Les services de renseignement et de sécurité en Amérique latine

Roger TEBIB

Professeur des universités

4eme trimestre 2013

Ce texte se propose de faire un état des lieux des structures de renseignement politiques et mili­taires des pays d’Amérique du Sud depuis le milieu du XXe siècle à nos jours. Un accent parti­culier est mis sur les différents types d’influences sur les développements de ces systèmes comme les influences de la guerre froide, les luttes contre les trafics ou encore les crises politiques afin de mieux cerner leurs logiques et de leur donner une image accessible.

Avant d’analyser ces structures politiques et militaires, il parait

nécessaire de montrer les types d’influences sur leurs développements dans plusieurs pays.

  • La prévention et les luttes contre les trafics.

Ce domaine est très périlleux face aux trafiquants qui sont souvent insaisissables, c’est ainsi que le gouvernement colombien qui voulait nettoyer le Cartucho de Bogota s’est heurté à la solidarité des trafiquants, de leurs vigiles et de leurs avocats.

  • Les changements à la suite des crises politiques.

Compte-tenu du nombre de conflits sociaux et militaires dans cette région, on a toujours constaté que les gouvernements modifiaient régulièrement leurs services de renseignement.

  • Les influences de l’ex-URSS

Depuis des dizaines d’années et en particulier à Cuba, les spécialistes de l’ex-KGB continuent à venir appuyer les mouvements révolutionnaires et participent à la collecte d’informations et d’opérations militaires.

Ajoutons que cette année la signature d’une alliance à La Havane permet encore à Cuba de développer son rapprochement avec la Russie et également l’Iran.

  • Les influences des États-Unis

Dans ce domaine la doctrine dite de MONROE est toujours appliquée par les États-Unis qui considèrent ce continent comme une « chasse gardée ».

Ils continuent à déployer d’importants moyens de renseignement, techniques et humains, en Amérique latine.

Un important programme d’interceptions et de communications reposant sur des avions et des sous-marins complète le dispositif humain. Les systèmes d’espion­nage portent, en gros, sur les domaines suivants :

  • La frontière entre Brésil, Colombie, Argentine et Paraguay ;
  • La pénétration chinoise en Amérique latine ;
  • Les ambitions nucléaires du Venezuela, etc. (2).

Un essai de recensement

Le but de cette étude est de donner une image accessible des systèmes de rensei­gnement dans le pays d’un continent en crises dont nous pouvons avoir des connais­sances.

ARGENTINE

À la suite du coup d’État militaire en 1976, les services de renseignement furent subordonnés à l’armée mais depuis 1983, la communauté de renseignement fut partagée entre civils et militaires.

Il existe environ 13 services :

  • 3 services civils (renseignement et sécurité) ;
  • 5 services militaires (armée de terre, aviation, marine, gendarmerie et intelli­gence navale) ;
  • 5 autres services civils (polices provinciales et lutte contre les trafics dont la drogue).

BOLIVIE

On a dit récemment au sujet de cet État : « La Bolivie va devenir « officiel­lement » un narco-État depuis surtout l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales. Cette nouvelle « zone grise » permettra aux trafiquants de tout poil de trouver toutes les facilités dont ils ont besoin particulièrement dans le domaine du blanchissement de l’argent sale issu du trafic de drogue. » (3). Il est difficile d’avoir des renseignements viables dans ce pays qui est depuis toujours le théâtre de conflits de nature sociale autant qu’éthique.

BRÉSIL

Le principal service de renseignements extérieurs brésiliens a été dissous en 1990 et remplacé par un organisme mis absolument sous le pouvoir du président. Il existe deux services militaires, l’un terrestre et l’autre naval.

CHILI

Cet état dispose de plusieurs services de renseignements et de sécurité mais leurs activités sont surtout liées à la politique gouvernementale.

Ils mènent de nombreuses opérations spéciales en particulier contre les mouve­ments gauchistes.

Ils collaborent avec le Central Imagery Office (CIO) des États-Unis. Il existe quatre services militaires de renseignement (armée de terre, aviation, marine et carabiniers).

COLOMBIE

Il est difficile de trouver des informations sérieuses dans ce domaine sur des services qui n’ont pas toujours bonne presse.

On peut citer deux étapes :

  1. a) Le Déplacement admiratif de sécurité (DAS)

Il était chargé surtout de la lutte contre la narco-terrorisme qui sévit dans le pays. On a créé un service intitulé PEPES (Persécutés Par Pablo Escobar) qui s’occu­pait surtout des opposants à Pablo Escobar et devait éliminer les membres du Cartel de Medellin.

Il collaborait avec le Drug Enforcement Administration (DEA) des États-Unis pour lutter contre les trafics des stupéfiants.

  1. b) Le Département administratif de Sécurité (DAS) a été dissous en 2011 surtout à la suite de la condamnation de son directeur pour trafics et l’ancien président colombien également dans les mêmes implications.

Il est prévu de créer une « agence civile » qui dépendra du Congrès. (4).

CUBA

Au début des années 70, sous l’influence du KGB les services cubains ont été réorganisés.

Au sein du ministre de l’intérieur existe le Departemento de Securitad del Estado (DES).

Il comprend plusieurs services en particulier pour le renseignement stratégique extérieur, le contre-espionnage, les forces armées.

À ces organismes gouvernementaux s’ajoutent deux services chargés surtout de la collecte d’informations pour des révolutions :

  • Le Departemento America (DA) qui dispose de 4 secteurs géographiques (Amérique du Sud, Amérique centrale, Caraïbes et Amérique du Nord) ;
  • Le Departemento General de Relaciones Exteriores (DGRE) qui intervient dans l’instruction des subversions populaires jusqu’à l’Angola.

ÉQUATEUR

Les services de renseignement sont chargés des problèmes depuis des années :

  • La lutte contre le Pérou ;
  • Les rivalités entre groupes protestants aidés par les États-Unis et les commu­nautés indiennes qui luttent contre les sociétés pétrolières américaines qui polluent l’environnement de leur habitat.

Compte tenu, en particulier, des problèmes linguistiques entre les populations d’origine amérindienne, européenne et noire, les analyses dans le domaine de la sécurité intérieure sont très difficiles.

GUATEMALA

Les services de renseignement sont dirigés par l’armée dont le pouvoir en place depuis près de deux cents ans a valu au pays la réputation de « dictature bananière » à cause de sa collusion avec la compagnie américaine United Fruit.

Les États-Unis craignaient l’instauration dans le pays d’une tête de pont sovié­tique et en 1954 ont créé l’opération PBSUCCESS organisée par la Central Intelligency

Agency (CIA) qui a conduit à une anarchie politique jusqu’à nos jours avec, en par­ticulier, une propagande radiophonique utilisée par l’armée dans ses services dits de renseignement.

HONDURAS

Depuis une courte guerre contre le Salvador en 1969, le pays connaît une relative stabilité avec des services de renseignement à la fois civils et militaires.

NICARAGUA

Cet état dispose d’une Direction générale de la Sécurité d’Etat qui dépend du Ministère de l’Intérieur et d’un Service de Renseignement militaire qui passera aux civils car il était sous l’influence très à gauche et dépendait plus ou moins de l’armée populaire sandiniste (EPS).

PARAGUAY

Créé par les Jésuites cet état est le seul pays d’Amérique où la guerre indienne, le « Guarani » a un statut officiel à côté de l’espagnol.

Aucune information officielle en ce qui concerne le service de renseignement.

PÉROU

Son service de renseignements militaire et extérieur est le Servicio de Intelligencia Nacional (SINA). C’est lui qui en collaboration avec les services de renseignement de la police assurait la lutte contre le mouvement de guérilla du Sentier Lumineux.

Plusieurs des militaires qui le dirigeaient furent soit révoqués à la suite de scan­dale d’écoutes téléphoniques soit de ventes de secrets militaires !

SALVADOR

En 1992 à la suite d’un accord entre les autorités de l’État et le Front Farabundo Marti pour la libération nationale a été créé la Direction nationale de renseignement, contrôlée par l’armée.

Mais en 2001, elle a été dissoute et remplacée par l’Organisme de renseignement de l’État (Organismo de Intelligencia delEstado. OIE).

Il doit officiellement agir dans les limites des principes démocratiques et respec­ter les droits de la personne. Il dépend directement du président.

Après une série de critiques politiques l’OIE a tout de même été officiellement régularisée.

Il est impossible d’obtenir de véritables renseignements sur le fonctionnement de cet organisme.

VENEZUELA

Ce petit état dispose de deux services de renseignement et de sécurité :

  • Un service civil, la Direction du renseignement et des services de prévention (DISIP) ;
  • Un service de renseignement militaire, la Direction du Renseignement Militaire (Direccion de Intelligencia Militar : DIM).

En guise de conclusion

Cette présentation de la communauté du renseignement en Amérique latine après la guerre froide fait ainsi apparaître diverses caractéristiques communes et des éléments propres aux différents pays de la zone.

Notes

  • GOUREVITCH (J.P.), L’économie informelle. De la faillite de l’Etat à l’explosion des trafics, Le Ré aux Clercs, 2002
  • BOULANGER (Ph.), Géographie militaire et géostratégie, Armand Colin, 2011
  • RODIER (A.), in Centre français de recherche sur le renseignement, 02.2006
  • COCKBURN (A.L.), Dangerous Liaison, 1991
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