Les sanctions contre l’Iran : Les multiples impacts néfastes

Ali Fathollah-Nejad

Chercheur en relations internationales à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’Université de Londres.

3eme trimestre 2013

Cette présentation contraste les motivations prononcées des sanctions imposées contre l’Iran avec les effets observables. Les sanctions économiques sont l’un des instruments préférés de la poli­tique étrangère occidentale. Elles sont généralement présentées comme un moyen diplomatique quasi-pacifique approprié à éviter la guerre. L’exemple du cas irakien prouve que le problème gé­néral reste que les sanctions sont souvent la dernière étape avant une frappe militaire. Autrement dit, des « bombes intelligentes » succéderont aux « sanctions intelligents ».

Les sanctions ne facilitent guère la résolution de conflits, mais contribuent au durcissement des fronts opposants. En fait, les deux côtés voient les sanctions à travers des prismes fondamenta­lement différents : pendant que l’Occident comprend les sanctions selon une logique des coûts et bénéfices pour le pays sanctionné, l’Iran les regarde comme un moyen de pression illégitime contre lequel il faut résister. En outre, il y a une affirmation répandue selon laquelle il existe une relation positive entre sanctions et démocratisation. Mais en vérité, en affaiblissant les couches so­ciales moyennes, l’avance de pouvoir de l’État par rapport à la société civile grandit. Cela montre que l’expectation d’un déclenchement de révoltes à cause des sanctions est plutôt chimérique que réelle. Ainsi, la politique des sanctions est contreproductive à plusieurs échelles (diplomatique et socio-économique). Malgré la nécessité politique d’abolir les sanctions comme instrument d’une politique étrangère judicieux, il reste de nombreux obstacles politiques et institutionnels afin de désintégrer le réseau extrêmement dense du régime des sanctions imposé à l’Iran.

This présentation is in contrast with the previous arguments related to the sanctions enforced against Iran having measurable results. Economie sanctions are one of the favourite instruments in Western foreign relations. These are generally introduced as an appropriate, almostpacifist diplomatic means of avoiding warfare. The example of the Iraqi case proves the fact that the generalproblem remains that sanctions are frequently the last step before a military intervention. In other words, « smart bombs » will follow « smart sanctions ».

The sanctions shall not ease conflict resolution, but they will contribute to the tightening up of the oppo-sing parties. In fact, each side sees sanctions through fundamentally different filters: while the Western world understands sanctions in a cost and benefit framework for the sanctioned country, Iran sees them as a means of illegitimate pressure against which it must fight back. Additionally, there is a widespread idea that there is a positive connection between sanctions and democracy. But in reality, by weakening the middle class layers, the state extends its gain in power as compared to the civil society. This shows that the perspective of revolt triggering due to these sanctions is a utopia rather than reality. Therefore, the sanctions approach is counterproductive at different levels (diplomatic andsocio-economic). Despite the political need to abolish sanctions as a judicious instrument of foreign relations, we are left with several political and institutional obstacles in order to destroy the extremely compact network of the sanctions programme enforced on Iran.

Les propos suivants contrastent les motivations prononcées des sanctions imposées contre l’Iran avec les effets observables, en tenant compte de la littérature académique sur le sujet des sanctions.

Les sanctions économiques imposées à l’Iran ont un impact important sur des échelles très délicates, notamment, d’un côté, la résolution du conflit et l’avertis­sement d’une guerre (États-Unis/Israël versus Iran) et, de l’autre, l’avenir du pays d’Iran en termes sociale, politique, économique, géopolitique et géoéconomique. En ce qui concerne ce dernier, à l’interne, ils seraient question des conditions socio-économique et économico-politique, et ensuite de la place de l’Iran dans le monde.

Deux aspects nous dictent de consacrer la plus grande prudence au sujet des sanctions économiques : (1) Les études académiques sur les multiples effets des sanctions économiques qui sont dans leur grande majorité négatifs.1 (2) Le résultat tragique de la politique de sanctions menée par les Nations Unies contre l’Irak (du lendemain de l’invasion irakienne du Koweït jusqu’à l’invasion américano-britan­nique de 2003). Ces dernières ont détruit toute l’infrastructure sociétale du pays, causé la perte de centaines de milliers de civiles ; sans pour autant fragiliser le pouvoir ferme de Saddam Hussein.2 En d’autres termes, l’Irak fut détruit avant même l’invasion et l’occupation du pays en 2003.

Quelles sont les motivations politiques des sanctions ?

En général, le but des sanctions est d’obliger un opposant politique à faire ce qu’il ne ferait autrement. Dans le cas des sanctions imposées à l’Iran – au sujet de ce qui est communément appelé le « conflit nucléaire » – l’objectif annoncé était de changer le calcul nucléaire de Téhéran afin que celui-ci suspende son programme nucléaire. Et implicitement, les sanctions fonctionneraient comme une décapita­tion juste et éthique du mal (à entendre le régime iranien), ce qui ouvrirait le che­min de la démocratisation pour le peuple iranien – autrement dit, un tyrannicide chirurgical dans la lutte de la civilisation contre la barbarie. Mais en réalité, ce que nous observons ressemble plutôt à l’application d’une « violence structurelle » contre tout un pays et sa population.

Sur le plan politico-diplomatique

Les sanctions économiques sont l’instrument préféré de la politique étran­gère occidentale. Elles sont une part intégrale de la stratégie transatlantique menée contre l’Iran, appelée la « diplomatie coercitive » en Etudes diplomatiques. Elles sont généralement présentées comme un moyen quasi-pacifique faisant intégra­lement partie d’une démarche purement diplomatique, seul moyen pour éviter la guerre. Cependant, comme le cas irakien le prouve, les sanctions sont en règle générale la dernière étape avant une frappe militaire. Autrement dit, des « bombes intelligentes » succéderont aux « sanctions intelligentes ». Comme l’expert améri­cain des sanctions, Robert A. Pape, a noté, les sanctions sont souvent un prélude à la guerre, pas une alternative.

À part ce pire des scénarios, les sanctions ne facilitent guère la résolution des conflits, mais au contraire contribuent au durcissement des fronts opposés. En fait, les deux côtés voient les sanctions à partir des prismes fondamentalement diffé­rents : Pendant que l’Occident comprend les sanctions en termes de coûts et béné­fices pour le pays sanctionnés, l’Iran les regarde comme un moyen de pression illégi­time contre lequel il faut résister.3 Cela explique pourquoi l’expansion des sanctions a été accompagnée par celle du programme nucléaire.4 Par exemple, en 2006 -avant le saut qualitatif des sanctions – l’Iran avait 1000 centrifuges, aujourd’hui il en a plus de dix fois (environ 12000). Cette réalité de la dynamique des sanctions reste largement ignorée dans les capitales occidentales.

De plus, il faut souligner que les politiques en Occident ont consacré beau­coup plus d’énergie pour trouver quelles nouvelles sanctions imposer plutôt que de consacrer du temps pour trouver une solution diplomatique.

Sur le plan socio-économique

Contrairement à ce qui est dit sur les effets des sanctions, celles-ci affaiblissent en réalité les couches sociales moyennes5 et les plus fragiles (les ouvriers,6 les femmes7 et les jeunes8). Et ainsi, l’avance du pouvoir de l’État par rapport à la société gran­dit.9 Cela démontre que l’expectation d’un déclenchement de révoltes à cause des sanctions est plutôt chimérique que réelle. Autrement dit, un citoyen en quête de survie économique n’aura guère le luxe de s’engager dans la révolte politique. Ceci explique la renonciation ferme de la société civile iranienne face à des sanctions – largement ignorée en Occident.

En termes d’économie politique, les sanctions ont largement paralysé l’écono­mie civile iranienne pendant que les entreprises étatiques et semi-étatiques – no­tamment les branches économiques des Gardiens de la Révolution – ont pu profiter en monopolisant des importations de différentes marchandises en passant par les « canaux noirs ». Ces entreprises ont en effet des accès aux ressources étatiques afin de subvenir aux frais haussés causés par les sanctions. Un autre phénomène est l’expansion énorme du volume des échanges bilatéraux entre l’Iran et la Chine (à présent, environ 40 milliards de dollars selon la Chambre de commerce et d’indus­trie irano-chinoise qui est proche du régime)10 – au détriment des producteurs intérieurs. Par conséquent, la présente configuration politico-économique a été cémentée au fil des sanctions.

Sur le plan géopolitique et géoéconomique

Il y a aussi une rationalité géopolitique en ce qui concerne l’imposition des sanc­tions : Si on ne peut pas contrôler ou exercer une influence sur un pays, on l’affai­blit – et probablement le moyen le plus efficace sera les sanctions économiques et militaires.

Aussi sur le plan géoéconomique, les sanctions sont un moyen de limiter l’in­fluence de l’Iran. Car, il y aussi des profiteurs sur l’échelle mondiale : la Chine est une grande profiteuse. Après la retraite européenne du marché iranien effectuée sous la pression américaine (un exemple parmi d’autres et celui de PSA)11, l’Iran a été servi sur un plateau d’argent aux Chinois – qui en sont d’ailleurs très reconnaissants. La présence économique de la Chine en Iran est partout : de l’expansion du métro de Téhéran jusqu’aux droits d’exploitation des champs de pétrole et de gaz du golfe Persique.

En particulier, la classe technocrate de l’Iran – largement paralysée par les sanctions – observe cette évolution avec une grande préoccupation parce qu’une compétition saine entre différents compétiteurs étrangers manque et d’autre part parce que la qualité de la production intérieure est diminuée à cause du manque de haute technologie auparavant fournie par l’Europe. Tout cela a des effets négatifs (à moyen- et long-terme) sur le développement économique et technologique du pays. Dans l’ensemble, tous ces dégâts peuvent difficilement être indemnisés. Par exemple, cela s’illustre par la vente du pétrole iranien à des grands clients comme la Chine ou l’Inde à travers un système de troc – de facto un programme « junk for oil ». En outre, les sanctions ont provoqué l’obtention par la Chine de prix extrêmement avantageux sur ses importations de pétrole iranien.

Enfin, la Russie a un intérêt stratégique de maintenir le régime des sanctions énergétiques contre l’Iran afin de sauvegarder son quasi-monopole sur la les livrai­sons d’énergie vers l’Europe ; la Turquie car elle constitue la seule route de com­merce menant à l’Iran de l’Occident ;12 et le Qatar qui exploite plus rapidement le plus grand champ gazier du monde, le South Pars dans le golfe Persique, partagé avec l’Iran, à cause de ces technologies d’exploitation beaucoup plus avancées que l’Iran est dépourvue à cause des sanctions, ce qui résulte en un écart de revenue énorme de plusieurs milliards de dollars entre les deux pays.

Conclusion

En fin de compte, la politique des sanctions est contre-productive à plusieurs échelles, notamment diplomatique et socio-économique. Les sanctions -qu’elles soient intitulées « paralysantes » ou « ciblées » – nuisent en fin de compte à la popu­lation. Des « sanctions ciblées » sont ainsi un oxymore comparable aux « bombes intelligentes » qui sauraient prétendument ne cibler que les objectifs à détruire, au moyen de « frappes chirurgicales ». Et comme pour leurs consœurs militaires, ce sont en définitive les « dommages collatéraux » des « sanctions ciblées » qui l’emportent. 13

Malgré la nécessité politique d’abolir les sanctions comme instrument d’une politique étrangère judicieuse, il reste de nombreux obstacles politiques et institu­tionnels afin de désintégrer le réseau extrêmement dense du régime des sanctions imposé sur l’Iran – ce qui reste un énorme défi politique, mais aussi éthique. La première étape dans cette direction sera la réalisation sobre parmi les responsables politiques que les sanctions ont certes des effets, mais pas ceux annoncés, à savoir changer les calculs nucléaires de Téhéran – ni dans le domaine socio-économique ni dans la Realpolitik. Si, au contraire, le régime des sanctions contre l’Iran reste main­tenu, on approchera du spectre d’une « irakisation » de l’Iran – avec tous ses effets néfastes sur les plans intérieurs (destruction de la société) et extérieurs (la guerre et la déstabilisation d’un équilibre régional déjà trop fragile). Ali Fathollah-Nejad est un politologue irano-allemand. Il a reçu sa formation universitaire au sein des cursus binationaux en Allemagne (Universitât Munster), en France (Sciences-Po Lille) et aux Pays-Bas (University of Twente) dans les domaines de sciences politiques, sociologie, droit, histoire et économie.

Actuellement, il est doctorant des relations internationales à la « School of Oriental and African Studies (SOAS) » (École des études orientales et africaines) de l’Université de Londres. A présent, il est aussi un Visiting Analyst au futureorg Institut à Dortmund (Allemagne), un think-tank concerné avec les transformations sociétales et la diversité en Europe.

Fathollah-Nejad a enseigné à l’Université de Westminster (Londres) en tant que Visiting Lecturer en mondialisation et le développement au Moyen-Orient, à la SOAS et à l’Université de Duisburg-Essen (Allemagne).

Il est l’auteur de deux études : Iran in the Eye of Storm [en anglais] (Peace and Conflict Studies, Université de Munster, 2005-07) et Le conflit iranien et l’administration Obama [en allemand] (éditions universitaires de Potsdam, 2010 & 2011).

Il a prononcé des discours, parmi d’autres, au Parlement européen, à la Chambre des com­munes (House of Commons, Londres), The College of Law (Londres), Écoles des Hautes Études Internationales de Vienne, Imperial College London et au Governance Center Middle East /North Africa de la Humboldt—Viadrina Schoolof Governance (Berlin).

Il publie en anglais, allemand et français avec ses articles traduits en français, italien, espa­gnol, arabe, persan, turc, tchèque et japonais.

Photo : http://fathollah-nejad.com/wp-content/uploads/2009/07/portraet_kl2_geo.jpg L’auteur remercie M. Milad Jokar pour son aide éditoriale précieuse.

Notes

  1. Pour un bon résumé, cf. Trita Parsi & Natasha Bahrami, « Blunt Instrument: Sanctions Don’t Promote Democratic Change », Boston Review (en ligne), 6 février 2012.
  2. Hans-Christof von Sponeck, A Different Kind of War: The UN Sanctions Regime in Iraq, New York & Oxford: Berghahn Books, 2006 ; Joy Gordon, Invisible War: The United States and the Iraq Sanctions, Cambridge, MA: Harvard University Press, 2010 ; Alain Gresh, « Irak : Un scandale peut en cacher d’autres », Le Monde diplomatique (en ligne), 10 août 2005.
  3. International Crisis Group, Spider Web: The Making and Unmaking ofIran Sanctions, Bruxelles : International Crisis Group (Middle East Report, no. 138, février 2013).
  4. Bijan Khajehpour & Reza Marashi & Trita Parsi, « Never Give In and Never Give Up »: The Impact of Sanctions on Tehran’s Nuclear Calculations, Washington: National Iranian American Council (NIAC), mars 2013, p. 27 (graphique 5.5. : « Sanctions Escalation vs. Nuclear Escalation »).
  5. International Campaign for Human Rights in Iran [ICHRI], The Growing Crisis: The Impact of Sanctions and Regime Policies on Iranians’ Economic and Social Rights, New York: ICHRI, 29 avril 2013, pp. 129-141.
  6. ICHRI, op. cit., pp. 109-127 ; « IRAN : Industrie automobile, les sanctions et PSA », Echo d’Iran : Bulletin d’informations sur le mouvement ouvrier en Iran, Paris : Solidarité socia­liste avec des travailleurs iraniens, no. 15 (janvier 2013), pp. 1, 3 et 6 : « Avant les sanctions, 500000 salariés travaillaient dans le secteur d’automobile et ses sous-traitants. Mais beaucoup d’ouvriers ont été licenciés en raison des fermetures des chaines de productions. En juin 2012, Shahab-Khodro appartenant à la Fondation d’Astane Razavi (dépendant du guide suprême) a licencié 667 ouvriers. » (p. 3).
  7. ICAN, Killing them Softly: The Stark Impact of Sanctions on the Lives of Ordinary Iranians, Washington : International Civil Society Action Network (ICAN) (What the Women Say Brief, no. 3, juillet 2012) ; Mina Khanlarzadeh, « Iranian Women and Economic Sanctions: The Threat of War and Economic Sanctions Contribute to a Patriarchal Culture », Z Magazine,

vol. 22, no. 2 (février 2009), pp. 38-40 ; ICHRI, op. cit.

  1. Djavad Salehi-Isfahani, « Iran’s Youth, The Unintended Victims of Sanctions », Working Paper, Dubai Initiative, Belfer Center for Science and International Affairs, Harvard Kennedy School, août 2010.
  2. Ali Fathollah-Nejad, « Iran’s Civil Society Grappling with a Triangular Dynamic », in : Civil Society in Syria and Iran: Activism in Authoritarian Contexts, sous la dir. de Paul Aarts & Francesco Cavatorta (éds.) , pp. 39-68, Boulder, CO: Lynne Rienner, 2013.
  1. http://en.iran-chinachamber.ir/.
  2. Milad Jokar, « PSA Peugeot Citroën : ce que l’on ne nous dit pas », Le Huffington Post (en ligne), 3 août 2012.
  3. , par exemple, Ali Aslan Kiliç, « Iran Sanctions May Mean Competitive Trade Advantage for Turkey », Today’s Zaman, 11 juin 2010.
  4. Ali Fathollah-Nejad, « Sanctions contre l’Iran, sanctions contre les Iraniens », Mediapart (en

ligne), 14 mai 2010.

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