Les Relations irano-arabes

Mohamed TROUDI

Décembre 2005

La situation géographique de l’Iran, mais surtout son idéologie « impéria­liste » dans le sens neutre du terme » (on estime que la théorie de l’em­pire est née en Perse, face à des cités grecques incapables d’élever la politique au dessus du modèle de la cité) notion qui s’est incarnée notamment dans l’empire achéménide et dans une religion, le chiisme qui comporte avec la doctrine Al Farabi, l’une des conceptions les plus achevées de la théocratie.

Installé entre les mondes arabe, turc, indien et russo-européen, ce pays occupe une place charnière dans une région toute aussi névralgique.

L’Iran, Etat le plus ancien du monde (l’empire perse remonte en effet au VIe siècle avant J.C) dispose d’un vaste territoire, d’une forte population et d’importantes ressources pétrolières et gazières.

Tous ces éléments de l’histoire iranienne contribuent à lui donner des ambitions de puissance régionale.

Une diplomatie généralement réorientée vers le dialogue et la détente, en dépit de relations délicates notamment avec le monde arabe et sur le plan des rivalités tant territoriales, religieuses que culturelles à travers notamment l’exemple du conflit Iran Irak.

Depuis l’instauration de la révolution islamique en Iran, les relations arabo-iraniennes ont connu des profondes fluctuations allant du soutien voire de l’alliance, à la tension et la rupture des relations diplomatiques ou même jusqu’à la guerre.

Parallèlement à l’idéologie de la révolution islamique, qui a compté pour beaucoup dans l’orientation de la diplomatie iranienne depuis 20 ans, l’Iran doit encore composer en la matière avec un environnement immédiat très spécifique, au sein duquel il entend émerger grâce à ses multiples atouts géostratégiques, humains, économiques- comme une puissance régionale.

Une volonté d’apaisement et d’ouverture dans un contexte régional particulièrement complexe

L’Iran présente la particularité d’être entouré par des frontières mari­times ou terrestres de pas moins de 15 Etats dont beaucoup ont été ou demeurent confrontés à des crises intérieures, à des conflits de voisinage ou à des interventions étrangères synonymes d’encerclement pour les Iraniens et qui contribuent à faire de l’environnement régional de l’Iran une zone d’in­stabilité chronique, au sein duquel le pays affiche sa volonté d’être un pôle de stabilité et de puissance.

L’Iran et ses voisins arabes

L’instabilité au Moyen -Orient est trop souvent expliquée par référence au seul conflit arabo-persan qu’aggraverait le clivage entre Chiites et Sunnites. La réalité qu’elle soit vue d’Iran ou par ses voisins est beaucoup plus complexe, en raison même de la diversité des acceptions du concept « d’ara-bité » et des enchevêtrements géopolitiques de la région et de la difficile cohabitation entre espace arabe et espace musulman.

La consolidation des liens avec les pays du Golfe en dépit de relations parfois difficiles.

Les relations avec l’Arabie Saoudite

Depuis l’instauration du régime islamique en Iran en 1979, le pèleri­nage annuel aux lieux saints musulmans de la Mecque et de Médine est devenu l’occasion d’affrontements récurrents entre pèlerins iraniens et police saoudienne.

Au-delà de l’hostilité traditionnelle entre Arabes et Perses, entre sun­nites et chiites, cet affrontement symbolisait, de manière emblématique, la compétition que la monarchie saoudienne et le régime des mollahs se livraient au même moment, sur plus d’un continent, chacun cherche à affirmer la légitimité de son leadership sur la communauté musulmane.

Après tant d’années de tension, à la suite de la seconde guerre du Golfe, les dirigeants iraniens prirent conscience que le complet isolement de leurs pays sur la scène internationale était profondément contre pro­ductif du point de vue de la défense des intérêts nationaux et se mirent à renverser cette logique d’exclusion par une démarche d’insertion du pays dans le concert international. Cet objectif constitua tout au long de la décennie 1990, la ligne conductrice de la politique étrangère iranienne.

Commencé sous la présidence de Rafsandjani cette politique de rap­prochement avec les voisins arabes a été poursuivie par le président réfor­mateur Khatami, représentant d’un courant plus ouvert et réformateur.

Un arrangement a finalement été trouvé en 1995 qui « sauvait la face » aux deux parties. Rendu possible par l’amorce d’un dialogue poli­tique entre les dirigeants des deux pays. L’Iran a retrouvé des relations diplomatiques normales après plus de 30 ans de tensions et de méfiance réciproque, consécutives à la volonté affichée de l’Iran de disputer aux Saoudiens le leader-ship de l’Islam en prétendant diriger le centre mondial du chiisme. Le conflit entre ces deux voisins comportait également d’autres dimensions : l’affrontement des ambitions hégémoniques rivales des deux pays dans le Golfe et plus généralement dans la région et aussi l’existence d’une divergence de stratégies entre les différentes force au pouvoir à Téhéran. Néanmoins, ce rapprochement reste le plus spectacu­laire jamais tenté auparavant. M. Khatami a entamé une véritable poli­tique d’ouverture envers l’Arabie Saoudite (qui est devenue pourtant son principal adversaire dans la région à la suite de l’écrasement de l’Irak en 1991) notamment depuis le sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) de 1997, démarche couronnée par la visite du président iranien à Riyad en mai 1999.

Si ce rapprochement a permis une meilleure entente dans le domai­ne pétrolier, pour la gestion des quotas au sein de l’OPEP, il n’a pas débou­ché sur un accord final et l’Iran continue d’être perçu avec suspicion dans la région.

Téhéran suscite encore des craintes auprès de ses partenaires régio­naux, ces derniers ayant en effet encore du mal à se départir de leurs pré­jugés à l’encontre des Perses. En outre, les pays du Golfe tournés vers un partenariat stratégique avec les Etats-Unis leur assurant stabilité et protec­tion militaire, ne sont pas prêts à substituer un rôle accru à l’Iran en matiè­re de sécurité régionale, à celui qu’y tiennent les Etats-Unis.

Ce rapprochement s’est étendu à d’autres pays du Golfe. Par delà le Koweït, Oman ou le Qatar, avec lesquels l’Iran avait conservé de bonnes relations. Téhéran a progressivement normalisé ses liens avec Bahreïn et plus récemment avec les Emirats Arabes Unis qui ont ouvert une représen­tation diplomatique dans la capitale iranienne.

L’Iran cependant reste ferme sur deux sujets qui guident son com­portement dans la région depuis de nombreuses années :

  • – la revendication de la souveraineté sur les trois îles (petite et grands Tomb et Abou Moussa) qui l’oppose depuis 1971 aux Emirats Arabes Unis
  • – Le refus de la présence de forces militaires étrangères dans la région. Les Iraniens sont conscients de l’encerclement de leur pays, ren­due possible au sud par la prise de Bagdad, au nord par le partage d’in­fluence russo-américain dans l’espace caspien et en Afghanistan, sans compter la Turquie qui reste un allié stratégique majeur des USA et d’Israël.

Des relations tendues avec l’Egypte

Depuis 1980, l’Iran et l’Egypte n’entretiennent plus de relations

diplomatiques. D’un côté Téhéran reproche au Caire, la visite du président Sadate en Israël et surtout la signature d’un traité de paix séparé avec l’Etat sioniste (accord de camp David de 1979). L’Iran n’a pas non plus pardonné au Caire d’avoir accueilli le Shah après sa fuite juste avant l’avènement de la révolution islamique. Renvoyant l’argument à Téhéran, l’Egypte n’a pas accepté l’hommage rendu par la révolution islamique d’Iran à Khaled Eslombodi, assassin du Président Sadate en 1981, que Téhéran considère comme un martyr et dont elle a donné le nom à une rue du centre de Téhéran.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, puisque les deux pays vien­nent d’annoncer la reprise des relations diplomatiques après qu’un com­promis ait été trouvé. L’Iran a pu accéder à la demande égyptienne de débaptiser cette rue qui porte désormais le nom de « rue de l’Intifada ».

La normalisation des relations entre les deux pays va dans le sens d’une meilleure concertation et de cohérence dans le soutien affiché au peuple palestinien, en tenant compte de la nouvelle donne régionale et internationale. M. Hamid Riza Assifi, porte parole des Affaires étrangères d’Iran reconnaissait pour la première fois explicitement que l’Iran « a fait un dogme du soutien aux palestiniens et de la non reconnaissance d’Israël ».

La reprise des liens entre les deux pays, consacrerait les efforts de rapprochement irano-arabes à un moment crucial de l’histoire de la région, marquée par des bouleversements géostratégiques et géopoli­tiques majeurs.

Des relations exceptionnelles avec la Syrie

La Syrie est le seul Etat arabe à avoir entretenu des relations très étroites avec l’Iran. Depuis la guerre du Golfe entre l’Iran et l’Irak 1980­1988, la Syrie était le seul Etat arabe a tissé des liens étroits avec l’Iran et qui a même pris faite et cause pour l’Iran.

Abritant plusieurs monuments chiites, la Syrie accueille plus de 2.5 millions de pèlerins iraniens chaque année. Elle bénéficie d’aide finan­cière en provenance d’Iran. En échange la Syrie conserve au Liban une attitude bienveillante à l’égard du Hezbollah en le laissant implanter dis­pensaires, écoles et mosquées..

Je rappelle que le Hezbollah est né d’un « pacs » conclu au début des années 80 entre l’idéologie khomeyniste et le régime alaouite de Syrie, lequel avait été considéré dans les années 70 comme une branche du chiisme, grâce à une fatwa de l’imam Moussa Sadr.

Mais les derniers changements dans le paysage géostratégique de la région avec notamment le départ forcé des syriens du Liban en applica­tion de la résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui prévoit non seulement le départ de l’armée syrienne et de ses services secrets, mais aussi le désarmement de toutes les milices en tête des quelles le Hezbollah.

Un changement de régime au Liban signifierait à terme pour le Hezbollah sa transformation en un simple parti politique et l’abandon des moyens armés et terroristes. Ce faisant, il perdra sa vocation stratégique comme instrument de ces deux puissances régionales alliées (Iran, Syrie).Ceci impliquerait donc que l’Iran principal bailleur de fonds de ce mouvement, cesse d’avoir cette option stratégique à la porte d’Israël.

On le voit la révolte de la population libanaise peut avoir et a eu un effet domino important dans tout le monde musulman. Un effet, en tous cas, plus évident que cette pseudo-démocratie apportée en Irak clés en main par l’armée américaine. En effet, menée au nom du droit internatio­nal, l’expulsion des Irakiens du Koweït, l’embargo et la guerre qui en a suivie devaient être le prélude d’un « nouvel ordre international ».

Quinze après, les problèmes demeurent : instabilité en Irak sur fond de division confessionnelle (la dernière élections irakienne est présentée plus comme un recensement confessionnel qu’une véritable élection démocratique), incertitude pour les Kurdes, prolifération des armes de destruction massive dans toute le région et impasse combien dangereux en l’absence de solution définitive du conflit israélo-arabe et israélo-pales­tinien).

La position iranienne sur le conflit israélo-arabe et israélo-palesti­nien et notamment sur le processus de paix

Pour être plus complet, il faut noter un fait important : en effet les relations de l’Iran avec les pays arabes de la région proche-orientale ne peu­vent se comprendre qu’à travers le prisme du conflit israélo-arabe et des évolutions d’un processus de paix dont Téhéran estime depuis longtemps et avec constance qu’il n’a pour objectif que de tromper les Palestiniens avec le concours des Etats-Unis au profit de « l’entité sioniste ».

La politique de détente et d’ouverture conduite sur le plan interna­tional par le président Khatami, se heurte en vérité avec la question d’Israël -ce dernier veut ériger l’Iran en menace mondiale- et du proces­sus de paix à un véritable dogme qui constitue l’un des piliers idéolo­giques du régime et dont les ressorts sont aussi bien externes qu’internes.

Enjeu interne, puisque l’anti-sionisme constitue pour le Guide de la Révolution, un domaine quasi réservé où s’exerce au détriment du Président de la République, son autorité théocratique.

Enjeux surtout externes, puisque l’attitude iranienne traditionnelle à l’égard de ce problème repose sur une alliance stratégique avec la Syrie et le soutien au mouvement islamistes radicaux en tête desquels le Hezbollah libanais qui est une création iranienne.

Enjeu externe aussi dans la mesure où l’intransigeance iranienne contribue dans le meilleur des cas à le mettre en délicatesse avec des Etats arabes influents sur ce dossier comme l’Egypte dont l’Iran souhaite par ailleurs se rapprocher.

Plus délicate encore pour l’Iran sera l’appréciation qu’il serait conduit à porter sur le volet palestinien du processus de paix. La reconnaissance d’un tel accord de facto conduit à admettre l’existence d’Israël , ce qui équivaudrait au reniement total de l’un des principes fondateurs du régi­me iranien et de sa politique régionale.

Le maintien d’une ligne dure sur ce dossier contribuerait à entrete­nir le statut d’Etat « paria » dont les conséquences sont lourdement néga­tives pour l’Iran. Les USA évaluent leurs éventuelles ouvertures à l’égard de Téhéran en fonction de sa position sur le processus de paix et l’intran­sigeance iranienne entretiendra celle de Washington :

Maintien de l’embargo économique, l’endiguement régional, bref un ostracisme qui ruinerait ou rendrait vains tous les efforts diplomatiques conduits par ailleurs.

Pour conclure je dirai que sur ce dossier, l’Iran est donc placé devant une délicate alternative : ou s’adapter en reniant l’un des principes de base de la révolution islamique, ou se marginaliser en risquant de s’isoler un peu plus diplomatiquement et de se bloquer par conséquent toute perspective économique.

L’évolution de l’Iran sur cette question centrale, conditionne pour une large part outre la région du Proche-Orient et ses relations avec ces voisins arabes, mais aussi l’avenir du pays lui même. En un mot l’Iran doit choisir aujourd’hui entre pragmatisme ou intransigeance religieuse.

Cela étant, par delà un discours officiel figé, qui continue de consi­dérer Israël comme l’ennemi principal une certaine modération se fait jour : certains responsables iraniens prennent progressivement acte des évolutions en cours dans la région et n’entendent pas se substituer aux Palestiniens ou aux Syriens pour apprécier leurs intérêts respectifs à l’évo­lution du processus de paix qui les concerne finalement au premier chef et qu’ils n’ont pas l’intention d’entraver.

L’Iran semble aujourd’hui changer d’objectif. La révolution islamique de 1979 était trop marquée par sa dimension chiite et persane pour être exportable. Le discours universaliste de l’Islam iranien des années 1980 a rencontré peu de succès dans le monde musulman et arabe.

La volonté de devenir le leader d’un Islam moderne et militant, opposé au conservatisme des monarchies du golfe Persique, n’a vraiment été mise en œuvre qu’au Liban par le biais du Hezbollah. Constatant cet échec, Téhéran a sensiblement modifié sa politique envers les pays arabes, majoritairement sunnites (plus de 90% des musulmans) en adop­tant une ligne plus conciliante. Ainsi l’Iran a tenu une position très modé­rée pendant la guerre du Golfe, qui lui a permis de resserrer ses relations avec les monarchies arabes.

Vingt-cinq années plus tard, l’Iran donne des signes de vouloir « sor­tir de sa révolution religieuse » pour paraphraser le titre d’un livre d’Olivier Roy et de Frahad Khosrokhavar. Au moment où la Turquie semble être en train de réconcilier les concepts de démocratie, de laïcité et d’Islam, l’Iran est-t-il à nouveau, à son tour, en mesure de devenir une avant-garde et un modèle plus que symbolique pour le monde musulman voire pour le monde arabe.

* Mohamed TROUDI est chercheur à l’Université de Paris XII – Val-de-Marne et vice-président du Centre d’Etudes et de Recherches Stratégiques du Monde Arabe – Paris.

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