Les États-Unis et la lutte contre le terrorisme international depuis le 11 septembre 2001

Carole ANDRÉ-DESSORNES

Consultante en géopolitique, doctorante chercheure à l’EHESS, auteure et conférencière

Trimestre 2010

INTRODUCTION

Le 11 septembre 2001 a marqué un tournant dans l’histoire des relations inter­nationales. Il y a eu l’après-Seconde Guerre mondiale et l’émergence d’un monde bipolaire qui a dominé la scène internationale durant toute la guerre froide, puis la chute du bloc soviétique qui a suscité les espoirs les plus fous ! À cela il faut ajouter, comme date clé, le 11 septembre ; il y a eu un avant-11 septembre et un après-11 septembre.

La lutte contre le terrorisme est devenue un axe majeur de la politique étran­gère américaine, ce qui ne signifie pas pour autant que cette lutte était inexistante auparavant, mais celle-ci va devenir une clef de voûte de la politique conduite par Washington.

L’administration Bush est donc passée d’une politique étrangère qui au départ se voulait comme la moins interventionniste à une politique essentiellement fondée sur cette « guerre contre le terrorisme ».

Avant d’aller plus loin, il convient de voir quelles définitions du terrorisme – et le pluriel s’impose ici – les États-Unis ont adoptées. Pour bien comprendre la difficulté à délimiter ce qu’est le terrorisme, il faut savoir que, selon les experts des Nations unies, on ne dénombre pas moins de quelque deux cents définitions ; jusqu’à main­tenant, aucune d’elles n’a fait l’unanimité et aucune n’a donc été adoptée de façon officielle et définitive par l’ONU.

Pour en revenir aux États-Unis, la difficulté reste la même, plusieurs définitions se font jour, cependant trois d’entre elles peuvent retenir notre attention du fait qu’elles émanent d’institutions incontournables et directement concernées par cette lutte contre le terrorisme :

  • En effet, pour le ministère de la Défense, le terrorisme comprend tout type de mouvement qui recourt délibérément à la violence illicite, destinée à inspirer la peur pour intimider, voire contraindre les pouvoirs publics et la société à changer leur attitude, en vue de fins généralement politiques, religieuses ou idéologiques[1].
  • Pour ce qui est du FBI, ce phénomène englobe tout recours illicite à la force et à la violence, dirigé contre des personnes tout autant que des biens, dans le but d’intimider ou de contraindre les pouvoirs publics et les civils, dans la volonté de poursuivre des objectifs d’ordre politique ou social[2].
  • En ce qui concerne le Département d’État, ce dernier inclut dans le terrorisme tout type de violence préméditée, à motif politique, qui est perpétrée à l’encontre de cibles non combattantes (personnels militaires et civils qui ne sont pas armés ou sont en repos) par des mouvements propres à un pays ou des agents clandestins, et dont l’objectif final est d’influer sur la population[3]

N’oublions pas d’ajouter que le « terrorisme international », quant à lui, implique les citoyens et territoires de plus d’un pays. On peut parler de terrorisme globalisé !

Se lancer dans une « guerre contre le terrorisme international » soulève un pro­blème majeur, à savoir s’engager dans une lutte hors des sentiers battus, car il ne s’agit pas d’affronter un pays précis, mais de s’aventurer dans un combat contre un ennemi « interétatique » flou, fluctuant et difficile à identifier !

QUELLE GUERRE CONTRE LE TERRORISME ?

Aux origines d’une situation devenue inextricable

La situation actuelle, qui médiatiquement fait la part belle aux réseaux islamistes djihadistes, au nombre desquels on compte Al-Qaida, trouve ses origines dans une politique américaine qui n’a pas hésité à financer, à s’appuyer sur ces groupuscules radicaux dans le seul but de mener à sa perte le bloc communiste, l’« Axe du mal » de la guerre froide.

Dans une interview accordée au Nouvel Observateur le 15 janvier 19 9 8[4], Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller pour la Sécurité nationale du président Jimmy Carter de 1977 à 1981, reconnaît que l’aide officiellement apportée en 1980 aux moudja­hidine en Afghanistan, soit après l’invasion soviétique de décembre 1979, a en fait débuté en juillet 1979 lors de la signature d’une première directive d’assistance clan­destine aux opposants au régime prosoviétique de Kaboul, augmentant les chances d’une intervention russe en Afghanistan et contribuant ainsi à favoriser la chute de l’Empire soviétique.

Le fondamentalisme islamique n’était alors qu’un outil, le véritable danger à l’époque était incarné par le communisme, et tout valait mieux que cette idéologie qui entendait diriger la moitié du monde, si ce n’est plus !

Washington a opté ouvertement pour les groupuscules les plus radicaux et Gulbuddin Hekmatyar[5] était alors l’un des plus « dignes représentants » de cet ex­trémisme.

Ce choix visait à créer un mouvement qui contaminerait toutes les républiques d’Asie centrale de l’URSS, où les musulmans étaient majoritaires. Parallèlement à cela, il était essentiel, pour Washington, d’éviter que des progressistes prennent la tête de la lutte, car cela aurait conduit inévitablement à une vraie indépendance, ce qui n’était évidemment pas souhaité.

Quand les Soviétiques sont partis en 1989, le pays a sombré dans l’anarchie la plus totale et Washington, qui soutenait financièrement les talibans, ayant atteint son objectif, a stoppé le financement et le soutien logistique alors massifs ; mais c’est Ben Laden qui, après avoir soutenu Hekmatyar, a choisi le camp des talibans et dé­veloppé le réseau Al-Qaida, déjà créé en 1987[6], mais qu’il a dirigé seul depuis 1989 et qui s’est très vite transformé en centre logistique du djihadisme international.

Les cellules implantées au Pakistan ainsi que sur le territoire afghan ont aussi bénéficié de l’aide de l’administration Reagan jusqu’en 1989.

Les États-Unis vont faire l’objet d’attaques virulentes à travers des discours de responsables fondamentalistes d’une ampleur inégalée, lesquelles attaques ne seront que la première étape d’une escalade sans précédent

L’arrivée au pouvoir du régime taliban avec le mollah Omar à sa tête va entraîner le retour de Ben Laden en Afghanistan, pays qu’il a quitté auparavant pour se rendre en Arabie Saoudite, puis au Soudan, où il a trouvé refuge quelque temps.

Les États-Unis sont très rapidement devenus la cible d’une vague d’attentats bien avant ceux du 11 septembre 2001. L’attentat du World Trade Center du 26 fé­vrier 1993, très probablement organisé par une cellule d’Al-Qaida, a été le premier d’une longue série d’attaques ciblant les États-Unis. Cet attentat a été planifié par un groupe de conspirateurs, parmi lesquels se trouvait Ramzi Yousef[7].

Il est suivi par l’attentat visant les tours de Khobar en Arabie Saoudite le 25 juin 1996, où 19 Américains et un Saoudien ont péri, et 372 personnes ont été blessées.

Le 7 août 1998, les ambassades américaines à Nairobi, au Kenya et à Dar el-Sa-lam, en Tanzanie, ont été prises pour cibles. Ces opérations suicides ont été menées par des membres locaux d’Al-Qaida et ont fait de très nombreuses victimes : l’attaque contre l’ambassade de Nairobi a tué au moins 213 personnes dont 12 Américains, blessé de 4 000 à 5 500 personnes[8], celle contre l’ambassade à Dar el-Salam a tué 11 personnes et en a blessé 85.

Entre temps, Ben Laden a lancé en février 1998 sa célèbre fatwa contre « juifs et croisés », visant plus précisément les Américains[9].

Ce n’est pas George Bush qui est à l’origine de cette guerre contre le terrorisme ; en effet, au cours de son second mandat, Bill Clinton va promulguer une succession de lois antiterroristes, au nombre desquelles figurent XAntiterrorism and Effective Dealth Penalty of 1996[10] et XIllegal Immigration and Migrants Responsibility Act[11]. Clinton va remettre au goût du jour la notion de War on Terror[12] face à une montée du terrorisme international.

 

VERS LA GLOBAL WAR ON TERROR, OU LE SYMBOLE DES ANNÉES BUSH

Une politique étrangère qui a pour socle la lutte contre les puissances du mal

Toutes ces lois n’ont pas pour autant pu empêcher de nouvelles actions vio­lentes, ni stopper les déchaînements médiatiques des groupes radicaux à l’encontre des États-Unis, puisque, le 12 octobre 2000, c’est l’USS Cole, le 17e destroyer de la classe Arleigh Burke de l’US Navy, qui a été victime d’une attaque à l’embarcation piégée à Aden, tuant pas moins de 17 marins et en blessant une cinquantaine.

Un an plus tard, le destin des États-Unis basculait dans l’horreur[13], l’objectif ici n’est pas de revenir sur cette journée, mais plutôt sur les conséquences de celle-ci sur la politique adoptée par Washington.

Les attentats du 11 septembre ont entraîné une réponse immédiate qui s’est tra­duite par l’invasion de l’Afghanistan qui a eu lieu sous le nom de code Operation Enduring Freedomu, mettant fin au régime taliban au pouvoir depuis 1994.

George Bush va utiliser l’expression « Axe du mal » dans son discours sur l’état de l’Union en 2002 pour désigner les pays suspectés, voire accusés de soutenir le terrorisme, ce qui va lui permettre de préparer également le terrain pour d’autres interventions.

Ainsi, après la chute du régime taliban en Afghanistan, chute qui, rappelons-le au passage, n’a aucunement permis aux États-Unis de mettre la main sur le « cerveau » du 11 septembre, Oussama Ben Laden, c’est au tour de Saddam Hussein d’être dans la ligne de mire. Lequel Saddam Hussein était déjà tombé en disgrâce depuis la guerre du Golfe en 1990-1991.

C’est donc en avril 2003 que le régime baasiste tombe, mais cette opération de libération s’enlise assez vite dans une guérilla contre l’occupant, doublée d’une guerre civile.

À cela s’est ajoutée l’installation d’Al-Qaida en Irak. En effet, si l’administration Bush s’est appuyée sur des preuves volontairement erronées, à savoir la détention d’ADM[14], liens entre le pouvoir baasiste et Al-Qaida (il n’est pas inutile de rappeler que ces liens ne reposaient sur aucun fondement), pour justifier cette intervention armée au nom de la sécurité internationale, cette arrivée massive des troupes amé­ricaines a offert l’opportunité à Al-Qaida de jeter de vraies bases en Irak, pays qui avait été jusque-là épargné par l’implantation de groupes djihadistes islamistes dits transnationaux et qui se trouve être aujourd’hui un vivier de terroristes. Force est de constater qu’un bon nombre de terroristes qui ont servi en Irak sont réapparus au Koweït, en Arabie Saoudite, en Jordanie entre autres… Nous avons affaire à une nouvelle génération de terroristes qui n’hésitent pas à se mettre au service d’autres groupes aussi radicaux, au nom de la défense d’une vision quelque peu déformée de l’islam.

Toute la politique de Bush reposait sur un « remodelage » du Grand Moyen-Orient, incluant, outre les pays arabes du Moyen-Orient, l’Iran, le Maghreb (qui comprend non seulement le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, mais aussi la Libye et la Mauritanie), la Turquie, le Pakistan et l’Afghanistan. Cette guerre globale contre le terrorisme, qui inclut les opérations militaires en Afghanistan et en Irak, était le plus sûr moyen d’étendre l’influence de la puissance américaine sur une zone énergétique (pétrolière et gazière) de premier ordre en prenant soin de toujours mettre en avant cette lutte pour un monde plus sûr et par conséquent d’y redéployer les troupes militaires.

À cela s’ajoutent d’autres théâtres d’opérations, notamment en Afrique du Nord, plus précisément en Algérie[15], au Maroc, mais aussi au Tchad, au Mali. Des unités militaires américaines fournissent un soutien logistique, une formation des forces locales de sécurité ainsi que des services de renseignements à ces pays afin de lutter contre divers groupuscules armés se réclamant ou non du réseau Al-Qaida.

Il est néanmoins intéressant de souligner que l’Arabie Saoudite, pourtant connue pour être une place forte des idéologies radicales, wahhabite et salafiste, n’a pas été inquiétée du fait même du pacte historique scellé en 1945 entre le président améri­cain, Franklin D. Roosevelt, et le roi d’Arabie Saoudite[16]. Ce pacte faisait de l’Ara­bie Saoudite un fidèle allié de Washington et un acteur incontournable du secteur pétrolier.

De même que nous devons nous rendre à l’évidence que la volonté des États-Unis de s’attaquer à Saddam Hussein n’était pas sans lien avec la découverte, au grand dam du royaume saoudien, qu’un certain nombre de kamikazes du 11 sep­tembre étaient de nationalité saoudienne. Ceci aurait donc conforté Washington dans le choix d’attaquer l’Irak, autre réservoir de pétrole, ce qui permettait aux États-Unis de sécuriser leurs approvisionnements et par là même limitait la dépendance de ces derniers à l’égard de l’Arabie, sans pour autant rompre les liens avec le royaume !

Parallèlement aux opérations militaires, les États-Unis, qui depuis 2001 dispo­saient de données bancaires de citoyens européens, avaient signé déjà en 2007 un premier accord Swift[17] avec l’Union européenne afin d’encadrer ces transferts de données. Le Parlement européen souhaitait mettre à jour ce texte, ce qui est chose faite depuis le 8 juillet dernier, permettant ainsi au Trésor américain d’accéder aux données financières de près de 8 000 institutions et banques dans près de 200 pays gérés par la société Swift.

Le Parlement a profité de cette mise à jour pour exiger de renforcer la protection des citoyens européens ; reste à savoir si ces exigences seront respectées. Ainsi les demandes émanant du Trésor devront-elles être justifiées et les données transmises seront, quant à elles, réduites à ce qui sera strictement nécessaire pour mener à bien une enquête.

Peter Hustinx, contrôleur européen des données, reconnaît lui-même que cet accord permet une transmission des informations qui va bien au-delà de ce qui est nécessaire[18].

L’après-11 septembre a été l’occasion pour l’administration Bush de répartir les pays en différentes catégories et de mettre en exergue un certain nombre d’entre eux, alors considérés comme étant des États finançant le terrorisme[19]. Sept États ont été désignés comme faisant partie de cette dernière catégorie, à savoir la Corée du Nord, Cuba, l’Iran, l’Irak, la Libye[20], le Soudan et la Syrie ; ces États sont qualifiés de rogue states.

Que signifie concrètement cette inscription sur cette « liste noire » ? Pour ces pays, c’est être soumis à quatre types de sanctions, c’est-à-dire :

  • Un embargo sur les exportations et toutes les ventes d’armes à ces pays.
  • Une application de restrictions aux exportations d’articles à double usage à ces mêmes pays. Tout ce qui pourrait accroître les capacités militaires des pays en question doit être ratifié.
  • Une suspension de toute aide économique.
  • Une application de toute une batterie de restrictions financières, comme l’op­position des États-Unis aux prêts de la Banque mondiale, du FMI, etc., la levée de l’immunité diplomatique, la suppression de crédits d’impôts sur les revenus réalisés dans l’un de ces pays, la suppression de la franchise des droits de douane, l’inter­diction à tout citoyen américain de réaliser une transaction financière d’une valeur supérieure à 100 000 dollars avec des entreprises contrôlées par un des États figurant sur cette liste.

Dès septembre 2002, Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense, a égale­ment montré sa détermination à aller plus loin dans cette lutte en accordant plus de place aux actions clandestines à l’étranger par le biais de forces spéciales qui se voyaient attribuer un rôle croissant dans la lutte contre le terrorisme international ; cela signifiait mener des actions à l’étranger dans la plus grande clandestinité.

Qu’en est-il de la politique intérieure ?

Faire face à cette menace terroriste est également devenu un leitmotiv sur le plan intérieur. C’est à ce titre qu’un certain nombre de mesures ont été adoptées, au nombre desquelles on compte l’USA Patriot Act, véritable appareil législatif qui a permis de contourner XHabeas Corpus en facilitant la détention de personnes soup­çonnées de projeter des actes terroristes, sans les inculper, en les plaçant dans la catégorie de « combattant ennemi ». Le camp de Guantanamo en a été la pièce maîtresse[21]. Le fait d’avoir implanté volontairement la prison sur ce site, donc hors du territoire national, a surtout été une façon d’éviter que les prisonniers aient le moindre recours aux lois américaines.

À côté de cela, les vols clandestins[22] de la CIA ainsi que les centres de détention clandestins sur le territoire européen représentent l’autre partie immergée de cet ice­berg, à savoir l’ensemble d’activités menées hors de tout cadre juridique légal.

L’USA Patriot Act va finir par imposer l’usage des passeports biométriques afin de bénéficier de l’exemption des visas ; en effet, en 2004, l’Union européenne entendait généraliser le passeport à l’ensemble de ses ressortissants qui souhaitaient « fouler le sol » américain.

D’autres lois vont compléter cet ensemble comme XAviation and Transportation Security Act le 19 novembre 2001[23], le Maritime Transportation Security Act of 2002[24]

En novembre 2003, l’administration Bush crée une nouvelle agence, le Terrorist Screening Center[25], sous la houlette du FBI, chargée d’identifier et de stocker des données concernant toute personne suspectée d’être terroriste.

Toutes ces mesures vont maintenir un état d’inquiétude permanent à l’intérieur du pays, tout autant qu’une pression de plus en plus forte à l’extérieur, sans que cela ait mis un terme définitif au terrorisme international. Force est de constater que tout ceci a contribué à la réélection de George W. Bush en 2004, le seul candidat, aux yeux d’une majorité d’Américains traumatisés par les attentats du 11 septembre, capable d’assurer une protection du territoire national ainsi que des ressortissants à l’étranger.

L’autre effet sera d’augmenter le budget militaire et par là même de satisfaire un certain nombre d’intérêts financiers parmi les proches de l’administration améri­caine.

Il ne faut pas pour autant négliger les tentatives d’attentats déjouées par les forces de sécurité : on peut citer le cas de Richard Reid[26] qui, le 22 décembre 2001, devait faire exploser en plein vol un Boeing reliant Paris à Miami, une charge dissimulée dans sa chaussure. En mai 2002, c’est au tour de Jose Padilla, citoyen américain, de se faire arrêter alors qu’il envisageait de faire exploser une bombe dite « sale », inté­grant des éléments radioactifs, visant des immeubles d’habitation.

En 2002 et 2003, des projets de détourner des avions pour viser la côte ouest ainsi que la côte est ont été déjoués. Toujours en 2003, Lyman Faris, chauffeur rou­tier, est arrêté tandis qu’il projetait de détruire le pont de Brooklyn. Et la liste est longue.

 

QUEL BILAN AUJOURD’HUI ?

QU’EN EST-IL DE L’ADMINISTRATION OBAMA ?

Un virage sémantique ?

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Barack Obama a souhaité opérer un virage. Cela va commencer par l’abandon des termes de Global War on Terror, contre-pro­ductifs et qui ont fini par imposer l’idée que les États-Unis menaient une guerre contre l’islam. C’est ainsi que, au cours d’une étude menée sur près de 648 groupes terroristes de 1968 à 2006, Seth G. Jones et Martin C. Libicki[27] ont livré leurs conclusions, et il s’est avéré que seuls 7 % de ces groupes ont été vaincus militai­rement, ce qui prouve bien que la guerre contre le terrorisme n’est pas une guerre classique et que ce phénomène ne peut être combattu par les stratégies classiques !

La Global War on Terror va laisser place aux Overseas Contingency Operations.

À côté de cela, Obama a sonné le glas des interrogatoires menés sous la torture et a annoncé, le 21 janvier 2009, la fermeture du camp de Guantanamo, ce qui est loin d’être chose aisée, puisque des résistances, venant notamment de pays peu enclins à accueillir d’anciens détenus de Guantanamo, ont retardé l’application de cette mesure.

Malgré cette rupture voulue par Barack Obama, les différentes tentatives avor­tées d’attentats[28] sur le sol américain depuis son arrivée ont quelque peu modifié la position de Washington, qui semble, ces derniers temps, reprendre à son compte les orientations conduites par l’administration Bush, tant critiquées lors de la campagne électorale de 2008.

Actuellement, la liste des États considérés comme étant liés, de près ou de loin, à l’activité terroriste s’élève à 14 nations. Dix sont jugés comme des « pays à risques », on y trouve l’Afghanistan, l’Algérie, l’Irak, le Liban, la Libye, le Nigeria, le Pakistan, la Somalie et le Yémen ; aucun ne figure sur la liste des rogue states, statut qui concerne les quatre autres États qui sont clairement désignés comme sponsorisant les activités terroristes, à savoir le Soudan, la Syrie, l’Iran et Cuba[29].

Malgré cet abandon de la « guerre contre le terrorisme », le gouvernement démo­crate a amplifié son combat contre les réseaux terroristes, dont Al-Qaida, qui figure toujours en tête des groupes djihadistes les plus dangereux.

John Brennan[30], conseiller du président pour la Sécurité, a déclaré, l’été dernier, l’intention de Washington de « déplacer la lutte contre Al-Qaida et ses alliés extré­mistes sur le terrain où ils complotent et s’entraînent, et ce où que ce soit ». Sont donc visés l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Somalie, le Sahel. Cette décision ne va pas être sans conséquences sur la politique sécuritaire ainsi que sur les relations avec les populations locales.

Une administration en proie à des difficultés pour le moment difficilement surmontables

Le 27 mars 2009, le président Obama dévoilait sa stratégie concernant l’Afgha­nistan et le Pakistan. Ce dernier a relancé l’idée de mener une nouvelle offensive contre les talibans[31].

Lors de son allocution prononcée à l’occasion de sa remise du prix Nobel de la paix le 10 décembre 2009, Barack Obama n’a pas dérogé à la règle en vigueur dans la plus grande puissance démocratique, en montrant sa détermination à lutter contre ce fléau, le terrorisme. Il n’a pas hésité à parler du mal en s’adressant à l’assistance : « Car ne vous leurrez pas : le mal existe dans le monde. Ce n’est pas un mouvement non violent qui aurait pu arrêter les armées d’Hitler. Aucune négociation ne saurait convaincre les chefs d’Al-Qaida de déposer leurs armes. Dire que la guerre est parfois nécessaire n’est pas un appel au cynisme, c’est la reconnaissance de l’histoire, des imperfections de l’homme et des limites de la raison[32]. »

Même s’il entend marquer, haut et fort, cette rupture avec l’administration pré­cédente, il n’en demeure pas moins que l’actuel président dénonce tout autant le radicalisme et cette lutte conduite pas les extrémistes au nom de Dieu : « Ces extré­mistes ne sont pas les premiers à tuer au nom de Dieu ; la cruauté des croisades est très largement documentée […]. Parce que vous croyez réellement que vous exécu­tez la volonté divine, alors il n’y a pas besoin de retenue – pas besoin d’épargner la femme enceinte, ni le médecin, ni même la personne qui professe la même foi que vous. Une vue aussi déformée de la religion est incompatible non seulement avec le concept de la paix, mais aussi avec l’objet même de la foi[33]. »

C’est dans cette logique de résistance au radicalisme que le 13 février 2010 est lancée l’opération Mushtarak, la plus vaste opération militaire depuis que le prési­dent des États-Unis a annoncé l’envoi de soldats supplémentaires sur le sol afghan. Elle a été menée conjointement par l’armée nationale afghane, l’armée américaine et les forces britanniques, dans la province d’Helmand en Afghanistan ; près de 15 000 soldats ont été impliqués. Cette opération n’a malheureusement pas mis en déroute les talibans qui contrôlent, avec la complicité de Seigneurs de la guerre locaux, la guérilla dans cette région.

L’axe afghano-pakistanais est la vraie source du terrorisme, aux yeux de Barack Obama. Il est vrai que le Pakistan semble lui-même rencontrer des difficultés à faire face à des désordres internes, de même que la zone du Waziristân[34] semble échapper à son contrôle.

En même temps que le compte à rebours du désengagement militaire américain[35] est lancé, les États-Unis ne déploient pas moins de 30 000 hommes supplémentaires en Afghanistan dans le cadre d’une politique de renfort.

La question suivante se pose : alors que la présence américaine en Irak n’a pas eu les effets escomptés pour la Maison-Blanche et encore moins pour la stabilité du pays (même si, il faut le reconnaître, la position des Kurdes d’Irak s’est améliorée), est-il envisageable pour les États-Unis de mener à bien ces opérations en Afghanistan, afin que le pays devienne un allié de poids pour mettre un terme à ce risque terroriste dans la région, mais aussi en Occident, et ainsi permettre à l’influence de la puissance américaine de s’étendre, ou doit-on craindre un enlisement dans cette zone, qui historiquement et à plusieurs reprises a montré sa ténacité ainsi que son aptitude à repousser les puissances étrangères ?

L’avenir répondra à la question, même si l’on peut craindre le pire quant à l’équi­libre de la région !

Il est de plus en plus clair que d’autres acteurs peuvent tirer avantage de cette politique américaine, comme la Turquie et l’Iran qui en profitent pour asseoir petit à petit leur audience, voire un ascendant sur cette partie du monde. Mais ceci est un sujet qui pourra faire l’objet d’une autre étude !

[1]United States Department of Defense, 12 avril 2001, http://www.dtic.mil/doctrine/jel/ new_pubs/jpl02.pdf.

[2]Counterterrorism Threat Assesment and Warnong Unit, 1999, http://www.fbi.gov/ publications/terror/terror99.pdf.

[3]Office of the Coordinator for Counterterrorism, 2002, 2003, http://www.state.gov/ documents/organization/20177.pdf.

[4]Interview de Zbigniew Brzezinski, in Le Nouvel Observateur, 15-21 janvier 1998, p. 76.

[5]Il a été le chef du parti islamiste Hezb-i-islami, à la tête duquel il a d’abord combattu les Soviétiques lors de la guerre d’Afghanistan dans le cadre de l’opération Cyclone de la CIA et avec le soutien des services secrets pakistanais (ISI).

[6]Al-Qaida, « La base », mouvement d’inspiration sunnite fondamentaliste, a été fondé par le cheik d’origine palestinienne Abdhullah Yusuf Azzam et son disciple Oussama Ben Laden.

[7]Ramzi Ahmed Yousef, d’origine pakistanaise a été l’un des planificateurs de l’attentat de 1993 ainsi que de l’opération Bojinka (c’était un plan d’attentats terroristes sur des avions de ligne américains, découvert en janvier 1995. Ce plan est considéré comme le précurseur des attaques terroristes du 11 septembre 2001). Il a été arrêté à Islamabad en 1995 et extradé aux États-Unis où il purge une peine de prison à vie.

[8]http://www.voanews.com/french/news/a-46-2008-08-07-voa1-91961649.htmlPCFTOKE N=38131282&CFID=68411897.

[9]International Islamic Front for Jihad Against the Jews and the Crusaders.

Ben Laden lance une fatwa : « Nous appelons chaque musulman qui croit en Dieu à tuer les Américains et à piller leurs richesses, où que ce soit et dès que ce sera possible. Nous appelons également chaque musulman à attaquer les troupes sataniques américaines et ses démons alliés. L’ordre de tuer des Américains est un devoir sacré dans le but de libérer les mosquées d’Al-Aqsa et de La Mecque. »

Le Monde, 20 septembre 2001, et presse internationale

[10]http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=104_cong_public_laws& docid=f:publ132.104.

[11]http://www.americanlaw.com/1996law.html.

[12]Cette War on Terror avait déjà été utilisée par Reagan mais dans un contexte de lutte contre l’Axe du mal qui était alors assimilé au bloc soviétique. Le but ultime était alors, purement et simplement, la disparition de ce bloc.

[13]Quatre attentats suicides sont perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis par des membres du réseau Al-Qaida. : dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne afin de les écraser sur des bâtiments hautement symboliques du Nord-Est du pays. Deux avions sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center à New York, et le troisième sur le Pentagone, à Arlington, près de Washington DC. Le quatrième avion, volant en direction de Washington, s’est écrasé en rase campagne en Pennsylvanie, après que des passagers et membres d’équipage ont essayé d’en reprendre le contrôle. Les attaques ont entraîné la mort de 2 995 personnes.

[14]ADM, « armes de destruction massive ».

[15]Une base américaine est déjà établie en Algérie, celle-ci est située à côté de l’oasis d’Ihérir, à 110 km au nord-ouest de Djanet et à 220 km de la frontière libyenne, dans le Tassili des Adjer.

[16]Le 14 février 1945, le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt reçoit à bord du croiseur Quincy le roi d’Arabie Saoudite, Adb al-Aziz, sur le lac Amer, dans le canal de Suez en Égypte. Les États-Unis proposent alors au régime saoudien le soutien américain et la garantie de la sécurité de son territoire contre l’exploitation de ses richesses pétrolières.

[17]La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (Swift) est une société coopérative de droit belge, basée près de Bruxelles, détenue et contrôlée par ses adhérents, parmi lesquels se trouvent les plus grosses banques mondiales. Fondée en 1973, elle a ouvert un réseau opérationnel de même nom en 1977.

Comme elle gère l’enregistrement des BIC, le terme Code Swift est par ailleurs utilisé pour désigner le BIC.

[18]AFP, le 8 juillet 2010

[19]Dans un discours prononcé le 20 septembre sur l’état de l’Union, le président Bush a déclaré que « chaque État, sur chaque continent, doit maintenant prendre une décision : soit il est avec nous, soit il est avec les terroristes ».

[20]La Libye a été retirée de la liste en 2004.

[21]Donald Rumsfeld a annoncé le 27 décembre 2001 que la base américaine située à Cuba pourrait accueillir dans les jours qui suivaient 300 premiers prisonniers talibans ou du réseau Al-Qaida arrêtés en Afghanistan.

[22]http://www.ledevoir.com/international/europe/111062/dick-marty-publie-son-rapport-sur-les-vols-de-la-cia-14-pays-europeens-de-connivence-avec-la-cia.

[23]http://archives.lesechos.fr/archives/2007/PremiumAero/01/09/300129139.htm.

[24]http://www.tsa.gov/assets/pdf/MTSA.pdf.

[25]http://www.fbi.gov/about-us/nsb/tsc/tsc.

[26]http://www.lefigaro.fr/international/2010/05/02/01003-20100502ARTFIG00058-les-attentats-dejoues-aux-etats-unis-depuis-2001-.php.

[27]Seth G. Jones and Martin C. Libicki, How Terrorist Groups End: Lessons for Countering al Qa’ida, RAND, 2008.

[28]Le 19 septembre 2009, trois hommes d’origine afghane sont arrêtés aux États-Unis dans le cadre d’une enquête sur un projet d’attentat dans le métro de New York.

25 décembre 2009 : c’est un Nigérian de 23 ans qui embarque en portant sur lui une bombe artisanale destinée à faire exploser en plein vol, le jour de Noël, un avion reliant Amsterdam à Detroit.

Le 1er mai dernier : un véhicule piégé contenant des matériaux explosifs est découvert dans la soirée en plein Times Square à New York.

[29]Le Monde, 4 janvier 2010

[30]http://www.whorunsgov.com/Profiles/John_O._Brennan.

[31]La première offensive avait été lancée le 7 octobre 2001 par Bush, entraînant en décembre de la même année la chute du régime taliban, à la tête duquel se trouvait le mollah Omar.

[32]Allocution prononcée lors de la remise du prix Nobel le 10 décembre 2009.

[33]Ibid.

[34]Le Waziristân est une zone actuellement contrôlée par les talibans, celle-ci longe la frontière afghane. Une partie de cet espace était incluse dans le royaume afghan jusqu’au tracé de la ligne Durand imposé par les Britanniques le 12 novembre 1893.

[35]Désengagement qui selon les sources officielles de Washington prendra fin en 2011.

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