LES FRERES MUSULMANS EN EGYPTE ET EN TUNISIE : QU’EN EST-IL DE LA CONFRERIE DANS LES DEUX PAYS CLEFS DES DITES « REVOLUTIONS DU JASMIN » ?

Carole ANDRE-DESSORNES

Consultante en Géopolitique, auteur & Conférencière, Doctorante-chercheur à l’EHESS.

3eme trimestre 2011

Quelles perspectives pour la confrérie des Frères musulmans en Égypte et en Tunisie dans cette période de révolutions ? Le Premier élément qui ressort de ces révolutions c’est la dimension nationale des soulèvements. Ce fait permet d’écarter l’islamisme djihadiste qui ne s’appuie nullement sur des causes nationales mais qui n’existe qu’à travers un réseau abstrait.

What are the prospects for the Muslim Brotherhood in Egypt and Tunisia in this period of révolution? The first element that emerges from these revolutions is the national dimension of the uprisings. This is to avoid a Jihadist Islamism which is based not on national causes but exists only through an abstract network

Se pencher sur la Confrérie des Frères Musulmans dans les deux

pays leaders de ces « Révolutions du Jasmin » que sont l’Egypte et la Tunisie paraît être, aujourd’hui plus que jamais, une évidence et ce à plusieurs titres : l’Egypte en tant que terre d’origine de cette mouvance et la Tunisie, un des nombreux pays du monde arabe où les Frères Musulmans vont faire des émules et gagner du terrain.

Ainsi Rached Ghannouchi, leader historique tunisien dd Ennahda (parti de la Renaissance) n’a-t-il jamais caché ni ses sympathies pour la Confrérie égyptienne, ni celle-ci comme source d’inspiration.

Cela est d’autant plus intéressant que les deux chefs d’Etat déchus, Ben Ali et Moubarak, n’ont pas cessé de brandir la « menace islamiste » bénéficiant ainsi du soutien incontestable, voire de la bienveillance de l’Europe et des Etats-Unis les considérant comme le seul rempart face à la montée en puissance de cette idéologie. Du moins était-il plus confortable pour tous de penser ainsi !

La Confrérie des Frères Musulmans1 s’est peu à peu enracinée au sein de la classe moyenne urbaine instruite. Sa force repose sur un vaste système tourné vers les aides sociales et éducatives et les infrastructures sanitaires ainsi qu’un réseau de mosquées et de prêcheurs ; ajoutons à cela une présence non négligeable dans les universités et au sein des syndicats. Les Frères ont toujours veillé à pallier le vide laissé par l’Etat ainsi que le dysfonctionnement des institutions étatiques. Fondamentalement, la Confrérie aspire à établir un régime s’appuyant sur le retour du Grand Califat2 et par là même la chute des régimes arabes actuels3. Cette confrérie est l’expression la plus aboutie de l’islamisme politique sunnite. Aussi paradoxal que cela puisse pa­raître en Occident, les Frères Musulmans ne rejettent pas tous le parlementarisme démocratique ; ainsi certains n’hésitent-ils pas à mettre en avant la Shura (modèle de consultation interne).

Les Frères ont été maintes fois persécutés et déclarés hors la loi en Egypte comme en Tunisie. Le régime Moubarak lui-même a toujours présenté la confrérie comme l’ennemi juré. Officiellement écartés de la sphère politique égyptienne, les Frères étaient tolérés. Leurs réseaux d’aide sociale leur ont donné une certaine assise et leur ont assuré une percée aux législatives de 2005, leur permettant ainsi de remporter plus de 80 sièges.

Le 1er Mai dernier, la Confrérie des Frères annonce la naissance officielle du « Parti de la liberté et de la justice »4, tout en assurant l’indépendance de celui-ci vis-à-vis de la confrérie. Mohammed al-Moursi, à la tête du nouveau parti souligne que ce dernier sera civil et en aucun cas théocratique. Suite à cette annonce, on peut observer qu’un nombre non négligeable de formations qui souffrent d’une certaine inorganisation craignent d’être marginalisées…

Reste à savoir si le facteur Temps ne va pas jouer en faveur des Frères Musulmans !

Un bref rappel historique de la confrérie des origines à la veille de la révolution égyptienne

Les Frères Musulmans constituent une confrérie qui a été fondée en 1928 par Hassan al-Banna5. Celle-ci prône donc une renaissance islamique6 tout autant que la lutte contre l’influence occidentale ; soulignons au passage que cette lutte est officiellement présentée comme « non-violente ». Cependant l’assassinat, le 28 Décembre 1948, du Premier Ministre égyptien Nouqrachi, par un Frère et l’agres­sion contre le successeur de ce dernier7, ont non seulement jeté le discrédit sur la Confrérie, mais également semé une certaine confusion quant à la modération qu’elle s’évertuait à afficher.

N’oublions pas non plus Sayyid Qutb, l’un des principaux idéologues de la Confrérie, exécuté par pendaison en 1966 par Nasser, qui est à l’origine de la doc­trine moderne du Jihad8.

A la mort d’Al-Banna en 1949, la Confrérie est réduite à la clandestinité ainsi qu’à des divisions internes ; trois grandes tendances semblent émerger : une pre­mière conservatrice, une seconde beaucoup plus tournée vers l’action violente et une troisième se présentant elle-même comme plus modérée et plus politique.

C’est cette dernière qui va prendre le dessus et apporter un soutien non négli­geable aux Officiers libres de Nasser. Les Frères vont jouer un rôle dans les émeutes anti-britanniques qui affaiblirent la Monarchie, considérée comme bien trop proche de l’Occident et de l’occupant, et ce jusqu’au coup d’Etat des mêmes Officiers libres en Juillet 19529. Très vite les Frères gênent Nasser qui met tout en œuvre pour ren­forcer ses positions ainsi que son influence sous la présidence du Général Néguib.

En Janvier 1954, Nasser profite d’une manifestation organisée par la Confrérie à l’Université du Caire pour faire arrêter les chefs et procéder à l’interdiction du Mouvement. Il fit arrêter le Général Néguib en l’accusant de soutenir la confrérie des Frères. Il devient alors Premier Ministre et sera élu en Juin 1956 Président de la République, étant le seul candidat en lice. Son arrivée au pouvoir s’accompagne d’un grand nombre d’arrestations et ce jusqu’à 1970, année de sa mort.

Anouar al-Sadate, le successeur de Nasser, va se rapprocher des Frères Musulmans afin de faire contrepoids à l’Extrême Gauche et pour ce faire, il va même jusqu’à leur promettre l’intégration à terme de la Charia dans les lois égyptiennes.

En 1978, les Frères déclarent renoncer au soutien « aux actions violentes », mis à part le combat en Palestine. Cette ligne de conduite est loin d’être partagée par tous les partisans dont certains vont se regrouper au sein de la « al-Gama’a al-islamiyya » qui, elle, refuse de recourir à l’utilisation de la violence. Précisons au passage que c’est un des membres de cette dernière structure qui est à l’origine de l’assassinat de Sadate en 1981.

Hosni Moubarak, successeur de Anouar al-Sadate, reconnaîtra la confrérie en tant qu’organisation religieuse mais pas en tant que parti politique ; ceci n’empêche nullement les membres de la Confrérie de participer aux élections comme candi­dats indépendants, voire représentants d’autres partis reconnus par l’Etat. C’est en 1996, que des dissidents de la Confrérie vont demander la création d’un nouveau parti, Hizb Al Wasat (parti du centre)10 composé principalement de professions libérales qui ont participé aux luttes estudiantines et syndicales ; ce parti, bien qu’il se montre plus ouvert aux évolutions de la société n’a pas eu la reconnaissance légale tant espérée.

Il existe donc bien un fossé entre ces membres et les anciens de la confrérie qui, eux, valorisent plus un conservatisme religieux.

Plus tard, lors des élections législatives qui se sont déroulées en 2005, la Confrérie a obtenu pas moins de 88 députés sur un total de 454 sièges. Il n’est pas inutile de rappeler que ces 88 sièges ont été gagnés par des membres indépendants et non par les représentants d’un parti qui n’existe pas. Officiellement le mouvement a renoncé à toute volonté de créer un Etat théocratique ; les Frères adopteraient par là même le pragmatisme politique des mouvements islamistes marocains. Tout ceci n’empê­chera pas la vague de répression conduite en Décembre 2006 contre la confrérie11. Les élections législatives de Novembre 2010 ne permettent pas aux Frères de re­nouveler cet exploit de 2005 ; en effet, des milliers de membres sont arrêtés entre les deux scrutins ; à cela s’ajoutent les fraudes. Tout ceci pousse alors les Frères à se retirer de la compétition.

Depuis le 16 Janvier 2010, les Frères ont à leur tête un nouveau Guide Suprême, le conservateur Mohamed Badie12 qui, semble-t-il, ne répond pas aux attentes de la jeune garde bien plus ouverte aux réformes.

Qu’en est-il de la Tunisie ?

Comme nous l’avons souligné, l’idéologie de la Confrérie repose sur la volonté d’instaurer des républiques islamiques, y compris en Tunisie.

Ennahda a les mêmes objectifs que la Confrérie en Egypte.

Quant au groupe Ettahrir (Hizb Ut-Tahrir), celui-ci refait surface. Né d’une division avec les Frères musulmans tunisiens, ce groupe de mouvance salafiste prône l’instauration d’un Califat. Le mouvement Ennahda13 entend bien se démarquer de ce dernier et son chef historique, Rachid Ghannouchi, de retour en Tunisie après un exil à Londres met tout en œuvre auprès des instances européennes pour que son groupe soit comparé aux partis Chrétiens démocrates. Ainsi n’hésite-t-il pas à dénoncer les récentes attaques d’Ettahrir contre le travail des femmes. Il va même jusqu’à se déclarer proche de l’AKP turc et le PJD14 marocain.

Retour aux sources

Rached Ghannouchi, le fondateur d’Ennahda est né en 1941 à Hamma de Gabiès. Issu d’une famille de 10 enfants, son père était agriculteur et très pieux. Sa famille était pratiquante. Son oncle était leader du mouvement Fellagha15.

Ghannouchi quitte sa ville d’origine pour se rendre à l’université islamique de la Zitouna où il avait le choix entre le droit en arabe et la théologie ; il se tournera vers la théologie.

C’est quelques années après qu’il décida de partir en Egypte car Nasser incarnait pour lui et sa famille le leader arabe incontesté. Après un passage en Egypte, Rached Ghannouchi alla en Syrie pour y faire 4 ans de philosophie.

Au cours de cette période il est profondément déçu par Nasser et c’est en 1967 qu’il prend la décision de quitter le parti nassérien. Il commença alors à étudier et lire Sayyid Qutb, Mohamed Iqbal16 ainsi que Mawdudi17.

Après un bref passage à Paris, Ghannouchi décide de rentrer en Tunisie où il va commencer à prêcher et va décider de travailler au Ministère de l’éducation pour enseigner la philosophie au Lycée Ben Charef à Tunis. Il se présente très vite comme un des plus fervents opposants au président Bourguiba qui, pour lui, incarne l’en­nemi de l’Islam. C’est ainsi qu’en 1979, il sera arrêté à deux reprises à cause de ses enseignements à la Mosquée.

C’est en 1980 que la police découvre son groupe, le MTI, qu’il entend légaliser en 1981. Il affirme son refus de la violence, le souhait du multipartisme ainsi que la position en faveur des droits de la femme à la vie publique. Malgré cela, il est condamné à onze ans de prison ferme en 1981.

Après les émeutes du pain18, il est libéré le 3 Janvier 1984. Mais il sera à nouveau arrêté en Mars 1987. C’est en 1989 que le MTI prendra le nom d’Ennahda.

La Guerre du Golfe va radicaliser les positions du régime tunisien. Ben Ali19, successeur de Bourguiba, va profiter de cette guerre et de la montée du FIS (Front islamique du Salut) en Algérie pour passer à l’offensive et il va ainsi procéder à des centaines d’arrestations. La grande majorité des dirigeants du mouvement optent pour l’exil et Ghannouchi prend le parti de s’installer à Londres.

Le 30 Août 1992, il est condamné par contumace à la prison à vie et obtient alors l’asile politique en 1993.

L’après-révolution

L’Immolation par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid le 17 Décembre 2010, les émeutes qui vont suivre, la chute du régime en Janvier 2011 et le départ de Ben Ali pour l’Arabie Saoudite le 14 Janvier dernier, font rentrer la Tunisie dans une nouvelle ère et annoncent le retour de Rached Ghannouchi en Tunisie.

Ce retour sera suivi, peu de temps après de la légalisation du parti. Ennahda a donc été officiellement légalisé le 1er Mars dernier20.

La dissolution du RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique, parti de Ben Ali) a laissé un vide politique que seuls les mouvements relativement struc­turés peuvent remplir, ce qui est le cas pour des groupes qui ont vécu en exil ou dans la clandestinité la plus totale.

Rached Ghannouchi, dans une récente déclaration datée du 6 Février, a insisté sur le fait qu’il ne remettait pas en cause le Code du statut personnel.mais cela ne semble pas pour autant rassurer les Tunisiens, qui dans leur majorité se montrent prudents quant à ces déclarations.

Sa modération affichée peut découler d’une certaine sincérité tout comme elle peut répondre à une grande flexibilité qui aurait pour but et conséquence d’élargir les adhésions. Parallèlement à cela, le parti semble devoir faire face à des dissensions internes ainsi qu’à une concurrence, encore toute relative à ce stade, de partis de mouvance islamiste récemment légalisés. On ne peut que constater une montée du salafisme. A ce titre, il sera intéressant d’observer attentivement la tournure que prendront les prochaines élections législatives prévues le 24 Juillet prochain, bien que certaines voix s’élèvent pour un report.

Les Frères musulmans et les révolutions

Quelles perspectives pour les Frères Musulmans ?

Le Premier élément qui ressort de ces révolutions c’est la dimension nationale des soulèvements. Ce fait permet d’écarter l’islamisme jihadiste qui ne s’appuie nullement sur des causes nationales mais qui n’existe qu’à travers un réseau abstrait. Qui plus est, à aucun moment la question du référent religieux ne s’est posé au cours de ces révolutions, que ce soit en Tunisie, en Egypte, en Libye.

Le second élément tient au fait que les Révolutions laissent ouvert un immense champ des possibles. Il est d’abord clair que l’image du président à vie a été sérieu­sement écornée. Il est aussi vrai que la vie politique arabe a été figée pendant des décennies.

A côté de cela, n’oublions pas qu’aujourd’hui les Frères Musulmans sont les mieux organisés socialement dans les quartiers plus défavorisés, notamment en Egypte. La confrérie disposerait aujourd’hui de près de 100 000 soutiens payants et de millions de partisans. Elle contrôle également la Gamia Charia qui compte 450 filiales, 6 000 mosquées et deux Millions de membres, ce qui en fait l’association de bienfaisance islamiques la plus importante d’Egypte21.

Le troisième point à garder à l’esprit, c’est qu’au regard de l’histoire, les « lea­ders » des premiers jours sont souvent mis sur la touche. Les premiers manifestants se trouvent dépassés une fois que la révolution est faite. Là encore, l’histoire l’a prouvé à maintes reprises : ceux qui peuvent apparaître comme les héros du jour se trouvent trahis au moment où des élections sont mises en place afin d’assurer un retour à la stabilité et un avenir possible. Les exemples ne manquent pas, et à ce titre on peut citer la Révolution française de 1789, les Révolutions des prin­temps de 1848 avec Lamartine qui a été mis de côté au profit de Louis-Napoléon Bonaparte.

Reste À savoir ce qu’il va advenir de ces révolutions et quelle place va occuper
l’islamisme ?

Il est en effet intéressant de souligner qu’Al-Wasat est maintenant reconnu of­ficiellement par le tribunal égyptien, et est dorénavant appelé al-Wasat al-Gadeed. Une décision antérieure du tribunal a refusé en 2009 l’octroi du statut parti légal, en affirmant que celui-ci ne répondait pas aux conditions et règlements des partis politiques. Un des fondateurs du parti, M. Aboul Ela Madi, a décrit la décision du tribunal comme une victoire dans une longue bataille entre le désespoir et l’espoir qui a duré 15 ans.

Le facteur temps : un facteur déterminant pour l’avenir !

Cet aspect est loin d’être négligeable, comme on l’a précédemment souligné. Ce qui a frappé les esprits c’est l’effet de surprise et la rapidité avec laquelle ces Révoltes ont essaimé.

Ceux qui ont lancé les récents mouvements à caractère révolutionnaire sont issus de la génération « Post-islamiste ».

A aucun moment l’idéologie religieuse n’a été dressée comme l’étendard révolu­tionnaire. Bien au contraire, les slogans sont pragmatiques, ils ne font pas référence à l’Islam, mais expriment avant tout le rejet de dictatures et de la corruption généra­lisée en même temps qu’une demande de libertés. Il n’est pas inutile de mentionner que ce n’est pas la Démocratie à l’occidentale qui est revendiquée mais plus de Libertés au sens large du terme.

Nous avons à faire à une génération pluraliste, plus individualiste et qui ne voit pas, dans ce qu’on appelle la Réislamisation, un retour de l’Islam politique, mais bien plus une quête individuelle.

Les manifestants réclament haut et fort le respect et la dignité. La grande incon­nue réside dans ce que la suite des événements nous réserve et c’est à ce niveau là que le facteur temps est déterminant.

Si au départ ces insurrections sont des échecs pour les régimes autoritaires tout autant que pour les Islamistes, ces derniers ont pour eux le fait d’être les mieux structurés, notamment en Egypte, mais aussi en Tunisie.

Ils bénéficient d’une longue histoire en tant qu’organisations secrètes, avec des chefs identifiables, ce qui n’est pas le cas des mouvements contestataires.

La place qu’occupent ces islamistes dits légalistes22, traditionnels ou classiques, selon les points de vue, n’est plus celle qu’ils occupaient dans les années 1980 et 1990. Ils n’incarnent plus l’unique espoir d’une jeunesse désabusée. Au contraire ils n’ont pas su adapter leur programme aux préoccupations actuelles.

Qui plus est, les mouvements de protestation ont pris de court les islamistes.

Cependant le facteur temps peut jouer en leur faveur

En Tunisie, le parti islamiste Ennahda, bien qu’il sorte de la clandestinité, il compte bien reprendre pied dans la société ; le Leader précise qu’il n’entend pas se présenter aux élections présidentielles à venir. Il joue la prudence. Soulignons que nous sommes dans un pays où la tradition séculaire est très forte.

Pour ce qui est de l’Egypte, nul ne peut nier que la confrérie des Frères Musulmans demeure une force d’opposition importante ; mais à l’heure actuelle, elle ne représente pas la majorité de cette opposition.

Si pour le moment on assiste à l’irruption de nouveaux acteurs, reste que ces derniers doivent très vite s’organiser, au risque, si cela tarde trop, de laisser l’oppor­tunité aux Frères Musulmans de jouer un rôle qui sera plus conséquent.

Le facteur temps conjugué à une forte déception de la rue face à un immobi­lisme, à une non-réponse aux attentes des populations, à une incapacité à stabiliser et à structurer la société ainsi qu’à réparer les injustices, peut nourrir un ressenti­ment déjà présent où désarroi et colère prendront le dessus et permettront à des groupes plus structurés tels que ces Frères Musulmans de reprendre à leur compte cette contestation. Ainsi, si élections il y a, glisserait-on, non pas vers un vote reli­gieux mais plutôt protestataire qui au final bénéficierait aux Islamistes.

Un autre fait ne peut être occulté : les leaders des Frères Musulmans se relèvent petit à petit de longues années d’exclusions violentes du jeu électoral. Leur position attentiste23 et mesurée ne signifie pas pour autant qu’ils aient rayé définitivement de leur agenda l’objectif d’arriver un jour ou l’autre au pouvoir. La relève sera assurée par la jeune garde plus moderne. Ils vont devoir s’affirmer dans le nouveau paysage électoral.

Ce qui est intéressant à relever, c’est qu’en Egypte afin de garantir un sou­tien des Frères Musulmans, les militaires ont nommé au Comité de révision de la Constitution, l’avocat Sobhi Saleh24, l’un des membres actuellement les plus en vue de la confrérie. Doit-on avancer la possibilité qu’un parti islamiste coopère à terme avec l’armée ? Cela reste à prouver. Il faut avancer avec prudence et éviter de céder à la tentation de nourrir une « réflexion » qui ne prendrait appui que sur les clichés ! Il ne faut pas mettre de côté une donnée importante : au Maghreb, personne ne souhaite vivre la tragédie endurée par l’Algérie dans les années 1990 qui a fait plus de 300 000 morts et des milliers de disparus.

Les partis islamistes, on l’a vu pour Ennahda, pour la plupart n’hésitent pas à se comparer à l’AKP25, voire aux Chrétiens démocrates européens.

Comme le souligne François Burgat26si les formations islamistes n’influent pas à ce jour sur le cours des événements en Tunisie, reste à savoir ce que les élections présidentielles vont laisser paraître.

Les frères musulmans, que ce soit en Egypte ou en Tunisie… comptent à leur actif de nombreux diplômés, mais malgré cela il n’y a pas de véritable programme économique qui se dégage. Comme nous l’avons vu, même si ces derniers ne sont en rien à l’origine des mouvements de contestation, ils peuvent au final en être les bénéficiaires. Ils ont une stratégie de long terme ; cela passe par la légalisation du mouvement, au sens large.

Ils ont beaucoup à gagner à une transition démocratique qui pourrait leur don­ner une liberté de mouvement.

Notes

  1. Jama’at al-Ikhwan al-Muslimin
  2. Dar al-harb
  3. Dar al-islam
  4. L’Orient le Jour, le 1er Mai 2011 lorientlejour.com
  5. Hassan al-Banna est né en 1906 dans le Delta du Nil. Son père, fonctionnaire, va lui don­ner une éducation religieuse des plus strictes. A cette époque Hassan va éprouver une cer­taine admiration pour le mouvement salafiste. C’est en 1927 qu’il devient instituteur à Ismaïlia qui se situe le long du Canal de Suez. En Mars 1928, il crée la Confrérie des Frères Musulmans avec une douzaine d’autres compagnons.

La Confrérie passe de 4 sections en 1929 à 15 en 1932. On ne dénombre pas moins de 300 sections en 1938. En 1949, la Confrérie compte près de 2 Millions de membres. Hassan al-Banna meurt le 12 Février 1949 dans un attentat qui aurait été organisé par la Police.

  1. Les Frères Musulmans publient leur Profession de foi en 1930 dans leur 1er journal, on peut y lire « Je crois que tout est sous l’ordre de Dieu, que Mahomet est le sceau de toute pro­phétie adressée à tous les hommes […], que l’Islam est une loi complète pour diriger cette vie… ».
  2. « Les mouvements islamistes, des armes aux urnes », in Maghreb, Machrek n°194 Hiver

2007-2008, Choiseul pp30-31.

  1. Sayyid Qutb développe cette doctrine du Jihad dans son livre « Jalons » rédigé durant son incarcération et publié en 1964.

Il faut rappeler que la plupart des groupes islamiques radicaux parmi lesquels figure Al-Qaïda se réclament de Sayyid Qutb. Citons au passage qu’Ayman al Zawahiri, numéro 2 d’Al-Qaîda, est un ancien Frère soupçonné d’avoir participé à l’assassinat de Sadate, et qui avait déjà été emprisonné du temps de Nasser.

  1. L’organisation clandestine «les officiers libres» s’empare du pouvoir et renverse le roi Farouk tenu pour responsable de la défaite face à Israël en 1948-1949 et de sa soumission aux Britanniques… La République est alors proclamée et le Général Mohamed Néguib, l’une des figures les plus respectées, est porté à la tête du pouvoir.
  2. Hizb Al-Wasat a été fondé par Aboul Ela Madi. Ce groupe opte plutôt pour un discours néolibéral sur le plan économique.

Cf la thèse présentée par Clément Steuer « L’émergence contrariée d’un groupe d’entrepre­neurs politiques en Egypte : le cas du Hizb Al-Wasat », Sciences Po Lyon. Lien pour consul­ter la thèse http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/56/07/33/PDF/these_Wasat.pdf

  1. 40 membres ont été déférés dont le numéro 3, Khaïrat Al-Chater. AFP le 15 Février 20
  2. Cf Le Monde, le 19 Janvier 2010. Mohamed Badie, 66 ans, leader des Frères musulmans, ancien vétérinaire, est devenu le huitième guide suprême des Frères musulmans au début de l’an dernier. Membre de l’aile la plus conservatrice de ce mouvement, il serait plus attaché à l’islamisation de la société qu’à l’engagement politique direct, contrairement à la jeune garde réformatrice. Cf L’express le 3 Février 2011.
  3. Le parti est né en 1980 sous le nom de « Mouvement de la tendance islamique » avant de prendre le nom actuel en 1989.
  4. Le Parti de la justice et du développement (Hizb al-Sadala wa at-tanmia) (PJD), est un parti politique marocain islamique. Ce parti, considéré comme conservateur, est connu pour ses tribunes violentes contre l’occidentalisation des mœurs marocaines. Mais depuis les attentats perpétrés à Casablanca en 2003, ce dernier a adopte un style moins véhément. Le parti met tout en œuvre pour ne pas nuire à ses succès électoraux.
  5. Mouvement qui lutta pour l’indépendance du pays alors sous domination française. Ce mouvement existe aussi en Algérie et désigne pour largement les combattants.
  6. Poète et philosophe Indo-pakistanais (1879-1938), à travers ses écrits il se lança dans la recherche d’une synthèse entre le legs coranique et l’apport de l’Occident.
  7. Abu Ala Mawdudi (1903-1979), est considéré comme le plus grand représentant de la théologie politique indo-pakistanaire. Pour lui, l’Oumma (communauté musulmane) transcende les frontières nationales et culturelles et constitue l’instance politique fonda­mentale
  8. Les « émeutes du pain » sont des protestations de rue qui interviennent entre le 27 dé­cembre 1983 et le 6 Janvier 1984. Ces émeutes font suite à une demande du FMI de stabiliser l’économie nationale ; le gouvernement annonce l’augmentation des prix du pain et des produits céréaliers.
  9. Président depuis 1987
  10. In Courrier International n°1071 – The Daily Star / par Raaja Basli
  11. Cf T. Salaùn, « Egypte, le parti social des Frères musulmans », Le Figaro, le 5 Juillet 2005.
  12. Référence aux Frères Musulmans qui vont petit à petit intégrer le système électoral, à l’instar du FIS en Algérie en 1988, en 2005 lors des législatives en Egypte, du Hamas en 2006…
  13. Essam Al-Erian, dans une interview accordée au New-York Times le 9 Février 2011, assure qu’ils n’envisagent pas « de jouer un rôle dominant dans la transition qui vient ».
  14. Sobhi Saleh, avocat d’appels d’Alexandrie, et ancien membre du Parlement, figure émi-nente des Frères Musulmans. Il a été récemment libéré de prison. Il était considéré par le Gouvernement Moubarak comme étant un extrémiste.
  15. Le Parti pour la justice et le développement ou AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi), parti islamo-conservateur, est au pouvoir en Turquie depuis 2002.
  16. Cf article publié par Catherine Gouësset dans l’Express le 19 Janvier 2011.
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