine.
  4. La mosquée de Baït al-Arqam servait de lieu de prêche pour Soltani, Sahnoun et Madani, dans les années 1970. La mosquée de Bab el-Oued servait dans les années 1980 de lieu de prédication de Belhaj.
  5. DRS (Département des renseignements et de sécurité), ex-sécurité militaire algé­rienne

 

 

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