Mondialisation : une controverse seulement conceptuelle ?

Par Jorge Vera Castillo.

Mars 2001

Conseiller Scientifique et de Coopération à l’Ambassade du Chili en France. Ancien Consultant de l’ONU (CNUCED et CEPAL) et du Ministère de la Défense Nationale du Chili. Doctorat ès Sciences Politiques de l’Institut Universitaire de Hautes Études Internationales (IUHEI) de Genève ; Maîtrise en Études Internationales, Université du Chili ; Diplôme de Spécialisation en Relations Internationales, Pontificale Université Catholique du Chili.

Dès la moitié des années quatre-vingt-dix, l’usage habituel du mot « mondialisation » (ou de même que « globalisation ») est très connu dans le langage de l’analyse des relations internationales, de l’économie mondiale et de la politique extérieure. Maintenant, il s’agit surtout de « l’emploi de paroles dont la diffusion doit être considérée comme une mode ». Or, dans le même sens, on a soutenu que : « qui possède la parole pour une chose, ne possède pas pour autant le concept que comporte la signification de la parole »(1). Nous ne devons pas oublier que dès la fin des années soixante du XXe siècle, il était fréquent de dire et d’employer, de façon habituelle, le terme « interdépendance » pour les rapports entre les nations. Bien plus, déjà en 1949, Emmanuel Mounier écrivait, dans son ouvrage « Le Personnalisme : Cependant, le monde s’internationalise en fait de plus en plus. Il n’est plus de nations indépendantes dans l’ancien sens du mot. »(2).

Et maintenant, apparemment la « mondialisation » ou « globalisation » guide tout phénomène ou processus d’insertion internationale de chacun et de tous les pays à la fois. Et elle a ouvert tout un débat, à propos de son vrai sens.

D’une part, la présidente de l’Observatoire de la mondialisation, Susan George – qui a publié en 2000 « Le Rapport Lugano » -, affirme que : « La mondialisation est un leurre. Ce n’est pas un concept, c’est un slogan. Ça veut donner le sentiment de l’inéluctable, comme la marée. Or c’est un processus impulsé par les multinationales. »(3) D’autre part, en 1996, la Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) de l’ONU, a caractérisé la « globalisation » comme « un concept imparfait, dans un nouveau contexte international en processus de formation ». La CEPAL développe cette affirmation de synthèse de la façon suivante: « Le terme ‘globalisation’ s’est employé pour nommer le vaste processus de transformation technologique, institutionnelle et d’orientation qui se développe dans l’économie internationale. Cependant, il ne s’est pas encore changé en une catégorie d’analyse, tenant compte que le phénomène, et ses éléments constitutifs ne sont pas clairement délimités, et que « globalisation » est autant un processus, comme une force propulsive, qu’un résultat. Malgré cette vague, l’adoption généralisée et l’emploi courant du terme reflètent la clarté, ainsi donc il décrit l’extraordinaire augmentation de l’espace pour les transactions économiques qu’on observe aujourd’hui. Sa signification se trouve être plus rigoureuse quand il apparaît dans l’ensemble avec d’autres termes, comme dans les expressions « globalisation des marchés », « globalisation de la production » ou « globalisation de la concurrence »(4).

Au-delà de l’aspect conceptuel, selon la perception citoyenne et de l’opinion publique, Jean Viard, directeur de recherches au CNRS, est de l’avis que : « face à la mondialisation, il y a trois positions. Il y a ceux qui sont « pour », très schématiquement les grands actionnaires. Il y a les « exclus » du processus, un patchwork de tous ceux qui en souffrent directement : des pauvres, des ouvriers, des immigrés sans papiers, des paysans sur un marché en fin de parcours, etc. Mais, il y a surtout le groupe central, les couches moyennes, à la fois fascinées par la mondialisation ou l’Internet, mais qui ont peur de perdre ce qui les fonde en tant qu’identités individuelles : une esthétique, une certaine idée de la culture et de la solidarité. Quand se dégage une position qui prend en compte ces deux aspects du problème, elle lui est éminemment sympathique. »(5). Certes, à cet égard la controverse n’est pas conclue. Néanmoins, on doit tenir compte qu’il y a d’autres urgences et des besoins humains quotidiens. Et une autre question : A quoi sert la science, la recherche, et la technologie si nous n’avons pas le développement, la dignité et le bonheur ? À propos du développement durable et de la coopération, d’une part, de la mondialisation et humanisation d’autre part, sujets tous au centre du débat international d’aujourd’hui, notre point de vue, lié à la sphère d’activité de notre tâche diplomatique, mais aussi en tant que chercheur, est le suivant :

L’ État chilien se pose une question, pour le XXIe siècle, à travers le programme et la politique de son gouvernement, mené par le Président Ricardo Lagos, dans le domaine qui attire notre attention :

« À quoi ça sert la science, la recherche et la technologie si nous n’avons pas le développement, la dignité et le bonheur? »

Notre gouvernement, notre société et notre peuple travaillent sur la base de trois réponses à cet égard:

  1. La science a pour objectif atteindre le développement ; mais il ne s’agit pas de n’importe quel développement. En premier lieu, il s’agit du développement durable dit « développement humain », selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
  2. La recherche doit être faite sauvegardant d’une part, la dignité de la personne humaine et les droits de l’homme, et d’autre part, sans porter atteinte contre la dignité d’un peuple ni la dignité nationale d’un État-nation souverain, y compris les pays moins avancés, les pays en voie de développement ou les pays dits émergents, particulièrement en cette période de la soi-disant « mondialisation » ou « globalisation ».
  3. la technologie, en même temps que ses applications, ses transferts et ses investissements communs, doivent être pensés et liée à l’obtention d’un seul but, qui est le bonheur de l’être humain.

Si nous sommes d’accord avec ce cadre de principes qui doivent s’exprimer non seulement à travers la volonté politique des gouvernements – soit dans ses projets nationaux de développement soit, en même temps, dans ses rapports bilatéraux, et ses relations internationales -, mais aussi dans l’éthique et les orientations fondamentales des scientifiques, chercheurs et technologues, dans leurs efforts et leurs travaux, nous pouvons avancer vers une humanisation de la vie.

En synthèse, dialectiquement, il n’y aura pas non plus, développement, dignité et bonheur sans la science, la recherche et la technologie, qui doivent être au service de la vie et de son amélioration quotidienne pour chaque citoyen. C’est ainsi, que la mondialisation devrait conduire à une humanisation solidaire de la planète. Étant donné que le « capitalisme sauvage » se révèle tout à fait contraire à cette humanisation, l’appel est d’urgence : il faut reconsidérer les modèles qui inspirent les choix du développement. L’humanité est encore dramatiquement divisée en deux par la pauvreté. Au début du XXIe siècle, plus d’un milliard quatre cents millions de personnes vivent dans une situation d’extrême pauvreté. Y compris presque trois millions de Chiliens et Chiliennes, sur une population de 15 millions ! Nous ne pouvons ni ne devons oublier, ni passer sous silence cette réalité.

Du point de vue des relations internationales contemporaines, nous devrons mieux harmoniser les exigences légitimes de l’efficacité économique avec celles de la participation politique, et de la justice sociale, sans retomber dans les erreurs idéologiques commises au XXe siècle. Cela signifie placer sous le signe de la solidarité les rapports d’interdépendances économiques, politiques et sociales, que les processus de mondialisation en cours ont tendance à accroître sans pause. Aussi, les réalités de cette mondialisation nous ordonnent de repenser la coopération internationale, en termes de nouvelle culture de la solidarité. C’est à dire, la coopération ne peut pas se réduire à l’aide et à l’assistance, surtout quand nous envisageons en retour de tirer profit des ressources mises à disposition. En Amérique Latine, nous avons connu « l’aide des États-Unis » des années soixante et soixante-dix, avec ses conséquences politiques et sociales. À notre avis, la coopération internationale doit exprimer un engagement concret et tangible de solidarité qui visent à faire des pauvres, les acteurs de leur développement, et qui permette au plus grand nombre possible de personnes d’exercer, dans les circonstances économiques et politiques concrètes dans lesquelles ils vivent, la créativité propre à la personne humaine, d’où dépend aussi la richesse des nations. À cet égard, nous appuierons une mondialisation qui sera à la recherche d’une humanisation et d’une coopération internationale dans la solidarité, laquelle devra trouver des solutions définitives aux vieux problèmes de la dette internationale des pays pauvres, en garantissant en même temps les financements nécessaires à la lutte contre la faim, la malnutrition, les maladies, l’analphabétisme, la détérioration de l’environnement et la désespérance d’esprit de la jeunesse face au chômage, au sous-emploi ou aux emplois de mauvaise qualité. La Ministre des Relations Extérieures du Chili, Maria Soledad Alvear Valenzuela a écrit, à juste titre, que : « Aujourd’hui, ce n’est pas facile de trouver un pays développé avec une politique étrangère qui soit contraire à la solidarité et à la coopération. À l’avenir, il sera chaque fois plus difficile de pouvoir distinguer les éléments classiques d’une politique étrangère pensée comme au XXe siècle, car la dite globalisation, ou mondialisation, sera de plus en plus difficile à conceptualiser : du point de vue pratique, rien ne sera plus étranger à un pays moderne. Dans ce sens, la rigueur des gouvernements sera nécessaire en matières économiques et politiques, mais aussi la coopération, celle qui donnera un sens éthique à la politique étrangère. »(6). D’autre part, le point de vue officiel du gouvernement chilien fut exprimé par la Ministre Alvear Valenzuela dans son discours à la 55ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2000. Elle a soutenu l’affirmation suivante : « La globalisation entraîne la paupérisation, et en ce sens, elle peut accentuer les iniquités qui ont caractérisé le système international. Les Nations Unies ont beaucoup à faire pour empêcher une globalisation qui exclu, pour éviter que les avantages de la modernité ne se limitent à quelques-uns. » (7). Plus récemment, le Président de la République, Ricardo Lagos Escobar, a souligné que : « Le Chili parie pour une insertion active et profonde dans le processus de globalisation. Mais nous croyons dans la nécessité de profiler une insertion globale avec un accent latino-américain, particulièrement dans le domaine de la concertation politique. » (8). À plus forte raison, c’est le Pape Jean Paul II qui nous précise que : « La course rapide vers la mondialisation des systèmes économiques et financiers rend claire l’urgence de préciser qui doit garantir le bien commun mondial, et la mise en œuvre des droits économiques et sociaux. Le libre marché ne peut le faire par lui seul, car il existe en réalité de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. « Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent, il y a un certain dû à l’homme, en raison de son éminente dignité » (9).

En guise de conclusion:

Enfin, la paix sur la terre est un objectif très pressant, ainsi que le respect des droits humains. Le développement d’un système de justice universelle, à travers l’établissement d’un Tribunal pénal international, doit être appuyé et encouragé par les États démocratiques, les organisations internationales, les partis politiques, les centres et les instituts d’enseignement supérieur et approfondi, les revues spécialisées, l’opinion publique et tous les moyens de la nouvelle économie et de la société de l’information.

La science, la recherche et la technologie ont ainsi une tâche d’excellence : démocratiser l’accès à la connaissance, à la formation et à l’information, à tous les niveaux, et par tous les coins géographiques du monde, sans exclusion d’aucune sorte, et en étroite liaison avec la « sécurité humaine « , concept non restreint aux États, qu’incorpore un nombre d’autres sujets liés à la société civile, mais qui ne remplace pas la sécurité conventionnelle. En somme, comme l’a remarqué le Pape, dans son Message pour la célébration de la XXXIIIème Journée Mondiale de la Paix, au début de l’an 2000 : « Nous ne pouvons certes pas prévoir l’avenir. Mais nous pouvons établir un principe exigeant : il y aura la paix dans la mesure où toute l’humanité saura découvrir sa vocation originelle à être une unique famille, où la dignité et les droits des personnes – quels que soient leur état, leur race ou leur religion – soient affirmés comme antérieurs et prééminents par rapport à toute différenciation et à toute spécification. »(10).

Notes

  • Georges Klaus. « El lenguaje de los politicos », (« Le langage des politiciens »), (Édition originale en allemand: « Sprache der Politik », VEB Deutscher Verlag der Wissenschaften, Berlin, 1972, 294 p.), Editorial Anagrama, Barcelona, Espana, 1979; Chapitre III, pages 330­ (Traduction sous ma responsabilité.).
  • Emmanuel Mounier. « Le Personnalisme », Presses Universitaires de France, (Première édition, 1949), Seizième édition, 1995, pages 118 et 119.
  • Susan George. « Par-dessus le marché ». Par Christian Losson, Libération. Mercredi 3 mai 2000:http://www.tni.org/george/lib.htm, 2.
  • Panorama de la insercion internacional de America latina y el caribe. 1996, Naciones Unidas, CEPAL, LC/G. 1941, 2 de diciembre de 1996 : Première Partie, Chapitre I., A. 1., pages 19-21. (Traduction sous ma responsabilité.)
  • Jean Viard. « José Bové, pont entre le rural et l’urbain ». Par Eric Dupin. Libération. Vendredi

30 juin 2000.

http://www.liberation.fr/omc/actu/bove/20000630e.html, p. 2.

  • Maria Soledad Alvear Valenzuela. Canciller. « Sentido Etico de la Politica Exterior » (« Le sens éthique de la politique étrangère »), EL MERCURIO, Santiago du Chili. Mercredi 21 février 2001:http://www.emol.com, 1. (Traduction sous ma responsabilité.).

7 Discurso de la ministra de relaciones exteriores de Chile, sra. Maria Soledad Alvear Valenzuela, ante el 55° Periodo de sesiones de la asambla general de las naciones unidas. New York. Mardi 12 septembre 2000, p. 2. (Traduction sous ma responsabilité.).

  • Ricardo Lagos Escobar. « Chile en un Mundo en Cambio, Los Enfasis de la Politica Exterior » (« Le Chili dans un monde en changement. L’emphase de la politique étrangère »), EL MERCURIO, Reportages, (tiré de la revue FOREIGN AFFAIRS, Volume 1, N° 1, édition en espagnol). Dimanche 4 mars 2001, p. 2. (Traduction sous ma responsabilité.).
  • Message du Pape Jean-Paul II Pur la célébration de la XXXIIème journée mondiale de la paix. Le secret de la paix véritable réside dans le respect des droits humains. Le 1er janvier 1999.

http://www.vatican.va/holy_f…, p. 5.

10 Message du Pape Jean-Paul II pour la célébration de la XXXIIIème journée mondiale de la
paix. « Paix sur la Terre, aux hommes que Dieu aime ! » Le 1er janvier 2000.
http://www.vatican.va/holy_…, p. 2.

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