L’Iran et ses voisins du Golfe Persique

Ali RASTBEEN

Avril 2016

Le Proche et Moyen-Orient sont entrés dans une phase de mutations et de recomposition profonde, qu’il serait superficiel et dangereux de réduire à un conflit entre sunnites et chiites.

L’animosité entre l’Arabie saoudite et l’Iran se traduit notamment en Syrie, au Yémen et en Irak, ces deux puissances s’accusent mutuellement en cherchant à élargir leur influence.

Une question se pose: la détérioration des relations entre l’Iran et les pays arabes est-elle le résultat de l’émergence de l’Iran comme puissance régionale ou puise-t-elle sa source ailleurs ?

Dans le contexte actuel du Moyen-Orient, où la violence de tout bord domine l’espace public et où les liens nationaux sont de plus en plus flous, penser la gestion des crises implique des réflexions. La résolution d’un conflit se définit par une opération politique, sociale, économique, voire culturelle, qui en remplaçant une pluralité analysable à un ensemble complexe d’éléments, parvient à le surmonter. Lorsqu’on parle de conflits, il convient de définir ce concept, car la littérature consacrée à l’étude des conflits, fait habituellement une importante distinction entre conflit et crise. Les événements qui se déroulent au Moyen-Orient puisent leur source dans l’invasion par le « nouvel ordre mondial »[1], annoncée pour la première fois par les Etats-Unis suite à l’attaque de l’Irak par les Etats-Unis pour libérer le Koweït.

Or, la tendance vers la mondialisation et l’unification de la civilisation a commencé, depuis le dix-neuvième siècle, suite à la genèse du nationalisme et l’apparition des Etats-nations en Europe. Parallèlement aux idéaux et revendications nationaux – qui, dans leurs essences étaient monopolistes et à l’origine des guerres et des animosités et entre autres les deux guerres mondiales – l’idée de la mondialisation prenait de plus en plus d’ampleur en vue d’empêcher la guerre, l’insécurité et l’injustice. La création de la « Société des Nations » après la première guerre mondiale et suite à l’expérience issue de sa défaite, celle de « l’Organisation des Nations unies » au lendemain de la Seconde Guerre, furent des points culminants des efforts dirigés pour atteindre cet idéal.

Depuis l’invasion de l’Irak, nous assistons au cycle de la théorie des dominos, comme un élément fon­damental de leur stratégie au Moyen-Orient. À travers l’implantation de la démocratie en Irak le même changement s’opérera dans les pays voisins jusqu’à la dispa­rition des régimes autoritaires.

A travers quelques interrogations dont les réponses pourraient nous conduire à une conclusion adéquate. La première question est la suivante : la détérioration des relations entre l’Iran et les arabes est-elle le résultat des prises de position de l’Iran au cours des dernières années, ou puise-t-elle sa source ailleurs ? La seconde interrogation consiste à déterminer à quel point les pays arabes agissent de manière indépendante ou par procuration ? Autrement dit est-ce que leurs agissements sont destinés à préserver leurs intérêts nationaux ou dictés par d’autres motifs ? Enfin, quelles sont les dispositions que doit prendre l’Iran pour assurer ses intérêts?

La détérioration des relations entre le monde arabe et l’Iran peut être examinée à travers des axes dont certains relèvent de questions de sécurité. Il faudrait également prendre en considération la position géopolitique et géostratégique du Golfe Persique. L’élément clé est le suivant : le pays qui dominerait la région du Golfe Persique, aurait la possibilité et la capacité d’influencer le monde.

Comment peut-on assurer une sécurité,[2] une stabilité et une paix durable dans la région ? La réalité indiscutable est que chaque pays gère sa sécurité aux niveaux : les menaces intérieures, les agressions ou menaces extérieures et enfin des menaces régionales. La question de la sécurité et de la paix durable dans la région du Golfe Persique et dans les pays arabes en particulier ceux de la région qui sont réunis aujourd’hui au sein du Conseil de coopération du Golfe Persique, devient alors compréhensible.

Un autre axe qui semble nécessaire de soulever est la situation sécuritaire du Golfe Persique avant la révolution islamique en Iran. Lorsque nous soulevons la question de la sécurité collective, était-elle également de mise avant la cette révolution ?

Une autre considération réside dans la désintégration du système de sécurité et le vide apparu ainsi que les rivalités entre les puissances et les principaux acteurs régionaux et étrangers. C’est un principe admis que là où apparaît un vide du pouvoir, tous les pays qui imaginent pouvoir jouer le rôle d’un acteur déterminant, s’y engouffrent.

Dans le passé, la rivalité entre la Grande-Bretagne, l’Union soviétique et les États-Unis faisait rage dans le Golfe Persique. Lorsque la Grande-Bretagne y instaura sa domination, les autres puissances se retirèrent. Lorsqu’en 1968, le gouvernement britannique évacue ses forces du Golfe Persique, de la mer d’Oman, de l’océan Indien et de la mer Rouge, un vide est créé, qui conduit à l’apparition d’autres acteurs qui pensent pouvoir se substituer à la Grande-Bretagne, et les rivalités se poursuivent.

À cette époque, se présentent l’Union soviétique et les États-Unis, deux acteurs puissants et déterminants. Au niveau régional, l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Irak entrent également en scène, aussi bien directement que par procuration. Dans la rivalité qui s’en est suivie, l’Iran et l’Arabie saoudite, alliés de l’Occident, ont fait face à l’Irak, soutenu par l’Union soviétique. Ces rivalités se sont poursuivies jusqu’en 1975 et jusqu’à ce que l’Iran, de par sa puissance, a pris la première place des puissances régionales. La question de la sécurité collective dans la région a été soulevée.

La Révolution islamique en Iran provoque un nouveau vide dans la région auquel viennent s’ajouter d’autres événements : la guerre Iran-Irak, la bataille des tankers fut le prétexte pour la pénétration et la présence des forces étrangères dans la région afin d’y assurer la sécurité d’approvisionnement. L’occupation de Koweït par l’Irak et le changement de position des autres pays de la région à l’égard de l’Iran furent d’autres éléments qui peuvent nous aider à comprendre les raisons de la détérioration des relations entre l’Iran et le monde arabe.

L’importance du Golfe Persique, réside en ce que le Grand Moyen-Orient doit être partagé en deux zones : d’un côté le Moyen-Orient arabe et de l’autre le Moyen-Orient non arabe. De son côté le Moyen-Orient arabe se divise en trois régions : l’Afrique du Nord (l’Algérie, l’Egypte, la Tunisie et la Lybie), la seconde région : la Syrie, le Liban et la Jordanie et enfin le secteur du Golfe Persique : l’Irak, le Yémen et le Conseil de coopération du Golfe Persique.

On peut indiquer que dans le Golfe Persique on peut réunir d’une part le Koweït, l’Arabie saoudite et Bahreïn dans un groupe, le Qatar, l’Oman et les Emirats arabes unis dans un autre groupe. Chacun de ces pays ayant ses propres caractéristiques.

Le secteur non arabe du Moyen-Orient se divise également en deux parties : d’une part l’Afghanistan et le Pakistan et d’autre part la Turquie, l’Iran et Israël. Ces pays non arabes interviennent dans les relations entre l’Iran et les pays arabes.

Compte tenu de ces éléments, nous distinguons les étapes suivantes dans les relations politiques entre les pays : la fin des confrontations, la détente, le développement et l’extension des relations, la consolidation et la stabilisation, et les coopérations stratégiques. Les crises survenues dans la région en particulier dans le Golfe Persique au cours des quatre dernières décennies, ont considérablement influencé les relations internationales.

Dans les évolutions survenues dans la région : le départ des forces britanniques en 1968, le traité de 1975 et le rôle joué par l’Iran au niveau régional et extrarégional, l’Iran se trouve au centre de la plupart de ces évolutions.

L’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique et la formation des Moudjahédines afghans sont d’autres événements clés qui continuent à préoccuper le monde. D’autres facteurs en cause ont été : l’occupation de l’ambassade des États-Unis, l’agression du régime baasiste irakien contre l’Iran, la guerre des tankers pétroliers, la présence des forces étrangères dans la région, l’acceptation de la résolution 598, l’agression de l’Irak contre le Koweït, la libération de Koweït par les forces de coalition, la désintégration de l’Union soviétique en 1991, la disparition du système bipolaire dans le monde, les événements du 11 septembre, l’attaque des forces de coalition sous l’égide des États-Unis contre l’Afghanistan et la chute des talibans, l’apparition d’une nouvelle coalition mondiale contre le terrorisme, le développement de l’extrémisme, l’occupation de l’Irak par les forces américaines et anglaises en 2003, les soulèvements populaires dans le Moyen-Orient et le nord de l’Afrique. Il semble qu’à l’instar du 11 septembre, les soulèvements populaires dans les deux régions citées modifieront également le cours de l’histoire et pourraient entraîner le monde dans une nouvelle phase.

Revenons à la question : est-ce que l’Iran peut étendre ses relations avec ses voisins arabes ? Il existe les réponses suivantes :

La première consiste à affirmer que compte tenu de la dépendance des pays arabes, à l’exception de quelques-uns, à l’égard des États-Unis et de l’Occident, on ne peut espérer une amélioration des relations entre l’Iran et les pays arabes tant que l’Iran ne réussisse pas à normaliser ses relations avec les États-Unis.

Un second point de vue considère que l’Iran ne peut développer ses relations politiques avec les arabes que s’il devienne une réelle et grande puissance dans la région dans les domaines politique, militaire et économique. C’est alors que les pays arabes, en particulier ceux du littoral sud du Golfe Persique, tenteront de leur propre gré à améliorer leurs relations avec l’Iran.

Une troisième réponse est d’avis que compte tenu de l’ancienneté des relations entre l’Iran et les arabes, il serait impensable d’imaginer l’établissement d’une relation stable entre eux.

Enfin, la dernière position, qui semble plus acceptable réside dans le fait que, compte tenu des résultats des élections récentes, nous pouvons, par le biais de la détente, de la confiance, fonder de solides relations dans le respect mutuel, l’assurance des intérêts mutuels, l’entraide et la coopération, transformer les rivalités négatives en amitié et concurrence positive, la confrontation en collaboration. C’est un point de vue qui doit être poursuivi.

Les crises profondes au Moyen-Orient et en Asie centrale[3], sont les conséquences directes de la stratégie et des ambitions de Washington traduites par l’intervention américaine en Irak, et la guerre en Afghanistan, en Libye, au Yémen et en Syrie. Les conflits au Moyen-Orient depuis la guerre entre Israël et les Palestiniens et qui ont entaché l’histoire de l’ONU, sont des exemples concrets des dérives néfastes de la politique américaine à travers le monde.

Pour parvenir à la paix dans cette région visée actuellement par les pro­jets politiques et stratégiques de Washington, il faut mettre un terme à la guerre que les Etats-Unis attisent constamment et à la présence des bases militaires occidentales. Sans le retrait des forces américaines et de toute autre puissance des eaux et des territoires du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, sans l’implantation d’une zone de sécurité dans l’Océan indien et dans le golfe Persique s’étendant jusqu’au canal de Suez, et sans la coopération et la solidarité des pays voisins, bien évidemment sous l’égide de l’ONU, visant à assurer la sécurité et à interdire la présence de toute arme de destruction massive, la paix ne pourra pas être instaurée dans cette partie du monde.

[1] Les origines du nouvel ordre mondial, Christian Lagrave, 2009

[2] La défense non offensive ou comment assurer la sécurité collective de, Institut canadien pour la paix et la sécurité internationales, 1989

 

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