L’EUROPE ET LE MOYEN-ORIENT JUSQU’À LA DISPARITION DE L’EMPIRE OTTOMAN

François-Georges DREYFUS

DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS, la région des Détroits, du Proche et le Moyen-Orient voient s’affronter sans cesse des forces religieuses de toutes sortes (Juifs et Chrétiens, Chrétiens et Musulmans, Juifs et Musulmans, Catholiques et romains et Orthodoxes). Au long des siècles, Etats chrétiens et ottomans se combat­tent, Français, Britanniques, Russes, Habsbourgeois ne cessent de s’entredéchirer.

C’est souvent incompréhensible et décevant des décennies « la question d’Orient » fut la terreur des lycéens et des étudiants- c’est pourquoi en introduction à ce numéro centré sur la géostratégie euro-proche-orientale nous avons pensé que la mise au point historique que nous présentons évitera des contresens et facilitera une meilleure compréhension des rapports entre le Moyen-Orient et l’Europe.

La puissance ottomane

Dès avant la chute de Constantinople, les Ottomans sont une puissance : à la fin du XVI e siècle l’Empire turc possède de l’Anatolie, le Moyen-Orient (Syrie-Irak- Palestine), une bonne partie de l’Arabie, l’Egypte, la Libye, la Tunisie et l’Al­gérie, Rhodes et Chypre sont turques et la Crète le deviendra au cours du XVIIe siècle. La Méditerranée est quasiment un lac ottoman que contrôlent largement les corsaires barbaresques.

Aussi depuis la bataille de Lépante (1571) le monde européen se détourne de la Méditerranée. Le commerce atlantique accapare les Européens et dans le monde européen. Le centre des préoccupations s’est porté vers l’Europe centrale : au reste en Méditerranée les Etats chrétiens s’affaiblissent peu à peu : les Républiques de Gênes et de Venise ne sont plus que l’ombre d’elles mêmes, l’Espagne demeure encore prépondérante mais elle tourne ses regards vers l’Europe occidentale. Au reste l’Espagne entre vite en décadence ce que confirment les traités des Pyrénées (1659), de Nimègue (1676) et d’Utrecht (1712). Le monde espagnol se confine en Méditerranée occidentale.

La France seule s’intéresse encore au Moyen-Orient pour de multiples raisons religieuses, elle est protectrice des Chrétiens du monde ottoman depuis les capitu­lations de 1535, pour des rasions économiques, son commerce tient alors une place prépondérante qui fait la richesse des forces de Beaucaire, de l’industrie du coton et l’importance des ports comme Sète (alors Cotte), Marseille et Toulon. Pourtant si le royaume très chrétien est alors l’allié de la Sublime Porte et y a installé une vingtaine de consulats, le Moyen-Orient n’est pas la préoccupation dominante de la Cour de Versailles. De toute manière la Méditerranée n’est plus un grand axe commercial.

Les Britanniques et la Route des Indes

Au milieu du XVIIIe siècle, le Moyen-Orient va retrouver une place certaine pour deux raisons.

Entre 1740 et 1763 l’Angleterre se substituant à la France dans l’ensemble indien. Très vite les compagnies commerciales anglaises en inde attachent de l’importance à deux axes, la voie du golfe Persique avec la route Bassora – Méditerranée et la voie de la mer Rouge avec la route à travers l’isthme de Suez . En effet, la route maritime contournant l’Afrique est sous contrôle français, la Réunion ‘ ex-Iles Bourbon) Maurice (ex Ile de France), les Seychelles ce qui est délicat lors des conflits avec la France, d’autant que la colonie du Cap est aux Provinces unies. Dans ces con­ditions la Grande Bretagne prend conscience de l’importance de la Méditerranée surtout à partir des guerres de la Révolution et de la campagne d’Egypte.

L’autre élément est l’avance russe vers la Mer Noire. Entre 1762 et 1794 la Russie occupe les territoires entre les rivières du Bug et le Dniepr, puis la Crimée et la mer d’Azor, enfin la région entre le Bug et le Dniestr. En 1794, l’Empire russe dispose de deux ports importants sur la Mer Noire Sébastopol (depuis1784) et Odessa. De plus, depuis 1774(Traité de Kutchuk- Kaïnardji) la Russie obtient pour ses navires de commerce le droit d’utiliser les détroits.

Les menées françaises dans l’Empire ottoman qui participe à la Ière coalition conduisent à la campagne d’Egypte, ce n’est pas seulement le moyen d’éloigner le général Bonaparte, c’est aussi la renaissance d’une opération envisagée sous l’Ancien régime. Toujours est-il que l’escadre britannique ne peut empêcher Bonaparte d’oc­cuper Malte et de conquérir l’Egypte puis de tenter d’installer la France en Palestine ( siège de Saint Jean d’Acre mars / mai 1799). La défaite des Turcs à Aboukir (juillet 1799) n’efface pas la destruction de la flotte française par Nelson (août 1798). En définitive, cette campagne d’Egypte a deux conséquences : l’Egypte devient indé­pendante de fait de l’Empire ottoman et à partir du règne de Mehemet Ali (1804­1849) et de ses successeurs, elle se modernise grâce à la présence d’ingénieurs et de savants français. Pendant un temps, elle jouera avec l’appui de la France, un rôle important au Moyen-Orient.

L’Angleterre, quant à elle, profite des victoires de Nelson et s’installe à Malte, qu’elle avait dû rendre à la France après le Traité d’Amiens, ce qu’elle ne fera pas, ayant pris consciences du rôle de Malte pour le contrôle de la Méditerranée.

Dès lors les Britanniques vont jouer en Méditerranée un rôle essentiel tout au long du XIXe siècle.

L’indépendance grecque et ses conséquences

Les guerres napoléoniennes et le Traité de Vienne ont modifié la situation en Méditerranée plus qu’on ne le croit.

La République de Vienne disparaît, ses contours de Zara, Spoleto, Raguse en­trent dans les provinces habsbourgeoises et les îles ioniennes, françaises à l’époque napoléonienne, occupées par le Royaume Uni en 1809, sont annexées par lui et demeurent britanniques jusqu’en 1864. le royaume Lombardie Vénitien, domaine des Habsbourgs, ne joue plus de rôle réel en Méditerranée.

Les mouvements nationalistes qui se développent dans les Balkans vont très vite avoir un retentissement international. Les révoltes serbes font de la province de Belgrade une région autonome de fait dès le début du XIXe siècle, autonomie plei­nement reconnue en 1856. la Serbie devient le pôle d’attraction des mouvements d’émancipation des Slaves orthodoxes. Elle contribue à renforcer le nationalisme grec favorisé par le déclin ottoman et l’appui russe. La Grèce se soulève dès 1821 et proclame son indépendance en 1822. La contre offensive turque met à mal cette situation et les Grecs en appelant à l’Europe lors du Congrès de Vérone. La Sainte Alliance poussée par le Tsar Nicolas I et Mettercnich refuse d’intervenir. Mais la révolution grecque soulève l’enthousiasme des milieux intellectuels. Se constituant un peu partout en Europe des comités philhellènes : Victor Hugo, Lord Byron défendent les idées grecques et l’on envoie des volontaires.

Les Ottomans appelant les Egyptiens secours et les forces turco- égyptiennes réoccupent la Grèce. Nicolas Ier dès lors décide d’intervenir et il est soutenu par Paris et Londres qui ne veulent pas laisser la Russie profiter de l’occasion pour s’ins­taller en Méditerranée. Les flottes alliées détruisent les escadres turco-égyptiennes à Navarin (20 octobre 1827), la France fait occuper la Morée par le général Maison (1827-28).

En septembre 1829 par le traité d’Andrinople, la Grèce au sud de la Thessalie, plus l’Ile d’Eubée et les Cyclades devient autonome, Etat vassal de la Turquie. La Grèce ne sera un royaume indépendant qu’en 1832 et connaîtra de nombreuses difficultés politiques, car le peuple accepte mal un souverain allemand Otto de Bavière soutenu par le Tsar. La Grande Bretagne fort mécontente de la montée de l’influence russe bloque le port Pirée au début de 1850. Cette intervention renforce la russophobie du peuple grec d’autant que Nicolas Ier a obtenu du Sultan que l’Eglise orthodoxe grecque soit indépendante du patriarche de Constantinople. Pendant la guerre de Crimée, Français et Britanniques occupent le Pirée.

La situation stratégique de la Grèce est telle que lorsqu’en 1862 le roi Otto est déchu, le Royaume Uni impose le beau frère du Prince de Galles, Georges de Danemark comme roi de Grèce. C’est alors que les Britanniques laissent les Iles ioniennes aux grecs.

L’indépendance grecque a eu pour conséquence le renforcement de l’autonomie de l’Egypte, le Sultan ayant fait appel en 1829 à l’armée égyptienne. En 1833, il obtient non sans mal du Sultan la suzeraineté sur la Syrie. 1 Il en à l’Angleterre le transit à travers l’isthme de Suez ; le Royaume Uni teste et s’inquiétant de l’influen­ce française, fait appel aux puissances européennes. C’est la fameuse crise de 1840. La France de Louis Philippe cède devant les pressions internationales, l’Egypte est ramenée à ses frontières traditionnelles, mais après 6 ans d’intermède pro-ottoman, l’Egypte de Saïd Pacha renoue avec l’Occident et particulièrement avec la France (1854).

L’impérialisme britannique au Proche-Orient

Saïd Pacha, Khédive héréditaire d’Egypte, concède en 1856 à la société françai­se, la compagnie universelle du Canal de Suez, la constitution d’un canal accessible aux grands navires. Le canal est inauguré le 17 novembre 1869 par l’impératrice Eugénie.

La Grande Bretagne s’inquiète de cette influence française en Egypte et va tout faire pour la contrecarrer. Cette tâche lui sera facilitée par la défaite de la France en 1871. la Grande Bretagne rachète en 1874 les actions du canal possédés par le Khédive qui suspend le paiement de la dette égyptienne en 1876 cela permet une mainmise franco-britannique sur l’administration de l’Egypte. Naît alors un premier mouvement nationaliste à tendance anti-chrétienne dirigé par le colonel Urabi. Les coptes sont massacrés à Alexandrie en juin 1882. France et Grande Bretagne ont dès lors la faculté d’intervenir. Mais le gouvernement français, devant l’opposition de Clemenceau à toute aventure extérieure, renonce à l’intervention laissant l’Angleterre agir seule. Dès lors, malgré les protestations française et turque, la Grande Bretagne place l’Egypte sous un protectorat de fait et accentue la pénétra­tion anglo-égyptienne au soudan où elle lutte contre la révolte islamiste du Mahdi qui dure jusqu’en 1898.

La puissance britannique s’affirme : ce n’est qu’en 1904, avec l’entente cordiale que la France renonce à ses droits en Egypte. Mais la mainmise franco-anglaise demeure très forte au niveau économique. Français, Anglais, autres étrangers pos­sèdent en 1914 la moitié de l’économie égyptienne. Cela conduit à la réapparition d’un mouvement nationaliste qui demande un retour aux sources de l’Islam plaide le panarabisme.

Devenue indépendante après la Grande Guerre, l’Egypte concède au Royaume Uni la protection des étrangers, la défense, les communications et maintiennent des forces importantes. Tout cela se fait de l’Egypte la plate forme de l’action britanni­que au Proche et au Moyen-Orient.

Les ambitions russes

Les Tsars, depuis Pierre le Grand, peut être même avant dès Ivan le terrible, veu­lent atteindre les Détroits, pour accéder à une mer plus ouverte que la Baltique ou la Mer Noire. Ils veulent aussi soutenus par la pensée orthodoxe russe reconstituer l’Empire byzantin en s’appuyant sur les Etats balkaniques orthodoxes et partielle­ment slaves (Serbie, Bulgarie). Enfin, ils souhaitent surveiller la Route des Indes car après la conquête de l’Asie centrale (en 1873), la Russie a des visées sur la Perse, l’Afghanistan et sans doute l’Inde occidentale. L’économie de ces régions, également convoitées par l’Angleterre, est entre les mains d’entreprises britanniques ou russes et la rivalité entre les deux puissances est constante jusqu’à la « réconciliation » du 31 août 1907.

En 1854, la Russie réclame la protection de tous les orthodoxes de l’Empire ot­toman et devant le refus du Sultan, entre en guerre, envahit les provinces roumaines et écrase la flotte turque à Sinope (novembre1853). Les Britanniques ne veulent pas voir les Russes contrôler l’Empire ottoman et déclarent la guerre à la Russie, soute­nus par les Français ravis de renouer avec le Royaume Uni. Les forces alliées après s’être installés à Varna, forcent les Russes à se replier mais les troupes sont minées par la malaria. On décide donc de s’attaquer à Sébastopol. Plus de 50 000 hommes français pour les M engagent un siège qui va durer près de six mois. Le traité de Paris du 30 mars 1856 marque la défaite de la Russie, freine pour un temps ses ambitions en Méditerranée pour le plus grand bonheur des Anglais et donne à la France l’ini­tiative des indépendances roumaine et serbe un prestige certain dans les Balkans.

Profitant de la défaite de la France en 1871, la Russie veut venger le traité de Paris. Elle déclare à nouveau la guerre à la Turquie en 1877 et après avoir pris Pluvina, l’armée russe atteint San Stefano aux portes de Constantinople, et im­pose aux Turcs un traité très dur. Il proclamait l’indépendance de la Serbie et de la Roumanie, l’autonomie de la Bosnie et de l’Herzégovine. Il avait une grande Bulgarie qui apparaissait comme une vassale de la Russie.

Les grandes puissances « horrifiées » mirent en quelque sorte leu veto à ce traité inégal et organisent à Berlin une conférence internationale. On remanie le traité de San Stefano : le Congrès consiste de constituer une principauté de Bulgarie autono­me mais vassale de la Porte, et une Roumélie orientale simple province autonome : Bosnie, Herzégovine et Sandjak de Novi-Bazar sont placées sous suzeraineté austro­ hongroise. la Serbie, elle, obtient la province de Nis. C’est don un nouvel échec pour le Russie qui perd des prestiges dans le monde balkanique.

Dans la suite de ces accords, la Grande Bretagne le fait donner par la Turquie l’Ile de Chypre pour prix de son aide. Cela conforte la présence britannique au Moyen-Orient.

La fin de la Turquie d’Europe

Les crises que connaît la Turquie poussent les Etats balkaniques à s’emparer des territoires furent proche d’eux – Depuis 1885 Bulgarie et Roumélie se sont consti­tués en Royaume de Bulgarie – Mais quel avenir pour la Thessalie, la Macédoine, le Kosovo et l’Albani ?

En 1908, pour freiner la main mise Frances-anglaise sur l’Empire, le mouve­ment Turc issu d’une organisation secrète qui date de1865, prend la tête d’un mou­vement révolutionnaire qui l’emporte en 1908 et va gouverner la Turquie jusqu’au 1918.

Profitant de cette période délicate, Bulgares, Grecs et Serbes s’unissent et s’atta­quent à l’Empire -Ils l’emportent lors du partage des dépouilles les Bulgares veulent reconstituer la grande Bulgarie mais leurs ambitions sont telles que Grecs et Serbes, des Roumains écrasent les Bulgares.

Les grandes puissances inquiètes de ces conflits, interviennent et modèrent les ambitions des uns et des autres : la Bulgarie perd la Dobroudja mais consume un accès à la Méditerranée (Dédé Ajatch) et la Thrace septentrionale – la Grèce obtient l’Epire, le sud de la macédoine et la Thrace méridionale. Quant à la Serbie, elle acquiert le Kosovo la Macédoine du nord le Sandjak de Novi Pazar. Mais sous la pression de l’Autriche – Hongrie, les puissances refusent à la Serbie l’accès à la mer : pour l’empêcher est créé un artificiel royaume d’Albani.

La Turquie d’Europe est bornée à l’Est par la Maritza et ne conserve qu’An-drinople (Edirne) et Istanbul – Battue essentiellement par les Etats liés à l’entente (Grèce, Roumanie, Serbie). L’Empire Ottoman se rapproche des Empires centraux. Au surplus depuis la fin du XIX siècle, la présence allemande est forte : outre le « Bagdadad bahn », le Reich a la charge de réformer l’armée turque- lorsqu’éclate la Grande Guerre.

L’Empire ottoman s’allie aux autres allemands d’autant que l’agitation anti tur­que est grande dans des provinces arabes ; et la Porte, sait que les Britanniques n’y sont pas étrangers.

Le Proche-Orient pendant la grande guerre 1914-1918

La Première Guerre mondiale va transformer radicalement les relations entre l’Europe et le Proche-Orient, essentiellement en raison des politiques française et surtout britannique dans la région.

Très vite lorsque les Etats de l’Entente (France, Grande Bretagne, Russie, plus tard l’Italie) envisagent leurs buts de guerre, apparaît l’idée d’un partage de la Turquie analogue aux partages qu’avait convenus la Pologne au XVIIIe siècle. En mars 1915, après de longues et difficiles négociations, France et Angleterre promet­tent à la Russie l’annexion après la victoire de Constantinople, la Thrace orientale, « Les rivages européens du Bosphore et des Dardanelles ainsi qu’une partie de la rive asiatique ». Bien plus, fin janvier 1917, Gaston Doumergue, en visite à Petrograd, promet au gouvernement tsariste un renforcement de la zone en Turquie en échange de l’annexion de la Sarre par la France et la constitution d’un Etat rhénan détaché du Reich. A l’Italie sera promis le Sud Ouest de l’Anatolie.

De leurs cotés, France et Angleterre ont des ambitions contradictoires sur les provinces asiatiques de l’Epire ottoman : la France malgré Delcassé hostile à tout partage de l’Empire ottoman, a des visées sur Jérusalem et les lieux saints ou sa pré­sence culturelle est reconnue, sur le Liban et une partie de la Syrie où elle tient une place non négligeable sur le plan économique.

La Grande Bretagne veut contrôler la Palestine pour mieux protéger le canal de Suez. Après de rudes négociations, on arrive à un compromis, l’accord dit Sykes-Picot, du nom des deux plénipotentiaires Français et Britanniques (3 janvier 1916).

Au Royaume Uni, l’Irak à l’exception de la zone kurde, avec influence complé­mentaire sur le désert irakien, la Jordanie et Haïfa, à la France, le Liban, la Cilicie avec Diiarbakir, la Syrie septentrionale entre Alep et Alexandrette (Iskenderun) avec influence sur le reste de la Syrie et sur l’Irak Kurde (avec Mossoul). Le Sud de la Palestine avec Jérusalem serait zone internationale.

En fait la Terre Sainte est partagée, la France obtient le nord de la Galilée, les Britanniques les provinces de Acre et Haïfa, et le sud de la Palestine avec Jérusalem seront internationalisés.

Mais ces accords Sykes-Picot ne tiennent pas compte de la promesse des Britanniques faites au Cherif de la Mecque, Hussein, chef des clans Hachemites au complet avec les Wahhabites derrière Ibn Saoud. La Grande Bretagne, à la différence de la France aussi totalement engagée sur le font face au Reich, pense ainsi à l’Empire et à son acteur vitale la Route des Indes. Or le canal de Suez est me­nacé par une armée ottomane complétée d’éléments allemands. Au Caire, l’armée et l’Intelligence Service constituent un véritable « parti arabe » très écouté par lord Kitchener le vainqueur des Mahdistes en 1898, résident général en Egypte jusqu’à la nomination en 1914 du ministère de la Guerre le War Office. A la fin de 1915 le « parti arabe » soutient la création d’un Empire arabe qui serait dévolu à Hussein le Cherif de la Mecque .

C’est pourquoi l’accord Sykes-Picot distingue bien les zones administrées direc­tement Liban – Cilicie pour la France, Irak chiite et la province -Acre- Haïfa pour la Grande Bretagne, le reste des territoires simplement sous influence française ou britannique.

On sait que les traités de 1920 et 1923 en décidèrent autrement la France rece­vait mandat d’administre, au nom de la SDN, le Liban et la Syrie, sans Mossoul, la Grande Bretagne, la Palestine, la Jordanie et l’Irak. Celui-ci devint rapidement indépendant tout en demeurant sous protectorat anglais, mais population et diri­geants arabes se sentaient floués

Ils l’étaient d’autant plus que pour s’attirer les bonnes grâces des juifs américains, venus de la Russie tsariste pour fuir les persécutions et pogroms, à priori hostiles à l’Entente, le gouvernement britannique, non sans de grandes hésitations, va soute­nir les positions des groupes sionistes animés par un chimiste le Dr. Weizmann. Jusqu’en 1914 / 1915 le sionisme n’intéresse guère en France ou en Angleterre. Relativement bien assimilés malgré l’Affaires Dreyfus en France- les autorités et les fidèles israélites se désintéressent des sionismes : on se contente d’apporter une aide financière et culturelle aux Juifs de l’Empire ottoman, qui eux-mêmes préfèrent demeurer à Salonique (où près de la moitié de la population est juive), à Istanbul ou à Izmir plutôt que de s’installer en Palestine.

La situation est d’ailleurs la même en Europe : les livres et brochures de Herzl, pas plus que les congrès sionistes n’attirent guère : de 1880 à 1914 près de trois mil­lions de juifs russes ou austro-hongrois ont émigré : la très grande majorité d’entre eux sont aux Etats-Unis où en 1910, 1 700 000 américains utilisent comme lan­gue maternelle « la langue juive hébraïque ». Seules 70 000 environ ont fait leur « Aliya » c’est-à-dire ont émigré en Palestine.

De 1914 à 1917 certains ont pensé à soutenir les sionistes mais si la Grande Bretagne s’engage par la déclaration Balfour de novembre 1917, le gouvernement Clémenceau est infiniment plus réticent, en témoigne en décembre 1917, la circu­laire de la sous-direction d’Asie du Quai d’Orsay : « nous ne pouvions être hostiles aux aspirations nationales du judaïsme…écarter les revendications sionistes ris­quant de mécontenter les gouvernements israélites qui ont adhéré à cette tendance et qui sont particulièrement influents aux Etats-Unis ». Mais « nous n’avons jamais donné aux comités juifs l’assurance que nous étions partisans d’un organisme is­raélite souverain dans une partie de cette région »2. Le texte met enfin en avant le risque de favoriser les susceptibilités « arabes » d’autant qu’on ne peut « contredire le sous affirmé » de la défense des droits des Arabes »3.

En définitive si l’Europe se désintéresse peu ou prou du Moyen-Orient jusque vers 1820, l’essor des Indes britanniques, leur place dans l’économie anglaise font que protéger la Route des Indes est pour Londres un impératif. Dès lors la Grande Bretagne cherche à s’opposer à ce qui pourrait contrecarrer le dessein. C’est la raison du soutien à la Grèce, de la mise internationales de 1840, de la guerre de Crimée, de la convocation du Congrès de Berlin en 1878, de la Conférence de Londres en 1813.

La Déclaration de Balfour va entraîner l’arrivée des Juifs d’Europe centrale et la création de colonie juives. De 1919 à 1933, il est vrai, elles attirent peu, moins de 120 000 émigrants, alors que les Etats-Unis sont fermés : il est vrai que c’est de la Pologne te de la Roumanie que viennent ces migrants, or durant cette période envi­ron 100 000 juifs polonais sont installés dans le Reich et Polonais et Roumains sont plus nombreux encore en France et au Benelux ce n’est qu’avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, à la politique violemment antisémite du Reich que le rythme d’arrivée fait plus que doubler. En 1939 il y a environ 500 000 juifs en Palestine soit un tiers de la population. Aussi depuis 1922, la communauté arabe s’insurge contre cette population immigrée qui achète des terres, souvent à vil prix, 4et les met en valeur, ce que les paysans arabes n’avaient point su faire.

De son côté, la situation de la France demeura prédominante de 1830 à 1882, elle jouit d’un prestige certain mais dont elle le ne saura pas profiter : elle a protégé les chrétiens libanais grâce à Abdel Kader en 1860, au point que certains proches de Napoléon III envisagent de créer, parallèlement un Royaume arabe algérien, un royaume arabe de Liban, aussi dispose -t’elle en 1919 d’un grand crédit populaire.

Mais de 1919 à 1941 la France interviendra trop systématiquement dans la vie locale tant à Beyrouth qu’à Damas, gâchant tous les atouts dont elle disposait en 1919. La guerre franco-française de Syrie en 1941, largement voulue par les Français libres, marque la fin de la présence française au Moyen-Orient.

Enfin la panarabisme britannique né au début du XXe siècle, marqué par la création en 1945 de la Ligue arabe, s’il a cherché à contribuer au développement et à l’unification du monde arabe, est rapidement mis en échec par la montée des nationalismes et la concurrence américaine. Seule, du moins dans une certaine me­sure, la Jordanie demeure proche de Londres. Mais ces politiques européennes, généralement mal orientées, vont contribuer à une réislamisation en profondeur du monde arabe.

* Professeur émérite d’histoire contemporaine à la Sorbonne Paris IV, après avoir été pendant trente ans enseignant à l’Université de Strasbourg, où il a dirigé successivement l’Institut d’études politiques, le Centre des études germaniques et l’Institut des hautes études européennes. Il vient de publier une Histoire de la Russie aux éditions de Fallois.

Notes

1 Au sens turc du terme : la Syrie comprend alors le Sandjak indépendant de Jérusalem et le Villayet de Beyrouth lui-même divisé en huit Sandjak (4 en Syrie actuelle, 2 au Liban, 2 en Palestine Acre et Naplouse).

2 Texte cité par Catherine Nicault, la France et le sionisme, 1897-1948, Calman Levy, 1992, p.86-87.

3Ibid.

4 Selon Ilan Greilsammer, Une Nouvelle histoire d’Israël, Gallimard 1998.

Article précédentQUEL RÔLE POUR L’EUROPE DANS LA GESTION DES CRISES AU MOYEN-ORIENT ?
Article suivantLE CHANGEMENT DE PARADIGME AU MOYEN-ORIENT

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.