Prospective de la présence militaire américaine en Irak

Par le Général (cr) Henri PARIS
Le Général (cr) Henri PARIS président de Démocraties
Géostratégiques N°7 -Avril 2005

Les élections irakiennes prévues le 30 janvier 2005, ont bien eu lieu. Le verdict des urnes communiqué le 13 février
2005 par la Commission électorale a entraîné la satisfaction du président Bush témoignée publiquement. En effet, le nouveau gouvernement transitoire issu de ces élections en tire une légitimité populaire qui faisait défaut au précédent. Par ailleurs, malgré tous les obstacles, la consultation électorale, toute discutable qu’elle soit dans ses modalités, a bien été tenue et, à la date prévue, ce qui représente en soi un succès pour Washington.
Alors se pose derechef la question de la présence militaire américaine en Irak. En effet, avec une présence massive, les forces américaines et alliées sont taxées d’être une armée d’occupation, ce qui est nuisible à l’image de marque d’une démocratie que Washington voudrait instaurer en Irak. De plus, nombre d’alliés envisagent un retrait, déjà réalisé par les Espagnols, envisagé très sérieusement par les Polonais. En outre, les attentats et la guérilla perdurent.
Pour répondre à l’interrogation, il s’agit de procéder à l’examen de deux aspects de la situation. En premier lieu, la présence militaire américaine est-elle souhaitable, voire nécessaire, en conséquence du rebondissement que constitue la consultation électorale irakienne ? En second lieu, cette présence militaire est-elle possible en considération de l’état des forces et de l’effort consenti par les Etats-Unis ?
37 Prospective de la présence militaire américaine en Irak
LA SITUATION GÉOPOLITIQUE AU LENDEMAIN DES ÉLECTIONS
IRAKIENNES
Le tout premier examen réside dans une analyse des résultats électoraux de la situation et du rapport de force qui en découlent.
Les modalités avec lesquelles ont été organisées et tenues les élections sont contestables. En effet, par souci de sécurité, seule l’identité des têtes de liste figuraient sur les bulletins électoraux, alors qu’il s’agissait d’un scrutin à la proportionnelle intégrale. L’électeur a donc voté pour une liste et non pour des candidats identifiés. Beaucoup d’électeurs ont été conduits en car, mis en place par l’autorité d’occupation ou une autorité sous son contrôle, et les bureaux de vote ont été gardés par des troupes en armes. Aucun contrôle international n’a été réalisé et les incidents ont été réglés par la seule Commission électorale installée par l’autorité d’occupation. Par ailleurs, le mot d’ordre d’abstention des sunnites, quelque 25 % de la population, a été massivement respecté.
Cependant, le simple fait de la tenue d’élections dans un pays en guerre larvée avec un pourcentage d’électeurs supérieurs à 50 % représente une prouesse technique dont les Américains peuvent effectivement se targuer. En Afghanistan, un succès semblable n’a pu être atteint après trois années d’occupation, de guérilla et de chasse infructueuse d’Oussama Ben Laden. Néanmoins, ce succès en Irak exige d’être immédiatement relativisé, car il est moins vrai en abordant les résultats politiques, donc stratégiques, du scrutin.
Sous la bannière de l’Alliance irakienne, unifiée (AIU), la communauté chiite l’a emporté avec 48,1 % des suffrages exprimés, ce qui lui vaut 140 sièges sur 275 au nouveau Parlement provisoire. L’Alliance kurde, réunissant l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), recueille 25,7 % des suffrages et 90 % au Kurdistan. Elle se voit donc attribuer 75 sièges au Parlement et le contrôle absolu des instances dans un Kurdistan autonome. La liste du Premier ministre sortant, Iyad Allaoui, le candidat des Américains obtient 13,8 % des suffrages et 40 sièges. La liste du président sortant, Ghazi Al-Faouar, également ami des Américains bien que sunnite, avec 1,7 % des suffrages reçoit 5 sièges. Les 15 sièges restants se répartissent entre les petites formations, notamment chiites. En autre, la liste proche de l’extrémiste chiite Moqtada Sadr obtient 3 sièges et celle de l’Organisation de l’action islamique a 2 sièges.
Un premier constat d’importance s’impose : les candidats des Américains ont subi une défaite. Le désaveu de l’action américaine est flagrant. Deuxième constat : toutes les listes sont d’essence communautaire et non politique ou le politique est tributaire du communautarisme. L’abstention des sunnites renforce la valeur du constat.
LA STRATÉGIE AMÉRICAINE D’INTÉGRATION ET LE RENOUVEAU CHIITE
La victoire des chiites de l’AIU est donc sans grande surprise puisqu’ils représentent près de 60 % de la population. Ils ont un guide spirituel l’ayatollah Al-Sistani qui prétend rester dans son rôle religieux. Il se montre relativement modéré en ce sens que s’il veut instaurer une république islamique, il ne veut pas voir en la charia la seule source de la législation. Par ailleurs, il admet un certain pluralisme politique et s’est opposé à l’intransigeant chiite Moqtada Sadr. Il vit en reclus à Natjaf, la ville sainte du chiisme et jouit d’une immense écoute. Sous l’égide de l’AIU, prennent rang comme candidats au poste de Premier ministre, le deuxième de la liste, Ibrahim Al-Jaafari, un médecin conservateur, opposé aux Américains et que l’on accuse d’être à la solde de Iraniens. Vice-président sortant, il supplante la tête de liste Abdel Aziz Hakim. Autre candidat qui s’est mis en retrait, un nucléariste, Chahrastani. Al-Jaafari renouvelle son allégeance à Al-Sistani et proclame sa volonté de demander le retrait des armées de la coalition dirigée par les Américains. Par ailleurs, il se déclare opposé à l’autonomie kurde. On ne peut être plus clair, et compte tenu des circonstances, en tant que chiite et prétendant à un poste de Premier ministre, plus opposé à Washington. On a aussi assisté au retour du sulfureux Chalabani au lourd passé judiciaire et accusé, lui aussi, d’être à la solde de Iraniens mais qui a préféré une retraite en bon ordre. Pour combien de temps, avec sa propension au complot ?
Deuxièmes vainqueurs, les Kurdes, d’une part confortent fortement leur statut autonome. D’autre part, ils peuvent prétendre à des postes importants comme la présidence de la République, affectée à leur dirigeant Jalal Talahani.

Il est question par souci d’œcuménisme de réserver quelques responsabilités aux sunnites, bien que leur représentation parlementaire soit inexistante.
Les Américains ont joué la carte chiite de l’AIU devant la déconfiture de leurs amis directs. Cela n’est pas sans poser en problème majeur la véracité de la modération des chiites irakiens et de leur attachement à un nationalisme irakien plutôt qu’à un rapprochement avec leurs frères en religion iraniens.
Le virage des Américains engendre le scepticisme et la crainte d’une erreur de jugement de leur part. Il est indispensable de se remémorer qu’à la fin des années 1970, estimant inéluctable la chute du schah, par ailleurs indocile il est vrai, ils l’ont précipitée en jouant la carte de l’ayatollah Khomeiny alors en exil en France à Neauphle-leChâteau. L’erreur fut absolue tout comme la mise faite sur les Talibans non seulement contre les Soviétiques dans les années 1980 et à la suite, dans les années 1990 contre, entre autres, les Tadjiks de Massoud. Et par la suite, à Washington, on a pensé à une restauration monarchique en Iran ! Et d’aucuns y songent encore en 2005 !
L’ALLIANCE KURDE ET SES PERSPECTIVES INDÉPENDANTES
Les Kurdes offrent un puissant foyer d’instabilité. Les partis rivaux UPK et le PDK, qui en étaient venus aux mains, ne sont d’accord que dans la vision d’un Kurdistan irakien autonome, voire indépendant, et s’agrandissant des zones kurdes en Turquie, en Iran et en Syrie. Cela les oppose aux chiites, en sus de leur confession sunnite et représente une propagation de l’instabilité à l’extérieur de l’Irak.
Les Kurdes ont des velléités de s’emparer de Kirkouk et de Mossoul, régions pétrolifères, en marge de leur zone avec des populations entremêlées sunnites, turkmènes, chrétiennes assyriennes et kurdes. Les Turcs, historiquement et traditionnellement attirés par la région n’en sont pas absents, jouant de leur influence et utilisant des commandos de forces spéciales infiltrés. Kirkouk et Mossoul sont au bord de la guerre civile depuis 2003 et les élections n’ont en rien changé la situation.
L’enjeu pétrolier prédomine évidemment et c’est lui qui explique la rage des Kurdes. En effet, si les Kurdes disposaient de la manne pétrolière de Kirkouk et de Mossoul, le rêve d’un Grand Kurdistan indépendant, vieux de près d’un siècle, prendrait une tournure concrète.
OCCUPATION MILITAIRE ET RÉSISTANCE MULTIPLES
Dernier ferment d’instabilité, la lutte ouverte menée par la résistance sous forme de terrorisme et de guérilla. En sus d’Irakiens opposés aux Américains et aux chiites, la résistance irakienne a attiré à elle des volontaires étrangers, au nom de l’Islam et de la lutte contre les infidèles. Les attaques sont quotidiennes s’en prenant aussi bien aux troupes de la coalition qu’aux chiites. Les enlèvements de journalistes, devenus otages, défraient la chronique mondiale.
A la menace d’un éclatement provoquant une guerre civile s’ajoute donc une lutte faite d’attentats et de coups de mains.
La garde nationale et la police levées par les Américains dans les rangs irakiens s’avèrent une cible privilégiée des résistants et terroristes. Le moral de ces forces est au plus bas, ce qui a été attesté à Falloudja tombée aux mains de la rébellion et reprise difficilement par les Américains, à l’automne de 2004. Sur 3.000 gardes nationaux engagées, 400 ont déserté. Les forces américaines n’arrivent pas à former une force irakienne qui reste en sous-effectif dont le moral est faible et la valeur combattante médiocre.
Deuxième cible, les chiites accusés de collaborer avec les Américains. Le but est de provoquer une réaction et l’enchaînement de la violence.
Dans ces conditions, c’est la présence militaire américaine qui, seule, assure la sauvegarde du système instauré par Washington. Sans l’armée de la coalition, le gouvernement transitoire issu des élections n’aurait aucune chance de perdurer, pas plus que le Parlement chargé d’élaborer une constitution. Al-Jaafari l’a bien compris et c’est pourquoi il s’écarte de l’allégeance américaine.
Au-delà de l’Irak, c’est la région entière qui peut plonger dans le chaos. A la menace déstabilisatrice kurde s’ajoute celle des chiites présents en Arabie Saoudite bien que minoritaires, mais peuplant les région pétrolières. Les chiites sont également présents dans tous les Etats arabes de la Péninsule.
Parallèlement, les islamistes mènent une campagne active dans tous les Etats de la Péninsule, soit sous forme de propagande, soit plus concrètement par des attentats terroristes.
La présence militaire américaine est non seulement nécessaire, mais indispensable en Irak même et dans l’ensemble de la région, pour peu qu’à Washington on veuille conserver une mainmise sur le Proche et le Moyen-Orient. Et si cela est, c’est la continuation de la guerre..
L’ÉTAT DE L’ARMÉE AMÉRICAINE ET LA DIMENSION DE SON EFFORT EN IRAK
Au début du XXIème, l’armée des Etats-Unis représente la plus puissante force militaire à la surface du globe. Pour retrouver une telle puissance incontestée, il faut remonter à l’Empire romain ou évoquer la Grande Armée de l’Empire français dans les premières années du XIXème siècle.
En préalable à tout examen de la force militaire américaine, trois remarques essentielles doivent être prises en compte.
La force militaire américaine, comme toute force, est tributaire de la ressource nationale, qui se révèle être celle de la plus puissante économie au monde. Le produit national brut américain est de l’ordre de 11 trillions, 11.000 milliards de dollars avec un produit per capita de quelque 38.000 dollars, ce qui indique une productivité remarquable, la première au monde. En 2005, la part consacrée à la défense dépasse 450 milliards de dollars, représentant plus de 3,6 % de produit national brut. Les Etats-Unis attribuent ainsi à leur défense les ressources financières les plus importantes au monde.
Conformément à la Constitution américaine, les fonds nécessaires à la campagne d’Irak, comme à celle d’Afghanistan, comme à tout stationnement militaire extraordinaire à l’étranger, sont votés, en sus du budget de la défense et font l’objet d’une ligne de crédit séparée.
L’armée américaine est organisée en une armée d’active et une armée de réserve. L’armée d’active comprend des militaires de métier ou sous contrat, au nombre de 1,44 millions, auxquels s’ajoutent de l’ordre de 158.000 réservistes appelés au service actif. L’armée de réserve se décompose en une Réserve des armées, quelque 1,14 millions de réservistes sous commandement direct fédéral, donc du président des Etats-Unis, et en une National Guard, quelque 460.000 gardes sous direction du gouverneur d’un Etat, partie constituante de l’Union. Par décret fédéral, la National Guard, tout ou partie, peut être appelée au service actif en campagne. Les équipements de l’armée d’active, de la réserve et de la Garde Nationale dont similaires dans son excellence. Les forces de réserves sont très bien entraînées et relèvent du volontariat qui est suscité par toute une série d’avantages accordés aux réservistes et à leurs familles comme à leurs employeurs. Indéniablement, un très réel civisme doublé d’un puissant patriotisme contribue au recrutement de la Réserve et de la Garde Nationale. Le système, par son efficacité, répond à toutes les attentes.
La Réserve et la Garde Nationale viennent ainsi plus que doubler l’armée d’active pour la porter à un effectif de 2,5 millions de personnels. Le fardeau serait supportable pour la nation américaine, sans conteste, à la condition qu’il soit accepté par l’opinion publique. L’exemple de cette réserve dont le fonctionnement et l’efficacité sont remarquables est à peu près unique au monde.
Dernier point qui mérite d’être évoqué en préalable, l’armée américaine est une armée de métier. La conscription a été abandonnée à la sortie de la guerre du Viet-nam et est plutôt contraire à la tradition des Etats-Unis qui y ont recours seulement en cas de nécessité absolue comme lors de la Deuxième Guerre mondiale.
STRUCTURE ET STRATÉGIE DE DÉFENSE
La composition sociologique des forces armées accuse des disparités et là, le bât blesse. Si les officiers sont majoritairement des Wasp, white anglo-saxon protestants, les sous-officiers et encore plus les militaires du rang sont des noirs ou des latinos, de toutes les manières d’origine sociale modeste. Un grand nombre de ces militaires du rang sont des étrangers qu’il est licite d’engager dans l’armée américaine et qui, après un délai assez long, de l’ordre de 6 mois, peuvent initier une démarche administrative visant l’obtention de la nationalité américaine, aboutissant au bout de trois ou quatre ans. Durant ce délai, la famille peut vivre aux Etats-Unis. Malgré ces facilités, le recrutement est malaisé et les Américains de souche plus ancienne répugnent majoritairement à servir comme militaire du rang, sauf dans la Réserve et la Garde Nationale où est en œuvre une procédure de sélection favorisant les Wasp.
A partir de là, la valeur au combat de ces militaires du rang étrangers se calcule à raison de leur désir de participer au rêve américain de richesse et non en fonction des devoirs dus à la grandeur des EtatsUnis ou plus simplement à une patrie.
Encore un point déroutant, le potentiel militaire américain est organisé en quatre catégories de force ou armées. Ainsi aux armées de terre, l’army, et de l’air et à la marine auxquelles correspondent des réserves respectives et une Garde Nationale, s’ajoute un Marine corps doté de peu de réserve et d’aucune Garde Nationale. Le Marine corps est spécifiquement voué à fournir des corps expéditionnaires, des forces de projection et c’est pourquoi il est interarmes et interarmées, en ce sens il possède sa propre aviation et ses propres capacités amphibies. Une garde côtière, avec sa réserve, existe mais n’est jamais envoyée, par définition, à l’extérieur du territoire national. C’est pourquoi elle ne relève pas du commandement général des forces armées.
Sur la masse des forces américaines, 400.000 militaires sont stationnés en dehors du territoire des Etats-Unis, déployés dans 120 pays. C’est essentiellement l’Armée de terre, l’Army et le Marine corps qui fournissent le gros des forces implantées à l’extérieur des EtatsUnis. L’Army et le Marine corps entretiennent respectivement au total un effectif de quelque 502.000 et 175.000 militaires avec un potentiel de réservistes issu de Army Reserve et de la National Guard à hauteur de 670.000 et 11.000 réservistes du Marines Corps,soit au total près de 680.000 hommes et femmes.
Le corps expéditionnaire américain en Irak compte quelque 140.000 hommes dont 100.000 de l’Army et du Marine corps et 40.000 réservistes. Les mêmes proportions se retrouvent en Afghanistan avec 18.000 militaires et quelque 30.000 dans la Péninsule arabique, soit près de la moitié des forces implantées à l’étranger.
Les pertes en Irak, depuis l’ouverture de la campagne, sont à hauteur de 1.500 tués et de 7.000 blessés dont 3.000 graves et estropiés. Tous ont dû être évacués. Les pertes en Afghanistan sont moindres en fonction de la faiblesse numérique engagée par rapport à l’Irak.
Le soldat américain vit sous tension perpétuelle dans la crainte d’un attentat mené par un kamikaze ce qui l’étonne et lui fait peur parce qu’il ne comprend pas l’acceptation du suicide. Il en découle l’usure morale des militaires américains en Irak et en Afghanistan, dans une moindre mesure dans la Péninsule arabique où, faute d’opérations à mener, les troupes peuvent se cantonner dans leurs bases-forteresses sans en sortir. Cette situation a conduit le Pentagone à prévoir à l’origine une relève tous les 6 mois, organisée par construction en unité constituée. Cela revient, compte tenu des effectifs impliqués à mettre près de 400.000 militaires par an à disposition du théâtre d’opération moyen et proche-oriental, Irak et Afghanistan compris, c’est-à-dire l’effectif total engagé en dehors du territoire des Etats-Unis. Or, une telle solution ne peut perdurer, car elle conduirait à abandonner des implantations militaires aussi vitales pour la politique des Etats-Unis que l’Allemagne, la Corée du Sud, le Japon…, faute d’effectifs.
LES NOUVEAUX ACTEURS COERCITIFS DE L’ARMÉE AMÉRICAINE
Le seul moyen de combler le déficit des effectifs est de faire appel à la Réserve. Mais c’est insuffisant, encore que les effectifs de la Réserve en Irak atteignent de l’ordre de 40.000 hommes, en permanence, donc il en faudrait 80.000 par an, compte tenu de l’inévitable relève. Autre solution, augmenter le recrutement de l’armée d’active, notamment de l’Army, mais il faudrait l’accord du Congrès et consentir à un aveu de faiblesse !
Or, le Congrès, et en première phase la Chambre des Représentants avec sa majorité républicaine en 2005, est d’accord. Mais les crédits engagés s’opposent à une restructuration de l’Army, voulue par Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense. Et Donald Rumsfeld, à ce sujet, est en contradiction avec l’état –major des Forces. On débauche ainsi sur une crise.
La ponction annuelle est d’autant plus sérieuse qu’elle est répétitive. L’appel à la Réserve désorganise l’économie et irrite l’opinion publique.
Dans ces conditions, le renfort procuré par les alliés n’est non seulement pas négligeable lorsqu’il atteint un effectif total de 20.000 militaires, mais encore le bienvenu. Malheureusement, la ressource s’affaiblit : les Espagnols ont été les premiers à quitter la coalition, suivis par les Polonais. Les Britanniques ont diminué leur présence. Et coup de tonnerre, le 16 mars le très fidèle allié italien annonce son retrait, militaire, peut être le Premier ministre italien est il excédé des atermoiements et des bavures américains concrétisés par la mitraillade, d’une otage italienne libérée et du haut responsable des services spéciaux italiens ! Les soldats américains, anxieux, ont le tir trop facile. Le résultat est là.
Faute de solution de remplacement, le Pentagone a commencé par utiliser des solutions de fortune.
La durée de séjour a été allongée d’abord de plusieurs semaines puis de plusieurs mois. Parallèlement la fréquence des relèves a été affaiblie.
L’engagement de la procédure de naturalisation des nombreux étrangers engagés dans l’Army a été retardé de manière à ce que l’administration ait un moyen de pression visant leur maintien en Irak.
Le procédé a ses limites. Les protestations ont fusé en masse. Le moral des troupes qui n’était déjà pas au beau fixe face au constat du prolongement de la guerre a tendance à se gâter encore plus. Quant aux étrangers engagés dans le but d’accéder à la naturalisation américaine, pour jouir de l’eldorado rêvé qu’est un niveau de vie élevé, leur motivation matérialiste s’est accrue en fonction d’une baisse idéologique.
Une étude entreprise en 2004, a permis une diminution du stationnement militaire à l’étranger. C’est ainsi qu’en Corée du Sud et en Allemagne, il y a eu gain d’effectifs. Mais l’exercice a des bornes, car si, en Allemagne, le niveau des effectifs a été réduit à 70.000 militaires, ailleurs il a fallu en implanter d’autres. Le Pentagone a dû déployer de nouveaux contingents en Europe de l’Est, en Roumanie entre autres, devenue plaque tournante pour le Moyen et Proche-Orient en conséquence de la défection turque. Or, le Pentagone ne peut se résoudre à diminuer drastiquement ou à supprimer des implantations militaires. Bien plus, il a fallu organiser de nouveaux déploiements dans les républiques ex-soviétiques, par exemple en Géorgie ou au Tadjikistan.
Autre solution de remplacement, mais éminemment boiteuse, il y a un appel massif à des sociétés de mercenaires, des Privates military companies de leur nom américain. Ces sociétés sont surtout américaines et britanniques, présentes au nombre de 50 en Irak, dont 35 sont anglosaxonnes et les autres, des filiales européennes ou sud-africaines.
Le marché développé par les sociétés militaires privées est évalué à 3 milliards de dollars par an et emploie quelque 20.000 contractants.
Ces sociétés assurent des fonctions non seulement de garde du corps, comme auprès du chef de l’administration américaine en Irak, comme messieurs Bremer et Negroponte, mais encore d’interrogateurs de prisonniers et même de combattants en petits groupes venant en renfort des forces régulières ou même en petites unités constituées. C’est une filiale d’une grande société d’armement américaine qui participe à la formation et à l’instruction de la Garde nationale saoudienne depuis 1977 et sur le même modèle de l’armée irakienne depuis 2003.
Le phénomène est curieux car il renoue avec la pratique du mercenariat qui, certes, a fait fureur dans l’Antiquité et au Moyenâge mais avait été abandonné à l’orée du XIXème siècle. La solution est discutable au plan d’une idéologie démocratique et ampute très sérieusement le budget américain car les sociétés de mercenaires exigent des rémunérations à la hauteur du risque. Or ce risque en Irak est loin d’être faible. Les mercenaires ont payé en vie un tribut assez lourd, mais sans qu’honneur et gloire ne soit rendue à leurs dépouilles.
La solution apparaît dans une formule plus stable, sous forme d’alternative : augmenter l’effort ou abandonner.
Abandonner est impossible, car la chute du domino irakien, par voie de contagion veut dire l’effondrement des autres dominos minés par la contestation anti-américaine et l’islamisme. Peut-être eut-il été préférable de négocier avec Saddam Hussein ! On pourrait en dire autant du Schah ou des Moudjahidines du peuple au lieu de Khomeiny, du régime communiste ou de Massoud au lieu des Talibans… Cependant, il faut bien prendre en compte l’éventualité d’un échec en Irak, mais il convient de retarder cet échec le plus possible. C’est pourquoi, il ne peut être question d’abandonner militairement l’Irak dans l’immédiat qui suit les élections de janvier 2005.
Déjà en juin 2004, le Pentagone avait procédé à ce qu’il appelle une Global Posture Review. La démarche consiste à analyser la situation et à en tirer des conclusions prenant la forme d’un renforcement de la position américaine en Irak en vue de détruire l’ennemi.
A cet effet, le Pentagone vise une refonte de l’organisation des forces armées. Il s’agit de transformer les armées et surtout l’armée de terre, l’Army, en un système plus souple, plus léger, plus flexible, apte à lutter contre la guérilla. Est sacrifié le concept de division massive, conçue pour lutter contre un ennemi puissant, au profit de brigades plus légères, aptes à être projetées sans de trop grandes difficultés. En somme, les Américains recherchant les meilleurs systèmes de projection de force en arrivent aux mêmes conclusions que les Français, mais avec retard. Par ailleurs, le risque est immense : rien n’indique qu’une force massive avec des divisions lourdes ne sera pas nécessaire. Quoiqu’il en soit, l’option est prise et doit avoir sa concrétisation en 2006, ce qui exclut toute perspective d’affrontement majeur avec un ennemi déterminé à mener un combat de grande ampleur et à s’en donner les moyens.
Ces forces de réaction rapides sont appelées à pouvoir se déployer n’importe où dans le monde en 10 jours, à infliger à l’ennemi une défaite décisive en 30 jours et à être apte à intervenir à nouveau avec un renfort provenant des Etats-Unis.
On ne peut que développer un jugement de valeur sceptique sur un tel projet, en prenant en compte la guerre d’Irak qui devait être terminée en une trentaine de jours. Ce jugement doit être tempéré, parce que le projet américain est complété par une augmentation du volume des forces, ce à quoi le Congrès va devoir acquiescer.
Cependant, ce renforcement des forces armées a lui aussi ses propres limites. L’économie des Etats-Unis, tout autant que la société américaine, ne peuvent accepter une militarisation outrancière. L’URSS était morte de cela !
ECHEC DE LA STRATÉGIE MILITAIRE AMÉRICAINE
La victoire électorale américaine en Irak n’est qu’une apparence. En réalité Washington n’est pas sorti de l’impasse irakienne. Partis pour une guerre courte, légère et victorieuse, les Américains s’y sont enlisés. Ils drainent à cette occasion contre eux toutes les forces islamistes qui avec le temps se fédèrent contre eux. L’échec irakien risque de donner le signal d’une débâcle générale du système américain au Proche et au Moyen-Orient. Le prochain domino à tomber est évidemment l’Arabie saoudite, minée par sa déconfiture interne, par ses échecs économiques, par son système social et par sa minorité chiite. Le tout engendre des contradictions qui se concrétisent par un islamisme virulent, guerrier et terroriste. Et la caricature d’élections municipales en 2005 ne fait que confirmer l’échec d’une démocratie à l’américaine en Arabie saoudite.
Dans le court terme, il est exclu que le Pentagone puisse mettre à disposition de la politique voulue par Washington une force militaire capable d’intervenir autrement qu’au titre d’un coup de main. C’est ainsi que l’Iran risque au plus un bombardement. Ce qui n’est pas rien, mais pas de ruée d’une force marchant sur Téhéran. La Corée offre le même schéma.
Tout système militaire a ses limites. Les Etats-Unis le ressentent. Rome l’avait compris et ressenti avant Washington.
Au début du XIXème siècle, l’Empire français avait cru trouver en Espagne une campagne militaire rapide. Il s’y est enlisé.
En février 2004, Washington, tant le président Bush que le Secrétaire d’Etat Rice, oublient leurs anathèmes et se lancent dans un système de pas en avant en direction de l’Europe et, entre autres des Français, en direction de la vieille Europe selon la dénomination de Donald Rumsfeld, Secrétaire à la Défense. Qu’il n’y ait pas d’erreur ! Ayant constaté leur impasse militaire, les Américains cherchent des forces supplétives. L’autre terme de l’alternative est sans ambages. Faute de trouver des alliés déterminés à agir à leurs cotés, les Américains peuvent choisir l’option d’un désengagement militaire progressif d’Irak afin d’échapper à une guérilla sans fin. Ils procéderaient par transfert de responsabilités au profit d’un gouvernement mis en place. L’option ne peut être exclue. Par pans successifs, l’islamisme triompherait alors.

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