Les Organisations internationales et régionales et le progrès du genre humain Quel avenir pour la culture de la paix et l’éthique de la non-violence ?

Ninou GARABAGHI

Docteur d’État ès Sciences économiques de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne1

Avril 2015

Les discussions ayant droit au chapitre sur la question de la paix sont circonscrites dans des limites qui empêchent que soient examinées les questions de fond. De sorte qu’il est possible d’avoir des doutes quant à la bonne volonté des acteurs clés d’engager tout véritable débat en la matière. L’examen des perspectives de paix dans ses dimensions morale, éthique, socio-anthropo­logique, juridique, économique et politique met en évidence la fécondité d’une approche pluri/ interdisciplinaire de la question de la paix. Il est tout à fait pertinent de poser la culture de la paix et l’éthique de la non-violence comme indicateurs par excellence de la mesure du progrès du genre humain. Qu’on se situe au niveau des individus ou des États, une paix positive et durable entre entités distinctes suppose des relations d’égalité et de respect mutuel. Et une paix positive entre entités étatiques suppose des relations fondées sur l’égale souveraineté des États et non sur la domination. Avec la mondialisation des différentes sphères de la vie des sociétés qui bousculent les frontières établies d’une part et le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale d’autre part, la question de la paix et de la sécurité met en exergue la nécessité de la démocratisation de la gouvernance mondiale par un renforcement du rôle des pays émergents et des acteurs non étatiques dans l’édification d’institutions constitutives d’une démocratie cos­mopolitique respectueuse de la diversité culturelle. À l’échelle internationale, il s’agit de s’assurer la « paix négative » pour pouvoir dégager les moyens permettant à l’ONU de bâtir une « paix positive ». Pour ce faire, la qualité de membre permanent du Conseil de sécurité devrait être un label d’excellence et non un statut conquis par la force. À l’ère de l’Internet, des réseaux sociaux et des NTIC, un poids de plus en plus prépondérant devrait être accordé au soft power des ayants droit au statut de membre permanent du Conseil de sécurité. En effet, il n’est pas illusoire de penser que l’humanité est en mesure de venir à bout de la violence de guerre pour s’attaquer aux autres maux qui la rongent (violence sociale, violence domestique, violence psychologique, etc.). Menace pour la paix et la sécurité internationale en raison des risques d’atteinte portés à l’image et à la crédibilité des Nations Unies, la catégorie d’intervention armée la plus néfaste est celle où le droit d’ingérence humanitaire est officiellement invoqué pour légitimer des interventions moti­vées par une idéologie messianique ou par des intérêts d’ordre géostratégique. Poser le pacifisme comme but de l’ONU c’est vouloir éviter et prévenir les dérives possibles et endiguer tout risque de régression ayant pour conséquence la perte de légitimité de l’ONU en général et du conseil de sécurité en particulier à un moment clef de l’histoire de l’humanité.

D’UN POINT DE VUE GÉOPOLITIQUE, le monde a connu de profondes modifi­cations depuis la création des institutions de Bretton Woods et la refondation du système des Nations Unies2. Toujours présente mais en reconfiguration, les mé­canismes de gouvernance interétatiques, caractéristique du système international hérité du siècle passé, ne sont plus qu’un des éléments du système de gouvernance mondial. Ceci explique pour partie les difficultés et impasses de la réforme des Organisations et Institutions du système des Nations Unies qui continuent à être toutes exclusivement de caractère intergouvernemental y compris celles de visée cosmopolitique. Mais fait le plus préoccupant au regard des perspectives de réforme et qui concerne plus spécifiquement l’ONU est le recours de plus en plus fréquent à la mesure coercitive extrême qu’est l’emploi de la force armée avec ses dérives au principe de délégitimation de la guerre définie comme « acte de violence physique destiné à contraindre notre adversaire à se soumettre à notre volonté ».

En effet, jusqu’au XXIe siècle, ce qui caractérise les relations internationales, est le monopole de la violence physique légitime entre les États membres de l’ONU par le Conseil de sécurité et le respect du principe de non-ingérence dans les affaires internes de ses États membres. Or, en 2005, le Sommet mondial des Nations Unies consacre le droit d’ingérence humanitaire (versus devoir de protection de la com­munauté internationale) en reconnaissant les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité comme des menaces contre la paix auxquelles le Conseil de sécurité a le droit et le devoir de faire face en mobilisant les pouvoirs contrai­gnants que lui confère le chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Forme relâchée de fédéralisme d’États-nations gouvernés par cinq grandes puis­sances de structure et de force inégale, l’ONU augure de l’ordre cosmopolitique prôné par Kant. Si contrairement à la Société des Nations (SDN), l’ONU n’exclut pas le recours à la force armée en cas de menace pour la paix, il importe de veiller à ce que, via ce droit et par le biais du nouveau droit d’ingérence dit humanitaire, elle ne devienne un instrument de guerre et d’hégémonie des puissances dominantes de la communauté dite internationale, pour l’heure occidentales et demain pro­bablement asiatiques. Il est utile à cet égard de garder présent à l’esprit qu’une paix durable suppose des relations fondées sur l’égale souveraineté des États et non sur la domination.

Après les bouleversements internationaux de la fin du siècle passé, il était ques­tion de réformer l’ONU, mais ces réformes n’ont pu aboutir car essentiellement centrées sur les luttes des puissances ré-émergentes pour le pouvoir que confère la qualité de membre permanent du Conseil de sécurité. Et comme en sus et au-delà de leur lutte pour conserver le monopole de l’arme nucléaire « les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont en tête du palmarès des ventes d’armes », ils ne peuvent être considérés comme des anges pacificateurs, tant s’en faut et « cela confirme, comme Monique Chemillier-Gendreau le souligne, l’imprudence qu’il y a à les maintenir dans le rôle de garants de la sécurité collective car la paix pré­tendument recherchée est en contradiction directe avec leurs intérêts nationaux »3.

Réactualisation de la Charte des Nations unies et réforme du Conseil de sécurité

À l’heure de la mondialisation et à défaut d’un gouvernement mondial, le Système des Nations Unies peut être considéré comme une forme relâchée et carica­turale de fédération d’États-nations plus ou moins souverains. Construction d’après guerres destinée à garantir le caractère pacifique des relations internationales, il est du devoir de tout un chacun de veiller à ce que cette entité de visée cosmopolitique qu’est l’ONU ne devienne un instrument de légalisation de guerres de visée impé­rialiste. Il est à noter à cet égard que l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa Déclaration sur les droits des peuples à la paix (résolution 39/11 du 12 novembre 1984) « souligne que, pour assurer l’exercice du droit des peuples à la paix, il est indispensable que la politique des États tende à l’abandon du recours à la force dans les relations internationales… ».

Au regard de la réforme de l’ONU et compte tenu de l’émergence de nouveaux acteurs influents dont les hackers (lanceurs d’alerte) qui travaillent bon gré mal gré dans le sens d’une plus grande transparence des us et coutumes des acteurs politiques et économiques à l’échelle mondiale, une question d’importance stra­tégique concerne la légitimité démocratique du Conseil de sécurité. En effet, dans la perspective du maintien de la paix et de la sécurité internationales, la realpolitik exige et le pragmatisme impose la prise en compte des rapports de force à l’échelle internationale certes mais de tous les rapports de force. Il s’agit à cet égard de savoir si face au tribunal de l’opinion publique internationale et compte tenu de la montée en force des nouveaux acteurs non étatiques pour éviter les guerres larvées et redo­rer le blason des institutions des Nations Unies pour en accroître l’autorité, l’on ne devrait pas veiller à élargir le champ d’application du principe d’universalité de l’ONU au Conseil de sécurité.

C’est sous la pression des ONG que le Traité sur les ventes d’armes a pu être mis à l’ordre du jour des Nations Unies en 2009. Adopté en avril 2013 par l’Assemblée générale des Nations Unies, ce n’est que le 24 décembre 2014 que ce traité est entré en vigueur. Ce traité qui se limite au commerce d’armes conventionnelles, n’a été ratifié que par 60 des 130 pays signataires du traité. Les États-Unis qui totalisent à eux seuls plus du tiers des exportations mondiales d’armes, qui s’élèvent à 100 mil­liards de dollars par an, n’ont pas ratifié le traité. Le plus grave concernant ce Traité est que hormis dans son préambule, le corps du traité ne fait pas explicitement réfé­rence aux « acteurs non étatiques ». Et qui plus est, les États étant prosaïquement guidés par leurs intérêts géostratégiques, l’attribution du qualificatif de terroriste dépend des aléas de l’histoire, les cas des Talibans et d’Al Qaïda sont là pour nous le rappeler. Et reste enfin la question épineuse du financement des extrémistes isla­mistes.

Les réformateurs de l’ONU étant les représentants de ses États membres, ils sont tout naturellement davantage enclins à chercher à maintenir ou à accroître leur pouvoir au sein de l’ONU qu’à renforcer le pouvoir de l’ONU comme acteur de paix. Ce qui soulève la question de savoir quels sont les États membres de l’ONU qui mériteraient d’être qualifiés de « membre permanent du Conseil de sécurité » ? Pour être éligible dans le club restreint des membres permanents doit-on nécessai­rement faire partie des grandes puissances ? Dans ce cas quel indicateur de puis­sance doit-on privilégier : la puissance militaire, la puissance économique ou le soft power ? Compte tenu de la montée en force de l’opinion publique internationale et de la diffusion rapide des opinions « locales » à l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux, parmi les critères de puissance ne devrait-on pas faire une place en bonne et due forme au soft power, comme source de légitimité ? Une entité culturelle (un pays, un groupement d’intégration régional tel que l’UE, etc.) ayant un soft power élevé est une entité qui a un pouvoir d’attraction élevé, qui suscite le respect et qui fait figure de source d’inspiration dans le monde. Une telle entité dispose tout naturellement d’un indicateur d’aide au développement4 et d’un indicateur du développement humain élevés.

Avec la mondialisation, la société de marché a supplanté l’économie planifiée de sorte que c’est l’esprit mercantile qui innerve de plus en plus toutes les sphères de la vie des sociétés5. Ceci expliquerait la vogue de stratégies de nation branding qui consiste dans la construction d’« image de marque nationale » faisant appel aux services d’agences privées de publicité et de communication. Or la valorisation par les agences de conseil en marketing de comportements compétitifs, agressifs voire guerriers6 ne peut que favoriser la fuite en avant dans la course aux armements des pays. Il est à noter à cet égard que, après avoir diminué durant quatre ans, c’est grâce au dynamisme des pays émergents que les dépenses de défense mondiale ont pu progresser de 0,6 % en 20147. C’est ainsi que les pôles de puissance militaire ont été modifiés à la faveur de l’Asie qui depuis 2012 arrive en deuxième position après les États-Unis d’Amérique. Ce qui ne présage rien de bon quant à la perspective d’un projet de paix mondiale.

À l’ère post-westphalienne que la pensée défaitiste qualifie à tort de post-poli­tique, on est en droit de s’interroger à savoir pourquoi les gouvernements qui ont pris l’heureuse initiative de politique volontaristes destinées à renforcer leur soft power en améliorant l’image et la réputation de leur pays n’ont pas penser faire appel à l’expertise du système des Nations Unies ? C’est pourquoi lorsque nous suggérons ici de privilégier le soft power des pays candidats au statut de membre permanent du Conseil de sécurité, il nous paraît important de veiller pour ce faire à établir des canons guidés par les valeurs, idéaux et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies. Il est à noter à cet égard que pour ce qui concerne l’image des différentes parties prenantes en général et de la société civile en particulier, il serait probablement préférable de privilégier « l’être » au « paraître ». Et que dans le choix de ce qui devrait « être », ce ne soient pas les attitudes et comportements qui valo­risent la posture de va-t’en guerre mais de pacificateur des relations internationales qui soient privilégiées8.

L’enjeu consiste dès lors à identifier les critères qui permettraient d’assurer une juste mesure du soft power des pays candidats au statut de membre permanent du Conseil de sécurité : attractivité du mode et du niveau de vie, attractivité de la vie culturelle et artistique, attractivité du modèle social, contribution au progrès des sciences et de la technologie, contribution au financement des biens publics mondiaux, exemplarité des institutions et du comportement des différents acteurs étatiques et non étatiques, image de la société civile, juste application de la politique de la conditionnalité dans les politiques d’aide au développement, diplomatie poli­tique œuvrant en faveur de la pacification des relations internationales, diplomatie économique axée sur la relation « gagnant-gagnant » ? Dans la perspective des luttes plus ou moins perceptibles des grandes puissances pour la suprématie par le soft power, cette question, qui est loin d’être superflue9, pourrait jouer un rôle structu­rant de plus en plus important.

En ce qui concerne la Charte des Nations Unies, il importe de souligner que celle-ci a été réactualisée dans un sens de pacification des relations internationales. En effet, la réactualisation de la Charte a donné lieu à la suppression de la réfé­rence aux « États ennemis ». La question est de savoir si, au-delà du fait que les ennemis d’hier sont maintenant devenus des amis, cette suppression n’augure pas de l’abandon de la conception schmittienne du politique selon laquelle l’essence du politique repose sur la distinction entre l’ami et l’ennemi. Pour dire simple, il s’agit de savoir si c’est le concept d’État ennemi qui est abandonné ou pas ? Car si l’esprit de guerre demeure, il ne sert à rien de réactualiser la Charte. Au contraire et ce dans un esprit de transparence, il vaudrait mieux maintenir la référence à l’« État ennemi » et laisser à chacun la liberté de juger qui est l’ennemi selon les circons­tances de l’histoire10. Le recours intempestif au concept d’État Voyou est là pour nous rappeler que, comme l’Acte constitutif de l’UNESCO le stipule, « c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».

Face aux transformations profondes du monde, l’ONU doit impérativement être réformée : celle en profondeur du Conseil de sécurité certes mais aussi et sur­tout révision de la Charte des Nations Unies. En effet, d’après Mireille Delmas-Marty11, la Charte des Nations Unies ne donne pas à l’ONU les moyens de bâtir la « paix positive ». Pour être crédible les Nations Unies devraient se fixer des objectifs à la hauteur de ses idéaux qui soient dignes de mobiliser toutes les nations. L’objectif serait l’abandon total du recours à la force à moyen terme par le refus de la violence meurtrière de la guerre et à plus long terme par l’abandon de toute mesure coerci-tive quelle qu’elle soit.

S’il est communément admis aujourd’hui que l’efficacité politique des sanc­tions économiques est quasi nulle, les sanctions économiques telles l’embargo, le contingentement ou le boycott qui relèvent de la guerre économique, ont pour la plupart des conséquences humanitaires néfastes. Les coûts humains de la violence économique infligée aux populations civiles en général et aux couches les plus vul­nérables de la population, soulèvent des questions d’ordre morale et éthique certes mais pas exclusivement.

En ce qui concerne les mesures coercitives, il n’est pas nécessaire d’être psycho­logue pour savoir que « trop de sanctions tue les sanctions ». Pour être effectives, les sanctions doivent être décidées à bon escient. M. Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire Général des Nations-Unies dans son allocution à un Colloque internatio­nal de l’Académie de géopolitique de Paris12, note que les sanctions internationales, qu’il s’agisse de celles collectives édictée par le Conseil de sécurité ou des sanctions unilatérales décidées par l’UE ou les EU, sont devenues monnaies courantes au cours de ces dernières années. Et se fondant sur les dispositions de l’article 41 de la Charte des Nations unies, il rappelle à juste titre que les sanctions ne sont pas des punitions et ne doivent en aucun cas être prises dans un esprit de vengeance : « l’objectif escompté de ces mesures doit être de modifier le comportement d’un État ou de toute entité qui menacent la paix et la sécurité internationales et non pas de les punir ou de prendre de représailles à leur encontre ».

Les sanctions sont en réalité un instrument contondant. Pour être crédibles, elles doivent être justes et pouvoir être prises pour modifier tout autant le compor­tement d’un État puissant que faible. Et pour ce faire elles ne doivent être prises qu’en dernier recours et par un organe neutre. C’est pourquoi dans la perspective de l’objectif d’universalisation de l’état de droit, il y aurait lieu de veiller à ce que « les sanctions soient adoptées par des organes judiciaires plutôt que par des instances politiques ». Et in fine pour obtenir les résultats à la hauteur des objectifs escomptés, « La priorité doit toujours être accordée au règlement pacifique des différends sur la scène internationale par la négociation, les bons offices, la conciliation et la média­tion ». Le 17 décembre 2014, lors d’une allocution télévisée, le président Obama a reconnu que cinquante ans de sanctions économiques contre Cuba n’avait servi à rien et que pour aider les Cubains, il avait décidé de privilégier la politique du dialogue avec le gouvernement de La Havane13.

Le recentrage de l’action en faveur de la paix et de la sécurité évitant le recours à la force armée aurait l’avantage d’assainir l’utilisation des moyens et de permettre la réaffectation des maigres ressources humaines et financières du système des Nations Unies sur les mesures préventives et dissuasives. Il s’agit de s’assurer la « paix né­gative » pour pouvoir dégager les moyens permettant à l’ONU de bâtir une « paix positive ». La qualité de membre permanent du Conseil de sécurité devrait être un label d’excellence et non un statut conquis par la force. À l’ère d’internet, des réseaux sociaux et des NTIC, un poids de plus en plus prépondérant devrait être accordé au soft power des ayants droit au statut de membre permanent du Conseil de sécurité.

En effet, il n’est pas illusoire de penser que l’humanité est en mesure de venir à bout de la violence de guerre pour s’attaquer aux autres maux qui la rongent (vio­lence sociale, violence domestique, violence psychologique, etc.). 800 millions de personnes sont menacées de famine de par le monde, la question consiste de savoir si les affamés sont perçus comme un fardeau ou un atout. Formidable ressource pour penser le développement du monde, l’aide au développement comme le pré­sident Barack Obama l’a souligné dans son discours du 24 mai 2013 au Congrès des États-Unis, est également le meilleur investissement et moyen de lutter contre le terrorisme.

Saadi (XIIIe siècle) dans le Golestân, Montaigne (XVIe siècle) dans ses Essais, Kant (XVIIIe siècle) dans Vers la paix perpétuelle, Norbert Elias (XXe siècle) dans La civilisation des mœurs et Steven Pinker (XXIe siècle) dans The better angels of our nature, tablent sur un adoucissement progressif des mœurs. Cette foi dans le progrès du genre humain n’est pas utopique14. La non perception des avancés tient pour partie à la montée des mesures sécuritaires dans les pays occidentaux qui sont la contrepartie négative de la montée de l’intolérance à l’égard de la violence civile. En Occident les gouvernements veillent à l’application effective d’une politique de tolérance zéro contre le viol, et dans un nombre de plus en plus important de pays, la violence domestique qu’il s’agisse de la violence conjugale ou familiale est de moins en moins tolérée. Pour ce qui est de la violence judiciaire, les Nations Unies se battent depuis vingt ans pour l’abolition de la peine de mort. L’on notera à cet égard que « le droit pénal est traditionnellement considéré comme le domaine par excellence de la souveraineté nationale »15. Si compte tenu de ce qui précède, la peine de mort a bien pu être abolie dans la majorité des États membres de l’ONU, pourquoi les Nations Unies ne pourraient-elles pas venir à bout de la guerre ?

La délimitation des frontières de l’inacceptable : de l’universalisabilité des valeurs de la paix et de la non-violence

La délégitimation de la guerre comme mode de régulation et sa perte d’effica­cité comme instrument de résolution des conflits seraient-elles des oiseaux de bon augure pour la paix ? La paix ne signifie évidemment pas l’absence de conflits ou leur fin. L’absence de conflits n’est pas signe de paix et d’harmonie mais d’absence de liberté c’est-à-dire de totalitarisme comme le remarque Montesquieu. Le conflit comme la coopération sont inhérents à la condition des vivants en général et des humains en particulier. La spécificité de la question chez les humains tient à deux faits majeurs. Il y a d’abord le fait que si le conflit est propre à la condition humaine, l’être humain a de tout temps disposé de la liberté de choix des moyens pour ré­soudre ses conflits : le recours à la violence ou l’action non-violente.

Il y a ensuite le fait que, maintenant grâce aux progrès des sciences et de la technologie, les êtres humains disposent avec le nucléaire d’une arme de destruction massive particulièrement redoutable dans un contexte post-westphalien caractérisé par l’émergence de nouveaux acteurs-réseaux répondant à des logiques différentes voire divergentes et par la confrontation et la lutte de deux catégories de puissances hégémoniques les unes visibles et les autres souterraines. Si danger nucléaire il y a aujourd’hui, ce n’est pas du côté de l’acteur « État-nation » qu’il se situe.

Il est de plus en plus de bon ton de fustiger les pacifistes et encore plus les promoteurs de l’éthique de la non-violence. La violence, attribut masculin donc virile, est perçue comme positive. Tandis que la non-violence, attribut féminin, serait signe de passivité et de faiblesse. Pourtant ce qui est difficile en réalité ce n’est pas de se laisser emporter par la violence mais, au contraire, de savoir se maîtriser pour être en mesure d’agir efficacement par la non-violence.

D’origine orientale, c’est Gandhi qui a familiarisé l’Occident avec le mot de « non-violence », ahimsa en sanscrit. D’après Jean-Marie Muller « la non-violence est la reconnaissance, l’apprivoisement, la maîtrise et la transmutation du désir de violence qui est en l’homme et qui le conduit à vouloir écarter, exclure, éliminer, meurtrir l’autre homme ». Opter pour la non-violence c’est lutter contre la déshumanisation de l’être humain par la violence : déshumanisation du violenté et du violent. Ce n’est pas opter pour la lâcheté maquillée sous le vernis de la bonne conscience. Ce n’est pas non plus opter pour l’absence d’action mais opter pour l’action non-violente qui exige de lutter contre la violence et désarmer le violent.

Dire que la violence fait partie de la nature de l’homme ne signifie pas que l’homme est par nature violent c’est-à-dire « méchant » comme le prétendent cer­tains grands penseurs mais que, ni ange ni démon, l’homme est de par sa nature tout autant capable de violence que de compassion. La question d’importance concerne la nature de la nature humaine et plus spécifiquement la validité du pos­tulat manichéen sur lequel reposent nombre de connaissances ayant pour objet l’être humain. Le postulat du déterminisme manichéen quant à la nature humaine, « bonne » ou « mauvaise », n’est pas anodin : sa remise en cause ébranle la croyance en l’objectivité et la pertinence de certains savoirs des sciences sociales et humaines et explique l’échec sinon l’inefficacité des politiques qui en découlent.

En Occident, les sciences sociales et humaines ont été forgées par deux cou­rants de pensées anthropologiques : l’un optimiste sur la nature humaine avec pour représentants des penseurs comme Rousseau et Locke et l’autre pessimiste magis­tralement représenté par Hobbes et Freud. Freud, par exemple, ne croit pas en une quelconque bonté innée de la nature humaine, au contraire pour lui à l’état primi­tif, l’être humain est fondamentalement égoïste, agressif et amoral : « La psycha­nalyse, précise-t-il, fait-elle autre chose que confirmer la vieille maxime de Platon que les bons sont ceux qui se contentent de rêver ce que les autres, les méchants, font en réalité ? »16. Pour preuve, il nous demande de nous pencher sur notre propre expérience : « Je ne parle pas de l’opinion que vous pouvez avoir de vous-même ; mais vos supérieurs et vos concurrents ont-ils fait preuve à votre égard de tant de bienveillance, vos ennemis se sont-ils montrés à votre égard assez chevaleresques et avez-vous constaté chez les gens qui vous entourent si peu de jalousie, pour que vous croyiez de votre devoir de protester contre la part que nous assignons au mal égoïste dans la nature humaine ? »17.

Mais, qu’ils soient pessimistes ou optimistes quant à la nature humaine, tous les grands penseurs des Lumières et promoteurs de la modernité ont foi en l’être humain ou plutôt en sa perfectibilité. Reste à savoir de quelle perfectibilité il s’agit. Peut-on s’entendre sur ce qu’est l’être humain ou ce qu’il devrait être ? Qu’est-ce que le « bien » qu’est-ce que le « mal »18 ? Ces questions sont d’une importance capitale de nos jours. En effet, comment peut-on avoir foi dans la perfectibilité de l’homme par l’éducation lorsque des médecins diplômés acceptent la responsabilité d’atten­tats kamikazes ? Qui décide de ce qui est bien et de ce qui est mal ? Qui décrète qui est « bon » et qui est « mauvais » ? La question de la perfectibilité des individus et de leurs sociétés est fondamentale pour l’ONU d’abord, qui a pour mission principale de « maintenir la paix et la sécurité internationale » et pour l’UNESCO ensuite qui a pour mission « d’élever dans l’esprit des hommes les défenses de la paix ».

Le postulat du déterminisme manichéen quant à la nature humaine a in fine été mis à mal par les avancées des sciences de la vie et des nanotechnologies. Les nanotechnologies ont la capacité d’améliorer les performances humaines. Ainsi, la capacité d’intervention de l’être humain sur sa propre nature biologique et son artificialisation par les nanotechnologies pour le meilleur et le pire, remettent en cause tout un pan de l’épistémologie fondée sur la dichotomie nature/culture. Selon Henri Atlan, « La nature n’est plus biologique dans la mesure où la biologie n’est plus naturelle ; ceci, on le rencontre à l’occasion des nouvelles technologies qui soulèvent la question de la nature et de la nature humaine en particulier »19. L’approfondissement de la connaissance de l’être humain n’est plus uniquement un objet de connaissance scientifique mais aussi un sujet de débat politique. Et nous devrons peut-être finir par reconnaître avec J.J. Rousseau20 que « le bien et le mal coulent de même source » et que in fine c’est « à force d’étudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de le connaître ». Ou pire encore à force de vouloir améliorer la nature de l’être humain nous finirons peut-être par créer un monstre. Le meilleur ou le pire des mondes d’Aldous Huxley serait à notre portée, sinon déjà à l’œuvre.

Au-delà de la problématique des risques d’eugénisme, pour l’heure, ce qui paraît le plus inquiétant est que les conceptions bellicistes de l’être humain perdurent et comme, reléguées avec le temps au rang de faits historiques, le souvenir des atroci­tés des deux guerres mondiales s’estompe, côté « nature » les raids des chimpanzés sont invoqués pour expliquer notre « nature guerrière » et coté « culture » l’extinc­tion des cultures pacifistes pour justifier la persistance de la violence et le recours à la force armée comme instrument de résolution des conflits et de domination des plus faibles, voire de leur extermination. En effet, selon David Linvingstone Smith21 – auteur d’un ouvrage récent The most dangerous animal – « depuis les temps bibliques, la guerre est souvent génocidaire, visant à détruire des peuples entiers et non seulement à défaire un ennemi » et « les communautés pacifistes ont périclité et quasiment disparu de l’arbre de l’évolution ». Cette dernière affirmation relève bien plus d’une assertion qu’elle ne résulte d’une analyse rigoureuse fondée sur des statistiques fiables. Elle fait penser à l’éternel débat sur le port des armes à feu aux États-Unis d’Amérique. Il n’en demeure pas moins qu’elle est difficilement réfutable pour les mêmes raisons qui font qu’aux États-Unis, les partisans du « gun control » se trouvent contraints de s’armer22.

D’après Smith, « la guerre est un potentiel inné, ancré dans la biologie. La nature nous a faits de sorte que nous en sommes capables ». Certes l’être humain est capable des pires atrocités, mais l’être humain, de par sa nature, est tout autant capable de compassion que de violence. Et ce qui le spécifie est qu’il est capable d’apprendre à maîtriser son agressivité. Et fait le plus important est que la guerre qui n’est pas une explosion de violence spontanée mais par définition une vio­lence collective organisée est toujours le produit d’une décision. De sorte qu’il y a une impossibilité de penser la guerre comme le produit d’une action involontaire comme ceci peut être le cas de la violence individuelle. Ceci expliquerait pourquoi pour un nombre non négligeable de spécialistes des sciences humaines, la guerre est davantage un fait culturel. En d’autres termes, si avec chaque être humain c’est l’éternel recommencement, il n’en va pas de même avec les institutions de sorte que si l’on ne peut et/ou ne veut changer la nature des être humains on peut sans aucun doute changer les institutions et les règles du jeu de sorte qu’on puisse espérer voir se transformer les comportements des êtres humains.

Selon Max Weber, l’État dans les sociétés modernes a acquis le monopole de la violence légitime. Le fait que dans les sociétés modernes, l’État d’abord et le Conseil de sécurité ensuite se soient attribués le monopole de la violence collective légitime, ne légitime pas pour autant toutes les guerres qui sont entreprises en leur nom. C’est pourquoi, il paraît de la plus haute importance au regard de l’avenir de la paix et de la sécurité collective de veiller à s’assurer que ces monopoles ne dégénèrent en une production de violence comme ceci a été le cas pour les régimes totalitaires. Les débats autour de la question de la légitimité des guerres sont d’ordre anthro­pologique, médical, philosophique, juridique et politique. Nous avons commencé à examiner la question de la légitimité de la guerre dans une perspective socio-an­thropologique, pour ce qui concerne le point de vue médical, sans entrer dans les détails, disons tout simplement que d’après l’Académie de médicine de la paix, la guerre est une maladie psychique collective.

La question de la légitimité des guerres dans ses dimensions morales et éthiques devant être examinée, les développements suivants seront centrés sur les aspects économiques, politiques et juridiques. D’origines différentes, les mots « morale » et « éthique » sont étymologiquement identiques. Diversité et changement accé­léré des valeurs sociétales dans l’espace et dans le temps, porosité des frontières entre cultures obligent, à l’usage ces mots se sont différenciés. Marquée du sceau de la conviction, la morale commande. Interrogative, l’éthique s’intéresse aux consé­quences de nos actions ; elle recommande. Problématique, l’éthique devient un concept ouvert qui traite de l’incertitude. Or, plus que jamais, aujourd’hui nous vivons dans une période d’incertitude. Bien que beaucoup mieux informés que par le passé, les sociétés et les individus sont paradoxalement bien plus souvent confrontés à la question du « que dois-je/devons-nous faire ? ». Contrairement à la science qui vise des universaux absolus, la morale qui procède d’une logique de conviction, participe à la construction d’universaux relatifs. Pour délimiter les fron­tières de l’inacceptable pour la communauté internationale dans son ensemble, on devrait être en mesure d’éviter à la fois les pièges d’un particularisme intransigeant et ceux d’un universalisme ethnocentrique. D’après les spécialistes des sciences de la vie et du comportement (neurologie, éthologie, biologie, psychologie, génomie), il existe dans le cerveau humain « un domaine conceptuel distinct, un corpus de sentiments moraux, de prédispositions morales spontanées qui pourrait se situer aux sources d’une éthique commune propre à l’espèce humaine »23.

Dans la quête d’une éthique commune, il s’agit d’éviter, d’une part, le piège des « particularismes » refusés au nom de certains principes estimés universels donc à universaliser. Au premier rang, figurent les droits fondamentaux de la personne humaine aux termes desquels il ne saurait être porté atteinte à la vie, à la liberté, à l’intégrité physique et mentale ou à la dignité de la personne humaine. Ces droits sont estimés universalisables du fait qu’ils n’entrent en contradiction avec aucune religion du monde mais seulement avec certaines pratiques portant atteinte à l’inté­grité physique de l’être humain telles que l’excision ou d’autres mutilations justi­fiées a posteriori par des interprétations littérales des textes sacrés.

Il s’agit d’éviter, d’autre part, le piège d’un universalisme ethnocentré – pour l’heure européocentré – qui ne permet pas d’entendre la voix des autres raisons en l’espèce non occidentales. On peut citer à cet égard, par exemple le principe éthique du respect de la nature (par opposition au principe de sa domination) ou bien le principe éthique de la non-violence qui pour l’heure ne semble pas faire l’unani­mité même au sens restreint du terme et loin s’en faut. Nous limitant ici au cas du principe de la non-violence armée, on doit reconnaître que nous sommes là en pré­sence d’une situation absurde puisque la guerre comme instrument de résolution des conflits et la peine de mort en tant que châtiment réservé aux pires des crimes portent toutes deux atteintes soit à la vie, soit à l’intégrité physique et mentale du bourreau24 et de la victime, criminel ou innocent.

Aujourd’hui, la peine de mort a été abolie pour tous les crimes dans 90 États membres de l’ONU, ce chiffre s’élève à 98 si on ajoute les 8 pays où elle a été abolie pour les crimes de droit commun et grimpe à 140 si l’on tient compte des pays qui respectent un moratoire sur les exécutions. De sorte qu’aujourd’hui la peine de mort n’est pratiquée que dans 57 États25. Bien que l’histoire nous apprenne que les changements dans le domaine des pratiques sociales, y compris ceux com­munément admis comme des avancés relevant d’impératifs catégoriques tels que l’égalité homme et femme, ne sont pas nécessairement de caractère irréversible, il est néanmoins permis à l’humanité d’espérer voir un jour l’abolition de la peine de mort s’universaliser en droit et en fait. Malheureusement les perspectives concer­nant l’abandon de la pratique de la guerre ne sont pas aussi brillantes. En effet, les pays qui se sont dotés d’une constitution pacifiste ne sont pas légion. Est-ce parce que la pratique de la guerre, comme instrument de résolution des conflits, relèverait du domaine de l’acceptable ?

Avec l’accélération de l’histoire et l’accumulation des connaissances et des expé­riences, aujourd’hui plus que jamais, et en Occident plus qu’ailleurs, les valeurs sociétales changent et les normes scientifiques et techniques évoluent constam­ment. Est-il possible de définir/identifier un socle commun valable à l’échelle pla­nétaire donc universalisable ? Car si le « particularisme » est invoqué dans les pays dits de cultures traditionnelles pour expliquer la persistance des pratiques estimées barbares, dans les pays dits civilisés c’est le « pragmatisme » qui est invoqué pour justifier des stratégies d’action violentes en vigueur telles que la guerre ou la peine de mort.

Comment, en voulant fixer les limites de l’inacceptable pour la communauté internationale et/ou déterminer des normes minimales, est-il est possible d’éviter tout risque d’ethnocentrisme qui pose comme postulat qu’aucune culture ne peut imposer aux autres des normes qui portent en elles les valeurs qui lui sont propres c’est-à-dire sa propre distinction entre le bien et le mal. En d’autres termes, pour qu’une norme puisse être considérée comme « universelle » donc universalisable, elle doit pouvoir être considérée à un moment donné comme fondée c’est-à-dire « vraie » et « bien » à tout point de vue, en toute circonstance et en tout lieu. Posons-nous d’abord les questions fondamentales du droit à la vie et à l’intégrité physique et mentale de la personne humaine versus refus de la violence en général et de la guerre en particulier.

Si l’on admet ou reconnaît comme « normal » le fait de refuser la pratique de la condamnation et/ou de la mise à mort pour cause de conversion religieuse, pour cause de décès de l’époux (pratique de la Satî), pour cause de crime capital, il paraît tout aussi logique de refuser la guerre comme instrument de résolution des conflits et/ou de maintien de la paix et de la sécurité internationale. L’égal sentiment d’in­dignation éprouvé devant l’ensemble de ces pratiques bat en brèche à la fois la thèse de l’incommensurabilité des cultures et les argumentations de pragmatisme avancées pour masquer des pratiques aussi barbares que sont les « guerres justes » légitimées par le droit international et la nouvelle génération de guerres préventives contre le mal qui sont, elles, en quête de légitimité.

Freud26, dans sa lettre à Einstein en septembre 1932, soulève la question : « pour­quoi nous élevons-nous avec tant de force contre la guerre, vous et moi et tant d’autres ? » et apporte la réponse suivante : « parce que tout homme a un droit sur sa propre vie, parce que la guerre détruit des vies humaines chargées de promesses, place l’individu dans des situations qui le déshonorent, le force à tuer son pro­chain contre sa propre volonté… On ajoutera en outre que la guerre, sous sa forme actuelle, ne donne plus aucune occasion de manifester l’antique idéal d’héroïsme et que la guerre de demain, par suite du perfectionnement des engins de destruc­tion, équivaudrait à l’extermination de l’un des adversaires, ou peut-être même des deux ». « Le motif essentiel pour quoi nous nous élevons contre la guerre, c’est que nous ne pouvons faire autrement » précise Freud : « Nous sommes pacifistes, parce que nous devons l’être en vertu de mobiles organiques. depuis des temps immémoriaux, l’humanité subit le phénomène du développement de la culture (d’aucuns préfèrent . user ici du terme de civilisation), c’est à ce phénomène que nous devons le meilleur de ce dont nous sommes faits et une bonne part de ce dont nous souffrons» assimilant le développement de la culture à un phénomène organique, Freud conclut que « tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre ».

Si plus de 80 ans après la sortie du fascicule « Pourquoi la guerre ? » les objec­tions de Freud demeurent aujourd’hui valides, c’est qu’avec l’accroissement de la complexité, l’essor sans précédent de la science et de la technologie, l’élévation des niveaux de connaissance et la diffusion instantanée de l’information, les défis et dilemmes qui se posent à l’humanité deviennent de plus en plus complexes, aigus et compliqués à résoudre ; et comme ils se posent à l’échelle individuelle, locale, natio­nale, régionale et mondiale ceci pose par ailleurs des problèmes de cohérence. Si en tant que principe philosophique, l’éthique de la non-violence est une requête de sens permettant de réenchanter l’existence de tout un chacun, en tant que méthode d’action, la culture de la non-violence et de la paix est une recherche d’efficacité pour la résolution des problèmes et des conflits à toutes les échelles. C’est pourquoi il paraît indispensable d’inscrire le pacifisme comme fin ultime de l’ONU pour préserver l’ONU de tout risque de dérives pouvant conduire à son autodestruction comme ce fut le cas de la SDN27.

 

De la mondialisation économique à la démocratie cosmopolitique

Le 10 novembre 1998, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies adoptait la résolution 53/25. Les Nations Unies proclamaient la période 2001-2010 « Décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde ». L’Assemblée générale des Nations Unies adoptait le document final de son Sommet mondial 2005 par le­quel, tout en « réaffirmant la Déclaration et le Programme d’action en faveur d’une culture de la paix », elle autorise le recours à la force armée dans le cadre du droit d’ingérence28. Le droit d’ingérence avec franchissement des frontières ne date pas de 2005. Sur le plan politique, les activités d’Amnistie internationale relèvent du domaine de l’ingérence immatérielle. Dans le domaine économique, ce sont le FMI et la Banque mondiale qui disposent d’un pouvoir considérable en matière d’ingé­rence, la crise de la dette du tiers monde des années 80 est là pour nous le rappeler. Le droit d’ingérence avec franchissement des frontières qui nous préoccupe plus spécifiquement ici a trait au droit d’ingérence politique armée qui a succédé au droit d’ingérence humanitaire datant de 1988.

Le problème essentiel en matière de droit d’ingérence humanitaire en cas de conflits armés, est l’utilisation des couloirs humanitaires à des fins d’ingérence poli­tique. En vue d’écarter tout risque de dérive dans la pratique du droit d’ingérence classique (résolution 43131 du 8 décembre 1988), il y aurait lieu de travailler à la pénalisation de jure des infractions telles que l’utilisation des couloirs humanitaires à des fins de cheminement d’armes.

Les problèmes qui se posent en matière de droit d’ingérence politique consacré sous le vocable de « droit et devoir de protection de la communauté internationale », sont de divers ordres. Le problème de fond qui se pose avec ce genre d’intervention humanitaire armée est le mélange de genre. En effet, si le droit humanitaire est un signe du progrès du genre humain, l’oxymore « intervention humanitaire armée » n’en est pas un. D’un point de vue logique il paraît difficile d’extirper le mal par le mal. Si, la guerre est considérée comme un mal au même titre que la peine de mort par lapidation, par pendaison, par décapitation ou par tout autre moyen, il paraît difficile de justifier une intervention armée (pratique estimée barbare) pour mettre fin à des pratiques surannées et barbares.

Le danger avec l’exemple mentionné ci-dessus est que nous sommes en présence d’une juste cause : la défense du substrat irréfutable des droits de l’homme. Il ne s’agit pas de défendre le droit de propriété ou autres droits qui peuvent donner lieu à des polémiques mais d’intervenir en faveur du droit à la vie et à l’intégrité physique de la personne. D’un point de vue éthique, il paraît juste qu’une « juste cause » soit défendue par des moyens qui soient de la même veine. Or faire la guerre c’est s’autoriser à tuer. Elle exige de susciter une haine suffisante en soi pour être en mesure de tuer l’autre, c’est-à-dire de lui retirer la vie, de porter atteinte à son intégrité physique. Au-delà des questions d’éthique, on peut conclure avec logique qu’il serait juste qu’on ne puisse défendre légitimement ce qu’on estime relever du droit que par le droit.

Mais si, comme les initiateurs du droit d’ingérence le reconnaissent eux-mêmes29, le droit d’ingérence a suscité plus de malentendus que de réalisations, c’est aussi et surtout parce que le droit d’ingérence a été invoqué pour légitimer des interventions motivées par une idéologie messianiste. Dans ces cas l’intervention armée n’est pas motivée par une menace ou des intérêts économiques immédiats. L’ingérence humanitaire armée est justifiée par une noble cause telle que le chan­gement de gouvernement en vue de l’instauration de la démocratie, nous sommes donc officiellement en présence d’un droit d’ingérence politique et non point hu­manitaire. L’intervention armée guidée par l’idéologie messianiste est destinée à résoudre les problèmes internes des autres, en l’occurrence la plupart du temps des anciens pays colonisés.

Menace pour la paix et la sécurité internationales en raison des risques d’atteinte portés à l’image et à la crédibilité des Nations Unies, la catégorie d’intervention armée la plus néfaste est celle où le droit d’ingérence humanitaire est officiellement invoqué pour légitimer des interventions motivées par des intérêts d’ordre géostra­tégique. Dans ces cas, le droit d’ingérence humanitaire sert de prétexte pour, par exemple, remplacer un dictateur, qui, au fil du temps oublie pourquoi et comment il a pu rester au pouvoir, se met à défendre les intérêts de son pays et pire encore ceux d’autres pays du Sud. Ceci explique en grande partie d’une part, le rejet du « droit » d’ingérence humanitaire par les sociétés civiles des pays du Sud, et d’autre part, la pléthore de gouvernements corrompus dans ces pays.

Le dictateur Khadafi a in fine été renversé non parce qu’il a éliminé une par­tie de sa population pour rester au pouvoir, non parce qu’il était mauvais ; des dirigeants plus sanguinaire que lui sont toujours vivants et circulent tranquillement en toute impunité sans qu’ils puissent être inquiétés, que ces responsables poli­tiques aient été condamnés à comparaître devant la cours pénale internationale ou pas. Ainsi que nous avons eu l’occasion de l’illustrer dans un autre article, le régime de Kadhafi a été renversé parce que le dictateur a osé dire « non » à tous les puissants sans exception aucune.

Opposer des objections à l’encontre du droit d’ingérence ne signifie pas qu’il ne faille pas travailler pour une justice internationale faisant fi des frontières, au contraire. Ce que nous exigeons, c’est de veiller à demeurer juste en ce sens que l’honnêteté intellectuelle exige de ne peut changer de registre en cours de route selon les intérêts que l’on défend ou selon que telle ou telle position nous « arrange ». En l’occurrence, avec le droit d’ingérence et la CPI nous ne nous situons pas seulement dans la perspective de la mondialisation mais optons plus spécifiquement pour un cosmopolitisme plus ou moins ordonné30. Or, avec le passage de l’international au mondial, il n’y a plus d’opposition intérieur / extérieur c’est-à-dire, il n’y a plus d’altérité au sens westphalien. Comme il n’y a plus d’autres en tant qu’étrangers, il ne peut y avoir d’ennemi puisque « eux » comme « nous » participent de cette unité du genre humain. Et comme il n’y a plus d’ennemi il ne peut y avoir de guerre à moins que nous n’ayons affaire à une prétendue « guerre civile mondiale ».

On est à cet égard en droit de s’interroger à savoir si le concept de « guerre contre le terrorisme » prôné par George W Bush ne fait pas suite à la chute du mur de Berlin et de ce sentiment de vide créé par l’absence d’ennemi visible à la hau­teur de la superpuissance qu’étaient les États-Unis d’Amérique avant la dévastatrice guerre d’Irak. Sans entrer dans le détail des questions de fond afférents aux mul­tiples problèmes d’ordre théorique et pratique que soulève le concept de « guerre contre le terrorisme », on doit admettre que ce concept génère et entretien le mal qu’il est censé combattre. Nous limitant ici aux questions de forme, il aurait peut-être lieu comme le souligne l’académicien britannique, Adam Roberts31, de lui pré­férer l’expression de « campagne internationale contre le terrorisme ». Selon Adam Roberts « le nom et le vocabulaire de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » sont trompeurs. Ils laissent entendre que son objectif, pourtant impossible à réaliser, serait l’élimination complète des mouvements terroristes ».

De l’indivisibilité à l’effectivité des droits humains : Opposabilité des droits économiques et sociaux

Si les discours sur un « monde sans frontière » dans le monde de l’économie sont à géométrie variable selon qu’il s’agit du mouvement des marchandises, des capitaux ou des travailleurs, il n’y a évidemment aucune raison qu’ils ne le soient pas dans les autres domaines des relations internationales. Dans un contexte politique caractérisé par la persistance d’un système international essentiellement fondé sur la légitimité exclusive de l’entité politique « État nation souverain », l’article 2 de la Charte des Nations Unies qui pose le principe de non ingérence dans les affaires internes aux États membres, a pour but (pour les optimistes) ou est censé (pour les plus pessi­mistes) préserver les États les plus faibles contre la convoitise des plus forts. Parmi les normes établies pour évaluer si un pays est démocratique, figure la condition selon laquelle « le gouvernement ne doit pas subir une influence étrangère (telle que celle imposée par des alliances et des blocs) »32.

Opposer des objections à l’encontre du droit d’ingérence ne signifie pas qu’il ne faille pas travailler pour la mondialisation de l’état de droit, au contraire. Avec la Cour pénale internationale (CPI), par exemple, nous nous situons dans la pers­pective d’un monde sans frontière. Cette institution postwestphalienne doit être mise à l’actif du bilan du progrès du genre humain, mais pour autant qu’elle puisse être non sélective, impartiale, équitable pour tous et surtout universelle, c’est-à-dire qu’elle puisse inquiéter également tous les individus (où qu’ils se situent) et toutes les personnes morales (quelles que soient leur domaine d’activité) responsables de crimes contre l’humanité.

D’autres questions de fond qui se situent dans la perspective des changements en cours et des transformations à venir concernent l’effectivité des droits humains d’une part et de la démocratie d’autre part. Pour être effective, la mondialisation des droits humains suppose une démocratie mondiale sous forme d’un cosmopoli­tisme soit anarchique, soit ordonné. Le premier qui correspond en grande partie à la situation actuelle de la mondialisation dans sa dimension économique, a foi dans le pouvoir ordonnateur de la main invisible et pose un refus catégorique à la mondiali­sation politique. Le second qui en l’occurrence peut être qualifié de cosmopolitisme ordonné (gouverné ou régulé selon les points de vue) et qui, dans un contexte de dé­fiance envers la sphère du politique, peine à se faire entendre peut prendre la forme soit d’une république mondiale ce qui suppose une citoyenneté mondiale, soit d’un fédéralisme mondial, ce qui doit donner lieu à une citoyenneté régionale en sus33.

En tout état de cause ce qui est certain est que la mondialisation économique d’une part et la mondialisation des droits humains d’autre part, soulèvent la ques­tion de l’effectivité versus opposabilité des droits économiques, sociaux et culturels en vertu du principe d’indivisibilité des droits humains. La question de l’effectivité versus opposabilité des droits économiques conduit tout naturellement à la question de l’universalisation du revenu minimum de subsistance c’est-à-dire de l’allocation universelle ou revenu de citoyenneté34. Etant donné que, comme il ressort du cha­pitre qui suit, nous devons assister dans les décennies à venir à une redistribution des rapports de force au profit de nouvelles puissances, il semblerait que la communauté internationale (pour l’heure l’Occident) ait tout intérêt de travailler à la construc­tion de normes juridiques et de règles du jeu à la fois juste et équitables qui soient valables pour tous donc universalisables.

En effet, avec la mondialisation économique, l’approfondissement et l’extension des interdépendances et des interconnexions de tous genres, la persistance de la problématique du déficit chronique du travail décent dans le monde et la tendance à la raréfaction des emplois décents dans les pays occidentaux suite à la redistribu­tion internationale du travail et comme conséquence des crises financières passées et des crises en perspective, il nous paraît en effet aujourd’hui impossible de penser l’avenir du système de sécurité et de paix international sans évoquer la question de l’universalisation du revenu minimum de subsistance à l’échelle planétaire.

 

Un système international uni-multipolaire : De la quête de la puissance militaire et économique à la lutte pour la suprématie par le soft power

Au regard du siècle passé, le fait majeur a probablement été l’abandon des lec­tures bipolaires du système international. En effet, depuis la chute du mur de Berlin l’ancienne opposition Est/Ouest n’est plus valable. Brouillée par la fragmentation de la catégorie Tiers Monde, l’opposition Nord/Sud a perdu de sa pertinence en tant que réalité intrinsèque et de sa rigueur comme approche méthodologique exclusive.

Après la chute de l’empire soviétique et la fin du système international bipo­laire, non moins important a été la fin du système unipolaire. En effet, trois guerres consécutives dans le Moyen-Orient ont ravi aux États-Unis d’Amérique leur posi­tion de première puissance hégémonique mondiale capable d’assurer à eux seuls le rôle de gendarme du monde35. Mais, fait apparemment paradoxal, malgré ce basculement et l’avènement d’un système international multipolaire, les EU de­meurent la première puissance du monde.

Glorifiant la puissance créatrice de Picasso à qui nul ne put ravir son rôle d’avant-garde, Kandinsky36 souligne : « Si un abîme les sépare, Picasso le franchit d’un bond insensé et déjà il est sur l’autre bord, au grand effroi de la cohorte extraordinaire-ment compacte de ses successeurs qui croyaient à l’instant l’avoir atteint ». Et à Kandinsky de conclure : « Qui n’avance pas recule ». Si on fait abstraction de la parenthèse Bush qui a fait perdre aux EU le rang d’« hyperpuissance » qui lui a été attribué par Hubert Védrine, le problème de cette superpuissance dans le domaine de l’économie n’est pas de « ne pas avancer » mais de ne pas avancer à un rythme qui lui permette de maintenir son écart au regard de la cohorte de ses suiveurs en Asie plus particulièrement et de la Chine plus spécifiquement. De sorte que, esti­mée à l’aune du PIB mesuré en parité de pouvoir d’achat, la Chine fin 2014 ravit le rang de première puissance économique détenu par les États-Unis depuis 1872. Mais compte tenu de son poids démographique, en termes de PIB par habitant, la Chine est loin d’avoir rattraper les autres grandes puissances économiques. Et dans le domaine fondamental des nouvelles technologies, la métaphore de Kandinsky concernant la puissance créatrice de Picasso s’applique à merveille au cas des EU.

Le tableau ci-après relatif aux principaux indicateurs de puissance des entités po­litiques dominantes, indique que les États-Unis d’Amérique demeurent la première puissance mondiale, ce qui valide l’hypothèse du modèle « uni-multipolaire » des chercheurs américains dont Samuel Huntington, Robert Reich ou Fareed Zakaria. Le premier atout des EU est sa capacité de captation du capital humain : un tiers des chercheurs aux EU sont nés à l’étranger, c’est le vieux problème de la fuite des cerveaux qui a de moins en moins cours en Europe qui se trouve davantage dans la position d’entité exportatrice. Ce qui fait la véritable puissance des États-Unis est sa capacité créatrice fondée sur sa capacité d’attraction des idées certes mais aussi et surtout des meilleurs cerveaux du monde.

Le soft power des États-Unis est en grande partie fondé sur et/ou consolidé par son hégémonie dans le domaine de l’économie de la connaissance en général et des nouvelles technologies en particulier et plus spécifiquement des NTIC. Google, Apple, Microsoft, Intel, HP, Facebook, etc., la quasi-totalité des acteurs-phares opérant dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la com­munication sont américains. Outil de puissance par excellence, l’« Internet » est une création américaine et que les UE détiennent tout naturellement une position dominante en la matière.

 

Tableau :

Principaux indicateurs de la puissance des entités économiques dominantes

 

Pays Puissance économique Puissance douce (Softpower) (3) Puissance technologique Puissance militaire
PIB

(milliards de $) 2012 (1)

Rang

dans le monde (2)

IDH

non monétaire 2011

(4)

Rang

dans le monde

DIRD en % du PIB 2010

(5)

Rang

dans le monde 2007

Dépenses militaires (milliards de $)

2011

(6)

Rang

dans le monde

États-Unis 15 653 1 TE. 4 2,90 * 7 711,4 1
Chine 8 250 2 M. 101 1,70 * 23 142,9 2
Japon 5 984 3 TE. 12 3,36 * 4 59,3 6
Allemagne 3 367 4 TE. 9 2,82 11 46,7 9
France 2 580 5 TE. 20 2,25 14 62,5 5
Royaume-Uni 2 434 6 TE. 28 1,76 17 62,7 4
Brésil 2 425 7 E. 84 1,16 31 35,4 10
Italie 1 980 8 TE. 24 1,26 28 34,5 11
Russie 1 954 9 E. 66 1,16 29 71,9 3
Inde 1 947 10 M. 134 0,76 *** 39 48,9 7
Canada 1 770 11 TE. 6 1,80 15 24,7 14
Australie 1 542 12 TE. 2 2,37 ** 13 26,7 13
Espagne 1 340 13 TE. 23 1,39 25 15,2 17
Mexique 1 163 14 E. 57 0,40 * 55 6,0 28
Corée 1 151 15 T.E. 15 3,74 5 30,8 12
Indonésie 895 16 M. 124 0,08 * 72 5,7 31
Turquie 783 17 E. 92 0,84 40 17,9 15
Pays-Bas 770 18 TE. 4 1,83 18 11,8 18
Arabie Saoudite 657 19 E. 56 0,08 * 76 48,5 8
Suisse 623 20 TE. 11 2,99 ** 6 5,4 35

(1) Produit intérieur brut (PIB); Source : FMI, estimations pour 2012.

  1. D’après les estimations du FMI, fin 2014, le PIB chinois mesuré en parité de pouvoir d’achat devrait monter à 17 632 milliards de dollars tandis que le PIB américain s’élèvera à 17 416 mil­liards de dollars.
  • Estimée à l’aune du PIB mesuré en parité de pouvoir d’achat, fin 2014, la Chine devient la première puissance économique du monde.
  • Un pays (et/ou toute entité culturelle) ayant un soft power élevé est un pays qui a un pouvoir d’attraction élevé, qui suscite le respect et qui fait figure de source d’inspiration dans le monde. Un tel pays dispose tout naturellement d’un indicateur d’aide au développement et d’un indica­teur du développement humain élevés.
  • Indice du développement humain (IDH) ; Source : PNUD, Rapport sur le développement humain.
  1. Développement humain : TE = très élevé, E = élevé, M = moyen
  • Dépenses intérieures en recherche développement (DIRD) en pourcentage du PIB. Indicateurs établis à partir des bases de données statistiques de l’UNESCO, les rangs ont été fixés à partir des indicateurs relatifs à l’année 2007 extraits du tableau 1 du UNESCO Science Report, hormis pour l’Australie, l’Indonésie et la Suisse données relatives à 2008.
  • B. * année 2009, ** année 2008, ***année 2007.
  • SIPRI, dépenses militaires pour 2011.

 

Peu respectueux des problèmes environnementaux ? Probablement pas. Esprit de risque ? Sans aucun doute. Avec l’exploitation des gaz et huiles de schiste, les EU ont reconquis leur indépendance énergétique et ils devraient, d’après l’Agence inter­nationale de l’énergie (AIE), reconquérir en 2017 leur place de première puissance énergétique mondiale. D’après les pronostics de l’AIE, la politique énergétique des EU devrait leur permettre de redevenir exportateurs nets de brut d’ici 203037. Selon Fatih Birol38, l’économiste en chef de l’AIE, « les fondations du système énergétique mondial sont en train de bouger » avec une influence décisive sur les cartes de la géopolitique mondiale.

Complexification, crise financière et contraintes budgétaires obligent, dans un monde caractérisé par l’apparition de nouveaux acteurs globaux et le basculement vers un système international uni-multipolaire, dans le domaine de sa politique exté­rieure, les États-Unis fonctionne de plus en plus comme une puissance politique réticulaire consolidant ses points de présence au moyen des nœuds savamment tissés à l’échelle planétaire. Ceci lui permet d’adopter une posture d’accompagnement des coalitions de pays amis (pays alignés et/ou alliés) qui lui permettent de maintenir et d’exercer autant que faire se peut son hégémonie via un système de gouvernance en réseau : les nœuds étant constitués par ses alliés. Le recours intempestif au hard power par le passé, a décrédibilisé le soft power des États-Unis, et si Obama a pu restaurer pour partie l’image ternie de son pays, dans le domaine politique les États-Unis ont perdu de leur aura et de leur autorité.

Dans le domaine économique, le point faible des États-Unis provient de ce qui jadis a fait sa puissance. En effet, si l’hégémonie du dollar sur le système monétaire international a permis aux États-Unis de maintenir durant 142 ans leur position de première puissance économique mondiale, l’envers de la médaille est que cette hégé­monie leur a également permis d’opter pour une politique monétaire et budgétaire qui les a hissé au premier rang des pays endettés. Selon la Banque mondiale, l’hégé­monie du dollar devrait prendre fin d’ici 2025, mais en attendant la fin annoncée de l’ère du billet vert, les États-Unis, qui à eux seuls assurent 40 % des dépenses militaires mondiales, font fonctionner la planche à billets.

Suite à la crise des subprimes et au krach d’automne 2008, otage de la politique de la FED, la Chine qui est le plus grand détenteur des bons du trésor américain, avant et dans la perspective du sommet des pays du G20 de 2009, avait lancé l’idée de création d’une « monnaie de réserve supra-souveraine ». C’est la question centrale de l’interdépendance des économies américaine et chinoise et de la réémergence de la Chine comme nouvel empire avec des visées hégémoniques en Asie. Signe avant-coureur de sa montée en puissance, sa monnaie, le yuan, est devenue en octobre 2013 la deuxième devise la plus utilisée dans le monde pour les transactions financières39. Système uni-multipolaire oblige, surpassant l’euro, le yuan reste cependant bien loin derrière le billet vert, plus de 81 % des transactions mondiales s’effectuent en dollars.

Du point de vue de la géoéconomie mondiale, le changement majeur est la fin de cinq siècles de suprématie absolue de l’Occident et le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers les pays émergents. Les six pays du BRIICS (Brésil, Russie, Inde, Indonésie, Chine, Afrique du Sud) à eux seuls représentent maintenant plus du tiers du PIB mondial. Ce chiffre ne tient pas compte du PIB des pays émergents qui ont rejoint le Club des pays l’OCDE (Mexique, Corée, Chili). Et si, d’un point de vue organisationnel, nous avons assisté au basculement du modèle unipolaire vers un modèle « uni-multipolaire », le changement majeur du point de vue géopolitique est le déplacement du centre de gravité mondial de l’Atlantique au Pacifique.

Après avoir conquis en 2013 le titre de première puissance commerciale, la Chine s’est hissée en 2014 au rang de première puissance économique du monde. Selon le rapport prospectif de la CIA40, la Chine et l’Inde sont en train d’accroître leur part dans le PIB mondial à une échelle et à une cadence jamais observées auparavant, de sorte que « en 2030, l’Asie sera en passe de redevenir la grande puissance écono­mique mondiale qu’elle était avant 1500 ». En plus de la Chine et de l’Inde, huit des onze pays du groupe des pays émergents en développement rapide dénommé les « Onze suivants »41 par Goldman Sachs, sont géographiquement localisés en Asie. En 2030, les indicateurs de la puissance énumérés dans le tableau ci-dessus (PIB, population, dépenses militaires et investissement technologique) de l’Asie devraient dépasser celle de l’Amérique du Nord et de l’Europe.

L’expansion économique de ces pays d’ores et déjà bien peuplés, devrait conduire à un accroissement des besoins en parts de marchés certes, mais aussi et surtout en ressources naturelles stratégiques : ressources énergétiques et minières d’une part et ressources en eau et terres arables d’autre part. Et comme il n’existe pas de méca­nisme de gouvernance mondiale, la Chine comme l’Inde renforcent leur arsenal militaire pour protéger leurs routes d’accès aux matières premières et aux marchés. La Chine étant accusée de piller l’Afrique, les responsables chinois rappellent que les pays européens se sont modernisés en se procurant des matières premières en prove­nance d’Afrique. Les chinois paient pour les matières premières qu’ils importent, on ne peut donc parler dans leur cas de pillage.

Changements climatiques, pressions accrues sur des ressources de plus en plus rares au regard des besoins croissants combinées à une dégradation croissante de l’environnement dans les pays à forte croissance économique et un système inter­national qui ne serait plus régi par des règles mais par des intérêts n’augurent rien de bon quant à l’avenir de la paix. Il est clair les changements en cours appellent de nouveaux mécanismes de gouvernance internationale et mondiale.

Le changement majeur au niveau de la gouvernance mondiale tient d’une part à l’émergence de nouveaux acteurs globaux et d’autre part à la montée en puissance des acteurs non étatiques. Nés au sein des pays occidentaux ou ailleurs, certains des nouveaux acteurs globaux font figure d’entités ennemies. Parmi les nouveaux acteurs globaux lancés par les pays émergents, il faudra compter avec la Banque du Sud dont le siège situé à Shanghaï devrait avoir un ressortissant originaire de l’Inde comme premier directeur général. Par ailleurs fait non moins important est la démocratisa­tion en cours du leadership des instances mondiales. Si le pape François est le premier pape non européen, il faudra également compter avec la nomination d’un nombre croissant de ressortissants des pays non occidentaux à la tête des organisations inter­nationales gouvernementales et non gouvernementales (OIG et ONG) certes, mais aussi et surtout, des Institutions de Bretton Woods.

Reconfiguration du monde par des acteurs protéiformes : émergence de nouvelles entités ennemies

Lorsqu’on analyse la dynamique de la mondialisation sous l’angle des « acteurs », on constate que les États-nations ne disposent plus du monopole du pouvoir et doivent compter et composer avec l’émergence de nouveaux acteurs globaux interé­tatiques d’une part et non étatiques d’autre part. Un autre fait marquant a été la ré­actualisation d’une part du fait religieux et d’autre part des revendications d’entités culturelles en tant que « nation » – qualifiées parfois de « régionale » pour l’Europe et d’« ethnique » pour l’Afrique – et comme acteurs dotés d’un pouvoir perturba­teur avec le risque d’effet papillon.

Sur un fond tapissé par une constellation mouvante d’entités politiques éta­tiques en voie de décomposition et de recomposition, on assiste à la construction et déconstruction de systèmes d’alliances stratégiques qui comportent des pays riches aux côtés de pays pauvres. Ainsi, face à et/ou à côté des anciens groupes hégé­moniques de facto (G8, OTAN, etc.), des FMN/FTN, des OIG et des ONG, on voit émerger de nouveaux acteurs globaux tels que les organisations d’intégration régionale (OIR), les groupements de pays issus d’alliances stratégiques (le groupe de CAIRNS, le G3, les deux G20, le G33, etc.), les diasporas, les groupes d’intérêts et d’affinités spéciaux et autres groupements et organisations protéiformes, issus d’alliances idéologiques et religieuses opérant en réseaux.

En effet, au cours des trente dernières années le monde a connu de profonds changements. Dans le contexte postwesphalien dans lequel nous vivons, si danger nucléaire il y a aujourd’hui, ce n’est pas du côté de l’acteur « État-nation » qu’il se situe. La véritable menace pour la paix et la sécurité internationale réside dans la prolifération des mouvements et réseaux terroristes : les Talibans, Al Qaïda, Boko Haram, Al-Shabab, Ansar al-Charia, Jamaatee Eslami, Abou Sayyaf, Ansar din, Ansar Baitalmoghadas, et Last but not least Daesh. Et non moins inquiétant est le phénomène du terrorisme individualisé qui ne se limite pas à des fondamentalistes religieux42. Comme en témoigne l’histoire, ce n’est pas en condamnant à mort le terroriste ou en exterminant les individus appartenant aux mouvements terroristes qu’on viendra à bout du terrorisme collectif et/ou individuel mais en tarissant leur source d’approvisionnement. C’est en amont qu’il faut agir : créer les conditions pour que la paix puisse régner dans le cœur et l’esprit des individus.

Une autre catégorie spécifique parmi les nouveaux acteurs non-étatiques, il nous faut compter aussi avec la montée en puissance des agences de notation. Lorsqu’on se réfère aux agences de notation financière plus spécifiquement, on constate qu’aucun acteur majeur de la mondialisation n’a pu acquérir en si peu de temps un si grand pouvoir. De sorte que avec la crise des dettes souveraines qui sévit maintenant en Europe, celles-ci ou plus précisément The Big Three (les trois puissantes agences :

Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings) se présentent comme les contre-pou­voirs les plus redoutés par les grandes puissances économiques du monde.

Fait non moins important à cet égard est l’arrivée sur scène en novembre 2013 de l’agence chinoise, Dagong, qui tente de faire sa place en contestant la vision « occidentale » des « Big three ». D’après Dominique Villepin, président du conseil consultatif de l’UCRG (Universal Credit Rating Group), il s’agit de corriger une situation « inexplicable » selon laquelle « Aujourd’hui, ce sont les pays endettés qui mettent les notes aux pays créditeurs »43.

La première question concernant les agences de notation consiste évidemment à savoir quelle est la légitimité de ces nouveaux acteurs ? Au départ aucune, après le fiasco de la sur-notation d’Enron d’abord et les déboires de la crise des subprimes ensuite, elle repose maintenant sur leur accréditation (les agences doivent remplir certains critères pour être agréées). Sans liberté pas d’innovation, qui dit mondia­lisation dit complexification et celle-ci comporte inévitablement des risques. Une vision manichéenne de la réalité – les méchants fonds souverains contre les bonnes dettes souveraines – n’est pas sans conséquence ; elle peut conduire à vouloir casser le thermomètre quand la fièvre monte. On a en effet tendance à oublier qu’une pièce de monnaie comporte toujours deux faces. Les fonds souverains ne sont pas une masse compacte, ils sont composés des fonds souverains d’États pétroliers, des fonds de pensions, des fonds vautours, des fonds spéculatifs, etc. Il faut garder pré­sent à l’esprit l’image de ces retraités qui ont dû à 70 ans se remettre au travail non par amour du travail mais par nécessité. En réalité, le véritable problème concer­nant l’évaluation des risques de la part des agences de notation financière est que celles-ci sont exclusivement d’ordre financier.

En effet, le néolibéralisme a l’avantage de faire place à l’inédit et à l’expérimen­tation mais le revers de la médaille est qu’il expose à davantage de risques liés à l’incertitude. Qui dit lois du marché dit système de gouvernance néolibérale. Or, le marché a besoin d’une main invisible ordonnatrice et les agences de notation sont censées réduire les risques inhérents à l’incertitude. Et l’expérience a prouvé que les agences de notation financière à l’instar de l’homo economicus obéissent à leurs inté­rêts personnels. En tant qu’instances de régulation informelles, celles-ci avaient be­soins d’être soumises à des règles de déontologies spécifiques. La SEC (Commission de surveillance des marchés américaine) a comblé le vide en instaurant le label de NRSRO (Nationally recognized statistical rating organization)

Les critiques de fond adressées à l’encontre de ces agences ne se limitent pas à des questions éthiques (conflits d’intérêts, non-respect des normes déontologiques) remettant en cause la validité de leur évaluation des risques financiers mais aussi et surtout à un problème de fond qui est celui de la non prise en compte des risques sociétaux et environnementaux. Centrés sur la question des risques financiers ces agences font naturellement fi des critères inhérents au développement durable. Il existe de véritables failles de cohérence au niveau de la gouvernance mondiale.

Globalisation et accélération obligent, une bonne gouvernance mondiale exige de savoir bien jongler avec les différences de temporalités et savamment hiérarchi­ser les priorités et les urgences selon les espaces. L’Occident qui demeure le pôle dominant de l’économie mondiale est en temps de crise permanente. Les crises budgétaires mises en exergue par et après les crises financières ont mis le Fonds monétaire international (FMI) sur le devant de la scène tandis que durant la décen­nie d’euphorie libérale, c’est l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui avait le vent en poupe. Depuis la Chine et la Russie sont devenues des membres à part entière de cette institution emblématique du capitalisme mondialisé. Depuis l’échec du sommet de Doha en 2001 qui devait lever les derniers obstacles au com­merce mondial, l’OMC a été paralysée et s’est cantonnée au rôle de gendarme du commerce international.

Un nouvel ordre mondial est en gestation, la nomination à la tête de l’OMC d’un ressortissant issu d’un grand pays émergent en l’occurrence le Brésil, a permis de débloquer le système du commerce multilatéral. Le samedi 7 décembre 2013, l’OMC a approuvé un accord sur la libéralisation des échanges commerciaux, le premier de son histoire. Le problème avec cet accord, dit Accord de Bali, est qu’il s’agit d’un accord a minima, d’où le qualificatif de « Doha light »44. Si avant 2008 ce sont les tenants du courant de pensée altermondialiste qui étaient accusés de blo­quer les négociations, depuis la crise bancaire et financière de 2008, la peur semble avoir changé de camp. Maintenant ce sont les EU et l’UE qui n’apprécient pas les règles de l’OMC les jugeant responsables des délocalisations et des suppressions d’emploi de sorte que les réflexes protectionnistes sont de retour dans les contrés riches, jadis fervents défenseurs du libéralisme.

D’après les responsables politiques de ces pays riches, les pays émergents doivent comprendre que les prix bas ne font pas nécessairement le bonheur des peuples et que le commerce s’il veut être source de richesse il doit aussi intégrer aujourd’hui la protection de l’environnement, la protection des salariés, les droits de l’homme ou encore la sécurité alimentaire. La question maintenant consiste à savoir si les deux Accords de partenariat (le Trans-Pacific Partnership et le Trans-Atlantic Partnership) que le président des États-Unis Barack Obama vient de lancer ne vont pas sonner le glas du commerce multilatéral. Il faut reconnaître que le système de prise de déci­sion par consensus a rendu d’autant plus difficile la lourde tâche de déblocage de la situation de paralysie dans laquelle se trouvait l’OMC.

Le multilatéralisme a été accusé de l’échec des négociations de portée straté­gique. Il est vrai que, à l’instar de l’échec du cycle de Doha en 2006, le sommet de Copenhague sur le changement climatique en 201045 n’a pas permis de négocier un contrat mondial mais ce qui est en cause dans l’échec de ces négociations inter­nationales, ce n’est pas le multilatéralisme en tant que tel mais le multilatéralisme tel qu’il fonctionne actuellement. L’« échec » des négociations de portée stratégique est révélateur du caractère caduc et surtout inopérant des processus de prise de décision classiques de caractères asymétrique. La période où « quelques États occi­dentaux décidaient et les autres suivaient » est révolue. La montée en puissance des opinions publiques de par le monde, la réémergence et/ou l’émergence de nouvelles puissances du Sud, l’apparition de nouveaux acteurs mondiaux non étatiques sont autant de facteurs à l’origine de la reconfiguration des rapports de force à l’échelle mondiale. Ces changements majeurs exigent de renouveler le multilatéralisme pour lui permettre de s’ouvrir et d’évoluer dans un sens qui lui permette répondre aux nouvelles réalités du monde.

Les intérêts divergents et la pluralité des préoccupations appellent de nouveaux mécanismes de négociation multi-acteurs et de prise de décision pragmatiques, respectueux de la diversité des systèmes écologique, économique, culturelle, etc. Par ailleurs, le problème de fond étant, au-delà de l’apparente diversité culturelle, celui de l’uniformisation des modes de vie à l’échelle planétaire avec des consé­quences écologiques problématiques, une autre question d’importance consiste à savoir « comment pourrions-nous inverser cet état de fait ? ». Deux courant de pensée s’affrontent : tous deux prétendent travailler pour le social, l’une privilégie la dimension écologique du tout social global et l’autre la dimension économique.

 

Du progrès techno-économique au progrès du genre humain : de l’actualité de la mission de l’UNESCO

Le progrès en question ? Des rapports Meadows/Herman Kahn des années 70 aux Mouvements Transition/Initiative 2045 d’aujourd’hui le débat entre les écolo­gistes (précautionnistes) et les progressistes (proactifs) continue. Dans les années 70 comme à l’époque de Malthus et de Ricardo, le débat apocalyptique du courant de pensée optant pour la thèse pessimiste des précautionnistes, était davantage centré sur la question de la rareté des ressources naturelles et le problème de l’insuffisance des ressources au regard des besoins humains tenant soit à la forte croissance démo­graphique et/ou à l’explosion des besoins artificiels. Ce courant de pensée, partisans du Club de Rome en tête, a donné lieu à une multitude d’ouvrages critiques sur la société de consommation.

En réponse au rapport Meadows du Club de Rome intitulé Halte à la croissance, pour combattre les thèses déclarées « ultra-pessimistes » et « néo-malthusiennes », le courant de pensée progressiste représenté en la personne d’un des grands maîtres de la futurologie Herman Kahn a fait paraître un rapport publié par le Hudson Institute intitulé Scénario pour 200 ans qui démontre que « la croissance va se pour­suivre, partout dans le monde, bien au-delà de l’an 2000, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à un palier caractérisé par une abondance générale et donc un haut niveau de vie pour chacun ».

Ces deux courants de pensée qui ont eu tous deux pour partie raison, ont été à l’origine d’un nombre considérable de débats, de recherches et de publications. L’être humain serait-il plus enclin à la peur et à l’angoisse ? Probablement46, en tout cas plus prolifique le premier courant de pensée s’est davantage fait entendre en ce sens qu’il a eu un impact décisif sur les états d’esprit plus enclin à la mélancolie. Tandis que plus pragmatique à la fois pour les cupides et pour tous ceux qui ont faim, les second les commandes en main devaient et continuent à vouloir nous conduire vers un monde meilleur, voire un avenir radieux. Le monde a évidemment beaucoup changé depuis 30 ans. Les trois grandes crises écologiques majeures à savoir : le changement climatique, la destruction de la biodiversité et la dégradation des écosystèmes ont été à l’origine d’un changement environnemental global.

Les délocalisations de la production consécutives à la mondialisation écono­mique en marche, le déclenchement de la croissance économique dans les pays émergents jadis qualifiés de Tiers Monde exaspère la perspective de la catastrophe à l’échelle de l’Europe continentale. Car la géopolitique de la catastrophe n’est pas la même selon que l’on se situe ici ou là-bas. Les craintes suscitant l’idée de catastrophe imminente en Europe ne sont pas exclusivement d’ordre écologique mais aussi et surtout d’ordre économique, c’est la perspective de la fin de l’Europe comme centre du monde qui déstabilise et déclenche des peurs apocalyptiques éclipsant les idéo­logies du progrès.

Il n’est évidemment pas question de dire ce qui est le mieux pour l’humanité, il ne s’agit pas non plus de discourir ici sur les questions métaphysiques liées à l’idée du progrès (questions du salut, du bonheur ou du sens de la vie), on peut en revanche légitimement se poser la question de savoir si depuis la création des institutions du système des Nations Unies, l’humanité dans son ensemble se porte mieux ou pas. Si le scandale de la pauvreté dans le monde est là pour nous rappeler que beaucoup reste à faire, on doit néanmoins reconnaître que beaucoup a été fait.

En effet, si l’on tient compte des différentes composantes de l’indicateur du développement humain que sont l’accroissement de l’espérance de vie, la baisse de la mortalité infantile, le recul de la faim, les progrès dans les domaines de la santé et de l’éducation, on peut affirmer qu’il y a eu un mieux-être global pour l’humanité. Et comme d’après les projections démographiques des Nations Unies, vers la fin du XXIe siècle l’humanité va commencer à décroître en nombre et l’espérance de vie va croître grâce à la prévention génétique et génomique personnalisée rendu pos­sible par des séquençages du génome humain, il est possible de croire en un avenir meilleur pour l’humanité dans son ensemble et plaider contre le catastrophisme ambiant.

Si d’un point de vue technoéconomique, il y a eu un progrès certain et qu’il continue à y avoir espoir de progrès pour l’humanité, une autre question non moins importante consiste à savoir s’il y a eu un progrès du genre humain ou pas ? La culture de la paix et l’éthique de la non-violence se posent comme des indicateurs par excellence du progrès du genre humain. En d’autres termes, le monde civilisé prend conscience que le progrès accompli dans une nation par l’humanité ne la met pas à l’abri de la barbarie. La bombe atomique, les drones militaires et autres instruments de destructions massives ou ciblées sont des symboles par excellence des avancés sur les plans scientifico-techniques voire même esthétique47 de la com­munauté humaine. L’humanité a acquis la capacité technique de s’autodétruire. Les avancés de l’humanité ne se limitent évidemment pas à sa capacité d’intervention sur le monde naturel et matériel, l’être humain a acquis également un pouvoir d’intervention sur sa propre nature. Ainsi qu’il a été précisé les avancés dans les domaines des biosciences et biotechnologies devrait permettre d’accroître de façon conséquente l’espérance de vie. Sans vouloir entrer dans le détail des débats bio-ca-tastrophistes portant sur la question du posthumain, on ne peut laisser sous silence que l’être humain devrait pouvoir via des manipulations génétiques augmenter ses performances mais à ce jour il ne peut toujours pas améliorer génétiquement son humanité48.

Comment peut-on avoir encore confiance dans l’avenir de l’être humain et de l’humanité, comment peut-on croire que ces entités progressent d’un point de vue moral et politique lorsque la guerre et la violence continuent à faire partie du lot quotidien d’êtres humains de plus en plus performants. C’est en cela que l’Acte constitutif de l’UNESCO conserve toute sa pertinence : « Les guerres prenant nais­sance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». L’humanité dans toutes ses composantes ne doit avoir de cesse de faire acte d’ingéniosité pour mettre en acte cette devise. Après la Décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde, l’Assemblée générale des Nations Unies par sa résolution (A/RES/67/104) du 17 décembre 2012, « Promotion du dialogue, de l’entente et de la coopération entre les religions et les cultures au service de la paix », a proclamé la période 2013-2022 «Décennie internationale du rapprochement des cultures».

Le défi essentiel des décennies à venir et qui engage la survie de l’humanité est un défi civilisationnel avant d’être un défi écologique. En effet comme Paul Ricœur le souligne « la vérité humaine n’est que dans ce procès où les civilisations s’affron­teront de plus en plus à partir de ce qui, en elles, est le plus vivant, le plus créateur. L’histoire des hommes sera de plus en plus une vaste explication où chaque civilisa­tion développera sa perception du monde dans l’affrontement avec toutes les autres. Or ce procès commence à peine. Il est probablement la grande tâche des généra­tions à venir. Nul ne peut dire ce qu’il adviendra de notre civilisation [la civilisation occidentale] quand elle aura véritablement rencontré d’autres civilisations autre­ment que par le choc de la conquête et de la domination. Mais il faut bien avouer que cette rencontre n’a pas encore eu lieu au niveau d’un véritable dialogue ».

Du déclin de l’Europe sous le phare de l’actualité, à sa résurrection comme acteur phare du projet de paix mondiale

L’Europe vit son déclin économique comme la fin du monde. Ce vécu apo­calyptique de la réalité nous fait penser par métaphore à Schopenhauer qui dans « Le monde comme volonté et comme représentation » pense que la représentation individuelle nous empêche de percevoir le monde tel qu’il est dans son ensemble et pas seulement en nous-mêmes. Comme la fin du monde humain n’est pas la fin de l’univers, la fin de la domination exclusive du monde par l’Occident n’est évidem­ment pas la fin du monde. La question importante pour l’Occident consiste à savoir si elle est le signe de son déclin ?

Ce qui est important in fine ce n’est pas tellement l’économique mesuré à l’aune du PNB mais le substrat « culturel », cet élan vital qui le suscite, le crée et le restaure. Derrière la question du déclin de l’Occident se pose la question fondamentale du « sens » et/ou plus exactement de la perte de ce qui fait sens. C’est avec la perte de sens qu’une culture peut craindre son dépérissement et commencer à s’inquiéter sérieusement sur son destin. Le problème de fond qui se pose à l’Occident est le devoir et surtout le savoir vivre la fin d’un certain ordre du monde : un ordre du monde caractérisé par la domination exclusive de l’Occident. Le sacrifice de la quête de sens à l’autel de la quête de puissance n’aura-t-elle été qu’une vaine affaire ?

En effet, d’après Michaël Foessel « les discours sur la décadence sont généralement motivés par l’amertume face à la disparition des anciennes hégémonies »49. En fait, ce qui en Occident paraît condamnable au regard de la mondialisation ce n’est pas tant la mondialisation en tant que telle puisqu’elle a été à l’origine de sa pros­périté, mais c’est le fait qu’elle ne se déploie plus au profit exclusif de l’Occident. L’Occident a donc tout intérêt à changer les règles du jeu avant qu’elle ne devienne victime de ses propres règles du jeu en vigueur : recours circonstanciel à la force et/ ou au droit selon ses intérêts du moment. L’Occident doit miser sur le soft power et travailler à la promotion de l’état de droit à l’échelle planétaire et pour ce faire abandonner tout à la fois la posture de missionnaire et de donneur d’ordre.

On est à cet égard en droit de s’interroger pour savoir si ce n’est pas le recours à une politique extérieure axée sur le droit d’ingérence armée qui a motivé la posi­tion critique du Bureau International de la Paix (BIP) quant à l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne. En effet, le 5 novembre 2012, le Bureau international de la paix a jugé « illégal » le prix Nobel de la Paix attribué à l’UE en invoquant le fait qu’elle n’est pas un des « champions de la paix » que le fondateur du prix, le Suédois Alfred Nobel, souhaitait récompenser50. S’il y avait de quoi à être surpris par cette prise de position, il y a de quoi à être encore plus affligé par la controverse qui n’a pas eu lieu : l’esprit de guerre empêcherait-il d’entendre les voix de la raison et de la sagesse ?

Car s’il est vrai que la confiance en soi permet d’aller de l’avant, trop d’assurance aveugle. Rien n’est parfait : la question de la paix au sein de l’UE est un acquis fragile qu’il s’agit de préserver. Mais il y a aussi et surtout la question de la relation de l’Europe avec l’autre en son sein et avec le reste du monde et le plus important en la matière est, vraisemblablement, l’abandon de la conception schmittienne du politique selon laquelle l’essence du politique repose sur la distinction entre l’ami et l’ennemi. Il y a aussi la question du recours à la force comme instrument de résolu­tion des conflits qui demeure à l’ordre du jour.

Le fait que l’objection du BIP n’a pas suscité de controverse est signe de la gravité de la situation. Le problème ne réside pas tant dans le mal dont souffre la « communauté internationale » mais dans la perte de conscience de la part de ses ac­teurs phares de l’existence du mal à force de vouloir l’évacuer, ce qui est pire encore.

Dans son séminaire du 6 mars 2013 au Collège de France, Jean-Marc Ferry objectait que, au sein de l’UE, le défi de la paix comme objectif mobilisateur s’est érodé car la nouvelle génération n’a pas connu la guerre. En période de crises bud­gétaire et financière, la politique étrangère étant de plus en plus pensée à l’aune d’analyses coûts-bénéfices, les objections à la guerre en dehors des frontières sont beaucoup plus d’ordre pécuniaire que moral. En effet, le climat est loin d’être paci­fié depuis 2001, on a dès lors assisté à une inversion des valeurs de sorte que la liberté est davantage perçue comme le droit de vivre librement dans un environne­ment sécurisé que comme la liberté de penser et d’agir dans un environnement régi par des principes démocratiques.

Le BIP a raison d’arguer que l’UE n’est pas un des « champions de la paix » que le fondateur du prix, le Suédois Alfred Nobel, souhaitait récompenser. En effet, au sein de ses propres frontières, l’UE ne peut être considérée comme le champion de la paix positive et en dehors de ses frontières, elle ne peut non plus être considérée comme le champion de la paix négative. Mais le BIP a tort de refuser l’attribution de prix Nobel en tant que mesure conservatrice. Car si la paix n’est pas seulement l’absence de guerre, la paix c’est aussi et avant tout l’absence de guerre, et en ce sens la paix négative au sein de l’UE est un acquis qu’il faut savoir perpétuer.

Le BIP a également tort de refuser l’attribution de prix Nobel en tant que me­sure préventive. Car dans la vie, il ne suffit pas de pleurer la mort des êtres qui nous sont chers, il faut d’abord apprendre à prendre soin d’eux tant qu’ils sont vivants. Il est bon de rétribuer les bonnes actions mais il est tout aussi nécessaire de les sus­citer. Et l’attribution du prix Nobel à Barack Obama n’a pas dû faciliter sa vie en tant qu’homme politique responsable. De même, le jury du prix Nobel a eu raison d’attribuer le prix Nobel à l’Union européenne car, en amont et en aval, la lutte contre les violences doivent être tous azimuts. Aucun prétexte pour ne pas agir n’est acceptable aujourd’hui où l’épée de Damoclès est suspendue au-dessus de chaque tête. Lorsqu’on se révolte, on a mal de se sentir impuissant mais ne rien sentir est encore pire, c’est mourir avant d’être mort.

Venons-en maintenant à l’argument « la paix n’est pas l’absence de guerre » qui est avancé pour justifier les conflits armés. La violence sociale, la violence psycho­logique, la violence symbolique, la violence physique (des tortures aux crimes abo­minables que sont le génocide, etc.) ont été mis en exergue pour justifier la guerre. Or, la guerre c’est la violence pure et elle ne peut que générer à plus ou moins long terme une violence similaire (de plus ou moindre intensité mais similaire) à titre de réponse ou de vengeance. Le seul moyen d’arrêter le cycle de la violence consiste à rompre le cercle vicieux de la violence, il s’agit pour ce faire d’adopter une éthique de la non violence.

Il en va de même de la guerre et la notion euphémisante de « guerre juste » n’y peut rien. Fin août 2013, tandis qu’une coalition de pays occidentaux, optant pour la solution militaire dans le conflit syrien, s’apprête à bombarder, le pape François dans son appel à la paix du samedi 7 septembre 2013 condamne toutes les guerres y compris les guerres d’ingérence dites humanitaires et déclare : « nous avons perfectionné nos armes, notre conscience s’est endormie, nous avons rendu plus subtiles nos raisons pour nous justifier ». Après les atrocités de Daesh en Irak, le souverain pontife, le 19 août 2014, se prononce en faveur d’une action collective de la communauté internationale sous l’égide de l’ONU pour « stopper une agres­sion injuste ». Alors même que le pape François prend soin de préciser « Je souligne le verbe : stopper, je ne dis pas bombarder ni faire la guerre », certains journalistes scotomisent ces précisions51.

La guerre n’est jamais une solution. La guerre témoigne du manque d’imagina­tion et de l’échec de la raison humaine. Et en ce sens la critique du BIP concernant les critères utilisés pour l’attribution des prix Nobels nous paraît juste. En d’autres termes, le problème ne se situe pas au niveau de la cause. Les causes défendues par l’ONU sont toujours justes puisque par définition elles relèvent de l’humanitaire. Le problème se situe au niveau des moyens. Il s’agit de refuser la pratique qui, pour extirper le mal qu’est la violence physique, justifie le recours à un moyen injuste (en l’occurrence la violence physique de la guerre) sous prétexte d’utiliser une violence moindre ou proportionnelle à la violence remise en cause52.

D’après les sages, en tant que principe philosophique, la non-violence est une requête de sens ; d’après les stratèges, en tant que méthode d’action, elle est une recherche d’efficacité. Aujourd’hui, ce n’est pas tant le terrorisme religieux mais le paradigme de la guerre comme instrument de régulation et de lutte contre le terro­risme à l’échelle planétaire qui est une menace majeure pour la communauté inter­nationale. Esprit millénaristes ou pas, dans tous les cas, même en ne demeurant que dans le domaine de la realpolitik, l’Occident n’a aucun intérêt de s’engager dans une guerre sans fin qui ne peut que porter atteinte à son soft power. Comme Obama l’a souligné, au lieu de s’en remettre exclusivement à l’« usage de la force pour lutter contre le terrorisme », l’Occident devrait miser sur l’« aide au développement » car ainsi que le président des États-Unis l’a déclaré au Congrès « l’aide étrangère, ce n’est pas de la charité, c’est un élément de notre sécurité nationale »53.

D’après Paul Ricœur, nous ne disposons pas de philosophies de l’histoire pour résoudre les problèmes de coexistence des cultures à l’échelle planétaire. Fidèle à elle-même, l’Europe doit continuer à viser l’universel en acceptant qu’il ne se réduit pas à l’universel occidental. Le rejet de l’universalisme hégémonique, réducteur de la complexité porteuse de sens, appelle à la reconnaissance constante de l’égale di­gnité des cultures : « chaque culture exprime à sa manière l’universel», donc in fine la délimitation des frontières de l’acceptable (de l’universel universalisable) pour la communauté internationale ne peut être que l’œuvre commune d’une humanité en devenir.

Notes

  1. Docteur d’État ès Sciences économiques de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, ancien haut fonctionnaire international et membre fondateur de la Chaire UNESCO sur les Intégrations régionales, elle est l’auteur notamment de l’ouvrage Les espaces de la diversité culturelle paru aux éditions Karthala.
  2. Création de l’ONU comme faisant suite à la SDN.
  3. Chemillier-Gendreau Monique, Humanité et souverainetés—essai sur lafonction du droit international, Paris, la Découverte, 1995, p. 293.
  4. Ainsi que Colin Powell, ancien Chef d’État-Major des armées et Secrétaire d’État des États-Unis, a cru bon le rappeler, le plan Marshall est un bon exemple de la stratégie de soft power déployée par les États-Unis après la seconde guerre mondiale pour consolider leur statut de superpuissance qui ne peut se concevoir sans un groupe conséquent de pays suiveurs que sont ses pays alignés et/ou alliés, Joseph S. Nye, Soft power : the means to success in world politics, éd. Nye, USA, 2004.
  5. Il est à noter à cet égard que, d’après des quotidiens belge et français en date du mois décembre 2014, Daesh qui s’élève contre les valeurs marchandes de la société occidentale et prétend mobiliser les jeunes au nom de valeurs religieuses, a fixé à un million de dollars le prix pour la restitution de la dépouille mortelle du journaliste américain James Foley décapité au mois d’août.
  6. Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, « Comment améliorer l’image de marque du Canada ? — pour se « vendre » à l’étranger, les pays confient leur image de marque à des as du marketing. Mais le Canada n’est pas bon à ce jeu, selon la professeure Melissa Aronczyk », L’Actualité Magazine, Canada, 5 août 2014.
  7. « Le nouveau désordre mondial », Revue Esprit, N°407, août-septembre 2014, p. 92 encadré sur « L’évolution des budgets militaires mondiaux ».
  8. Dans le cas du Canada par exemple, d’après un des rapports commandités par le Ministère des affaires étrangères canadien auprès des grandes agences internationales de publicité, « c’est la réputation de civilité, de tolérance et de diversité du pays qui pose problème »… D’après le consultant canadien en publicité Jeffrey Swystun, « le fait que le canada n’ait jamais connu ni révolution ni guerre civile jouait en sa défaveur, puisque le marketing implique de savoir batailler pour des parts de marché, de portefeuille, etc. ». Des progrès auraient, semble-t-il, été réalisés depuis : « l’image du cowboy » a remplacé celle de « la bienveillante et sympathique police à cheval » ! Cf. Melissa Aronczyk, op.cit.
  1. Pour s’en convaincre, il suffit de réfléchir à l’impact sur le soft power des États-Unis de la seconde guerre d’Irak de George W Bush. Si l’élection à la présidence de Barack Obama a permis de redorer le blason des États-Unis, il n’est pour l’heure pas encore possible d’évaluer l’impact exact sur le soft power de cette superpuissance de l’affaire concernant l’usage des drones dans la lutte contre le terrorisme et/ou de celle du programme d’espionnage américain PRISM.
  2. Il en va de même du qualificatif de terroriste, comme le note à juste titre Todorov : les terroristes d’aujourd’hui sont les rebelles de demain et les combattants pour la liberté d’après-demain. Il suffit pour ce faire de penser au cas emblématique de Nelson Mandela. Aujourd’hui adulé, jusqu’en 2008 les États-Unis ont maintenu ce prix Nobel de la Paix sur leur liste noir des terroristes.
  3. Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (I) : Le relatif et l’universel, Paris, éd. Seuil, 2004, p. 23.
  1. Colloque international : « Sanctions relatives à la non-prolifération nucléaire : Evaluation des exigences et des conséquences », Palais du Luxembourg, lundi 3 juin 2013.
  2. Le président Obama a déclaré : « Je pense que nous pouvons aider davantage les Cubains en discutant avec le gouvernement de La Havane », Le quotidien La tribune de Genève daté du

17.12.2014.

  1. La foi dans le progrès du genre humain précède les Lumières. Cette foi dans les possibilités du progrès du genre humain résiste au pessimisme ambiant et devrait persister tant que des humains subsisteront car, s’il n’est peut-être pas possible ou souhaitable d’espérer des changements dans la nature de l’être humain, on peut sans aucune doute tabler sur des transformations de comportement. Actualité de l’Islam oblige, il convient de préciser que le Jihad majeur a pour objet le gouvernement de soi. Il s’agit avant toute chose du combat des chevaliers de la foi contre eux-mêmes c’est-à-dire contre leurs passions. Le premier champ de bataille étant l’ego, l’apprentissage à la maîtrise de soi qu’est, entre autre, la pratique du jeûne doit permettre d’acquérir la capacité de dire non à ses pulsions.
  2. Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (III) — Le pluralisme ordonné, Paris, é Seuil, 2006, p.53 Le dialogue des juges sur la peine de mort.
  3. Sigmund Freud, Introduction à lapsychanalyse, version française, Payot, Paris, 1970, p. 131. Voir également Michel Haar, Introduction à la psychanalyse (de) Freud, Paris, Hatier, 1973, 76.
  4. Dans certains pays l’homosexualité est passible de la peine de mort tandis que dans nombre de pays européens le mariage gay est légalisé alors qu’il n’y a pas longtemps l’homosexualité y été considéré comme une maladie mentale.
  5. Henri Atlan, Intervention du 24 mars 2003.
  6. Voir sources in Ninou Garabaghi, Les espaces de la diversité culturelle, Paris, Karthala, 2010.
  7. Johan Van der Dennen, L’homme est-il un singe tueur ? in revue Books N°38, décembre 2012.
  8. La réponse d’une personne excédée par la colère ou prise de panique devant un danger imminent n’est pas la même selon qu’elle a à portée de main un pistolet, une assiette ou un livre.
  1. Jean-Pierre Changeux, Du vrai, du beau, du bien — Une nouvelle approche neuronale, Paris,

éditions Odile Jacob, 2008, p. 97.

  1. D’après Dave Grossman, « La guerre fait violence au guerrier », revue Books op.cit.
  2. Le 5 avril 2013, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a dénoncé la reprise de l’application de la peine de mort par le Koweït, l’Inde, l’Indonésie et le Japon, après plusieurs années de moratoire sur les exécutions. Si ces reprises d’exécutions ne remettent pas en cause la tendance générale à l’abolition de la peine de mort dans le monde, cf. les numéros du quotidien Le Monde datés du 5 et du 10 avril 2013, il n’en demeure que le terrorisme détricote le travail des abolitionnistes. C’est ainsi que après l’attentat meurtrier du 16 décembre 2014 perpétré par les Talibans qui s’est soldé par la mort de 142 personnes dont 132 enfants à Peshawar, le Pakistan a mis fin au moratoire sur la peine de mort pour les terroristes. Cf. article de Ingrid Therwath, « Attaque de Peshawar : délivrons-nous du mal » in Courrier international du 19 décembre 2014.
  3. Albert Einstein et Sigmund Freud, Pourquoi la guerre ?, Paris, Editions Payot & Rivages, 2005, pp. 61-62.
  4. Même mécanisme mais cause inverse.
  5. Para.139 du document A/60/L.1. Il est à noter à cet égard que la Déclaration sur la culture de la paix n’est pas ignorée mais aucune référence n’est faite à la culture de la non-violence !
  6. Début janvier 2013, le juriste Mario Bettati dans l’émission « À voix nue » de France culture portant sur le droit d’ingérence déclare : « nous avons été soupçonné d’être des agents de l’impérialisme ».
  7. Nous sommes en présence d’un cosmopolitisme ordonné compte tenu de la présence d’instances de régulation émanent de la société civile (ONG de caractère transnational) mais anarchisant compte tenu de l’absence d’un gouvernement mondiale et des problèmes de légitimité que posent certaines ONG.
  8. Adam Roberts, « Guerre contre le terrorisme » dans une perspective historique, in Andreani Gilles et Hassner Pierre (dir.), Justifier la guerre, De l’humanitaire au contre-terrorisme, Paris, Les presses de Sciences Po, 2005.
  9. site en ligne du Réseau du savoir électoral.
  10. Voir Ninou Garabaghi, cit.
  11. Pour de plus amples informations sur la question de l’allocation universelle ou revenu de citoyenneté, voir entre autres ouvrages celui de Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, Paris, La Découverte, 2005.
  12. Ninou Garabaghi, « L’Union européenne en quête de sens ? », revue de l’Académie de géopolitique de Paris, Géostratégiques, N°35, 1er trimestre 2012.
  13. Kandinsky (1954), Du Spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Denoël, 1989, p.95.
  1. Il est à noter à cet égard que la chute vertigineuse du prix du pétrole depuis juin 2014 est mise à profit par l’Arabie saoudite qui, pour contrer la politique énergétique des États-Unis, n’a pas intérêt à voir le prix du pétrole monter. D’après Ali al Naimi, ministre saoudien du pétrole, l’Arabie Saoudite est engagée dans une « bataille de parts du marché » avec les États-Unis.
  2. Matthieu Auzanneau, Blog du quotidien Le Monde du 13 novembre 2012.
  3. Lefr avec AFP, site du quotidien Le Figaro le 5 décembre 2013.
  4. Le monde en 2030 vu par la CIA, rapport du National Intelligence Council, préface de Flore Vasseur, Paris, Editions des Equateurs, 2013.
  1. Il s’agit du groupe des pays en développement rapide constitué par le Bangladesh, l’Égypte, l’Indonésie, l’Iran, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines, la Corée du Sud, la Turquie et le Vietnam.
  2. le cas des attentats d’Oslo en 2011 in Ninou Garabaghi, L’Union européenne en quête de sens ?, op.cit.
  3. site de France culture, Agences de notation : la fin de l’hégémonie occidentale ?, France culture

le 13.11.2013.

  1. Le Monde.fr avec AFP, site du quotidien Le Monde le 07.12.2013.
  2. Depuis, peu de progrès ont été réalisés, dernier en date le sommet de Lima s’est clos le 14 décembre 2014 sur un accord à minima. D’après le quotidien Le Monde, l’aide au pays du Sud pour faire face au réchauffement climatique a été un sujet de grande défiance. Cf. l’article Le sommet sur le climat de Lima aboutit péniblement à un accord in Le Monde du 14.12 .2014.
  3. D’après les psychologues (ex. Paul Daniel, La peur et l’angoisse, Paris, Payot, 1968) et les psychiatres (ex. Christophe André, Les états d’âme — un apprentissage de la sérénité, Paris, Odile Jacob, 2009) la peur et la capacité à s’inquiéter chez le genre humain ont de tout temps été des gages de sa survie.
  4. L’arme nucléaire et les drones militaires sont les symboles sophistiqués de la barbarie de l’homme civilisé du 21è siècle. Si sur le plan technique les armements sont de plus en plus efficients, il faut reconnaître que sur le plan esthétique aussi il y a des avancés indéniables. Les drones militaires par exemple bénéficient d’un design de premier ordre pour le plus grand plaisir des jeunes gens qui doivent les manipuler puisque les victimes qui en sont la cible n’ont pas le temps d’en apprécier la beauté. Il est clair, ces armes de destructions posent de sérieux problèmes de légalité et de légitimité.
  5. D’après les chercheurs en neurosciences, l’espère humaine a génétiquement évolué vers plus d’humanité (plus d’altruisme, plus d’empathie, etc.). Naturellement, cette évolution génétique a pris des millions d’années. Or d’après les neurobiologistes il est possible, grâce à des pratiques de méditation quotidiennes, d’obtenir des modifications fonctionnelles du cerveau : « des modifications dans le comportement —plus de coopération, de comportements prosociaux, d’entreaide— même structurelles ». Stanislas Kraland, Plaidoyer pour l’altruisme : l’interview de Matthieu Ricard, Huffpost, 21.09.2013 et Matthieu Ricard, La méditation modifie certaines zones du cerveau, in le quotidien Le Monde du 10.10.2013.
  6. Michaël Foessel, Après la fin du monde : critique de la raison apocalyptique, Seuil, 2012.
  7. le quotidien Le Monde.
  8. En effet, certains journalistes ont semble-t-il procédé à une désinformation par omission, laissant entendre que le pape se prononçait en faveur de la guerre tandis qu’il n’a cessé de la condamner. Allant même jusqu’à comparer le dissemblable l’un d’entre eux titrait « Syrie-Irak : le pape François tantôt pacifiste, tantôt interventionniste ».
  9. Les critiques adressées à l’encontre des interventions armées dites humanitaires se situent le plus souvent au niveau de l’évaluation de la proportionnalité.
  10. article de Laure Mandeville, Obama ajuste sa politique antiterroriste, in Le Figaro du 23 mai 2013.
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