Paradoxe de l’exercice du pouvoir en Iran : le Président est élu, le Guide décide

Morteza ANSARI

Decembre 2005
Depuis la révolution de 1979 en Iran et l’instauration de la République islamique, le peuple iranien a été consulté 23 fois. Trois fois par référendum : celui du changement de régime,1 celui approuvant la Constitution,2 et enfin le référendum portant sur la révision constitutionnelle.3 Huit fois pour désigner un Président de la République. Le 17 juin 2005, les Iraniens devront participer à la 9ème élection présidentielle.

Les Iraniens ont élus 7 législatures, la dernière législature a été élue le 20 février 2004.

Les conseils régionaux, départementaux et communaux sont, depuis 1999, élus directement par le peuple, depuis cette date le pays a organisé deux élections régionales.

Enfin, trois « assemblées des experts » chargées de désigner et de contrôler le Guide de la République islamique ont été élues par le peuple.

Malgré ces nombreuses élections, le système constitutionnel iranien ne permet pas aux électeurs d’imposer la volonté générale, l’essentiel de la politique du pays n’est pas décidé par les instances élues directement par le peuple.

Dans la République islamique nous avons, comme dans les régimes « modernes » un pouvoir législatif, avec une seule chambre à savoir l’assemblée islamique ; un pouvoir judiciaire et un pouvoir exécutif représenté par le président de la République islamique et ses ministres. En plus de ces organes « classiques », il existe aussi le Guide de la révolution avec un pouvoir considérable. Un pouvoir exercé soit directement par lui-même soit indirectement pas les instances dont les membres sont désignés par le guide sans aucune consultation préalable ni la prise en compte de la volonté générale.

Cette combinaison particulièrement astucieuse permet à la République islamique d’avoir une apparence presque honorable d’un point de vue démocratique, en raison par exemple de la fréquence des consultations populaires, mais un fond qui ne prend pas en compte la volonté générale et les souhaits des citoyens et reste à la disposition et au bon vouloir d’une oligarchie extrêmement minoritaire mais puissante dans le pays. Autrement dit, le peuple est consulté régulièrement mais quel que soit le résultat de son vote, la politique menée ne change pas ou peu. Ainsi, malgré l’apparence le fonctionnement n’a rien à voir avec un régime parlementaire (ou présidentiel) et encore moins avec un régime tout simplement démocratique.

L’assemblée législative est soumise au contrôle systématique du « Conseil des gardiens » dont les membres sont désignés directement ou indirectement par le Guide et n’ont donc aucune légitimité démocratique. Ils ne sont pas issus d’un quelconque suffrage.

Le chef du pouvoir exécutif, le président de la République, n’est qu’un exécutant des décisions prises essentiellement par le guide et le « Conseil de discernement de l’Intérêt du Régime »4 dont les membres sont choisis de manière discrétionnaire par le guide lui-même.

Le Guide, lui est désigné par l’assemblée des Experts dont les candidats sont présélectionnés par le « Conseil des Gardiens ». Un Conseil dont six des 12 membres sont désignés directement par le Guide lui même et les 6 autres par les autorités mises en place par le Guide ! En d’autre terme le Guide participe activement à l’élection d’une assemblée dont le rôle est de le contrôler ! C’est un « auto-contrôle » qui échappe parfaitement à la volonté du peuple.

Le personnage de l’Etat iranien dont la légitimité démocratique, du moins en théorie, paraît le moins contestable est le Président de la République islamique. Le 17 juin 2005 les Iraniens sont invités à élire pour la neuvième fois un Président. Beaucoup d’Iraniens sont convaincu de l’inutilité de leur vote et ne participerons pas à ses élections, d’autres irons voter. Ces élections ne concernent pas que les Iraniens, en raison de la situation particulière de la région, la communauté internationale semble suivre attentivement l’évolution de la situation iranienne. Nous essayerons d’étudier les conditions dans lesquelles se déroule une élection présidentielle sous la République islamique (I) avant d’aborder la réalité du pouvoir du président de la République islamique (II).

Déroulement des élections présidentielles

Le président de la République islamique est élu au suffrage universel direct pour une durée de quatre ans renouvelable consécutivement qu’une seule fois.5

L’élection du Président est organisée par le ministère de l’Intérieur sous le contrôle strict du Conseil des Gardiens qui joue un rôle déterminant tout au long du processus électoral.

A – Contrôle des candidatures

Le contrôle des dossiers de candidature s’effectue en deux phase, alors que le ministère de l’Intérieur chargé d’organiser les élections intervient dans une première phase, le Conseil des Gardiens intervient de manière décisive dans une seconde phase.

1 ) Contrôle par le ministère de l’Intérieur

La première étape du contrôle des candidatures est confiée au ministère de l’Intérieur chargé d’organiser les élections, c’est à ce ministère que les dossiers des candidats sont déposés dès l’annonce de la date d’ouverture de candidature. Le ministère de l’Intérieur vérifie si les candidats remplissent les conditions requises par la loi.

Le principe 115 de la Constitution de la République islamique dispose que « le Président doit être élu parmi les personnalités6 politico-religieuses réunissant les conditions suivantes : iranienne d’origine, de nationalité iranienne, administrateur et visionnaire, ayant de bons antécédents, digne de confiance, vertueux, croyant et voué envers les fondements de la République islamique d’Iran et à la religion officielle du pays ».7 Par ailleurs, la loi électorale prévoit d’autres conditions telles que les conditions d’âge et de diplôme.

Il appartient au ministère de l’Intérieur d’éliminer, par exemple, toute candidature appartenant à une minorité religieuse du pays. En conséquences, une candidature émanant d’un musulman sunnite, minorité religieuse constituant 20% de la population, sera écartée par ce ministère, pour les candidats non musulman la solution est encore plus évidente.

Au vu de la pratique constitutionnelle, il est permis de penser que le ministère de l’Intérieur vérifie, pour chaque dossier de candidature, la réunion des conditions objectives telle que l’âge, le diplôme, la nationalité et la religion. En revanche pour les autres conditions, le Conseil de Gardiens effectue son contrôle draconien.

2) Contrôle du Conseil des Gardiens

Le Conseil intervient dans une deuxième phase et étudie les dossiers transmis par le ministère de l’Intérieur. Ce contrôle est prévu par le principe 110 – 9° de la Constitution. Selon cet alinéa « les qualités requises des candidats à la Présidence de la République au regard des conditions qui sont énumérées dans cette même constitution doivent être confirmées par le Conseil des Gardiens avant les élections».

Conformément à l’interprétation du Conseil des Gardiens les femmes iraniennes n’ont pas le droit de se présenter aux élections présidentielles, cette exclusion s’ajoute à celle concernant les minorités religieuses.

Lors des élections de printemps 2001, le Conseil des Gardiens a éliminé la candidature d’une candidate en interprétant de manière restrictive le mot de « personnalité » figurant dans le principe 115 de la Constitution.8 Ce n’était pas la première fois qu’une candidate voyait se déclarer « incompétente » pour participer aux élections présidentielles. Déjà, lors des élections de mai 1997 le Conseil avait écarté la candidature d’une femme iranienne. Pour les élections du 17 juin 2005, une députée iranienne, Madame Rafat Bayat, compte s’inscrire afin de provoquer une nouvelle décision du Conseil des Gardiens en ce domaine.9

Il est à noter que le rôle du Conseil des Gardiens va au-delà d’un simple contrôle de formalité. Selon la Constitution les candidats doivent croire dans les fondements de la République islamique et être particulièrement attachés. Indépendamment du fait que la recherche de la croyance d’une personne, fut-elle candidate à la Présidence, relève de l’inquisition et à ce titre contraire à la Déclaration des droits de l’Homme ; comment peut-on constater que le candidat est effectivement « croyant et voué envers les fondements de la République islamique d’Iran » ? Cela est d’autant plus difficile que d’une part, « les fondements de la République islamique d’Iran » ne sont précisés, en tant que tels, dans aucun texte de valeur constitutionnelle et que d’autre part, ces fondements varient selon chaque époque.

Au fil des ans le Conseil des Gardiens a proposé une interprétation de plus en plus restrictive du dernier alinéa du principe 115 de la Constitution. L’interprétation est non seulement contestable en raison du caractère partisan de la définition adoptée par le Conseil, mais aussi en raison de l’exigence d’une croyance profonde et notoire des candidats en des fondements qui varient constamment.

Ainsi par exemple, alors que lors de la première élection présidentielle en République islamique, en janvier 1980, les candidats de l’opposition ont pu participer aux élections, et donc semblaient croire en ces « fondements », lors des sept autres élections suivantes aucune personnalité de l’opposition n’a vu sa candidature confirmée par le Conseil des Gardiens. Selon ce Conseil ces candidats ne remplissaient pas cette condition et ne croyaient donc pas en ces « fondements ».

Le Conseil des Gardiens mesure l’existence de cette croyance selon que le candidat lui est politiquement proche ou non. Un candidat appartenant au camp des conservateurs n’a aucun souci en ce qui concerne la « confirmation de sa compétence ». En revanche un candidat appartenant au camp réformateur du régime risque d’être écarté de la compétition électorale.

En ce qui concerne l’opposition iranienne, la solution semble évidente. Lors des élections du 23 mai 1997 sur 238 dossiers de candidatures déposés à l’inscription, après l’examen par le Conseil des Gardiens, seuls quatre candidats, dont M. Khatami et trois candidats appartenant au camp de la droite, ont été reconnus aptes à se présenter devant les électeurs. Le seul candidat de l’opposition légaliste a été écarté.

Pour l’élimination du candidat de l’opposition légaliste10 le Conseil des Gardiens n’a pas limité son examen à la constatation ou non de la réunion des conditions prévues par le principe 115 de la Constitution, il a exigé, en outre, des conditions supplémentaires nettement plus strictes que celles prévues par la Constitution elle-même.

En effet, le Conseil a refusé de reconnaître l’aptitude de ce candidat dont la participation à la révolution est indéniable, au motif qu’il ne croit pas profondément aux bases théoriques de la République islamique. Il s’agissait manifestement d’une nouvelle condition imposée par le Conseil. Aucune disposition de la loi fondamentale ne permet d’exiger une telle croyance. La présence des personnalités politiques issues de différentes familles politiques lors de la première élection présidentielle démontre qu’il s’agit bien d’une nouvelle condition, (ou d’une nouvelle interprétation) dont la constitutionnalité est discutable. L’examen approfondi et détaillé des convictions profondes de chacun des candidats est d’autant moins justifiable que le délai imparti au Conseil n’est en principe que de cinq jours !11

En conséquence, un candidat affirmant respecter la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution, ne sera pas pour autant considéré comme remplissant les conditions du principe 115 de la Constitution. Comme nous l’avons dit, dans la pratique une telle candidature a été rejetée au motif que le candidat « ne croit pas profondément aux fondements de la République islamique ». Le Conseil semble confondre la « croyance aux fondement de la République islamique » et l’allégeance la plus absolue du candidat à l’égard des autorités en place, notamment à l’égard du Guide leur supérieur hiérarchique. Ceci aboutit à exclure de la compétition électorale, non seulement des opposants mais aussi tout homme politique dont le programme risque de contredire les points de vus du Guide.

Pour être candidat aux élections présidentielles iraniennes, faut-il avoir l’obéissance et l’obédience à l’égard du guide de la révolution ? Peut-on prétendre que de ce seul fait, les élections en République islamique d’Iran ne constituent qu’une façade honorable dépourvue de tout contenu démocratique ? Cependant les « anomalies » vont au-delà de ce que nous avons exprimé plus haut.

Les critères du Conseil des Gardiens pour éliminer les candidats sont particulièrement opaque. Il refuse de se soumettre à la loi électorale décidée par le régime lui-même ! Selon cette loi, le Conseil doit fonder sa décision sur la réponse obtenue de l’une des quatre autorités compétentes.12 Au lieu d’appliquer la loi, le Conseil procède de manière autonome. Plusieurs unités de recherche et de renseignement ont été créées malgré l’opposition du gouvernement Khatami. Ces unités, totalement dépendantes du Conseil des Gardiens, font des investigations parallèles à celles prévues par la loi électorale et vérifient la vie privée et publique des candidats et échappent à tout contrôle légal.

C’est grâce à ces unités que lors des élections législatives du 20 février 2004, de nombreux candidats réformateurs ont été éliminés de la compétition électorale sur le fondement des rapports présentés par elles. Ces unités sont à nouveau actives pour les élections présidentielles de juin prochain. À l’occasion des élections du 17 juin prochain, non seulement l’un des candidats modérés, M. Ibrahim Yazdi, ancien ministre des affaires étrangères sous le gouvernement Bazargan, risque être écarté de la compétition, mais encore le candidat des réformateurs est sous la menace d’exclusion.

Le pouvoir du Conseil des Gardiens en matière d’élection, comme d’ailleurs dans d’autre domaine, est un pouvoir discrétionnaire. Le Conseil ne prouve pas ses prétentions, ses décisions ne sont ni motivées, ni communiquées aux candidats éliminés. Pourtant, selon la loi électorale, les candidats peuvent demander au Conseil de leur communiquer les fondements de la décision de l’incompétence dont ils ont été victimes. À l’occasion de la dernière élection législative, plusieurs candidats déclarés « incompétents » par le Conseil ont demandé sans succès les raisons pour lesquelles leur dossier de candidature avait été écartés. Ils ont dû se contenter d’une réponse vague et imprécise mais tout autant virulente de la part de l’un des membres influents du Conseil des Gardiens.

Enfin lors de la campagne électorale qui se déroule avant l’examen des dossiers de candidature par le Conseil des Gardiens, les postulants sont très prudents quant à leur programme politique. L’une des raisons de cette prudence réside dans le fait que ce programme peut constituer une preuve pouvant desservir le candidat et entraîner son élimination par le Conseil des Gardiens ! En conclusion, pour participer aux élections présidentielles sous la République islamique il ne suffit pas d’être un partisan du régime ni un ancien ministre de ce régime ni même appartenir à la classe dirigeante. Il faut faire partie d’un cercle particulièrement restreint et il faut que le Conseil des Gardiens et le Guide aient une confiance sans faille à l’égard des candidats, c’est seulement après qu’il est permis au peuple de se prononcer. Le filtrage minutieux des candidats par un Conseil dont la légitimité démocratique est à démontrer enlève tout intérêt à une « élection » au « suffrage universel direct ».

 

B – Contrôle du déroulement et du résultat des élections

 

1) Contrôle du déroulement

Le Conseil des Gardiens surveille le déroulement des élections présidentielles.13 Pour les élections du 17 juin 2005, le nombre des surveillants pour chaque bureau de vote est cinq fois supérieur au nombre des agents chargé de l’organisation du vote !

Cette surveillance est tellement importante pour la droite iranienne, siégeant à l’assemblée islamique, que le budget qui lui est consacré est deux fois plus important que celui accordé au ministère de l’Intérieur (réformateur) chargé de l’organisation des élections. Dans un entretien publié le 4 mai dernier, le ministre iranien de l’Intérieur précisait que l’assemblée islamique avait attribué un budget de « 16 milliards de toumans pour la surveillance des élections et 8 milliards pour l’organisation de ces mêmes élections, alors que l’organisation exige 10 fois plus de travail que la surveillance ».

 

On ne peut que constater que dans un régime dont les principes théoriques sont fondés sur les valeurs hautement « spirituelles » les institutions étatiques ne se font pas confiance et le risque de fraude électorale semble particulièrement élevé.

 

2) Contrôle du résultat

Il ne s’agit pas ici du contrôle du résultat de l’opération de vote des électeurs. Cette responsabilité incombe au Conseil des Gardiens. Lors des élections législatives en 2000, le Conseil a modifié les résultats en supprimant du décompte le vote de plusieurs centaines de milliers d’électeurs. Cependant une telle intervention manifestement discutable ne s’est pas encore produite pour les élections présidentielles. Quoi qu’il en soit, nous n’étudions pas ici cette attribution du Conseil des gardiens. Nous visons là le pouvoir du guide dans l’investiture du Président.

La date du début du mandat présidentiel est celle de son « investiture » par le Guide.14 La question de « l’investiture » du président élu par le guide n’avait jamais été évoquée avant les élections de 1997. Lors de ces élections, contrairement aux attentes des conservateurs, le candidat des réformateurs, M. Khatami, a été élu. Surprise par le résultat, une partie des « dignitaires » de la République islamique a clairement laissé entendre que le choix du peuple n’a aucune valeur tant qu’il n’est pas approuvé par le guide de la révolution ! Jusqu’à cette date on croyait que la signature du guide n’était qu’une formalité.

Le principe 110 de la Constitution est celui qui prévoit les attributions du Guide. Il dispose dans son 9° alinéa que « la signature de l’Acte de la présidence après son élection par le peuple » fait partie des attributions du guide de la révolution.

Le Conseil des Gardiens, l’autorité qui interprète la Constitution, considère que les attributions du guide énumérées dans le principe 110 de la loi fondamentale constituent « le plancher » des pouvoirs du Guide. Autrement dit le guide de la révolution peut outrepasser ses attributions sans que cela puisse être considéré comme une violation de la Constitution.

 

À partir de cette interprétation, la signature de l’Acte de la présidence (son investiture) prévue par le principe 110 fait partie des pouvoirs discrétionnaires du Guide. Il peut donc refuser l’investiture du président élu. Le guide aurait donc un pouvoir absolu pour ne pas dire arbitraire, un pouvoir qui peut parfaitement aller à l’encontre de la volonté générale exprimée lors des élections présidentielles. Cette situation est d’autant plus étonnante que le guide, par le biais du Conseil des Gardiens, contrôle tout le processus électoral.

L’interprétation donnée par le Conseil est contestée par une partie des « dignitaires » mais surtout par une majorité écrasante des hommes politique et religieux du pays. Cependant, l’autorité compétente pour interpréter la Constitution reste le Conseil des Gardiens dont la désignation des membres dépend de la volonté du Guide. Il y a une certaine logique à ce que ses membres renforcent le pouvoir du guide qui peut être considéré comme leur supérieur hiérarchique !

 

Contrôle de l’activité de « l’aile démocratique » de l’exécutif

A – Contrôle du Président et de son Gouvernement

Malgré le contrôle des élections présidentielles par le Conseil des Gardiens, et bien que le président de la République islamique soit élu directement par le peuple, il n’est pas à l’abri des pressions politiques émanant d’institutions dont la légitimité démocratique reste à démontrer.

Le président, élu au suffrage universel direct, a une responsabilité politique, il est révocable. Il ne peut pas choisir librement les membres de son gouvernement. À cet égard, il dépend à la fois du guide et de la majorité parlementaire. Certains domaine de la politique nationale lui échappe totalement ou partiellement. L’application du programme gouvernemental, par le biais des projets de loi reste à la merci et au bon vouloir du Conseil des Gardiens. Le gouvernement ne dispose pas de moyen de communication et ne peut communiquer avec les citoyens pour leur expliquer son programme. Les grandes orientations de la politique de la nation ne sont pas décidées par le gouvernement. Le président de la République islamique d’Iran n’est efficace que s’il décide d’appliquer la politique du Guide, autrement il sera paralysé par les instances non élues. Le président de la République islamique tout en ayant une lourde responsabilité « politique » (A) ne dispose de réels pouvoirs que s’il s’adapte au programme et à la politique décidé par le guide et « ses organes » non élus (B).

  • – La responsabilité du Président

Nous étudierons ici la responsabilité du Président telle qu’elle est prévue par la Constitution. Cette précision s’explique par le fait que, dans la pratique institutionnelle, nous avons pu constater que le président a en outre une responsabilité qui n’est fondée sur aucun texte. En effet, lors des contestations populaire d’été 1999, l’attitude du Président face aux manifestants a été très vivement critiquée par les chefs des forces de l’ordre et le haut commandement des « pasdarans » qui dans un communiqué ont exigé que le Président prenne des mesures répressives à l’encontre des manifestants. Ce communiqué très menaçant a été interprété comme une ingérence directe des militaires dans la politique du pays.

En ce qui concerne la responsabilité du Président telle qu’elle est prévue par la loi fondamentale, le principe 122 de la Constitution de la République islamique dispose que le président de la République « dans la limite de ses attributions et de ses devoirs » est responsable « devant la nation, le guide et l’assemblée islamique ». Par ailleurs le principe 134 de la Constitution prévoit la responsabilité du gouvernement devant l’assemblée islamique. Si la responsabilité du Président devant la nation et celle du gouvernement devant l’assemblée islamique n’ont pas d’effets directs sur le sort personnel du Président, la responsabilité de ce dernier devant le guide peut en revanche entraîner sa révocation.

  • – Responsabilité devant la nation et ses représentants

a – Devant la nation

La Constitution énonce le principe de la responsabilité du Président devant la nation mais elle ne prévoit pas les modalités de sa mise en œuvre. Il en résulte que le seul moyen pour « la nation », si elle désire remettre en cause la responsabilité du Président, consiste à ne pas élire ce dernier s’il brigue un nouveau mandat. Cela exclut la possibilité de la remise en cause effective de la responsabilité politique du président devant la nation lorsque celui-ci exerce son deuxième mandat. D’après certains auteurs, il ne s’agit là que d’une responsabilité morale du Président.15

 

b – Devant l’assemblée islamique

La responsabilité devant l’assemblée islamique comporte deux volets. L’un concerne la responsabilité classique prévue dans les régimes parlementaires (vote de confiance et la motion de censure contre le gouvernement) et l’autre, directement liée au statut personnel du Président, entre dans le cadre de la responsabilité devant le Guide.

La Constitution prévoit la responsabilité du Président en tant que chef du gouvernement, devant l’assemblée islamique.16 Selon ce principe « le Président de la République est responsables devant l’assemblée pour les actions du Conseil des ministres ». Il s’agit tout simplement de la responsabilité collégiale du gouvernement devant la chambre basse. Cependant, contrairement au régime parlementaire classique où le désaveu de la chambre entraîne le départ du gouvernement et du Premier ministre, sous la République islamique le Président reste en place malgré le vote d’une motion de censure contre son gouvernement. Théoriquement la motion de censure concerne ses collaborateurs (les ministres) et non le Président lui-même !

Dans une telle hypothèse, faute d’un premier ministre, seul le gouvernement (l’ensemble des ministres à l’exclusion du président) est renversé, le chef du gouvernement, le président de la République, reste en place et doit constituer un nouveau gouvernement qui sera investi de nouveau par l’assemblée islamique.

La responsabilité politique des ministres devant l’assemblée islamique, alors que le poste du Premier ministre a été supprimé lors de la révision de la Constitution en 1989, est une anomalie constitutionnelle, et peut aboutir à des situations aberrantes. Concrètement, depuis les élections du 20 février 2004 la majorité du parlement iranien est détenue par les « conservateurs ». Dans l’hypothèse où les élections présidentielles du 17 juin prochain sont remportées par les réformateurs, un président réformateur devra s’entendre avec un parlement conservateur hostile.

Pour obtenir le vote de confiance des parlementaires, le nouveau président devra choisir ses ministres parmi les conservateurs ! Autrement dit, un président réformateur va devoir travailler avec des ministres qui lui sont hostiles. Ce collège composé du Président et des ministres qui lui sont hostiles, appliquera-t-il le programme de la majorité parlementaire ou celui du Président, les deux programmes étant par hypothèse différents ? S’il applique le premier, cela revient à admettre « l’inutilité » du Président dans une telle hypothèse. L’application du deuxième est un non sens. La troisième solution consiste à ne pas gouverner mais gérer les affaires courantes !

Mais alors que l’assemblée peut renverser le gouvernement, la Constitution iranienne ne prévoit pas la possibilité de la dissolution de l’assemblée par l’exécutif, d’où un déséquilibre manifeste en faveur du législatif. Ainsi, le conflit entre le Président et l’assemblée ne peut être réglé que par la soumission du Président à la chambre. En effet le système d’investiture individuel des ministres contraint le Président à former un gouvernement dont les membres seront choisis parmi les hommes de confiance de la majorité parlementaire hostile au Président. Il devra présider un conseil des ministres dont les membres sont ses adversaires politiques. À première vue, on aurait pu croire qu’il ne s’agit tout simplement que d’une sorte de « cohabitation » à la française.

À la différence de la Constitution de la 5ème République, la Constitution de la République islamique prévoit que le Président « en collaboration avec les ministres, détermine le programme et l’orientation du gouvernement ».17 Ainsi, contrairement à la cohabitation française, la charge de la détermination de la politique du gouvernement incombe essentiellement au Président et non au gouvernement. Dés lors il paraît paradoxal de permettre à l’assemblée islamique d’imposer au Président des collaborateurs qui lui sont hostiles, alors qu’il reste néanmoins, pour le peu de domaine où il peut décider, le véritable décideur au sein de cet organe collégial qu’est le gouvernement. Ainsi les ministres investis par l’assemblée doivent, théoriquement du moins, collaborer étroitement avec un président dont ils n’approuvent pas le programme !

 

Il est cependant incontestables qu’en cas de concordance entre la majorité parlementaire et le Président, la responsabilité politique de ce dernier renforce sa position au sein du gouvernement et accroît son autorité face aux autres organes étatiques. Il n’en reste pas moins discutable de rendre le Président dont la légitimité démocratique émane directement du peuple, responsable politiquement devant une assemblée qui ne semble pas plus légitime que le président et qui par ailleurs ne peut pas être dissoute par l’exécutif. Cette situation est en partie due à la suppression, lors de la révision de 1989, du poste du Premier ministre prévu dans la version originelle de la Constitution.

Lors de la révision constitutionnelle en 1989, le poste de Premier ministre a été supprimé et le pouvoir du Président de la République islamique renforcé. Avec cette révision on a transféré les attributions du Premier ministre au Président tout en conservant la responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée islamique. Comme nous l’avons précisé plus haut, si au cours d’une législature, un nouveau président dont la majorité de l’assemblée lui est hostile, entre en conflit avec celle-ci, il ne possède aucun moyen légal pour contourner l’hostilité du parlement iranien. Face à cette assemblée, il devra s’effacer alors que sa légitimité reste entière.

En conclusion on peut prétendre que la régime iranien, à cet égard, ne ressemble ni à un régime parlementaire, ni à un régime présidentiel ni même à un régime « semi parlementaire-semi présidentiel » tel que la 5ème République française.

 

3 – Révocabilité du Président

Alors que le principe 122 de la Constitution évoque la responsabilité du Président, le principe 110 prévoit la révocation du président de la République islamique par le guide. La révocation par le guide interviendra soit à la suite du vote par l’assemblée islamique d’une motion d’incompétence à son encontre soit sur décision de la Cour de cassation pour non respect, par celui-ci, de ses devoirs légaux. Ainsi l’initiative de révocation du président appartient conjointement à l’assemblée islamique et à la Cour de cassation.

 

a – Vote d’une motion d’incompétence

Il s’agit d’une sorte d’interpellation du Président en tant que deuxième personnage de l’exécutif iranien. Le principe 89 de la Constitution prévoit que le Président dans le cadre de ses devoirs et de sa « gestion envers le pouvoir exécutif » peut faire l’objet d’une motion d’incompétence.

Ces précautions prises à l’égard d’une institution qui, dans la rédaction initiale de la constitution de la République islamique, ne possédait pas de pouvoir déterminant peut s’expliquer par l’extrême méfiance des révolutionnaires à l’égard du suffrage universel direct. Ainsi le Président peut être interpellé par l’assemblée, alors que sa légitimité démocratique, abstraction fait des conditions préélectorales imposées par le Conseil des Gardiens, ne fait aucun doute et qu’en raison de son mode d’élection et compte tenu du texte constitutionnel, il n’est pas tenu d’appliquer la politique de la majorité parlementaire.

L’initiative de l’interpellation appartient à au moins cent députés. La Constitution prévoit un délai d’un mois pour que le président prépare sa défense et se présente devant l’assemblée islamique. La longueur de ce délai témoigne de la gravité d’une telle action. La votation est publique et la motion d’incompétence du président, pour être adoptée, doit obtenir le vote favorable des deux tiers des membres de l’assemblée.

Cette procédure essentiellement politique a été mise en oeuvre une seule fois contre le président Bani Sadr en 1981.18 Il s’agissait alors d’un conflit profond qui opposait le président Bani Sadr à l’assemblée islamique. La majorité parlementaire a voté la motion d’incompétence du Président et le guide de la révolution l’a aussitôt démis de ses fonctions. Ensuite les forces de l’ordre devaient le rechercher pour le traduire devant le tribunal révolutionnaire, alors qu’il ne s’agissait qu’un différend politique et qu’aucun texte ne prévoyait une telle poursuite !

Il convient de relever cependant que les élections législatives s’étaient déroulées postérieurement à l’élection présidentielle et que la majorité parlementaire soutenait que le président refusait de se soumettre à cette nouvelle majorité. Cependant faute de réel pouvoir exécutif, la non soumission du président n’aurait pas dû constituer un obstacle significatif au fonctionnement normal des institutions.

S’agissant d’un vote sur la personne même du Président, la motion d’incompétence n’a aucun effet sur la vie du gouvernement et n’entraîne pas le renversement de celui-ci. L’assemblée ne peut, avant l’élection du nouveau président, interpeller les ministres, ni voter une motion de censure à l’encontre du gouvernement.19 Après le vote de l’assemblée, il appartient au guide de décider, « compte tenu des intérêts du pays », la révocation du président conformément au principe 110 de la Constitution.

Lors de la destitution du président Bani Sadr, le guide était lui-même favorable au vote de la motion d’incompétence. On peut cependant s’interroger sur l’attitude du guide dans l’hypothèse où il n’approuve pas l’action de l’assemblée. Peut-il s’opposer à la destitution du président et ne pas révoquer le président malgré le vote hostile de l’assemblée ? Si on se fonde sur les pouvoirs du Guide tels qu’ils sont interprétés par le Conseil des Gardiens, une interprétation très généreuse, il ne fait aucun doute que la révocation du président est un pouvoir discrétionnaire du Guide.

Autrement dit le vote de la motion d’incompétence de l’assemblée islamique à l’encontre du président n’aboutit à la révocation de ce dernier que si le guide est favorable lui-même à cette révocation. Dans le cas contraire, malgré le vote hostile de l’assemblée, le président ne sera pas révoqué. Ainsi, le guide n’étant pas lié par le vote de l’assemblée, peut ne pas révoquer le président. En d’autre terme et en définitive, la révocation du président ne dépend pas de l’assemblé, organe par hypothèse démocratique, mais de la seule volonté du Guide.

 

b – Révocation à l’initiative de la Cour de cassation

La Constitution prévoit que le Guide peut révoquer le Président de la République « à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation ». Il s’agit d’une sorte de contrôle judiciaire du président en ce qui concerne ses obligations légales. C’est l’hypothèse dans laquelle le président ne remplirait pas ses devoirs légaux et violerait les dispositions constitutionnelles. Il en est notamment ainsi lorsque par exemple il refuse de promulguer des lois, ou de nommer des ambassadeurs etc.

En effet, le seul domaine où la Cour de cassation juge au fond, concerne les manquements du président dans l’accomplissement de ses devoirs et le non respect de ses attributions.20 La loi ne fixe ni les modalités ni la procédure de mise en cause du président. Ici encore, la décision définitive appartient au guide. C’est le Guide qui décidera de la révocation du Président. Compte tenu de l’influence considérable du Guide au sein du pouvoir judiciaire et compte tenu de l’absence d’esprit d’indépendance dont ce pouvoir fait preuve, il est claire que la Cour de cassation n’engagera un tel procès à l’encontre du Président qu’en accord avec le Guide. En conclusion on peut prétendre que la destitution du Président dépend, là encore, de la volonté du guide.

L’ensemble de ces dispositions aurait pu se justifier si le président de la République islamique d’Iran bénéficiait d’attribution importantes et d’un pouvoir réel au sein de l’Etat iranien. Cependant, l’étude de la Constitution et de la pratique institutionnelle nous incite à rester prudent sur l’importance du pouvoir présidentiel en Iran.

 

B – Les pouvoirs limités du Président

Nous ne voulons pas énumérer ici l’ensemble des attributions du président de la République islamique. Nous préférons démontrer les importantes limites que lui sont imposées dans l’exercice de son mandat.

 

1 – Rôle en matière constitutionnelle

Le président joue un rôle secondaire en cette matière. Il organise d’une part la révision constitutionnelle et fait respecter d’autre part, sans moyens efficaces, la Constitution.

 

a – L’exécutant du guide en matière de révision constitutionnelle

L’initiative de la révision n’appartient pas au Président. Le principe 177 de la Constitution prévoit que le Guide « après consultation du Conseil de discernement fixe les points dont la modification est souhaitée et charge le président de la République de les transmettre au Conseil de révision ».

Le président ne joue aucun rôle significatif. Il n’est qu’un exécutant de l’ordre du Guide. Son rôle en tant que président, se limite à mettre en œuvre la révision dont le contenu et la mise en place sont décidés par le guide sans même une consultation préalable avec le président. Le président provoquera la réunion du Conseil de révision, transmettra le message du guide, présentera les décisions du Conseil, pour approbation, au Guide, organisera le référendum et enfin proclamera son résultat. Dans ce domaine le président élu au suffrage universel direct n’est qu’un homme de main du guide.

 

b – Le gardien désarmé de la Constitution

Les constituants ont placé la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes. La Constitution reconnaît par ailleurs la suprématie de la charia sur elle-même et sur les lois ordinaires et prévoit la mise en place d’un organe (Conseil des Gardiens) chargé de contrôle de la constitutionnalité des lois et de leur conformité à la charia.

Parallèlement, la Constitution confie au président de la République islamique le rôle de veiller à sa bonne application. Elle prévoit que « la responsabilité de l’application de la Constitution incombe au président de la République ».21 La loi fixant les devoirs et les responsabilités du président précise les modalités d’application de ce rôle présidentiel.

L’article 13 de cette loi dispose que « afin de permettre le respect et la bonne application de la Constitution, le président de la République, par sa surveillance, par la réunion des informations, par l’enquête, par l’instruction des dossiers et par toute action rendue nécessaire est responsable de l’exécution de la Constitution ».

L’article 14 de la même loi prévoit qu’en cas de manquement, de violation ou d’inexécution de la Constitution, le Président de la République peut avertir le contrevenant ou ordonner des poursuites judiciaires à son encontre.

 

Le pouvoir du président en cette matière vise de toute évidence les pouvoirs publics. D’abord parce qu’en principe les citoyens ne sont pas susceptibles de violer la Constitution. Ensuite parce que en ce qui concerne les conflits opposant les particuliers à l’administration, les autorités judiciaires sont chargées de régler les différends. Et enfin, en tant que chef du gouvernement il est le mieux placé pour connaître la violation de la Constitution par les autorités de l’Etat.

Cependant le Président, gardien de la Constitution ne dispose d’aucun moyen efficace pour faire cesser la violation de la Constitution. Il ne peut que « mettre en garde » ou « avertir ». Le caractère non coercitif de ces mesures diminue considérablement leur effet. Cela d’autant plus que le radio et la télévision publique lui échappent complètement. Privé de moyen de communication avec les citoyens, la dénonciation, l’avertissement et la mise en garde du président restent lettres mortes.

L’expérience de la présidence de Khatami a clairement démontré qu’en cette matière le président ne peut pas empêcher la violation de la Constitution. Ses contestations en matière des poursuites judiciaires dont les députés réformateurs ont été victimes n’ont aboutit à aucun résultat concret. Ses avertissements sur la torture et le mauvais traitement des prisonniers n’ont jamais été pris au sérieux. Les journaux réformateurs sont toujours interdits malgré les contestations du président et ses mises en garde sur la nécessité de respecter la liberté de la presse prévue par la Constitution.

 

2 – Rôle limité dans la détermination de la politique de la nation

En ce qui concerne la politique menée sous la république islamique, il convient d’opérer une distinction importante. Il existe d’une part les grandes orientations de la politique du pays décidées par les instances non élus dont la composition échappe aux électeurs, et d’autre part, la politique du gouvernement décidée en principe par le président.

 

a – Aucun rôle dans l’élaboration de la politique générale du pays

Le Président de la République islamique ne joue aucun rôle dans la détermination des grandes orientations de la politique générale du régime. Ce rôle est confié, conformément à l’article 110 de la constitution au Guide. Il appartient au sommet du régime de déterminer cette politique « après consultation du Conseil de discernement ».

Le « Conseil de discernement de l’Intérêt du Régime » est un organe constitutionnel dont les membres sont désignés directement par le guide sans aucune consultation préalable. Le guide nomme les personnes de son choix et décide discrétionnairement de leur nombre. Ainsi, alors que le premier Conseil de discernement était composé de 12 membres, le suivant en comptait 20. Il comprend actuellement une trentaine de personnalités de la classe dirigeante (religieux, civils et militaires) dont la grande majorité est proche de la droite iranienne. La composition de l’actuel Conseil de discernement a été annoncée en mars 1997. Il est présidé par l’ancien président Rafsandjani.

Il est important de noter que le pouvoir du Guide dans la détermination de la politique générale du pays est bien un réel pouvoir. Le même principe 110 de la Constitution prévoit dans son 2° que le guide doit superviser la bonne exécution des grandes orientations de la politique générale du régime. La mise en œuvre de cette mesure confiera encore davantage du pouvoir au guide de la révolution. Enfin, la politique du gouvernement ne doit pas contredire cette politique générale.

 

b – Rôle variable dans l’élaboration de la politique du gouvernement

Le principe 134 de la Constitution prévoit que « la présidence du conseil des ministres incombe au président de la République qui contrôle l’activité des ministres, prend les mesures nécessaires et coordonne les décisions prises par les ministres et le conseil des ministres. En collaboration avec les ministres il détermine le programme et la ligne de conduite du gouvernement et applique les lois ».

 

Ainsi le président élu au suffrage universel direct, le personnage de la République islamique dont la légitimité démocratique est en théorie le moins contestable, ne détermine pas la politique de la nation. Il détermine le programme de son gouvernement en collaboration avec ses ministres et en accord avec une politique générale décidée par le guide après consultation d’un organe dont les membres n’ont aucune légitimité démocratique !

 

Mais, même en ce qui concerne le programme et la ligne de conduite du gouvernement, le président ne joue pas toujours un rôle déterminant.

Il convient de distinguer deux hypothèses. L’hypothèse dans laquelle la majorité de l’assemblée islamique soutient le président et l’hypothèse dans laquelle la majorité parlementaire lui est hostile.

Lors de l’étude de la responsabilité politique du gouvernement, nous avons clairement démontré qu’en cas de la présence d’une majorité hostile à l’assemblée islamique, le rôle du président dans la composition, et a fortiori dans la détermination du programme du gouvernement est réduit considérablement. Comment peut-on envisager un quelconque rôle significatif pour un président dont les membres de son gouvernement, en raison de leur responsabilité politique envers le parlement, sont choisi parmi ses adversaires ? Ces ministres ne bénéficient de la confiance de la majorité parlementaire que parce qu’ils appliquent le programme de cette majorité et non celui du président.

Lorsque l’on se trouve dans l’hypothèse où il est soutenu par l’assemblée, ce n’est pas pour autant que le président de la République islamique jouit de pouvoir important.

Si le président et la majorité parlementaire appartiennent les deux à la même famille politique, mais qu’ils sont politiquement hostile au guide, l’application du programme gouvernemental sera entravée par les « organes du guide » et notamment par le Conseil des Gardiens, organe non élu composée des dignitaires qui ne s’expose jamais au vote du peuple.

 

En effet de 2000 à 2004, le président réformateur Khatami soutenu par la majorité réformatrice de l’assemblée islamique n’a pu appliquer aucun des réformes importantes envisagées et promises aux électeurs.

Les projets de loi du gouvernement adoptés par le parlement ont été écartés par le Conseil des Gardiens en raison de leur non conformité soit à la charia soit à la Constitution.22 Ainsi les organes sensés représenter la volonté des électeurs, organes dont la légitimité démocratique, du moins en théorie, n’est pas contestable ont été tout à fait « légalement » bloqués par les instances dont les membres sont désignés par le guide sans aucune consultation préalable ni la prise en compte de la volonté générale, un organe dont les membres ne sont pas responsable devant le peuple.

De même les députés ont été, par l’ordre du guide, l’ordre dont le caractère légal reste à démontrer, empêchés d’adopter un texte visant à modifier la loi sur la presse. Les députés voulaient libéraliser la loi actuelle. Lorsque un député iranien a souligné le caractère illégal de l’ordre du guide, il a été corporellement agressé par les députés partisans du guide avant d’être interrogé par le ministère de renseignement.

Ces événements démontrent très clairement que les système constitutionnel iranien, tout en prévoyant des élections, attribue l’essentiel du pouvoir non pas aux organes élus par le peuple mais aux dignitaires non élus, à un nombre extrêmement limité de « privilégiés » qui ne respectent pas la volonté générale et considèrent les élections comme un élément de décoration permettant à la République islamique d’avoir une façade acceptable pour les adeptes de l’apparence et de cérémonie !

 

3 – Domaines « partagés »

Certains ministères et certains dossiers échappent totalement ou partiellement au président. Ce sont des domaines partagés avec les autres instances étatiques.

Il s’agit concrètement de la défense nationale, de la sécurité intérieure et de la politique étrangère. Le président ne jouit pas dans ces domaines d’un pouvoir déterminant, même si son pouvoir en matière de politique étrangère est moins négligeable que son intervention en matière de la défense nationale et de la sécurité intérieure.

 

a – Défense nationale et la sécurité intérieure

Le principe 110 de la Constitution prévoit que « le commandement suprême des forces armées revient au guide ». Le terme « forces armées » englobe non seulement l’armée proprement dite mais aussi les forces des gardiens de la révolution (pasdarans), les forces de l’ordre, de la police nationale et de la gendarmerie. Les groupes de pression non officiels sont aussi gérés indirectement par le guide.

Toutes les hautes autorités des forces armées sont nommées par le guide de la révolution. La déclaration de guerre ou de paix sont de sa compétence. Le rôle du président de la république islamique dans la politique de la défense nationale et de la sécurité intérieure reste marginal et se limite à la présidence du Conseil supérieur de la sécurité nationale composé en principe de 11 à 13 membres dont 6 sont directement désignés par le guide. Les ministres de l’intérieur, de renseignement et des affaires étrangères sont aussi membres de ce Conseil, sachant que ces deux derniers ministres sont nommés avec l’avis conforme du guide. Ainsi le rôle du guide dans la composition du Conseil supérieur de la sécurité nationale est nettement plus important que celui du président. Les décisions de ce Conseil ne sont applicables qu’après l’approbation du guide.23

Dans ce domaine précis, le dossier nucléaire iranien échappe presque totalement à la compétence du président. Lors d’un meeting organisé le 2 mai 2005, le guide a précisé que quel que soit le président élu le 17 juin prochain, il ne sera pas autorisé d’appliquer une autre politique que celle décidée par le peuple (ou par le guide).24

 

b – Politique étrangère

L’importance du rôle présidentiel dans ce domaine comparé à celui joué dans de la défense nationale et la sécurité intérieure réside dans son caractère représentatif. En effet, bien que le guide en tant que première personnalité de l’Etat iranien représente théoriquement, cet Etat à l’étranger, il n’en reste pas moins que dans la pratique ce rôle est joué par le président lui-même.

 

Si la politique étrangère de la République islamique semble quelque peu chaotique et incertaine, cela est dû, entre autres, au fait que le plus haut représentant de cette politique aux yeux des autres Etats n’est pas celui qui fixe et détermine cette même politique.

Pour intervenir dans la politique étrangère le guide n’agit pas le biais du Conseil supérieur de la Sécurité nationale et par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères. Les grandes décisions de politique étrangère du pays telle que le rétablissement des relations avec les Etats-Unis exige nécessairement l’accord du Guide. Sans cet accord le rétablissement est impossible. Cela a été le cas aussi bien sous la présidence de Rafsandjani avant 1997 que sous celle de Khatami depuis cette date. Le Président qui sera élu le 17 juin prochain n’échappera pas à la règle, il ne pourra pas, sans l’assentiment du guide, se lancer dans un processus de normalisation.25

Lors de la crise diplomatique entre la République islamique et les pays membres de l’Union européenne provoquée par le verdict prononcé le 10 avril 1997 par un tribunal de Berlin, désignant « le plus haut sommet de l’Etat iranien » comme l’instigateur d’un attentat meurtrier perpétré en septembre 1992 sur le sol allemand,26 le Guide de la révolution est intervenu très directement dans la diplomatie iranienne en demandant au président Rafsandjani de ne pas accréditer l’ambassadeur d’Allemagne.

En plus du guide, l’assemblée islamique joue, à son tour, un rôle actif dans la politique étrangère du pays. Outre les attributions traditionnelles du parlement, telle que la ratification des traités internationaux, l’assemblée islamique intervient dans la politique étrangère de manière occasionnelle. Elle a ainsi adoptée, le 30 octobre 1988, une loi relative à la rupture des relations diplomatiques avec la Grande Bretagne. De même les députés iraniens, en réaction à une décision de l’administration américaine, ont adopté des lois telle que la « loi tendant à lutter contre le terrorisme d’Etat des Etats-Unis d’Amérique ». Malgré ces interventions fort symboliques, l’assemblée islamique n’a pas un rôle prépondérant dans la détermination de la politique étrangère. Le réel pouvoir en la matière est détenu par le guide.

 

Conclusion

Le président de la République islamique, l’autorité du régime iranien dont la légitimité démocratique est la moins contestable est particulièrement surveillé par les organes de l’Etat dont la composition non démocratique ne peut être contestée.

Les « représentants » du peuple sont sous la domination des « dignitaires ». La volonté générale ne joue aucun rôle déterminant dans la politique du pays. Les Iraniens sont de plus en plus conscient de cette situation. Cette conscience s’est traduite par un taux d’abstention très élevé lors des dernières consultations. Les députés de Téhéran siégeant à l’assemblée islamique, élues en février 2004, représente moins de 15% des électeurs de cette circonscription. Le taux de participation des électeurs les plus politisés du pays qui se trouvent à Téhéran et dans les grandes villes de province était inférieur à un tiers. Malgré les tentatives des autorités, à quelques semaines des élections de juin prochain, les iraniens semblent se désintéresser de la compétition électorale.

Ce manque d’intérêt pour un pays soumis à de fortes tensions intérieures et extérieures n’est pas réjouissant. Le pays peuplé, de 70 millions d’habitant dont 70% est âgé de moins de 30 ans avec une taux de chômage élevé et sans aucune perspective d’avenir, peut très rapidement sombrer. Les Iraniens sont déçus du résultat de leur sursaut en juin 1997, sursaut qui a permis l’arrivée des réformateurs aux commandes des organes élus (la présidence et l’assemblée). Cette expérience a permis aux iraniens de constater que ses représentants n’ont pas un réel pouvoir pour modifier la politique menée avec peu de nuance depuis l’avènement de la République islamique.

Les instances non élues disposent d’un pouvoir considérable. Selon les réformateurs « l’essentiel du pouvoir appartient aux instances non élues ». Il s’agit des autorités nommées par le Guide de la Révolution et dont le peuple ne joue aucun rôle dans la composition. Ces instances ne sont responsables que devant le guide. Le porte-parole du gouvernement, M. Ramazan-Zadeh précise que ces instances qui ne représentent que « 1,5% à 2% des électeurs accaparent la totalité du pouvoir ».27


Les iraniens ont pu constater que la République islamique est composé de deux pouvoirs : un pouvoir qui décide et un pouvoir qui exécute. Le guide et « ses organes » décide de la politique du pays, le président, le parlement et le pouvoir judiciaire appliquent cette politique, voilà le résumé du véritable fonctionnement du régime de la République islamique.

* Morteza ANSARI est enseignant de Droit constitutionnel à l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims.

Note

  1. Référendum organisé le 30 et 31 mars 1979.
  2. Référendum organisé le 2 et 3 décembre 1979.
  3. Référendum organisé le 28 juillet 1989.
  4. Le Conseil de discernement a été introduit dans la constitution lors de la révision de 1989. Il est prévu par le principe 112 de la Constitution.
  5. Principe 115 de la Constitution iranienne.
  6. Le mot figurant dans la Constitution a un double sens. Mot d’origine arabe, il signifie, dans le langage courrant, une « personnalité de haut niveau ». En revanche, littéralement parlant, le mot signifie « les hommes ».
  7. Selon le Principe 12 de la Constitution « la religion officielle de l’Iran est l’islam chiite duodécimain ».
  8. Ibidem.
  9. Quotidien « Shargh » du 2 mai 2005.
  10. Il s’agissait en l’occurrence de M. Ibrahim Yazdi l’actuel président du Mouvement de la Libération d’Iran. Cet ancien ministre des Affaires étrangères est à nouveau candidat pour les élections présidentielles du 17 juin 2005.
  11. L’article 57 de la loi relative aux élections du président de la République islamique prévoit que « en cas de nécessité ce délai peut être prorogé pour 5 autres jours ».
  12. Il s’agit de : ministère du Renseignement, ministère de la Justice, état civil et enfin des forces de l’ordre.

 

  1. Principe 99 de la Constitution.
  2. Article premier de la loi électorale relative à l’élection du président.
  3. Mohammad HÂCHEMI, « Hoghoughé assassi djomhori éslami iran » (la Constitution de la République islamique d’Iran) vol. 2 , 2ème édition, printemps 1996, Téhéran.
  4. Le principe 134 de la Constitution.
  5. Le principe 134 de la Constitution.
  6. Dans sa rédaction initiale, la Constitution prévoyait le vote d’une motion « d’incompétence politique ». Depuis la révision de juillet 1989 le président peut être révoqué pour « l’incompétence ». Ainsi la révocation du président de la République islamique peut être pour toute sorte d’incompétence liée à son programme politique, sa capacité administrateur, ses facultés mentales ou physiques.
  7. Le principe 132 de la Constitution.
  8. L’article 19 de la loi fixant les devoirs, les attributions et les responsabilités du président de la République islamique.
  9. Le principe 113 de la Constitution
  10. A titre d’exemple on peut citer : – le « projet de loi relatif aux devoirs et attributions du Président » visant notamment à accroître le pouvoir du président en ce qui concerne son rôle de gardien de la Constitution ; et – le « projet de loi relatif au contrôle des élections par le Conseil des Gardiens », visant à réduire le caractère arbitraire de ce contrôle.
  11. Le principe 176 de la Constitution
  12. Quotidien « Shargh », le 3 mai 2005.
  13. Déjà, lorsque le 26 avril 1990 l’un des vice-président de la République islamique a publié un article évoquant « la négociation directe » avec les Etats-Unis, le guide de la révolution, ayatollah Khomeyni, lors d’une allocution prononcée une semaine plus tard a violemment critiqué cette idée en précisant qu’il était contre la négociation avec l’Amérique en ajoutant qu’il était « impossible que le gouvernement s’engage dans de telles négociations sans mon autorisation ».

 

 

 

 

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