Les services de renseignement et de sécurité en Syrie

Roger TEBIB

Professeur des Universités (sociologie). Il est auditeur à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, président de la section Champagne-Ardenne du Haut Comité Français pour la Défense civile. Il a obtenu pour ses travaux les prix de la Société des Arts et Lettres de France, de l’Académie de droit de Toulouse et du Conseil Général de la Haute Marne.

3eme trimestre 2012

Évolution et actions

Dans leur formation, les services de renseignement et de sécurité syriens ont été fortement in­fluencés par des États comme la France, l’ex-République démocratique allemande et la Russie.

Ils sont intégrés dans une structure militaire, effectuent des contrôles politiques très importants dans le pays et interviennent régulièrement dans la région, en fonction des politiques souvent différentes du gouvernement.

France, the ex DRG (Démocratie Republic of Germany) and Russia had considérable influence on the formation of the Syrian Intelligence and Security Services

These are integrated into a military structure, carry out very important political controls in the country and execute regular missions in the region according to the government’s often changing policies.

LORSQUE CET ÉTAT QUITTA LA REPUBLIQUE ARABE UNIE (R.A.U.) le 28 septembre 1961, le premier souci des nouveaux dirigeants fut la sécurité intérieure. Ils se trouvaient, en effet, confrontés à de nouveaux ennemis, certains infiltrés pro­fondément dans le pays. Il était donc urgent pour le gouvernement d’organiser sérieusement les services de renseignement.

Les influences

Les Syriens se servent beaucoup des expériences étrangères.

  1. À l’origine et même après le mandat français, leurs services de renseignement militaire étaient calqués sur notre ancien Deuxième Bureau et les renseignements généraux sur nos structures civiles.
  2. Pendant des dizaines d’années, des hauts fonctionnaires de police de l’ex-République démocratique allemande sont venus en mission à Damas pour aider les services syriens.
  3. Même collaboration avec la Russie depuis 1966, lorsque celui qui deviendra le président Assad rencontra Andropov, chef du K.G.B. La Syrie fut ainsi le premier État arabe à s’aligner sur les positions de Moscou. Elle a des relations très impor­tantes, en particulier dans le domaine de l’électronique, avec le FAPSI (Federal’ noe Agentstio Pravitel’stennoi Sovyasi i Informatsii), qui met à sa disposition du personnel spécialisé.

 

Organisation

Comme on pouvait s’y attendre, les services de sécurité ont été intégrés dans une structure militaire avec un réseau de renseignement très étoffé.

Le décret n° 67 du 24 mars 1965 les définit comme « des effectifs d’appoint opérant dans le cadre des forces armées, subordonnés au ministère de l’Intérieur et remplissant les tâches et les missions qui leur sont imposées conformément aux lois et aux règlements en vigueur ».

On distingue :

  1. Les renseignements militaires

Ils sont dirigés par un officier général et ne font, en réalité, que reprendre les missions de l’ancien Deuxième Bureau militaire, créé en 1958 dans le cadre de la République arabe unie.

Ils regroupent trois services :

  1. Les renseignements militaires généraux (Al.Mukhabarat Al-Askariyya) ; ins­tallés à Damas, ils entretiennent une antenne importante au Liban, malgré les rela­tions parfois difficiles avec ce pays.
  2. Les renseignements des forces aériennes (Al.Mukhabarat el-Kuwwa el-Jaouiyya) dont les fonctions sont très larges, avec des opérations spéciales à l’étran­ger et la liaison avec des mouvements terroristes au Moyen-Orient, notamment le groupe Abou-Nidal.
  1. Le Bureau de la sécurité nationale qui s’occupe uniquement de la sécurité militaire.
  2. Les renseignements stratégiques non militaires

Depuis les années 90, leurs structures sont régulièrement modifiées selon les recherches à effectuer à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Leurs sections sont, en gros, les suivantes :

  1. La Direction des renseignements généraux (IdaratAl.Mukhabarat al-Amma) qui, bien que service civil, est dirigée par des militaires. Elle est chargée de la sur­veillance des partis (dont le Baas), des ouvriers, des étudiants, des professeurs, de la presse dont elle effectue la censure.
  2. La Direction de la sécurité politique (Idarat Al-Amma al-Siyassi) avec trois sections :
  • l’une pour les affaires arabes ;
  • l’autre pour les réfugiés, spécialement palestiniens ;
  • la troisième pour la répression des menées sionistes.

III.    Tous ces services sont dirigés par des militaires, parents du président de
la République.

Celui-ci est à la tête du Conseil de sécurité présidentiel dont dépend la Commission présidentielle du renseignement, qui contrôle les activités En effet, les luttes d’in­fluence sont habituelles et cachent parfois des délits graves.

La tâche de la Direction des renseignements généraux est ainsi définie : « Contrôler l’information ayant rapport à la sécurité politique de l’État à partir des investigations qu’elle réalise et des renseignements qu’elle reçoit de ses sections centrales et régionales, et soumettre les propositions nécessaires au commandant des forces de sécurité interne, afin d’assurer la sauvegarde de la sécurité politique intérieure. »

  1. Le renseignement électronique

La Syrie a une importante base dans ce domaine, mise au point avec l’aide de la Russie, qui l’a toujours contrôlée.

Il existe, au moins, 17 stations d’écoute électronique dont quelques-unes au Liban :

  • En Syrie : Alep, Lattquié, Jdeyda, Damas, Mont Hermon, Gabagkib, Al-Harrab, Tal-Al-Jabieh, Da’ra, Al-Nabk, Abu-Kamal, Ein-Sofar, Ajel.
  • Au Liban : Tripoli, Benhamdun, Damour, Djaba-al-Baruk.

Il est évident que ce système change et les renseignements sont parfois difficiles à obtenir.

La sécurité intérieure

Il existe un système élaboré de surveillance de la population, avec un nombre impressionnant de services :

  • brigades de lutte (saraya as-sira)
  • sécurité politique (al-amn as-siyassi)
  • forces spéciales (quwwat khassa)
  • sécurité intérieure (amn ad-dakhiliyya)

Sans oublier la Jama’at al- Mourtada, milice privée de Jamil, le frère du pré­sident.

Par le biais de cette « nébuleuse sécuritaire », tous les secteurs de la société sont contrôlés : les facultés, les syndicats, les organisations de jeunes, les camps palesti­niens…

Chaque personnalité du régime a aussi son propre système de renseignement, qui entre parfois en conflit avec un autre, avec des affrontements.

Des rapports d’Amnesty international (n° 97 et 97) nous donnent des informa­tions sur la répression étatique contre certains partis ou mouvements sociaux.

L’opposition clandestine syrienne

On peut classer en quatre ensembles ces groupes – dont le nom change d’ail­leurs souvent – qui sont ainsi pourchassés.

  1. Les formations de gauche, plus ou moins laïques

Le Front national progressiste (al-jabha-al-taqaddoumiyya al- wataniyya), créé en 1972, regroupait sept partis (plus de 60 % aux côtés du parti communiste). En 1986, il a éclaté en deux branches qui comptent maintenant cinq partis :

  • les Unions socialistes
  • le Mouvement démocratique arabe
  • l’Union socialiste arabe, d’obédience nassérienne
  • le Parti démocratique arabe
  • un groupe crypto-ba’thiste

 

  1. Les mouvements de sensibilité communiste
  • le Parti communiste
  • le Parti de l’union communiste
  • l’Union de lutte communiste
  • le Parti révolutionnaire des travailleurs Ils sont tous interdits.
  1. Les mouvements nationalistes panarabes

Ils sont rivaux du Ba’th « officiel »».

  • l’Organisation populaire nassérienne
  • le rassemblement national syrien
  • l’Union socialiste arabe
  • le Parti Ba’th arabe socialiste, pro-irakien
  1. Les groupes intégristes importants dépendant des Frères musulmans
  • Al talia al Muqatila (l’Avant-garde combattante)
  • Ikhan al Muslimun (Frères musulmans), branche principale installée en Syrie en 1947
  • Hizb al Bauth alDimoqrati al Ishtiraki al Arabi (Parti Baas arabe démocratique et socialiste, PBADS)
  • Lifan al Difaa an al Hurriyab al Dimoqratya wa Huquq AL Insan fi Suriya (Comité de défense des libertés démocratiques et des droits de l’homme en Syrie)
  • Certains sont aussi en Jordanie et d’autres ont créé à Paris , en 1990, un Front de salut national syrien regroupant des membres du Baas pro-irakien et des Égyptiens.
  • Muslim students association, formée de Frères musulmans syriens, était financée par l’Arabie saoudite et installée aux États-Unis.

Depuis 1980, les groupes terroristes ont pratiquement été liquidés en Syrie mais les agents de renseignement continuent à s’occuper de ces groupes dont certains sont en exil.

La sécurité extérieure et les interventions des services syriens

Quelques exemples peuvent être donnés dans ce domaine.

  1. Les services syriens ont essayé plusieurs fois, sans succès, de renverser le roi Hussein de Jordanie.

Ils ont lutté également contre l’Irak, qui accueille les opposants au régime syrien.

Ils ont aussi aidé Al-Saïqa (La Foudre), groupe terroriste palestinien et pro-sy-rien installé en secret à Damas.

  1. Il existe des relations très importantes entre les services de sécurité syriens et l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.) avec son service de renseigne­ment Ras-el-Amman.
  2. Malgré leurs relations parfois difficiles, on constate une coopération entre les services syriens et ceux du Liban où, depuis des décennies, se développent des milices rivales. On a cité le fait que la Syrie entretient des stations d’écoute au Liban ainsi qu’une antenne importante dirigée par le brigadier-général Ghazi Kanaan, oncle du président Hafez El-Assad.
  3. La Syrie a une importante base de renseignement électronique contre Israël, qui a été largement exploitée par l’ex-URSS.
  4. Les services de renseignement syriens (dont celui des Forces aériennes)as-surent la liaison avec les mouvements terroristes du Moyen-Orient, notamment le groupe Abou-Nidal ; mais leur rôle est peu clair, malgré des structures importantes.
  5. Ils surveillent également les groupes Al-Qods de l’Irak, qui opèrent aussi en Syrie où ils ont assuré, depuis des années, la formation des activistes du mouvement extrémiste kurde P.K.K.

Quelques lectures

BAUD J., Encyclopédie du renseignement et des services secrets, Lavauzelle, 1998 CAROZ Y., Moukhabarat ; Les services secrets arabes, Fides, Montréal, 1978 COURBAGE Y. et alii, La Syrie au présent, Sindbad, Actes Sud, 2007 DROZ-VINCENT P. Moyen-Orient, pouvoirs autoritaires, sociétés bloquées, P.U.F., 2004 PIERRET T., Baas et islam en Syrie, P.U.F., 2011

TEBIB R., Les services de renseignement dans le monde islamique, L’AEncre, 2001 Revue L’Histoire n° 375, mai 2012

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